Histoire des libertines (54) : le saphisme au temps de la Belle Epoque

- Par l'auteur HDS Olga T -
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Récit libertin : Histoire des libertines (54) : le saphisme au temps de la Belle Epoque Histoire érotique Publiée sur HDS le 30-01-2020 dans la catégorie Entre-nous, les femmes
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Histoire des libertines (54) : le saphisme au temps de la Belle Epoque
A travers les personnages de Liane de Pougy (voir « Histoire des libertines (52) : Des libertines de la Belle Epoque », publié le 2 janvier 2020) et celui de Colette (voir « Histoire des libertines (53) : Colette, romancière et scandaleuse », paru le 15 janvier 2020) nous avons déjà souligné une particularité du libertinage à la Belle Epoque : le saphisme, longtemps réprouvé et clandestin, s’affiche désormais dans les milieux des courtisanes, des comédiennes, des intellectuelles de cette France de la fin du XIXème siècle.

A vrai dire, si elles affichaient leur attirance pour les femmes, Liane de Pougy, comme Colette, étaient bisexuelles. Nous allons cette fois raconter la vie de femmes qui s’affichent, s’affirment comme lesbiennes et dont nous avons déjà parlées, à propos tant de Colette que de Liane de Pougy. Il s’agit de :
• Mathilde de Morny, dite Missy (1863-1944), dont Colette fut la compagne, on peut dire la femme
• Natalie Clifford Barney (1876-1972), le grand amour de Liane de Pougy
• Renée Vivien (1877-1909), la plus grande poétesse du saphisme depuis Sappho.

Chapitre 1er : MISSY L’EXTRAVAGANTE
Mathilde de Morny, dite « Missy », «Oncle Max», «Max» ou encore «Monsieur le Marquis», est une célébrité du Paris de la Belle Époque. À la fois personnalité mondaine et artiste, elle se fait remarquer par sa conduite jugée à l'époque comme extravagante. Elle affiche ouvertement ses préférences sexuelles pour les femmes et entretient notamment une relation originale et tapageuse avec Colette. À cette époque où les amours féminines étaient relativement acceptées, elle est pourtant attaquée avec acharnement, surtout en raison de son attitude « virile ». Le port du pantalon par une femme pouvait scandaliser à une période où il n'était permis qu'après l'autorisation des autorités compétentes.

Dernière fille du duc de Morny et de son épouse, la princesse Sophie Troubetzkoï, elle était par « la main gauche » arrière petite-fille de Talleyrand et petite-fille de la reine Hortense (voir « Histoire des libertines (46) : la reine Hortense », paru le 12 novembre 2019).

Elle fut élevée par le duc de Sesto, grand d'Espagne, second mari de sa mère, tuteur d'Alphonse XII et gouverneur de Madrid. Le duc partait à la chasse dans la campagne de Castille, et la jeune Mathilde l'y suivait, ce qui enchantait son beau-père, qui aimait parler avec elle, lui prodiguant le premier bonheur. Elle montait bien à cheval, elle aimait le flamenco et la corrida. Elle découvrit l'Andalousie, Tanger, où elle conviait des amies. Elle s'intéressa à une jeune servante qui souffrait d'une maladie. Elle la chercha dans le palais, finit par la trouver, couchée dans un cagibi, s'assit près d'elle, caressa sa peau, l'embrassa. Ce fut sa découverte de l’homosexualité.

Mariée à dix-huit ans à Jacques, marquis de Belbeuf, elle s'en sépara rapidement, affichant ses préférences pour les femmes. Le Marquis la laisse libre de poursuivre ses relations féminines. Mathilde finira cependant par divorcer en 1903.

« Enigme mondaine et sociale », prenant à contre-pied son époque (l'heure est aux amazones, telle Natalie Barney, ou aux belles hétaïres, comme Liane de Pougy), mais aussi son milieu, la marquise de Morny fut constamment la cible des satiristes.

Sa conduite extravagante en fait une célébrité parisienne, les adolescentes imitent ses tenues et, sur les boulevards, on boit « une marquise », cocktail qu'elle a lancé. Belle et follement riche, elle entretient Liane de Pougy, la courtisane la plus chère d'Europe, puis, pendant près de dix ans, Colette.

A partir de 1900, elle adopte définitivement le costume masculin, se fait appeler « Monsieur le Marquis » et « Oncle Max » par ses intimes. Colette l'a immortalisée au masculin dans le personnage de Max de La Vagabonde et, au féminin, dans la chevalière du « Pur et l'Impur ».

SON GRAND AMOUR : COLETTE
Grâce à sa fortune, « Missy », comme elle est désormais surnommée, entretient de nombreuses femmes à Paris, y compris Colette et Liane de Pougy, avec lesquelles elle a des relations amoureuses.

Colette y est encouragée par son mari Willy, endetté et infidèle. Missy jouit d'une immense fortune. Placer Colette sous sa protection, c'est, pour Willy, alléger sa conscience d'homme volage et criblé de dettes, au moment où il veut se séparer de son épouse pour vivre avec sa maîtresse Meg.

Missy et Colette séjournent ensemble à partir de l'été 1906 au Crotoy, dans la villa « Belle Plage ». Colette y rédige « Les Vrilles de la vigne » et « La Vagabonde ».

Dans la tumultueuse vie sentimentale de Colette, Missy occupe une place particulière. Non pas parce qu'il s'agit d'une femme - avant leur liaison, Colette a déjà goûté aux plaisirs saphiques dans les bras de Georgie Raoul-Duval ou de Natalie Barney - mais bien parce que Missy joua de multiples rôles auprès d'elle, entre 1905 et 1911 : maîtresse, soutien financier et surtout mère de substitution, mais aussi mari. « Je n'ai qu'elle au monde, écrit Colette à Mme Haendler en 1909, car maman se fait vieille (« Sido » a 74 ans) et je vis loin d'elle. »
LE SCANDALE DU BAISER LANGOUREUX
La presse se déchaîne vite contre la liaison d'une «désaxée et d'une théâtreuse». Le 3 janvier 1907, Missy se présente avec Colette sous l'anagramme d'Yssim, dans la pantomime « Rêve d'Égypte », au Moulin Rouge. Elle joue le rôle d'un égyptologue qui réveille une momie, jouée par Colette, en lui donnant un baiser. Le scandale est organisé par une cabale bien préparée. À la première, une claque jette des projectiles tels que tabourets et cigarettes, et provoque une bagarre générale. Le préfet de Police, Louis Lépine, suspend les représentations. Ce scandale révèle la véritable identité de Missy. Sa famille la rejette et cesse tout soutien financier.

Dans sa relation avec Missy, Colette est une femme-enfant irritante, enjôleuse, qui possède une notion toute relative de la fidélité : « Je continue à ne pas vouloir que tu me trompes (...), je me dis que tu n'as pas le droit de faire, par principe, ce que j'ai fait moi, par folie, par emballement, par gourmandise... ». Pour être clair, Colette s’affranchissait de la fidélité, ayant d’autres liaisons, masculines et féminines, tout en exigeant la fidélité de Missy.

Le 21 juin 1910, Missy et Colette signent l'acte d'achat du manoir de Rozven à Saint-Coulomb en Bretagne, le jour même où la première chambre du tribunal de grande instance de la Seine prononce le divorce de Colette et Willy. La maison est meublée aux frais de Missy.

Si Missy ne prend pas ombrage de la liaison de Colette avec Auguste Hériot, l'arrivée d'Henry de Jouvenel dans la vie de son amante, en 1911, sonne le glas de leur liaison.

Lors de leur séparation, Colette ne restitue pas Rozven à sa vraie propriétaire, laquelle abandonne les lieux sans un mot de reproche, en grand seigneur qu'elle reste en toutes circonstances.

Le silence entre les ex-amantes n'est rompu qu'en 1932, quand paraît « Le Pur et l'Impur ». Missy inspire à l'écrivaine le personnage de « La Chevalière ». Colette dira d'elle : « La Chevalière » qui, « en sombre ajustement masculin, démentait toute idée de gaieté et de bravade… Venue de haut, elle s'encanaillait comme un prince ». Colette avait pris la mesure du mal-être de son amie.

Missy goûte peu d'apparaître sous les traits d'une «Chevalière» dont «le salace espoir des femmes» effare, écrit Colette, «le naturel platonisme».

LETTRES A MISSY
Patiemment rassemblées durant un quart de siècle par le collectionneur Michel Rémy-Bieth, les « Lettres à Missy » (voir la biographie) jettent sur l'écrivain une lumière dont la femme ne sort pas vraiment grandie.

D'une tournée à l'autre, de Nice à Bruxelles, Lyon, Marseille ou Tunis, on peut suivre Colette, artiste vagabonde, dans l'envers du music-hall. Des coulisses rendues confortables, au demeurant, par les subsides de Missy, qui veille à offrir à sa femme les meilleurs hôtels. Cancans, commérages, coups de griffes, réception du public, fatigue, dîners.... Dans ses missives écrites à la hâte et un peu répétitives, Colette n'épargne rien de ses petits tracas quotidiens à son « velours chéri ». Sous « l’insupportable enfant », comme elle se qualifie elle-même, perce trop rarement la femme amoureuse. « Mon dieu, comme tu m'as désappris à vivre seule, moi qui autrefois avais une sorte de goût mélancolique et vif pour la solitude. »
Quand, des années après leur rupture, elle voulut se réconcilier avec Colette, la porte de la chambre du Majestic lui fut grande ouverte, d'autant que Colette cherchait elle-même à la joindre pour lui montrer le chapitre qu'elle lui avait consacré dans Le Pur et l'Impur. Missy le lut, parut l'approuver, puis changea d'avis. Les lecteurs de Gringoire tranchèrent, obtenant l'interdiction du papier, jugé amoral. Des années plus tard, Colette publia le volume, inchangé, ce qui fâcha Missy. Mais elle n'était plus qu’une rescapée de la Belle Époque.

UNE MASCULINITE AFFICHEE
Mathilde de Morny se fait appeler « Max », « Oncle Max » ou bien encore « Monsieur le Marquis » par ses gouvernants. Elle porte alors un complet veston (tenue interdite aux femmes) et caleçon d'homme, le cheveu court, fume le cigare. Elle subit une hystérectomie et l'ablation des seins.

MELANCOLIE FATALE
Seule et désargentée (Sacha Guitry subvient à ses besoins), Missy s'enferme dans la mélancolie et s'isole chaque jour davantage.

Elle a toujours autour d'elle une cour de jeunes artistes, dont Jean de Tinan, Laurent Tailhade, mais s'attache à Sacha Guitry qui, seul, comprenait cet être hors normes. Leur amitié dura quarante ans. C'est lui qui mena son deuil quand elle se suicida le 29 juin 1944.

Pas un mot, pas une fleur de Colette pour celle qui l'aima et à laquelle elle fait dire, dans « Le Pur et l'Impur » : « Je n'aurai été qu'un mirage. » Ingrate Colette !

Missy était une femme libre et perdue, dont Colette avait fait sa chose.

Chapitre II : NATALIE BARNEY, L’AMAZONE
Natalie Clifford Barney est une femme qui n’a jamais cessé de séduire : sa vie est une suite interminable de longues amours. Il est vrai qu’elle a reçu, entre autres dons, la beauté, l’esprit, le charme, la santé, la fortune et surtout la façon de s’en servir et d’en jouir !

Fascinée par les poésies de Sappho et ouvertement lesbienne, l’Américaine Natalie Clifford Barney a cherché à faire de son salon littéraire une nouvelle Mytilène, une école de femmes poètes qui réponde à une Académie française strictement masculine. Elle est célèbre par ses nombreuses conquêtes amoureuses, telles la poétesse Renée Vivien, la courtisane Liane de Pougy, la mécène Élisabeth de Clermont-Tonnerre, la peintre Romaine Brooks, la romancière Colette, à qui elle inspira le personnage de Flossie dans « Claudine s'en va » (1903). Par son indépendance d'esprit, sa liberté de mœurs, sa séduction, son goût pour les choses de l'esprit, sa fortune personnelle, elle a su donner dans le Paris de la Belle Époque et de l'Entre deux guerres un retentissement international à la cause féministe.

Elle publie toute sa vie des livres dédiés aux femmes, comme « Pensées d’une Amazone » ou encore « Aventures de l’Esprit ». Pourtant, malgré ses nombreuses œuvres, ce que l’on retient le plus d’elle ce sont son indépendance d’esprit et sa liberté de mœurs. Elle cherchera à faire de sa vie son propre chef-d’œuvre, en puisant son énergie et son inspiration chez la poétesse grecque Sappho.

ENFANCE
La mère de Natalie Barney, Alice Pike, artiste-peintre, a été fiancée à l'explorateur Henry Stanley, mais, alors que ce dernier est parti pour une expédition de deux ans, elle épouse à sa place Albert Clifford Barney, un magnat américain des chemins de fer.

Âgée de dix ans, Natalie Clifford Barney quitte l'Ohio avec sa famille pour Washington. Quelque temps plus tard, Alice part vivre avec ses deux filles, Natalie et la cadette Laura à Paris. Elle les inscrit à l'École des ruches, un internat fondé par la féministe Marie Souvestre. Devenue adulte, Natalie parle français couramment et sans accent. Elle décide de rester à Paris, et presque toutes ses œuvres publiées seront écrites en français.

DECOUVERTE DU SAPHISME : LIANE DE POUGY
À douze ans, Natalie se rend compte qu'elle est homosexuelle, que ce sont les femmes qu'elle aime. Elle prend alors la résolution de « vivre au grand jour, sans cacher quoi que ce fût ».

La jeune femme, séductrice en herbe, est attirée par la réputation de la Ville Lumière et la liberté des mœurs qui y règne plus qu’ailleurs. Natalie abandonne donc très vite ses petites amours d’adolescente pour se consacrer à son futur rôle d’amazone et assumer son homosexualité.

En 1899, après avoir vu à Paris la danseuse Liane de Pougy à un spectacle de music-hall, elle se présente chez celle-ci en costume de page et fait annoncer un « page de l'amour », envoyé par Sappho. Obstinée, Natalie poursuit la courtisane avec assiduité et en fait finalement la difficile conquête.

Liane de Pougy, courtisée par les hommes les plus riches et les plus titrés, est l'une des grandes « horizontales » les plus célèbres de Paris mais elle se laisse toucher par la témérité de la jeune femme. La cocotte se prend d'une passion très vive pour la jeune Américaine à la blondeur argentée, qu'elle surnomme « moonbeam » (rayon de lune).

Voici ce que Natalie écrit à son amante : « Nous nous retrouverons à Lesbos, et quand le jour s’éteindra, nous irons sous bois pour perdre les chemins conduisant à ce siècle. Je veux nous imaginer dans cette île enchantée d’immortelles. Je la vois si belle. Viens, je te décrirai ces frêles couples d’amoureuses, et nous oublierons, loin des villes et des vacarmes, tout ce qui n’est pas la Morale de la Beauté. »
Leur liaison est orageuse : en effet, à vingt-deux ans, Natalie subit encore quelques contraintes imposées par ses parents et est peu encline à la fidélité, tandis que Liane doit vaquer à ses devoirs de courtisane et de danseuse. Chacune fait l’expérience de la jalousie, car, si Liane est fort prisée des hommes du monde, Natalie est, de son côté, une jeune fille à la mode dans le Paris lesbien de 1900.

Les deux femmes vivent durant quelques mois un amour passionné, mais Natalie, peu encline à la fidélité, ne tarde pas à s'éprendre d'autres femmes, des modèles féminins qui posent pour sa mère mais surtout la poétesse Renée Vivien, qui a produit une traduction inégalée de Sappho.

Natalie évoque ces amours dans un recueil de poèmes « Quelques portraits, sonnets de femmes » illustré de dessins de sa mère et publié à compte d'auteur en 1900. Liane de Pougy, de son côté, raconte son expérience dans un roman évocateur, « Idylle saphique ». Édité en 1901, le livre alimente les conversations du Tout-Paris, et doit être réimprimé soixante dix fois la même année, alors que, Natalie voulant « sauver » Pougy de son existence de courtisane, les deux amantes ont déjà rompu, après plusieurs disputes.

SCANDALE ET LIAISONS MULTIPLES
Le grand succès du livre est aussi un succès de scandale. Natalie Barney est aussitôt renvoyée aux États-Unis, où son père fait brûler tous les exemplaires du recueil de poèmes qu'il trouve et cherche en vain à la marier. Son père se résout, de guerre lasse, à la laisser revenir à Paris, où elle collectionne les aventures féminines : un grand amour avec Renée Vivien, la romancière Lucie Delarue-Mardrus (1874-1945), qui sera aussi l’amante de Romaine Brooks et, bien entendu, Colette !

VOYAGE A LESBOS
Natalie délaisse Liane pour une jeune poétesse, Pauline Tarn, plus connue sous le nom de Renée Vivien, dont nous parlerons plus en détails au Chapitre III de cet article. Renée lui dédie son premier livre de poèmes « Études et Préludes » en 1901. C’est une passion sincère qui unit les deux amantes, Natalie devenant dès lors la muse de Renée. Toutefois, la passion va de pair avec les drames : violentes scènes de jalousie, emportements et revirements soudains deviennent le lot quotidien du couple.

C’est aussi à cette époque que Pierre Louÿs, poète français, dédicace à Natalie un exemplaire des « Chansons de Bilitis » : « À Natalie Clifford, jeune fille de la société future ».

Dans l’esprit des années 1900, Renée et Natalie forment un couple exemplaire et moderne. La passion des deux femmes culmine lors d’un voyage, un pèlerinage à Mytilène, sur l’île de Lesbos. Natalie avait promis ce voyage à Liane, c’est avec Renée qu’elle va vivre ce grand moment d’amour.

Mais une fois de retour, la flamme s’éteint, avec de sordides et douloureux déchirements, à l’instar de l’histoire de Natalie et de Liane de Pougy, qui s’est consumée quelques années auparavant. Là encore, un livre, écrit par Renée Vivien, raconte cet amour : « Une femme m’apparut ».

Il faut dire que Natalie ne peut s’empêcher d’aimer plusieurs femmes en même temps, et Renée ne le supporte guère. La mort de celle-ci, en 1909, suite à une pneumonie aggravée par son anorexie, l’alcoolisme et la toxicomanie, met définitivement fin à cette liaison qui n’en finissait pas de s’éteindre.

LE SALON DE L’AMAZONE « POLYGAME »
En 1902, à la mort de son père, Natalie Clifford Barney hérite d'une grosse fortune et peut louer une maison à Neuilly-sur-Seine, où elle donne des fêtes païennes qui défraient la chronique. La plupart de ses conquêtes s’y retrouvent, à l'exception de Renée Vivien, dégoûtée par ce qu'elle juge être des « orgies ».

Suite à la rupture douloureuse avec la poétesse Renée Vivien, qu’elle n’a pas réussi à reconquérir, Natalie s'installe, en 1910, dans un pavillon au 20 rue Jacob, qui sera, pendant près de soixante ans, le cadre de ses célèbres « vendredis », un des derniers salons littéraires influents.

En 1910, Natalie a trente-trois ans et Lucie Delarue-Madrus, qui lui est intime, nous la décrit ainsi dans ses Mémoires : « Le teint de pastel, les formes très féminines, les cheveux d’un blond de féérie, l’élégance parisienne de cette Américaine ne laissaient qu’au bout d’un moment se révéler le regard d’acier de ses yeux qui voient tout et comprennent tout en une seconde. »
L’Américaine collectionne les aventures saphiques : des chorégraphes comme Eva Palmer (1874-1952), la poétesse anglaise Olive Custance (1874-1944) , qui deviendra Lady Douglas, la cantatrice Emma Calvé (1858-1942), des actrices comme Henriette Roggers (1881-1950) ou la célèbre Mata-Hari (la fameuse espionne, dont nous reparlerons) et bien d’autres encore.

ELISABETH ET ROMAINE
À la fin avril 1909, elle rencontre Antonia Corisande Élisabeth de Gramont (1875-1954), duchesse de Clermont-Tonnerre, alors mariée et mère de deux enfants.

Les deux femmes vont nouer une relation passionnée : Natalie va faire d’Elisabeth, qui était hétérosexuelle, une lesbienne. Elisabeth devient la maitresse de Natalie le 1er mai 1910, date qui deviendra leur date anniversaire de rencontre.

Bien qu’elles aient été infidèles, elles furent dévouées l’une à l’autre pour le restant de leurs jours. Le 20 juin 1918, Natalie rédigea un « contrat de mariage » symbolique qui, en substance, les liait, du moins en esprit, mais pas charnellement, contrat honoré par toutes deux, jusqu’à ce que la mort les sépare.

Tout en vivant également d'autres amours lesbiennes, Élisabeth de Gramont, devenue exclusivement lesbienne, admettra les nombreuses liaisons de Natalie, notamment, à partir de 1915, celle avec la peintre Romaine Brooks (1874-1970), qu’elle invitera chez elle à la campagne, et qui fit son portrait.

Brooks sera le véritable grand amour de Natalie : ainsi, elles vivent ensemble pendant cinquante ans, tolérant les incartades de l’une ou de l’autre. Natalie Barney entretient avec Romaine Brooks une relation quasi conjugale, mais qui prévoit l'exercice d'une sorte de devoir de polygamie, manière d'affirmer une stricte liberté individuelle et de rejeter toute forme d'aliénation sociale. Son « infidélité » la plus constante aura été Dolly Wilde, la nièce d'Oscar Wilde, jusqu'à ce que Nadine Huong, son maître d'hôtel, dont elle a fait aussi une maîtresse, l'en sépare !

Natalie renouera brièvement avec Liane de Pougy en 1926, lorsque celle-ci sera quittée par son mari le Prince Ghika. Elles vivront une brève expérience de trio saphique avec la baronne Mimi Franchetti.

Lorsque Romaine Brooks s’exilera un temps en Italie en 1937, Natalie la rejoindra en 1940, avant leur retour à Paris quelques années plus tard. L'attitude pendant la Seconde Guerre mondiale de Natalie Barney, juive par un de ses grands-parents, reste controversée, certains historiens soulignant que son pacifisme est allé jusqu'à une certaine complaisance à l'égard du fascisme et de Mussolini.

Presque jusqu’à la fin de sa vie, le 20, rue Jacob est resté un salon en vogue, bien qu’un peu replié sur le passé.

Dans les années 1950, Natalie Barney entame une liaison avec Janine Lahovary, l'épouse d'un ambassadeur roumain, sans renoncer à sa relation avec Romaine Brooks.

Chapitre III : RENEE VIVIEN, LA NOUVELLE SAPPHO
Grande poète et figure majeure de la Belle Epoque, Renée Vivien demeure l'une des grandes icônes du génie féminin à travers les siècles.

De son vraie nom Pauline Mary Tarn, alias Renée Vivien, surnommée « Sapho 1900 », est une poétesse britannique de langue française.

Elle est la fille d'une Américaine et d'un Britannique fortuné (John Tarn) qui meurt en 1886, lui laissant un héritage qui la met à l'abri du besoin.

Elle reçut l'éducation bourgeoise de cette époque et connut les pensionnats de jeunes-filles en région parisienne. Pauline s'installa à Paris au 23 avenue de Boulogne, dès sa majorité car elle affirmait détester l'Angleterre. Son goût pour les lettres fut prononcée dès l'enfance et riche rentière, elle apprit l'italien, le grec, lit Dante et traduisit Sappho, aima quelques femmes, voyagea dans quelques pays, acheta une villa à Lesbos, publia ses poèmes et autres écrits à compte d'auteur. Elle fut jetée au "pilori" pour exprimer la première après Sappho ses amours lesbiens.

Sa courte vie fut marquée par trois grandes passions : Natalie Barney, Hélène de Zuylen et Kérimé Turkhan Pacha.

Il y eut sans doute d'autres femmes aimées au moins un instant... Mais laissons dans l'ombre les Eva Palmer, Olive Custance, alias Opale, des rencontres éphémères qui furent aussi les amantes de Natalie Barney, ainsi que la courtisane Émilienne d'Alençon, Madeleine Rouveirollis et autres Jeanne de Bellune.

RELATION ORAGEUSE AVEC NATALIE BARNEY
Renée voyage beaucoup à travers le monde, le Japon, Mytilène et Constantinople figurent au nombre de ses destinations préférées.

C'est Violette Shillito qui présenta Natalie à Pauline lors d'une matinée au Théâtre-Français vers la fin de 1899, alors qu'elle venait de défrayer la chronique, par sa liaison avec Liane de Pougy.

Après chaque rencontre, Vivien, toujours romantique, lui envoyait un bouquet de fleurs accompagné d’un poème. Leur histoire commençait bien. Pourtant, des goûts différents les sépareront. Natalie Barney fréquentait les soirées mondaines, où elle collectionnait les conquêtes. Renée Vivien s’y ennuyait, préférant les soirées intimes entre amis. Peu à peu, elle se lasse de son amie volage et possessive à la fois et décide de couper court à cette relation.

Natalie ne se résignera jamais à cette séparation, fera des efforts acharnés jusqu'à la mort de Renée pour la reconquérir, envoyant des amis communs, Pierre Louÿs notamment, plaider en son nom, ou lui adressant des fleurs et des lettres, où elle lui demandait de revenir sur sa décision.

Renée écrira à Natalie : « Je ne me repens pas de t’avoir aimée, – tu as été ce qu’il y a de meilleur et de plus douloureux dans mon existence… »
HELENE DE ZUYLEN : LA SECONDE MERE
A partir de 1901, elle vécut une liaison stable et ayant duré plus de six ans avec la richissime baronne Hélène de Zuylen (1863-1947), mariée et mère d'une fille et d'un fils.

De 14 ans plus âgée que Renée Vivien, Hélène fut sans doute pour elle une seconde mère, car elle lui apportait la sécurité et une ambiance propice au travail. Hélène lui apporte un équilibre émotif et une stabilité bénéfiques à sa création littéraire, tandis qu'elle apporte à la baronne, amoureuse de littérature, une collaboration avec elle sous le pseudonyme collectif de Paule Riversdale. L'attribution réelle de ces ouvrages est incertaine, mais les chercheurs pensent qu'ils ont été écrits uniquement par Renée Vivien ou au minimum en très grande partie par Renée Vivien. Les livres publiés sous le nom d'Hélène de Zuylen seraient, en réalité, dus à sa plume. Bien que la position sociale de la baronne de Zuylen fasse obstacle à une relation publiquement affichée, toutes deux voyagent souvent ensemble et poursuivent une liaison discrète de 1902 jusqu'à 1907.

KERIME, SA MUSE, « LA SULTANE »
Alors qu'elle vit toujours avec Zuylen, Vivien reçoit en 1904 la lettre d'une mystérieuse admiratrice stambouliote, Kérimé Turkhan Pacha (1874-1948), épouse d'un diplomate turc, d'où s'ensuit, quatre ans durant, une correspondance intense, passionnée, suivie de brèves rencontres clandestines.

Kérimé fut éduquée à la française et était une femme extrêmement autonome et libérée. En 1904, elle écrit à Renée Vivien dont elle admire l'œuvre. Les deux femmes entreprennent une correspondance brûlante et passionnée. Elle inspire plusieurs poèmes d'inspiration orientaliste à Vivien, notamment Le Jardin turc (1905-1906), et elle apparaît souvent, apostrophée comme « Ma sultane ». Leur liaison amoureuse sera essentiellement épistolaire, ponctuée par quelques rencontres clandestines.

Kérimé était très cultivée et d’une grande beauté. Toutes deux s’aimaient, mais Kérimé était mariée à un homme de pouvoir. Il lui fut impossible de changer de vie, malgré ses sentiments. Renée Vivien fut cruellement affectée par leur rupture, qui survint en 1908.

LA FIN DE VIE DIFFICILE D’UNE POETE
En 1907, la baronne quitte brusquement Renée pour une autre femme, donnant lieu à toutes sortes de commérages dans la coterie lesbienne de Paris.

Profondément choquée et humiliée, Renée s'enfuit avec sa mère au Japon et à Hawaï, mais tombe sérieusement malade au cours du voyage. Le départ en 1908 de Kérimé pour Saint-Pétersbourg, pour suivre son mari en poste, met un terme à leur liaison, un nouveau coup dur pour Renée. Terriblement affectée par les pertes qu'elle a subies, elle voit s'accélérer la détresse psychologique dans laquelle elle se trouve déjà. Elle s'adonne toujours plus à l'alcool.

Certains ont faire de Renée Vivien une toxicomane, consommatrice de drogues telles que la morphine ou l'opium. Dans une perspective idéologique où l'homosexualité était encore associée à une maladie mentale classée dans les névroses et une damnation religieuse, des auteurs d'ouvrages critiques tels que Martin-Mamy, Le Dantec, Kyriac et Brissac ont fait de Renée Vivien une femme du mal et de la damnation, perverse et libertine à la fin de sa vie, allant jusqu'à lui inventer une vie de débauches et d'orgies mariées à la consommation de cocaïne.

Plongée dans une dépression suicidaire, elle refuse de se nourrir convenablement, facteur qui finit par contribuer à sa mort. Lors de son séjour à Londres en 1908, dans un moment de découragement extrême et profondément endettée, elle tente de se suicider au laudanum après s'être allongée sur son canapé en tenant un bouquet de violettes sur son cœur. Après ce suicide raté, elle contracte une pleurésie qui la laisse affaiblie après son retour à Paris. Elle meurt au matin du 18 novembre 1909, âgée seulement de 32 ans. Son décès serait attribué, à l'époque, à une « congestion pulmonaire », sans doute due à une pneumonie compliquée par l'alcoolisme et l'anorexie.

Il est possible de lire cette fin de vie difficile par les yeux de son amie Colette, dans « Le Pur et l'Impur », paru en 1932, ou dans les « Souvenirs indiscrets » de Natalie Clifford Barney parus en 1960.

SAPHO 1900
Le surnom de « Sapho 1900, Sapho cent pour cent » a été donné à Renée Vivien par l’écrivain André Billy (1882-1971), dans « L'Époque 1900 ».

Les alentours de l'année 1900 connaissent une floraison d'œuvres écrites par des femmes (Renée Vivien, Colette, Anna de Noailles, Lucie Delarue-Mardrus…), dont plusieurs affichent leurs relations homosexuelles. Ce phénomène met au goût du jour l'œuvre et le personnage de la poétesse Sappho. Renée Vivien en particulier fait construire une maison à Mytilène, sur l'île de Lesbos. Mais elle fait surtout paraître en 1903 un « Sapho », dans lequel le texte grec est suivi d'une traduction en prose et des propres vers de Renée Vivien, vers dont l'atmosphère est davantage celle des Fleurs du mal de Baudelaire que celle de la Grèce archaïque. Ses vers ont toutefois une qualité poétique proche de l'original : Vivien utilise la strophe saphique avec une grande aisance. L'ouvrage de Vivien a contribué à ancrer dans le public la réputation d'une Sappho avant tout lesbienne.

Au sujet de Sappho, je renvoie au texte que je lui ai consacré : « Histoire des libertines (1) : Introduction et Sappho la poétesse de Lesbos. », paru le 14 août 2017.

Renée Vivien est la grande poétesse du saphisme, la digne continuatrice de Sappho. La poésie de Renée Vivien chante les amours lesbiennes et rappelle les vers de Baudelaire et de Verlaine. Sa poésie, d'une nature autobiographique à peine voilée, suscite, comme les œuvres de Natalie Barney, un intérêt croissant.

L'œuvre complète de Renée Vivien consiste en un journal intime écrit dès 1893, douze recueils de poésie, soit plus de cinq cents poèmes, deux ouvrages de traductions de poétesses grecques dont Sappho, sept volumes de prose, environ une dizaine de romans, signés sous ses différents pseudonymes ainsi que des nouvelles.

À une époque où il était commun de masquer ses amours saphiques, Renée Vivien ne recula pas devant la visibilité qu’entraînaient ses écrits sans ambiguïté. Travaillant sans relâche, elle donna aux lesbiennes des poèmes où elles pourraient enfin se reconnaître.

CES FEMMES ET MOI
Bisexuelle et non lesbienne, je ne m’identifie pas a priori à ces trois femmes. Je n’en admire pas moins ce qu’elles furent, des pionnières qui osèrent afficher leur amour des femmes. De ce point de vue, je m’identifierai davantage à Colette ou Liane de Pougy qu’à Missy, trop masculine, ou encore aux lesbiennes exclusives que furent Natalie Barney ou Renée Vivien.

Je ne peux aussi qu’admirer ces intellectuelles qui ont marqué l’histoire des femmes et le féminisme. La tragédie du destin de Missy, si mal traitée par Colette, la femme qu’elle a tant aimée, et encore davantage de Renée Vivien, morte à 32 ans d’amour et de chagrin, ne peut que toucher.

Je ne peux également que partager la passion qui fut celle de Natalie Barney et de Renée Vivien pour la grande poétesse Sappho, à qui j’avais consacré le premier texte de cette série historique sur les grandes libertines. Les poèmes de Renée Vivien sont, 2600 ans après Sappho, les vers les plus beaux sur l’amour entre deux femmes. Je ne manquerai pas de lui rendre hommage dans la rubrique sur les poésies érotiques.

PRINCIPALES SOURCES (outre les articles Wikipédia)
1. Sur Missy :
• A lire la biographie de Missy « MATHILDE DE MORNY. 1862-1944, La scandaleuse marquise et son temps » écrite par Claude Francis et Fernande Gontier (Editions Perrin 2000)
• Missy, FRANÇOIS-OLIVIER ROUSSEAU (éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2016)
• On consultera aussi les « lettres à Missy » publiées par Flammarion en 2009 : les lettres sont présentées et annotées Samia Bordji et Frédéric Maget. L’ouvrage regroupe près de 150 lettres de Colette et seulement trois de Missy.

• https://www.deslettres.fr/lettre-de-colette-a-missy/ qui contient une de ces lettres de Colette à Missy : « Je t’aime si fort »
• https://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2009/07/11/01006-20090711ARTFIG00081--colette-l-ingrate-libertine-.php
2. Sur Natalie Barney :
On citera la biographie de Jean Chalon : « Chère Natalie Barney : Portrait d'une séductrice » (Flammarion, 1992)
• http://www.le-blog-de-la-pintade.fr/2017/03/nathalie-barney-un-seductrice-dans-les-annees-1925.html
• http://laguidedevoyage.com/a-la-decouverte-de-lamazone-nathalie-clifford-barney/
• https://www.deslettres.fr/lettre-de-natalie-barney-a-liane-de-pougy/
• https://www.curieuseshistoires.net/natalie-clifford-barney-nouvelle-pretresse-des-homosexuelles/
3. Sur Renée Vivien :
• https://www.deslettres.fr/lettre-de-renee-vivien-a-natalie-clifford-barney-on-ne-leprouve-quune-dechirant-amour/
• http://www.renee-vivien.com/2016/11/presentation-du-blog.html
• https://saphisme.pagesperso-orange.fr/s20/vivien.html
• https://lespoetes.net/carteartistedhier.php?pseudoartistedhier=Ren%C3%A9e%20VIVIEN

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