Mister Hyde - 15 et 16
Récit érotique écrit par LVolante [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 11-04-2017 dans la catégorie Entre-nous, hommes et femmes
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Mister Hyde - 15 et 16
15-
Frédéric avait raté de peu le train de treize heures trente et avait poireauté presque deux heures à Saint Lazare. Tout ça à cause de cette connasse de responsable informatique. Cela faisait deux jours qu’il ne décolérait pas. En arrivant au siège, le jeudi matin, tout le système était bloqué et il perdit deux heures à découvrir la panne tandis que ses collègues joignaient une à une les huit succursales pour leur faire couper le réseau. Naturellement, il commença son test par les entités les plus importantes : Lyon, Marseille, Montpellier, Lille et Strasbourg, tout fonctionnait au poil. Les trois dernières, dont celle où travaillait Frédérique, il en avait supervisé lui-même la mise en place. Bourges et Niort étant indemne de tout défaut, le site fautif ne faisait plus mystère. Il grimpa à la direction et expliqua le problème en précisant qu’il exigeait le licenciement de l’imbécile. Naturellement, il se heurta à une fin de non-recevoir de la part de sa patronne, trop contente de de pouvoir démontrer son autorité. Il n’en eu cure. Le véritable problème, c’était les conséquences du virus. L’attaque avait induit un changement de logiciel et la décision s’était prise en son absence, il avait donc passé sa journée du mardi à étudier le software et à programmer un paramétrage plus performant et surtout plus sécure. L’erreur de manipulation et d’installation commise par la responsable informatique du dernier site mettait en péril toute la sécurité des transactions et des communications de la boîte. Le problème devait être réglé d’urgence et la première mesure à prendre était un black-out total sur les communications numériques, l’extinction des serveurs et, pour faire bonne mesure, le débranchement de tous les câbles de connexion internet. C’était radical mais cela éviterait que les hackers, s’ils étaient encore à l’affût, ne puissent à nouveau pirater l’un des sites. Pour conclure son exposé, il proposa d’aller lui-même réinstaller le nouveau logiciel et ses paramètres modifiés dans la succursale problématique dans la nuit du dimanche afin d’être opérationnels dès le lundi matin. Naturellement, les membres du conseil d’administration, réunis en urgence par conférence téléphonique l’interrogèrent sur ce timing bizarre.
– Les pirates auxquels nous avons eu affaire sont des gens pressés, ils ont agi le vendredi juste quelques minutes après la fermeture officielle des bureaux. Si Karim n’avait pas fait du zèle en voulant terminer un rapport, leur plan aurait fonctionné mais le résultat aurait été le même s’ils avaient lancé leur attaque quelques heures plus tard. Le truc, c’est qu’ils nous prennent pour des fonctionnaires, très à cheval sur les horaires, surprenons-les. S’ils nous surveillent encore, ils ne s’attendront pas à ce que nous agissions pendant le week-end et encore moins de nuit. Choisir la nuit de dimanche à lundi, c’est limiter au maximum leur temps de réaction et, avec un peu de veine, nous aurons même démarré le système avant qu’ils en prennent conscience. La seule chose que je vous demande, c’est d’être accompagné d’un observateur neutre pour le cas où mon plan foirerait. Je ne tiens pas à être viré pour une faute qui ne m’est pas imputable.
Suite à ce discours, les discussions allèrent bon train et il fut décidé que la responsable informatique du site l’assisterait. Cela n’enchanta guère Frédéric mais il n’eut pas le choix. Il fut également chargé d’informer la dame de ces dispositions. Le coup de fil qu’il lui passa, le vendredi, le mit en retard. Il avait eu le tort d’écouter un peu trop longtemps les jérémiades de celle que désormais il nommait : « la connasse ».
***
Frédérique relisait pour la énième fois le court texto de son Maître : « J’arrive ce soir. », quand Julie, la responsable informatique, déboula furieuse dans son bureau.
– Ton mec est vraiment un connard, il débarque ce week-end pour superviser la réinstallation du logiciel… Depuis quand on bosse le week-end dans cette boîte ?
Frédérique leva les yeux. Elles avaient sensiblement le même âge toutes les deux mais elles étaient foncièrement différentes et pas seulement par leurs physiques. Châtain foncé, les cheveux ramenés en chignon, le visage outrageusement peint, la poitrine généreuse engoncée dans une veste de tailleur qui lui donnait un air de batterie d’obus, le fessier moulé dans une robe crayon, Julie arborait un perpétuel sourire aguicheur. Frédérique ne l’aimait pas et elle avait toutes les raisons de penser que c’était réciproque.
– Un, ce n’est pas mon mec, deux, il est le chef du service informatique, donc, ton patron et pas le mien. Trois, je le connais suffisamment pour savoir qu’il est loin d’être con et quatre, s’il bosse le week-end, c’est que ça doit vraiment être important. Petit additif, il aime son boulot et il aime la boîte. Si j’étais à ta place, je prendrais comme une chance le fait de le côtoyer même si ça demande des sacrifices. C’est vraiment un type bien.
Elle était convaincue et elle fut convaincante, Julie repartie un peu plus calme qu’elle n’était venue. Frédérique la regarda partir et relu le texto. Une vague de désir l’envahit.
***
Lucile avait attendu la dernière seconde pour monter dans le train, déçu de l’absence de Frédéric. Mais elle avait plein de choses à faire avant la soirée d’anniversaire de mariage de ses parents, il n’était pas question d’arriver trop tard.
Pour tromper son ennui, elle se replongea dans ses notes sur les recluses, ces femmes qui se faisaient emmurées vivantes dans de minuscules cachots attenants aux murs d’églises ou de cimetières. Elle se demanda comment elle pourrait intégrer à son mémoire ces déviantes de la claustration. Ne pas trouver de solution l’agaça, elle ferma les yeux : les fruits de son imagination seraient sans doute plus amusants, plus excitants ; d’autant que dans son rêve éveillé, Frédéric lui souriait.
***
Frédérique arriva chez elle vers vingt heures, un peu honteuse de son égoïsme. Plus tôt dans la journée, elle avait appelé sa mère et convenu d’un rendez-vous à mi-distance de leurs deux domiciles et lui avait confié Franck jusqu’au samedi soir. Elle savait qu’ils ne disposeraient pas d’autant de temps que d’habitude et elle avait un impérieux besoin qu’il s’occupât exclusivement d’elle.
Elle gara la voiture et pâlit en ouvrant la porte. Pas de tour de clé, Frédéric était déjà là…
***
Frédéric dormait, effondré dans le rocking-chair, un verre de whisky à ses pieds, un cigare pendant au bout de ses doigts. Cela faisait une éternité qu’elle l’avait vu boire et fumer en sa présence ou dans les lieux qu’elle fréquentait. Farouche abstinente de ces deux vices, elle n’appréciait pas qu’on agît ainsi sous son toit. Quel que soit ce qui avait poussé Frédéric à se comporter de la sorte, ce ne pouvait être que grave. Elle prit son mal en patience en attendant qu’il se réveille, fermement décidé à l’interroger sur ce point.
***
Elle s’endormit avant qu’il se réveille et d’ailleurs, il rêvait encore quand elle ouvrit les yeux. Elle se leva péniblement, courbatue d’avoir passé la nuit à même le sol, et se dirigea vers la cuisine.
« Une nuit de perdue » pensa-t-elle en faisant couler l’eau dans la bouilloire. « Fait chier ! »
Elle était de méchante humeur et enragée de jalousie. Le temps filait à une vitesse vertigineuse et chaque minute écoulée rapprochait Frédéric de sa rencontre avec l’autre pétasse. Elle éprouvait une folle envie de mordre ou à défaut, de balayer la table d’un geste et de tout foutre en l’air. Une claque sur les fesses la calma.
– Tu aurais dû me réveiller.
– Je n’ai pas osé.
Elle s’était retournée. La fatigue marquait encore les traits de son amant, elle fut prise d’un élan de tendresse et se lova dans ses bras.
Il l’accueillit et la serra fort. Il picora son visage et son cou de délicieux petits bisous. Il avait envie de lui faire l’amour.
– Tu m’as manqué, dit-il.
Elle aurait voulu lui dire « toi aussi » mais ce contenta d’un « idem » qui lui évitait de commettre une erreur.
– Tu as dormi toute habillée, viens, allons nous laver.
Il l’entraîna dans la salle de bain où il la déshabilla avec mille précautions et des myriades de baisers. Il avait envie d’elle mais pas comme d’habitude, il voulait retrouver la femme dissimulée sous la femelle.
De sa bouche, il alluma chaque parcelle de son corps comme on allume les lampes d’une pièce : à tâtons, d’abord puis de façon à laisser quelques zones d’ombre. Du bout des lèvres, il caressa ses épaules, ses bras, ses hanches, son ventre et son dos mais laissa de côtés ses seins ses cuisses et son sexe. Elle soupira de plaisir. De la pointe de sa langue, il chatouilla les lobes de ses oreilles, l’extrémité de ses lèvres tandis que ses mains parcouraient son ventre et son dos. Elle gémit, bien qu’il négligeât ses principales zones érogènes. Elle sentait darder, au gré de ses déplacements, le phallus gonflé de son Maître : tantôt il s’enfonçait dans le doux coussin d’une fesse, tantôt il glissait langoureusement le long sa cuisse, parfois il collait contre son nombril… il y avait de quoi devenir folle, la torture était délicieuse.
Lentement, il la dirigea vers la baignoire. Elle s’allongea dans la vasque vide pendant qu’armé d’un gant et de savon liquide, il enduisait sa peau. Le tissu était rêche et agaçait sa chair faisant saillir des centaines de petits bulbes à la naissance du duvet. Ses seins se dressèrent à ce contact, ils devinrent durs et leurs pointes érigées appelaient à des caresses plus suaves. Imperturbable, Frédéric poursuivit son office donnant au gant un mouvement circulaire rapetissant et s’appesantissant à chaque passage. Il était devenu râpeux et, sans l’adjonction du savon, aurait laissé une marque rose sur la peau. Incrédule, Frédérique cria de bonheur lorsqu’il atteignît le mamelon. Leurs regards se croisèrent, il n’en avait pas fini avec elle. Bientôt, se serait au tour de son clitoris, de ses fesses, de son anus et de son sexe et, chaque fois, il lui offrirait une jouissance nouvelle.
***
Elle était épuisée et elle mourait de faim. Elle avait succombé à tant d’orgasme qu’elle en avait perdu le compte ; jamais baignade n’avait été si agréable. Elle laissa aller son visage contre le bras de son amant. Celui-ci ne la repoussa pas. Étonnée par tant de douceur, elle s’interrogea à haute voix :
– Dr Jeckill serait-il de retour…– Il n’est jamais parti répondit Frédéric, la faisant sursauter.
– Oh… Je ne me suis pas rendu compte… Pardon !
L’homme la regarda en souriant.
– Aucune importance, aujourd’hui, pas de règle. Je ne suis pas assez en forme pour avoir envie de te punir. Aujourd’hui, laissons la femelle de côté, je crois que la femme a des choses à me dire, en toute liberté.
La main de Frédérique descendit vers le bas ventre de son amant. Il la stoppa sans brusquerie.
– Ne t’inquiète pas, tu vas très vite redevenir ma chienne. Pour l’instant, profite de ta liberté.
***
Julie habitait une maison de famille à trois cents mètres de la plage, qu’elle avait hérité de sa mère. Une maison bien trop vaste pour elle seule mais où elle avait choisi de s’y installer à la fin de ses études, d’autant que celle-ci correspondit avec son divorce. Elle s’était mariée à dix-neuf ans avec un de ses profs de lycée qui s’empressa de la tromper dès qu’elle atteignit les vingt-deux. Elle avait ensuite demandé à son père de lui trouver un boulot pas trop fatiguant et bien payé, ce qu’il fit dans les deux jours. Ses loisirs, elle les occupait essentiellement en draguant ou en visitant les clubs libertins de la région. Elle les fréquentait même assidument le week-end. Pour cette fois c’était à l’eau. Elle se retrouvait seule, sans même un plan B. Dire que cela la contrariait tenait de l’euphémisme.
***
Trente ans de mariage, trente-deux ans d’Amour dont la majuscule n’était pas galvaudée. Lucile adorait ses parents, elle adorait aussi leur histoire. Ils s’étaient connus au lycée, celui-là même ou Frédéric et elle avait fait leurs études. Ils s’étaient mariés juste avant leur entrée en fac de Médecine. Lui avait poursuivi, elle avait opté pour Pharmacie. Lucile avait été accouchée par son père dans la chambre où elle élisait domicile chaque week-end. Puis, quand elle eut son bac en poche, ils quittèrent Courbevoie pour s’installer au calme, dans un coin qui manquait cruellement de médecin. Ainsi, Henri pouvait enfin profiter de ses fins de semaine n’étant plus dérangé par des patients laissés à l’abandon.
La jeune fille était heureuse, elle sautillait entre Cassiopée et Gauvain qui la harcelait de question sur cet amoureux dont elle refusait de parler.
– Vous comprendrez quand vous le verrez était la seule réponse qu’elle leur faisait.
Mais elle était bien incapable de leur en faire une autre puisque c’était elle qui ne pouvait plus coucher avec Gauvain sans avoir l’impression de trahir, c’était elle qui était amoureuse. Et encore, elle ne savait pas vraiment de quel Frédéric elle s’était entichée. Était-ce de l’auditeur patient ou du tigre aux griffes rentrées… ?
***
Frédérique avait parlé, parlé, jusque tard dans la nuit. Frédéric avait écouté, avec la même patience silencieuse qu’il avait montré pour Lucile. Cela lui permit de comprendre ce qui avait changé dans l’esprit de sa belle soumise. Le fait d’être confrontée à d’autres dominateurs et surtout, d’être excitée par eux, l’avait déstabilisée. Elle avait découvert de façon tangible que sa soumission était l’expression de ses désirs profonds et pas ceux de son maître qu’elle aurait faits siens par on ne sait quelle magie. Elle avait découvert que plusieurs maîtres pouvaient répondre à ses attentes, cela l’avait terrorisée.
Frédéric termina son verre, jeta la fin de son cigare et rentra. Il dormit dans la chambre de Franck.
***
Il était assis sur un des sièges de la table de conférence. Ses paupières baissaient le rideau, sa tête, peu à peu, s’inclinait. Sa nuit avait été inexistante.
Il avait remis le système en route depuis la succursale à huit heures zéro une, une minute après que le réseau central du siège ait été relancé par Karim. À huit heures quinze il montait dans la voiture de Julie qui le déposait à la gare douze minutes plus tard. À neuf heures, le train s’ébranlait. Il eut la surprise d’y découvrir Lucile. Seule Frédérique manquait à l’appel, c’était pourtant la seule qu’il eût aimé croiser.
Lucile se montra agressive, de toute évidence, elle avait vu Julie. La confirmation ne tarda pas.
– Si c’est ça une soumise, je suis contente de pas l’être. Elle avait l’air d’une pute…– C’en est une ! C’est aussi une de mes subordonnées et la nièce ou la cousine d’un des membres du conseil d’administration de ma boîte. En revanche, ce n’est pas ma soumise…
Cela cloua le bec à Lucile pour quelques minutes, juste le temps pour Frédéric de se remémorer sa nuit. Julie était arrivée en retard et avait minaudé dès la première seconde. Cela n’arrangea pas l’humeur de Frédéric. Une fois entrés, la fille lui indiqua le chemin des serveur en jouant d’un croupion certes avenant mais hors de propos. Il se mit au travail rapidement et put enfin, entre deux interventions intempestives, lancer le logiciel. Il se concentra sur le moniteur tandis que la voix haut perchée de la femme servait de bruit de fond. Bien évidemment, il ne le supporta pas.
– Vous pouvez la fermer ? J’ai besoin de me concentrer.
Insolent, goujat, mufle, tout y passa. Il se retourna de nouveau et pointa son doigt vers un coin de la salle.
– Vite ! Au coin, À genoux et les mains sur la tête. Quand on se comporte comme une fillette insupportable, on est traité comme telle.
Julie, en dehors du fait qu’être dominée ne lui déplaisait pas, fut tellement surprise qu’elle obéit.
– Voilà, parfait. Ne bougez plus ou je vous fesse.
À six heures, tout était prêt, il n’y avait plus qu’à rebrancher les câbles de liaison et lancer le réseau pour que tout revienne à la normale. Il ordonna à sa subordonnée de procéder aux branchements.
– Mais… il va falloir que je me mette à quatre pattes…– Pour mon plus grand plaisir.
Il accompagna sa réponse d’un sourire éclatant et d’un frottement de mains. Elle comprit le message : le bonhomme était suffisamment en colère pour qu’il puisse lui interdire la position assise pendant une bonne semaine. Elle n’eut pas envie de tenter l’expérience.
Elle commença par le bureau du boss. Ce n’était pas la première fois qu’elle se glissait dessous et l’eau lui monta à la bouche. S’il l’avait exigée, Frédéric aurait eu droit à une pipe. Jusqu’à la dernière minute, elle ne désespéra pas de lui en donner l’envie.
Un jour, j’aurai ce mec se dit-elle en quittant la gare.
***
La réunion s’était éternisée. Il n’était pourtant pas compliqué de comprendre ce qu’il attendait : chacun d’entre eux devait créer un pare-feu original le plus éloigné possible des standards existants. Cela fait, ils se retrouveraient à nouveau pour mettre en commun leurs créations et fermer ainsi la porte à toute possibilité de piratage. Tous étant ingénieurs-programmeurs, la tâche était loin d’être insurmontable. Il leur donna un mois, conscient que cette flemmarde de Julie allait trainer des pieds. En attendant, il serait bon que tous les sites soient sous alerte en cas de piratage.
Sur les huit, trois passaient la nuit à Paris. Julie, bien entendue était du lot (elle avait rendez-vous avec son oncle le lendemain). Frédéric les invita à dîner et bien que les deux types lui parussent intéressants et sympathiques, c’est la jeune femme qui accapara l’attention toute la soirée. Il les abandonna à l’entrée de leur hôtel, certain que leur nuit allait être courte.
***
- Je suis une salope écrivit Frédérique pour la troisième fois.
Un texto lui était arrivé en début de soirée l’autorisant à aller sur le tchat (et uniquement sur le tchat). Elle considéra cet invite comme un ordre et, depuis bientôt deux heures, elle résistait aux exigences de « Fezeur Delum ». Il voulait à tout prix qu’elle change le « une » en « votre », son instinct tout autant que sa loyauté envers Frédéric l’incitaient à refuser.
***
Lucile avait hésité toute la journée à envoyer un texto d’excuses à Frédéric. Elle avait boudé durant la quasi-totalité du trajet et elle s’en voulait. Encore une fois, son doigt effleura l’écran mais elle en rabattit la protection sans envoyer le message.
Elle se coucha sans espoir de sommeil. Frédéric, lui, dormait depuis longtemps.
16-
C’est Frédérique qui reprit contact avec Lucile. Il avait profité du calme qui régnait au boulot pour aller faire un tour sur internet afin de se documenter un peu sur le sujet de thèse de la jeune fille. Et il avait trouvé un livre… Pas n’importe quel livre, un ouvrage manuscrit et enluminé de Denis du Moulin, évêque de Paris rédigé en 1445. Sans doute l’œuvre d’un copiste, lui avait dit le libraire situé rue de l’Odéon et dans un état remarquable de conservation. Frédéric décida sur le champ de l’acquérir. Ainsi, il pourrait offrir à lucile une sorte de calumet de la paix.
Il l’invita à déjeuner le lendemain et passa prendre possession de l’ouvrage le soir même. Le libraire l’aurait bien conservé quelques jours de plus dans sa vitrine mais Frédéric était pressé et, par-dessus tout, il voulait éviter que la jeune fille, qui voguait souvent à Saint-Germain des Prés, ne tombât dessus par hasard.
Il rentra rue Molière à pieds malgré la persistante menace de la pluie. Le ciel était d’un gris foncé, le genre de gris qui vide les rues de leurs passants pour laisser le champ libre aux amoureux des villes. Il baguenauda une bonne heure, heureux du poids de sa sacoche. Il sifflotait tout en marchant, la tête pleine du sourire de Lucile quand elle découvrirait le livre.
***
Le déjeuner ne se déroula pas tout à fait comme il l’avait prévu. À la vue de l’ouvrage, Lucile avait pâli et l’avait refusé.
– C’est trop beau. Je ne peux pas accepter avait-elle dit.
Il eut beau insister, rien n’y fit. C’est que Lucile avait de ce cadeau, trop beau, trop cher, trop merveilleux, une conscience différente de la sienne. Elle ne le voyait pas, comme un gage de paix et de réconciliation mais comme un présent destiné à la rendre redevable, une sorte de pré-achat pour obtenir d’elle ce qu’il voulait. Si elle devait un jour souscrire aux désirs de Frédéric, elle le ferait librement, pas comme une pute qu’il aurait payée.
Frédéric ne compris pas la réaction de la jeune fille. Normal, il était à cent lieues de penser comme elle. Pour lui, c’était le cadeau d’un ami à une amie. Ce don était un don et rien de plus, aucune arrière-pensée ne l’avait motivée. Si Lucile avait eu la franchise d’exposer les raisons de son refus, sans doute eut-il pu la convaincre qu’elle faisait fausse route. Ce ne fût pas le cas et ils se séparèrent sur ce malentendu. Le lourd volume resta sur la table. Longuement, Lucile hésita. Elle partit… puis revint.
***
Les jours passèrent. Ils en ont la sale habitude. Et Frédéric était maussade. Dans son coin, Lucile l’était aussi. Que dire alors de Frédérique…
Chaque soir, elle attendait des nouvelles et, chaque soir, elle était déçue. Lorsque Frédéric l’informa qu’il ne viendrait pas ce week-end, ni sans doute le suivant, elle désespéra. Elle commença par se rendre responsable de la situation : elle avait commis une erreur, une faute qui la rendait indigne de sa venue. Mais elle eut beau chercher, retourner se mémoire pour en extraire le moindre souvenir, elle ne trouva rien. Elle pensa à une autre femme mais non… ce n’était pas possible… Encore que… Julie venait de surgir. Certes, il en avait dit pis que pendre mais justement ! Elle, il la traitait bien de « salope » et de « chienne » tout en assurant qu’il l’aimait. Pourquoi serait-ce différent avec Julie qu’il disait considérer comme une « conne » et une « pétasse ». Peut-être avait-il envie d’elle, peut-être fantasmait-il sur ses gros nichons et son petit cul de salope. Frédérique décida de mener son enquête. Pour cela, elle allait se rapprocher d’elle.
***
Lucile attendit jusqu’à la dernière minute, le train de vingt et une heures allait partir, elle sauta dedans. Frédéric ne viendrait plus. Elle appela son père, à l’heure à laquelle elle arriverait, le dernier car serait parti depuis longtemps…
Elle avait dans sa poche une lettre qui lui était destiné mais qu’elle n’avait pu envoyer faute d’une adresse à écrire sur l’enveloppe. Elle était triste, depuis ce fameux déjeuner, il n’avait pas fait signe et elle en était responsable.
***
« Ce n’est pas mon mec ! » avait affirmé Frédérique. Ce n’est pas son mec, mais c’est le père de son enfant… et je suis prête à parier qu’il vient le voir tous les week-ends. Julie attendit à la gare jusqu’à l’arrivée du dernier train. Elle fut déçue, la seule passagère était une gamine attendue par son père.
***
Lundi, huit heures cinquante-cinq, texto de Lucile : « Je peux vous appeler ? »
Réponse : « J’ignorais vous l’avoir interdit. »
Réponse : « Ahah ! Très drôle ! Je vous appelle vers midi. Bisous »
***
Lundi, neuf heures quatre, mail de Julie (écrit la veille de son mail personnel) :
« Cher Frédéric, J’ai beaucoup apprécié notre collaboration de dimanche passé et j’espère qu’il nous arrivera de l’approfondir. Je tenais à vous remercier également pour le dîner au soir de la réunion, c’était très sympa. Donc, merci.
Mais si je vous écris aujourd’hui, c’est que j’ai un souci avec une ligne de code qui bloque la suite de mon programme. (Suit la ligne de code composée de hiéroglyphes abscons). Auriez-vous la gentillesse de l’étudier et de me dire quelle erreur j’ai bien pu commettre.
D’avance merci et à bientôt.
Julie »
Réponse :« Julie,Vous me voyez ravi que notre collaboration vous ait à ce point agréée j’espère néanmoins que les conditions qui l’ont permise ne se réuniront pas de sitôt. Quant au dîner, je suis enchanté qu’il vous ait plu et je ne vous cache pas ma volonté de réitérer l’expérience avec l’équipe au grand complet.
Votre ligne de code est mal formulée puisque vous exiger l’existence d’une condition pour ouvrir un accès qui se doit d’être toujours libre. Il ne s’agit à priori que d’une erreur de touche, comme si vous aviez tapé un « G » au lieu d’un « H ». Voici la ligne corrigée : (Suit la ligne de code composée du même genre de caractères)Excellente journée. »
***
Lundi, dix-heures quarante-trois, message laissé sur le répondeur de Frédérique : « C’est moi. Je voulais juste des nouvelles de toi et de Franck. Appelle-moi. Je vous embrasse. »Pas de réponse.
***
Lundi, douze heures une, appel de Lucile :
– Bonjour, c’est Lucile.
– Je sais, votre nom s’affiche.
– Vous allez bien ?
– Oui, merci. Et vous ?
– Je… Je me sens très bête.
– Ah ?
– Pourquoi vous avez pas appelé…– Sans doute parce que je n’avais rien d’intéressant à raconter.
– Vendredi, je vous ai attendu.
– Désolé, j’aurai peut-être dû vous prévenir.
– On déjeune, mercredi ?
– Dînons ce soir, même resto, dix-neuf trente. OK ? J’ai l’impression qu’il y a un abcès à crever, autant s’en occuper tout de suite. À ce soir… ?
– Oui… à ce soir, merci. Je… vous embrasse.
***
Lundi, Quatorze heures treize, courriel de Julie :
« Merci Frédéric,Comment vous remercier… J’espère pouvoir le faire avec le même zèle que dimanche…Bon après-midiJulie »
Réponse :« De rien »
***
Lundi, dix-sept heures cinquante-neuf, aucune nouvelle de Frédérique.
***
Frédéric se pressa, il avait un rendez-vous et tenait à faire honneur à sa réputation de ponctualité.
***
Le temps de passer rue Molière, de prendre une douche et de se changer, quarante minutes. Il lui en restait cinquante pour être à l’heure. Le métro s’imposait, il fila vers 4 septembre.
Pont de Levallois, la Seine, la place Mermoz, le boulevard Clémenceau, le resto, il était juste à l’heure, sans avoir eu besoin de courir. Elle, était en retard.
Elle arriva quinze minutes plus tard, resplendissante comme savent l’être les filles quand elles veulent vraiment impressionner. Elle portait une robe vert d’eau qui rappelait la couleur de ses yeux et accentuait les reflets roux de ses cheveux remontés à la diable mais ne pâlissait pas sa peau. Un rien de maquillage soulignait son regard et ses pommettes enfantines. Frédéric eut l’impression de la voir pour la première fois.
– Ne me regardez pas comme ça, c’est gênant dit-elle en posant un baiser à la commissure de ses lèvres. Vous donnez l’impression que c’est moi le plat principal…
Il l’invita à s’asseoir, sans un mot.
– Désolée, je suis en retard. J’espère que vous n’allez pas me punir…– Vous êtes venue uniquement pour vous moquer de moi ou allez-vous cesser ces enfantillages et retrouver votre sérieux ? Je vous rappelle que, d’une certaine manière, c’est vous qui êtes à l’initiative de ce dîner et qu’il est temps d’évacuer ce qui vous préoccupe.
Son ton était calme et sérieux mais démenti par la lueur malicieuse de son regard. Or, elle ne le quittait pas des yeux.
– Vous êtes une fripouille ! Mais j’avoue que j’aurais pu me laisser avoir si vos yeux n’avaient pas souri.
– Nous sommes deux fripouilles… Commandons nous parlerons ensuite.
Ils commandèrent, sans avoir recours au menu, exactement les mêmes plats que deux semaines auparavant. Preuve que le souvenir de cette première soirée était vivace dans leurs esprits. Cela donna à Lucile l’assurance qui lui manquait. Elle se lança dès que le serveur se fut éloigné.
– Il est pas impossible que je sois amoureuse de vous… Chuut ! ajouta-t-elle en lui faisant signe de se taire. C’est ce que disent mes amis et je les croie. Ça veut pas dire que je vais tomber toute cuite dans vos bras et que je vais me plier à vos désirs. Ça veut dire que j’ai des sentiments et des désirs, pour vous.
Voilà, ça c’est fait. Maintenant, j’aimerais qu’on parle du livre. Pourquoi vous vouliez me l’offrir ?
La question ne prit pas Frédéric au dépourvu, il s’y attendait tellement que sa réplique fusa :
– Pour que nous enterrions la hache de guerre. Notre dernière rencontre avait été un peu… tendue. Pour vous faire plaisir aussi, j’ai cru comprendre que vous aimez les beaux ouvrages. Pour des raisons pratiques, enfin. Ce manuscrit est une mine de renseignements pour votre thèse et je doute fort qu’il soit consultable en bibliothèque. L’acheter était la meilleure solution pour que vous puissiez y accéder.
– Vous auriez pu me le prêter, ça aurait été suffisant.
– Peut-être bien. Mais qu’en aurais-je fait ? Personnellement, je n’ai aucune attirance pour ce genre de livre. Au mieux, j’en aurais fait don à un musée et il aurait fini aux oubliettes. Non, croyez-moi, vous l’offrir était la meilleure solution pour qu’il continue à vivre…
Elle le regarda d’un air méfiant.
– Aucune arrière-pensée ?
– De quel genre ?
Elle dû prendre son courage à deux mains pour le dire. Parler de cul en rigolant comme elle l’avait fait quinze jours plus tôt, était une chose. En parler avec sérieux et avouer ses propres pensées en était une autre, bien plus difficile et compliquée.
– Vous auriez pu le faire pour que je me sente redevable et que j’accepte…– De devenir ma soumise ? l’interrompit-il.
– Euh… Oui, c’est l’idée.
Il éclata d’un rire qui sonnait faux. En réalité, il fut blessé. Bien plus qu’il n’aurait pu le croire.
– Alors, vous avez eu raison de refuser. Mais je vous assure que tel n’était pas mon dessein.
– Peut-être. Mais vous l’avez quand même laissé sur la table pour me forcer à l’accepter.
Il prit quelques secondes pour réfléchir. Il tenait à cette fille… d’une façon différente. Et il ne voulait pas la perdre sur un malentendu.
– Je suis désolé que vous ayez interprété mon geste de cette façon. Ce livre, l’objet en tant que tel, n’avait pour moi aucun intérêt hormis le plaisir de vous voir sourire. Il n’a pas atteint ce but, il ne me servait plus à rien. Je l’ai abandonné. Un point c’est tout. Il n’a pas plus de valeur à mes yeux qu’un meuble laissé aux encombrants. Mon seul espoir, c’est que celui qui l’a récupéré en fasse ses choux gras. Mais je vous l’assure, je n’ai pas voulu vous forcer la main.
– Mais il est d’une valeur inestimable…– Pour vous peut-être, pas pour moi. Pour moi, il a la valeur d’une erreur, d’un échec. Autant dire qu’il ne vaut pas tripette.
Lucile était abasourdie. Elle connaissait des historiens qui auraient donné leurs vies pour le tenir entre leurs mains et lui… Lui s’en foutait. Raisonnablement, c’était incroyable, ne serait-ce que parce qu’il l’avait acheté et payé une somme qu’elle pensait rondelette. Pourtant, elle le croyait.
Étonnamment, elle fut déçue. Parce que cela signifiait que ce cadeau ne cachait aucune perversité, cela signifiait qu’il n’avait pas envie d’elle.
Elle le lui dit.
– Ma chère, ma très chère Lucile. Encore une fois, vous vous trompez sur moi. Je vous ai parlé de mes habitudes pour que vous sachiez qui je suis et, si possible, vous faire fuir. Mais vous êtes toujours là, plus belle et plus désirable que jamais. Est-ce que pour autant je pense que la soumission vous attire ? Pour être franc, je ne me pose pas la question. Est-ce que je vous désire ? Je peux dire que oui. Est-ce que je rêve de vous voir à genoux et ma queue dans la bouche ? Encore oui. Mais ces désirs et ce rêve, je les ai mis dans ma poche avec mon mouchoir par-dessus. Parce que vous méritez bien mieux que de devenir un plan cul.
Il n’est pas impossible que vous soyez amoureuse de moi, avez-vous dit. Pour être tout à fait honnête, il n’est pas impossible que je sois amoureux de vous. Cela signifie aussi… surtout ! que je ne vous baiserai pas.
Les points étaient sur les « I », les barres sur les « T » et Lucile resta sans voix. Elle n’avait eu que quatre amants dont certains n’aimèrent que son corps mais c’était la première fois qu’elle croisait un homme capable de la refuser pour ne pas la blesser. C’était déroutant, improbable, à moins qu’il ne vînt d’un autre siècle ou d’une autre planète.
Doucement, il prit les mains de la jeune fille entre les siennes et il les porta à sa bouche pour y déposer un baiser.
– Je ne comprends pas dit-elle.
– On peut avoir avec la personne qu’on aime des rapports a-normaux, du style Dominant/dominé et ne pas l’aimer moins. Cette personne peut vous avoir accordé des droits exorbitants, comme celui de la tromper en toute impunité, sans en user pour autant, parce que vous avez pour elle, et pour ses sentiments, un respect mérité. Être un Maître n’oblige pas à être un salaud ou un dégueulasse. On peut être un affreux pervers, aimer fouetter les femmes, les humilier, les fesser, les attacher et leur faire subir toutes sortes d’horreurs tout en restant un type droit. Il suffit qu’elles aiment ça et qu’elles acceptent d’être traitées ainsi, sans chantage ni contrainte. Dans le contrat que j’ai avec ma soumise, je ne lui dois aucune exclusivité pourtant, je ne la tromperai jamais parce que je sais qu’elle n’aimera pas ça. Même si elle en a accepté le principe. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un Maître est essentiellement là pour donner du plaisir, que ce soit à travers la douleur ou l’humiliation, mais pas de la tristesse et encore moins du désespoir. Certaines soumises apprécient que leurs maîtres soient également des don Juan… Ce n’est pas le cas de la mienne.
– Et si, pure hypothèse, elle en éprouvait du plaisir ou plus simplement du désir…– Alors, les cartes seraient rebattues mais, d’une certaine façon, j’espère que, vous, ne l’accepteriez pas.
Ce fut au tour de Lucile d’éclater d’un rire sans joie.
– Moi ? Mais moi j’ai envie de vous. Je voudrais vous couper les mains pour qu’elles caressent sans arrêt mes seins et mes fesses, ma chatte… Je voudrais garder votre queue dans un écrin pour pouvoir m’en servir à tout instant. Je… Je… Je… ne sais plus ce que je dis, bégaya-t-elle. Parce que j’ai envie de vous. Et qu’elle, ne compte pas.
– Mais elle compte pour moi…– J’en ai marre de ces grognasses qui vous mentent et que vous croyez…– Mais qu’est-ce que tu racontes Lucile, c’est n’importe quoi. Je crois qu’il vaut mieux que je te raccompagne. Pour un esclandre, la rue c’est mieux qu’un restaurant.
– Vous avez raison, partons.
La voix de Lucile était blanche comme l’était son visage. Elle sortit sans attendre, il paya et courut derrière elle.
– Mais qu’est-ce qui t’as pris nom de dlas ? Il n’y a pas de quoi se mettre dans des états pareils.
Elle frissonna, il posa sa veste sur ses épaules, elle saisit sa main.
– Venez chez moi, on y sera plus tranquilles pour parler. La maison est grande et j’y vis seule, pas d’oreilles indiscrètes. Nos secrets y seront bien gardés.
Elle se tut, il se tut. Il était inquiet pour elle, elle était en colère pour lui.
***
Le pavillon était grand, très grand, trop grand pour elle toute seule si bien que les pièces étaient fermées et les meubles recouverts de draps. Le salon était immense mais faisait tout petit tant il était empli de canapés, de bergères, de sofas, de tables, de chaises, de coffres, de commodes, de vitrines… et les murs garnis de tableaux et de photographies. Frédéric se crut, un instant, dans la boutique d’un antiquaire.
Lucile s’installa dans un fauteuil crapaud, face à un canapé club dans lequel elle l’invita à s’asseoir.
– Je n’ai pas été cent pour cent honnête avec vous. Lorsque nous nous sommes croisés dans le train, je vous ai reconnu, c’est pour ça que je me suis assise en face de vous.
Devant son manque de réaction, elle poursuivit :
– Vous vous souvenez de Nathalie ?
– La seule Nathalie dans ma vie, c’est mon première amour, si c’est bien d’elle que tu parles, je te confirme qu’elle est inoubliable.
– La première fois que je vous ai vu, vous l’embrassiez. Vous m’avez plu tout de suite.
– Et alors…
Le ton détaché qu’il employa heurta douloureusement le cœur de la jeune fille.
– Vous êtes mes premiers émois et sans doute mon premier amour. Vous saviez que cette salope vous trompait déjà quand vous étiez en terminale ? Il ne lui a pas fallu trois mois… Je n’étais qu’une gamine à l’époque mais nous nous sommes fâchées et nous ne nous parlons toujours pas ; elle me méprise parce que j’ai sept ans de moins qu’elle, je la déteste parce que c’est une garce. Quand nous nous sommes vus dans le train, j’ai découvert à quel point vous m’aviez manqué. J’ai décidé de courir ma chance. On dirait bien, qu’encore une fois, j’arrive trop tôt.
– Être à l’heure, c’est tout un art ma… Lucile. Il y a plein de gens qui n’y arrive pas et qui se bloquent sur un moment donné alors qu’il suffit parfois d’aller de l’avant. Ne me dit pas que tu n’es jamais tombée amoureuse, je ne te croirais pas. Laisse-toi porter par le courant et tu verras que ça t’arrivera de nouveau.
– Ça veut dire que notre histoire n’aura pas de fin… que je vais continuer à rêver de vous comme je le fais depuis dix ans.
– Détrompe-toi, toutes les histoires ont une fin, c’est juste qu’on n’accepte pas celle qui est écrite. Qu’elle nous plaise ou non n’a aucune importance.
– C’est dégueulasse.
– La vie…– Je ne parle pas de la vie, je parle de vous. Vous êtes là à bavasser que la fin ci, que la fin ça… Mais ma fin à moi, elle ne pourra arriver que quand j’aurai lu tous les chapitres et vous, vous voulez que je passe du deuxième au dernier. Je ne tiens pas à prendre votre raccourci. Une vie, comme un livre, ça peut s’écrire à deux ! Je me demande parfois si vous n’êtes pas un lâche…
« Un con, un salaud et un lâche… » quelqu’un le lui avait déjà dit.
– J’ai déjà une vie en cours, tu tiens vraiment à ce que j’y rajoute ce nouveau chapitre ? Parce que, ne te fais aucune illusion, nous n’écrirons pas un roman. Tout au plus, tu seras une digression dans le mien.
– Même si j’acceptais vos conditions…– Mais je ne t’ai jamais posé de conditions. Je ne t’ai jamais rien proposé. Tu te fais un film ma petite.
– C’est pourtant bien vous qui m’avez parlé de…– De domination et de soumission. Tout à fait. Mais je l’ai fait pour te faire fuir pas pour te mettre dans mon lit.
– Et si je vous demandais de m’éduquer…– Je te trouverais idiote.
– Ce n’est pas une réponse.
– Je refuserais, je ne suis pas un dresseur.
– OK. Je vois que vous êtes têtu alors je vous propose un deal : dans dix-huit mois, le jour de mes vingt-quatre ans, si je vous appelle, vous acceptez de me revoir. Si je ne vous appelle pas, c’est que vous avez raison et que j’aurais fini par accepter la fin.
Frédéric ne dit ni oui ni non. Pas besoin, il avait raison. Au matin, il quitta Lucile, persuadé de ne plus jamais la revoir.
***
Mardi, dix-heures quarante-trois, message sur le répondeur de Frédérique : « appelle-moi. »
***
Mardi, treize heures quinze, appel au bureau de Frédérique : sonnerie infinie.
***
Mardi, vingt-deux heures, tentative de connexion sur skype : correspondant absent.
***
Frédéric fit l’aller-retour dans la nuit, il ne trouva personne au loft.
Frédéric avait raté de peu le train de treize heures trente et avait poireauté presque deux heures à Saint Lazare. Tout ça à cause de cette connasse de responsable informatique. Cela faisait deux jours qu’il ne décolérait pas. En arrivant au siège, le jeudi matin, tout le système était bloqué et il perdit deux heures à découvrir la panne tandis que ses collègues joignaient une à une les huit succursales pour leur faire couper le réseau. Naturellement, il commença son test par les entités les plus importantes : Lyon, Marseille, Montpellier, Lille et Strasbourg, tout fonctionnait au poil. Les trois dernières, dont celle où travaillait Frédérique, il en avait supervisé lui-même la mise en place. Bourges et Niort étant indemne de tout défaut, le site fautif ne faisait plus mystère. Il grimpa à la direction et expliqua le problème en précisant qu’il exigeait le licenciement de l’imbécile. Naturellement, il se heurta à une fin de non-recevoir de la part de sa patronne, trop contente de de pouvoir démontrer son autorité. Il n’en eu cure. Le véritable problème, c’était les conséquences du virus. L’attaque avait induit un changement de logiciel et la décision s’était prise en son absence, il avait donc passé sa journée du mardi à étudier le software et à programmer un paramétrage plus performant et surtout plus sécure. L’erreur de manipulation et d’installation commise par la responsable informatique du dernier site mettait en péril toute la sécurité des transactions et des communications de la boîte. Le problème devait être réglé d’urgence et la première mesure à prendre était un black-out total sur les communications numériques, l’extinction des serveurs et, pour faire bonne mesure, le débranchement de tous les câbles de connexion internet. C’était radical mais cela éviterait que les hackers, s’ils étaient encore à l’affût, ne puissent à nouveau pirater l’un des sites. Pour conclure son exposé, il proposa d’aller lui-même réinstaller le nouveau logiciel et ses paramètres modifiés dans la succursale problématique dans la nuit du dimanche afin d’être opérationnels dès le lundi matin. Naturellement, les membres du conseil d’administration, réunis en urgence par conférence téléphonique l’interrogèrent sur ce timing bizarre.
– Les pirates auxquels nous avons eu affaire sont des gens pressés, ils ont agi le vendredi juste quelques minutes après la fermeture officielle des bureaux. Si Karim n’avait pas fait du zèle en voulant terminer un rapport, leur plan aurait fonctionné mais le résultat aurait été le même s’ils avaient lancé leur attaque quelques heures plus tard. Le truc, c’est qu’ils nous prennent pour des fonctionnaires, très à cheval sur les horaires, surprenons-les. S’ils nous surveillent encore, ils ne s’attendront pas à ce que nous agissions pendant le week-end et encore moins de nuit. Choisir la nuit de dimanche à lundi, c’est limiter au maximum leur temps de réaction et, avec un peu de veine, nous aurons même démarré le système avant qu’ils en prennent conscience. La seule chose que je vous demande, c’est d’être accompagné d’un observateur neutre pour le cas où mon plan foirerait. Je ne tiens pas à être viré pour une faute qui ne m’est pas imputable.
Suite à ce discours, les discussions allèrent bon train et il fut décidé que la responsable informatique du site l’assisterait. Cela n’enchanta guère Frédéric mais il n’eut pas le choix. Il fut également chargé d’informer la dame de ces dispositions. Le coup de fil qu’il lui passa, le vendredi, le mit en retard. Il avait eu le tort d’écouter un peu trop longtemps les jérémiades de celle que désormais il nommait : « la connasse ».
***
Frédérique relisait pour la énième fois le court texto de son Maître : « J’arrive ce soir. », quand Julie, la responsable informatique, déboula furieuse dans son bureau.
– Ton mec est vraiment un connard, il débarque ce week-end pour superviser la réinstallation du logiciel… Depuis quand on bosse le week-end dans cette boîte ?
Frédérique leva les yeux. Elles avaient sensiblement le même âge toutes les deux mais elles étaient foncièrement différentes et pas seulement par leurs physiques. Châtain foncé, les cheveux ramenés en chignon, le visage outrageusement peint, la poitrine généreuse engoncée dans une veste de tailleur qui lui donnait un air de batterie d’obus, le fessier moulé dans une robe crayon, Julie arborait un perpétuel sourire aguicheur. Frédérique ne l’aimait pas et elle avait toutes les raisons de penser que c’était réciproque.
– Un, ce n’est pas mon mec, deux, il est le chef du service informatique, donc, ton patron et pas le mien. Trois, je le connais suffisamment pour savoir qu’il est loin d’être con et quatre, s’il bosse le week-end, c’est que ça doit vraiment être important. Petit additif, il aime son boulot et il aime la boîte. Si j’étais à ta place, je prendrais comme une chance le fait de le côtoyer même si ça demande des sacrifices. C’est vraiment un type bien.
Elle était convaincue et elle fut convaincante, Julie repartie un peu plus calme qu’elle n’était venue. Frédérique la regarda partir et relu le texto. Une vague de désir l’envahit.
***
Lucile avait attendu la dernière seconde pour monter dans le train, déçu de l’absence de Frédéric. Mais elle avait plein de choses à faire avant la soirée d’anniversaire de mariage de ses parents, il n’était pas question d’arriver trop tard.
Pour tromper son ennui, elle se replongea dans ses notes sur les recluses, ces femmes qui se faisaient emmurées vivantes dans de minuscules cachots attenants aux murs d’églises ou de cimetières. Elle se demanda comment elle pourrait intégrer à son mémoire ces déviantes de la claustration. Ne pas trouver de solution l’agaça, elle ferma les yeux : les fruits de son imagination seraient sans doute plus amusants, plus excitants ; d’autant que dans son rêve éveillé, Frédéric lui souriait.
***
Frédérique arriva chez elle vers vingt heures, un peu honteuse de son égoïsme. Plus tôt dans la journée, elle avait appelé sa mère et convenu d’un rendez-vous à mi-distance de leurs deux domiciles et lui avait confié Franck jusqu’au samedi soir. Elle savait qu’ils ne disposeraient pas d’autant de temps que d’habitude et elle avait un impérieux besoin qu’il s’occupât exclusivement d’elle.
Elle gara la voiture et pâlit en ouvrant la porte. Pas de tour de clé, Frédéric était déjà là…
***
Frédéric dormait, effondré dans le rocking-chair, un verre de whisky à ses pieds, un cigare pendant au bout de ses doigts. Cela faisait une éternité qu’elle l’avait vu boire et fumer en sa présence ou dans les lieux qu’elle fréquentait. Farouche abstinente de ces deux vices, elle n’appréciait pas qu’on agît ainsi sous son toit. Quel que soit ce qui avait poussé Frédéric à se comporter de la sorte, ce ne pouvait être que grave. Elle prit son mal en patience en attendant qu’il se réveille, fermement décidé à l’interroger sur ce point.
***
Elle s’endormit avant qu’il se réveille et d’ailleurs, il rêvait encore quand elle ouvrit les yeux. Elle se leva péniblement, courbatue d’avoir passé la nuit à même le sol, et se dirigea vers la cuisine.
« Une nuit de perdue » pensa-t-elle en faisant couler l’eau dans la bouilloire. « Fait chier ! »
Elle était de méchante humeur et enragée de jalousie. Le temps filait à une vitesse vertigineuse et chaque minute écoulée rapprochait Frédéric de sa rencontre avec l’autre pétasse. Elle éprouvait une folle envie de mordre ou à défaut, de balayer la table d’un geste et de tout foutre en l’air. Une claque sur les fesses la calma.
– Tu aurais dû me réveiller.
– Je n’ai pas osé.
Elle s’était retournée. La fatigue marquait encore les traits de son amant, elle fut prise d’un élan de tendresse et se lova dans ses bras.
Il l’accueillit et la serra fort. Il picora son visage et son cou de délicieux petits bisous. Il avait envie de lui faire l’amour.
– Tu m’as manqué, dit-il.
Elle aurait voulu lui dire « toi aussi » mais ce contenta d’un « idem » qui lui évitait de commettre une erreur.
– Tu as dormi toute habillée, viens, allons nous laver.
Il l’entraîna dans la salle de bain où il la déshabilla avec mille précautions et des myriades de baisers. Il avait envie d’elle mais pas comme d’habitude, il voulait retrouver la femme dissimulée sous la femelle.
De sa bouche, il alluma chaque parcelle de son corps comme on allume les lampes d’une pièce : à tâtons, d’abord puis de façon à laisser quelques zones d’ombre. Du bout des lèvres, il caressa ses épaules, ses bras, ses hanches, son ventre et son dos mais laissa de côtés ses seins ses cuisses et son sexe. Elle soupira de plaisir. De la pointe de sa langue, il chatouilla les lobes de ses oreilles, l’extrémité de ses lèvres tandis que ses mains parcouraient son ventre et son dos. Elle gémit, bien qu’il négligeât ses principales zones érogènes. Elle sentait darder, au gré de ses déplacements, le phallus gonflé de son Maître : tantôt il s’enfonçait dans le doux coussin d’une fesse, tantôt il glissait langoureusement le long sa cuisse, parfois il collait contre son nombril… il y avait de quoi devenir folle, la torture était délicieuse.
Lentement, il la dirigea vers la baignoire. Elle s’allongea dans la vasque vide pendant qu’armé d’un gant et de savon liquide, il enduisait sa peau. Le tissu était rêche et agaçait sa chair faisant saillir des centaines de petits bulbes à la naissance du duvet. Ses seins se dressèrent à ce contact, ils devinrent durs et leurs pointes érigées appelaient à des caresses plus suaves. Imperturbable, Frédéric poursuivit son office donnant au gant un mouvement circulaire rapetissant et s’appesantissant à chaque passage. Il était devenu râpeux et, sans l’adjonction du savon, aurait laissé une marque rose sur la peau. Incrédule, Frédérique cria de bonheur lorsqu’il atteignît le mamelon. Leurs regards se croisèrent, il n’en avait pas fini avec elle. Bientôt, se serait au tour de son clitoris, de ses fesses, de son anus et de son sexe et, chaque fois, il lui offrirait une jouissance nouvelle.
***
Elle était épuisée et elle mourait de faim. Elle avait succombé à tant d’orgasme qu’elle en avait perdu le compte ; jamais baignade n’avait été si agréable. Elle laissa aller son visage contre le bras de son amant. Celui-ci ne la repoussa pas. Étonnée par tant de douceur, elle s’interrogea à haute voix :
– Dr Jeckill serait-il de retour…– Il n’est jamais parti répondit Frédéric, la faisant sursauter.
– Oh… Je ne me suis pas rendu compte… Pardon !
L’homme la regarda en souriant.
– Aucune importance, aujourd’hui, pas de règle. Je ne suis pas assez en forme pour avoir envie de te punir. Aujourd’hui, laissons la femelle de côté, je crois que la femme a des choses à me dire, en toute liberté.
La main de Frédérique descendit vers le bas ventre de son amant. Il la stoppa sans brusquerie.
– Ne t’inquiète pas, tu vas très vite redevenir ma chienne. Pour l’instant, profite de ta liberté.
***
Julie habitait une maison de famille à trois cents mètres de la plage, qu’elle avait hérité de sa mère. Une maison bien trop vaste pour elle seule mais où elle avait choisi de s’y installer à la fin de ses études, d’autant que celle-ci correspondit avec son divorce. Elle s’était mariée à dix-neuf ans avec un de ses profs de lycée qui s’empressa de la tromper dès qu’elle atteignit les vingt-deux. Elle avait ensuite demandé à son père de lui trouver un boulot pas trop fatiguant et bien payé, ce qu’il fit dans les deux jours. Ses loisirs, elle les occupait essentiellement en draguant ou en visitant les clubs libertins de la région. Elle les fréquentait même assidument le week-end. Pour cette fois c’était à l’eau. Elle se retrouvait seule, sans même un plan B. Dire que cela la contrariait tenait de l’euphémisme.
***
Trente ans de mariage, trente-deux ans d’Amour dont la majuscule n’était pas galvaudée. Lucile adorait ses parents, elle adorait aussi leur histoire. Ils s’étaient connus au lycée, celui-là même ou Frédéric et elle avait fait leurs études. Ils s’étaient mariés juste avant leur entrée en fac de Médecine. Lui avait poursuivi, elle avait opté pour Pharmacie. Lucile avait été accouchée par son père dans la chambre où elle élisait domicile chaque week-end. Puis, quand elle eut son bac en poche, ils quittèrent Courbevoie pour s’installer au calme, dans un coin qui manquait cruellement de médecin. Ainsi, Henri pouvait enfin profiter de ses fins de semaine n’étant plus dérangé par des patients laissés à l’abandon.
La jeune fille était heureuse, elle sautillait entre Cassiopée et Gauvain qui la harcelait de question sur cet amoureux dont elle refusait de parler.
– Vous comprendrez quand vous le verrez était la seule réponse qu’elle leur faisait.
Mais elle était bien incapable de leur en faire une autre puisque c’était elle qui ne pouvait plus coucher avec Gauvain sans avoir l’impression de trahir, c’était elle qui était amoureuse. Et encore, elle ne savait pas vraiment de quel Frédéric elle s’était entichée. Était-ce de l’auditeur patient ou du tigre aux griffes rentrées… ?
***
Frédérique avait parlé, parlé, jusque tard dans la nuit. Frédéric avait écouté, avec la même patience silencieuse qu’il avait montré pour Lucile. Cela lui permit de comprendre ce qui avait changé dans l’esprit de sa belle soumise. Le fait d’être confrontée à d’autres dominateurs et surtout, d’être excitée par eux, l’avait déstabilisée. Elle avait découvert de façon tangible que sa soumission était l’expression de ses désirs profonds et pas ceux de son maître qu’elle aurait faits siens par on ne sait quelle magie. Elle avait découvert que plusieurs maîtres pouvaient répondre à ses attentes, cela l’avait terrorisée.
Frédéric termina son verre, jeta la fin de son cigare et rentra. Il dormit dans la chambre de Franck.
***
Il était assis sur un des sièges de la table de conférence. Ses paupières baissaient le rideau, sa tête, peu à peu, s’inclinait. Sa nuit avait été inexistante.
Il avait remis le système en route depuis la succursale à huit heures zéro une, une minute après que le réseau central du siège ait été relancé par Karim. À huit heures quinze il montait dans la voiture de Julie qui le déposait à la gare douze minutes plus tard. À neuf heures, le train s’ébranlait. Il eut la surprise d’y découvrir Lucile. Seule Frédérique manquait à l’appel, c’était pourtant la seule qu’il eût aimé croiser.
Lucile se montra agressive, de toute évidence, elle avait vu Julie. La confirmation ne tarda pas.
– Si c’est ça une soumise, je suis contente de pas l’être. Elle avait l’air d’une pute…– C’en est une ! C’est aussi une de mes subordonnées et la nièce ou la cousine d’un des membres du conseil d’administration de ma boîte. En revanche, ce n’est pas ma soumise…
Cela cloua le bec à Lucile pour quelques minutes, juste le temps pour Frédéric de se remémorer sa nuit. Julie était arrivée en retard et avait minaudé dès la première seconde. Cela n’arrangea pas l’humeur de Frédéric. Une fois entrés, la fille lui indiqua le chemin des serveur en jouant d’un croupion certes avenant mais hors de propos. Il se mit au travail rapidement et put enfin, entre deux interventions intempestives, lancer le logiciel. Il se concentra sur le moniteur tandis que la voix haut perchée de la femme servait de bruit de fond. Bien évidemment, il ne le supporta pas.
– Vous pouvez la fermer ? J’ai besoin de me concentrer.
Insolent, goujat, mufle, tout y passa. Il se retourna de nouveau et pointa son doigt vers un coin de la salle.
– Vite ! Au coin, À genoux et les mains sur la tête. Quand on se comporte comme une fillette insupportable, on est traité comme telle.
Julie, en dehors du fait qu’être dominée ne lui déplaisait pas, fut tellement surprise qu’elle obéit.
– Voilà, parfait. Ne bougez plus ou je vous fesse.
À six heures, tout était prêt, il n’y avait plus qu’à rebrancher les câbles de liaison et lancer le réseau pour que tout revienne à la normale. Il ordonna à sa subordonnée de procéder aux branchements.
– Mais… il va falloir que je me mette à quatre pattes…– Pour mon plus grand plaisir.
Il accompagna sa réponse d’un sourire éclatant et d’un frottement de mains. Elle comprit le message : le bonhomme était suffisamment en colère pour qu’il puisse lui interdire la position assise pendant une bonne semaine. Elle n’eut pas envie de tenter l’expérience.
Elle commença par le bureau du boss. Ce n’était pas la première fois qu’elle se glissait dessous et l’eau lui monta à la bouche. S’il l’avait exigée, Frédéric aurait eu droit à une pipe. Jusqu’à la dernière minute, elle ne désespéra pas de lui en donner l’envie.
Un jour, j’aurai ce mec se dit-elle en quittant la gare.
***
La réunion s’était éternisée. Il n’était pourtant pas compliqué de comprendre ce qu’il attendait : chacun d’entre eux devait créer un pare-feu original le plus éloigné possible des standards existants. Cela fait, ils se retrouveraient à nouveau pour mettre en commun leurs créations et fermer ainsi la porte à toute possibilité de piratage. Tous étant ingénieurs-programmeurs, la tâche était loin d’être insurmontable. Il leur donna un mois, conscient que cette flemmarde de Julie allait trainer des pieds. En attendant, il serait bon que tous les sites soient sous alerte en cas de piratage.
Sur les huit, trois passaient la nuit à Paris. Julie, bien entendue était du lot (elle avait rendez-vous avec son oncle le lendemain). Frédéric les invita à dîner et bien que les deux types lui parussent intéressants et sympathiques, c’est la jeune femme qui accapara l’attention toute la soirée. Il les abandonna à l’entrée de leur hôtel, certain que leur nuit allait être courte.
***
- Je suis une salope écrivit Frédérique pour la troisième fois.
Un texto lui était arrivé en début de soirée l’autorisant à aller sur le tchat (et uniquement sur le tchat). Elle considéra cet invite comme un ordre et, depuis bientôt deux heures, elle résistait aux exigences de « Fezeur Delum ». Il voulait à tout prix qu’elle change le « une » en « votre », son instinct tout autant que sa loyauté envers Frédéric l’incitaient à refuser.
***
Lucile avait hésité toute la journée à envoyer un texto d’excuses à Frédéric. Elle avait boudé durant la quasi-totalité du trajet et elle s’en voulait. Encore une fois, son doigt effleura l’écran mais elle en rabattit la protection sans envoyer le message.
Elle se coucha sans espoir de sommeil. Frédéric, lui, dormait depuis longtemps.
16-
C’est Frédérique qui reprit contact avec Lucile. Il avait profité du calme qui régnait au boulot pour aller faire un tour sur internet afin de se documenter un peu sur le sujet de thèse de la jeune fille. Et il avait trouvé un livre… Pas n’importe quel livre, un ouvrage manuscrit et enluminé de Denis du Moulin, évêque de Paris rédigé en 1445. Sans doute l’œuvre d’un copiste, lui avait dit le libraire situé rue de l’Odéon et dans un état remarquable de conservation. Frédéric décida sur le champ de l’acquérir. Ainsi, il pourrait offrir à lucile une sorte de calumet de la paix.
Il l’invita à déjeuner le lendemain et passa prendre possession de l’ouvrage le soir même. Le libraire l’aurait bien conservé quelques jours de plus dans sa vitrine mais Frédéric était pressé et, par-dessus tout, il voulait éviter que la jeune fille, qui voguait souvent à Saint-Germain des Prés, ne tombât dessus par hasard.
Il rentra rue Molière à pieds malgré la persistante menace de la pluie. Le ciel était d’un gris foncé, le genre de gris qui vide les rues de leurs passants pour laisser le champ libre aux amoureux des villes. Il baguenauda une bonne heure, heureux du poids de sa sacoche. Il sifflotait tout en marchant, la tête pleine du sourire de Lucile quand elle découvrirait le livre.
***
Le déjeuner ne se déroula pas tout à fait comme il l’avait prévu. À la vue de l’ouvrage, Lucile avait pâli et l’avait refusé.
– C’est trop beau. Je ne peux pas accepter avait-elle dit.
Il eut beau insister, rien n’y fit. C’est que Lucile avait de ce cadeau, trop beau, trop cher, trop merveilleux, une conscience différente de la sienne. Elle ne le voyait pas, comme un gage de paix et de réconciliation mais comme un présent destiné à la rendre redevable, une sorte de pré-achat pour obtenir d’elle ce qu’il voulait. Si elle devait un jour souscrire aux désirs de Frédéric, elle le ferait librement, pas comme une pute qu’il aurait payée.
Frédéric ne compris pas la réaction de la jeune fille. Normal, il était à cent lieues de penser comme elle. Pour lui, c’était le cadeau d’un ami à une amie. Ce don était un don et rien de plus, aucune arrière-pensée ne l’avait motivée. Si Lucile avait eu la franchise d’exposer les raisons de son refus, sans doute eut-il pu la convaincre qu’elle faisait fausse route. Ce ne fût pas le cas et ils se séparèrent sur ce malentendu. Le lourd volume resta sur la table. Longuement, Lucile hésita. Elle partit… puis revint.
***
Les jours passèrent. Ils en ont la sale habitude. Et Frédéric était maussade. Dans son coin, Lucile l’était aussi. Que dire alors de Frédérique…
Chaque soir, elle attendait des nouvelles et, chaque soir, elle était déçue. Lorsque Frédéric l’informa qu’il ne viendrait pas ce week-end, ni sans doute le suivant, elle désespéra. Elle commença par se rendre responsable de la situation : elle avait commis une erreur, une faute qui la rendait indigne de sa venue. Mais elle eut beau chercher, retourner se mémoire pour en extraire le moindre souvenir, elle ne trouva rien. Elle pensa à une autre femme mais non… ce n’était pas possible… Encore que… Julie venait de surgir. Certes, il en avait dit pis que pendre mais justement ! Elle, il la traitait bien de « salope » et de « chienne » tout en assurant qu’il l’aimait. Pourquoi serait-ce différent avec Julie qu’il disait considérer comme une « conne » et une « pétasse ». Peut-être avait-il envie d’elle, peut-être fantasmait-il sur ses gros nichons et son petit cul de salope. Frédérique décida de mener son enquête. Pour cela, elle allait se rapprocher d’elle.
***
Lucile attendit jusqu’à la dernière minute, le train de vingt et une heures allait partir, elle sauta dedans. Frédéric ne viendrait plus. Elle appela son père, à l’heure à laquelle elle arriverait, le dernier car serait parti depuis longtemps…
Elle avait dans sa poche une lettre qui lui était destiné mais qu’elle n’avait pu envoyer faute d’une adresse à écrire sur l’enveloppe. Elle était triste, depuis ce fameux déjeuner, il n’avait pas fait signe et elle en était responsable.
***
« Ce n’est pas mon mec ! » avait affirmé Frédérique. Ce n’est pas son mec, mais c’est le père de son enfant… et je suis prête à parier qu’il vient le voir tous les week-ends. Julie attendit à la gare jusqu’à l’arrivée du dernier train. Elle fut déçue, la seule passagère était une gamine attendue par son père.
***
Lundi, huit heures cinquante-cinq, texto de Lucile : « Je peux vous appeler ? »
Réponse : « J’ignorais vous l’avoir interdit. »
Réponse : « Ahah ! Très drôle ! Je vous appelle vers midi. Bisous »
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Lundi, neuf heures quatre, mail de Julie (écrit la veille de son mail personnel) :
« Cher Frédéric, J’ai beaucoup apprécié notre collaboration de dimanche passé et j’espère qu’il nous arrivera de l’approfondir. Je tenais à vous remercier également pour le dîner au soir de la réunion, c’était très sympa. Donc, merci.
Mais si je vous écris aujourd’hui, c’est que j’ai un souci avec une ligne de code qui bloque la suite de mon programme. (Suit la ligne de code composée de hiéroglyphes abscons). Auriez-vous la gentillesse de l’étudier et de me dire quelle erreur j’ai bien pu commettre.
D’avance merci et à bientôt.
Julie »
Réponse :« Julie,Vous me voyez ravi que notre collaboration vous ait à ce point agréée j’espère néanmoins que les conditions qui l’ont permise ne se réuniront pas de sitôt. Quant au dîner, je suis enchanté qu’il vous ait plu et je ne vous cache pas ma volonté de réitérer l’expérience avec l’équipe au grand complet.
Votre ligne de code est mal formulée puisque vous exiger l’existence d’une condition pour ouvrir un accès qui se doit d’être toujours libre. Il ne s’agit à priori que d’une erreur de touche, comme si vous aviez tapé un « G » au lieu d’un « H ». Voici la ligne corrigée : (Suit la ligne de code composée du même genre de caractères)Excellente journée. »
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Lundi, dix-heures quarante-trois, message laissé sur le répondeur de Frédérique : « C’est moi. Je voulais juste des nouvelles de toi et de Franck. Appelle-moi. Je vous embrasse. »Pas de réponse.
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Lundi, douze heures une, appel de Lucile :
– Bonjour, c’est Lucile.
– Je sais, votre nom s’affiche.
– Vous allez bien ?
– Oui, merci. Et vous ?
– Je… Je me sens très bête.
– Ah ?
– Pourquoi vous avez pas appelé…– Sans doute parce que je n’avais rien d’intéressant à raconter.
– Vendredi, je vous ai attendu.
– Désolé, j’aurai peut-être dû vous prévenir.
– On déjeune, mercredi ?
– Dînons ce soir, même resto, dix-neuf trente. OK ? J’ai l’impression qu’il y a un abcès à crever, autant s’en occuper tout de suite. À ce soir… ?
– Oui… à ce soir, merci. Je… vous embrasse.
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Lundi, Quatorze heures treize, courriel de Julie :
« Merci Frédéric,Comment vous remercier… J’espère pouvoir le faire avec le même zèle que dimanche…Bon après-midiJulie »
Réponse :« De rien »
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Lundi, dix-sept heures cinquante-neuf, aucune nouvelle de Frédérique.
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Frédéric se pressa, il avait un rendez-vous et tenait à faire honneur à sa réputation de ponctualité.
***
Le temps de passer rue Molière, de prendre une douche et de se changer, quarante minutes. Il lui en restait cinquante pour être à l’heure. Le métro s’imposait, il fila vers 4 septembre.
Pont de Levallois, la Seine, la place Mermoz, le boulevard Clémenceau, le resto, il était juste à l’heure, sans avoir eu besoin de courir. Elle, était en retard.
Elle arriva quinze minutes plus tard, resplendissante comme savent l’être les filles quand elles veulent vraiment impressionner. Elle portait une robe vert d’eau qui rappelait la couleur de ses yeux et accentuait les reflets roux de ses cheveux remontés à la diable mais ne pâlissait pas sa peau. Un rien de maquillage soulignait son regard et ses pommettes enfantines. Frédéric eut l’impression de la voir pour la première fois.
– Ne me regardez pas comme ça, c’est gênant dit-elle en posant un baiser à la commissure de ses lèvres. Vous donnez l’impression que c’est moi le plat principal…
Il l’invita à s’asseoir, sans un mot.
– Désolée, je suis en retard. J’espère que vous n’allez pas me punir…– Vous êtes venue uniquement pour vous moquer de moi ou allez-vous cesser ces enfantillages et retrouver votre sérieux ? Je vous rappelle que, d’une certaine manière, c’est vous qui êtes à l’initiative de ce dîner et qu’il est temps d’évacuer ce qui vous préoccupe.
Son ton était calme et sérieux mais démenti par la lueur malicieuse de son regard. Or, elle ne le quittait pas des yeux.
– Vous êtes une fripouille ! Mais j’avoue que j’aurais pu me laisser avoir si vos yeux n’avaient pas souri.
– Nous sommes deux fripouilles… Commandons nous parlerons ensuite.
Ils commandèrent, sans avoir recours au menu, exactement les mêmes plats que deux semaines auparavant. Preuve que le souvenir de cette première soirée était vivace dans leurs esprits. Cela donna à Lucile l’assurance qui lui manquait. Elle se lança dès que le serveur se fut éloigné.
– Il est pas impossible que je sois amoureuse de vous… Chuut ! ajouta-t-elle en lui faisant signe de se taire. C’est ce que disent mes amis et je les croie. Ça veut pas dire que je vais tomber toute cuite dans vos bras et que je vais me plier à vos désirs. Ça veut dire que j’ai des sentiments et des désirs, pour vous.
Voilà, ça c’est fait. Maintenant, j’aimerais qu’on parle du livre. Pourquoi vous vouliez me l’offrir ?
La question ne prit pas Frédéric au dépourvu, il s’y attendait tellement que sa réplique fusa :
– Pour que nous enterrions la hache de guerre. Notre dernière rencontre avait été un peu… tendue. Pour vous faire plaisir aussi, j’ai cru comprendre que vous aimez les beaux ouvrages. Pour des raisons pratiques, enfin. Ce manuscrit est une mine de renseignements pour votre thèse et je doute fort qu’il soit consultable en bibliothèque. L’acheter était la meilleure solution pour que vous puissiez y accéder.
– Vous auriez pu me le prêter, ça aurait été suffisant.
– Peut-être bien. Mais qu’en aurais-je fait ? Personnellement, je n’ai aucune attirance pour ce genre de livre. Au mieux, j’en aurais fait don à un musée et il aurait fini aux oubliettes. Non, croyez-moi, vous l’offrir était la meilleure solution pour qu’il continue à vivre…
Elle le regarda d’un air méfiant.
– Aucune arrière-pensée ?
– De quel genre ?
Elle dû prendre son courage à deux mains pour le dire. Parler de cul en rigolant comme elle l’avait fait quinze jours plus tôt, était une chose. En parler avec sérieux et avouer ses propres pensées en était une autre, bien plus difficile et compliquée.
– Vous auriez pu le faire pour que je me sente redevable et que j’accepte…– De devenir ma soumise ? l’interrompit-il.
– Euh… Oui, c’est l’idée.
Il éclata d’un rire qui sonnait faux. En réalité, il fut blessé. Bien plus qu’il n’aurait pu le croire.
– Alors, vous avez eu raison de refuser. Mais je vous assure que tel n’était pas mon dessein.
– Peut-être. Mais vous l’avez quand même laissé sur la table pour me forcer à l’accepter.
Il prit quelques secondes pour réfléchir. Il tenait à cette fille… d’une façon différente. Et il ne voulait pas la perdre sur un malentendu.
– Je suis désolé que vous ayez interprété mon geste de cette façon. Ce livre, l’objet en tant que tel, n’avait pour moi aucun intérêt hormis le plaisir de vous voir sourire. Il n’a pas atteint ce but, il ne me servait plus à rien. Je l’ai abandonné. Un point c’est tout. Il n’a pas plus de valeur à mes yeux qu’un meuble laissé aux encombrants. Mon seul espoir, c’est que celui qui l’a récupéré en fasse ses choux gras. Mais je vous l’assure, je n’ai pas voulu vous forcer la main.
– Mais il est d’une valeur inestimable…– Pour vous peut-être, pas pour moi. Pour moi, il a la valeur d’une erreur, d’un échec. Autant dire qu’il ne vaut pas tripette.
Lucile était abasourdie. Elle connaissait des historiens qui auraient donné leurs vies pour le tenir entre leurs mains et lui… Lui s’en foutait. Raisonnablement, c’était incroyable, ne serait-ce que parce qu’il l’avait acheté et payé une somme qu’elle pensait rondelette. Pourtant, elle le croyait.
Étonnamment, elle fut déçue. Parce que cela signifiait que ce cadeau ne cachait aucune perversité, cela signifiait qu’il n’avait pas envie d’elle.
Elle le lui dit.
– Ma chère, ma très chère Lucile. Encore une fois, vous vous trompez sur moi. Je vous ai parlé de mes habitudes pour que vous sachiez qui je suis et, si possible, vous faire fuir. Mais vous êtes toujours là, plus belle et plus désirable que jamais. Est-ce que pour autant je pense que la soumission vous attire ? Pour être franc, je ne me pose pas la question. Est-ce que je vous désire ? Je peux dire que oui. Est-ce que je rêve de vous voir à genoux et ma queue dans la bouche ? Encore oui. Mais ces désirs et ce rêve, je les ai mis dans ma poche avec mon mouchoir par-dessus. Parce que vous méritez bien mieux que de devenir un plan cul.
Il n’est pas impossible que vous soyez amoureuse de moi, avez-vous dit. Pour être tout à fait honnête, il n’est pas impossible que je sois amoureux de vous. Cela signifie aussi… surtout ! que je ne vous baiserai pas.
Les points étaient sur les « I », les barres sur les « T » et Lucile resta sans voix. Elle n’avait eu que quatre amants dont certains n’aimèrent que son corps mais c’était la première fois qu’elle croisait un homme capable de la refuser pour ne pas la blesser. C’était déroutant, improbable, à moins qu’il ne vînt d’un autre siècle ou d’une autre planète.
Doucement, il prit les mains de la jeune fille entre les siennes et il les porta à sa bouche pour y déposer un baiser.
– Je ne comprends pas dit-elle.
– On peut avoir avec la personne qu’on aime des rapports a-normaux, du style Dominant/dominé et ne pas l’aimer moins. Cette personne peut vous avoir accordé des droits exorbitants, comme celui de la tromper en toute impunité, sans en user pour autant, parce que vous avez pour elle, et pour ses sentiments, un respect mérité. Être un Maître n’oblige pas à être un salaud ou un dégueulasse. On peut être un affreux pervers, aimer fouetter les femmes, les humilier, les fesser, les attacher et leur faire subir toutes sortes d’horreurs tout en restant un type droit. Il suffit qu’elles aiment ça et qu’elles acceptent d’être traitées ainsi, sans chantage ni contrainte. Dans le contrat que j’ai avec ma soumise, je ne lui dois aucune exclusivité pourtant, je ne la tromperai jamais parce que je sais qu’elle n’aimera pas ça. Même si elle en a accepté le principe. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un Maître est essentiellement là pour donner du plaisir, que ce soit à travers la douleur ou l’humiliation, mais pas de la tristesse et encore moins du désespoir. Certaines soumises apprécient que leurs maîtres soient également des don Juan… Ce n’est pas le cas de la mienne.
– Et si, pure hypothèse, elle en éprouvait du plaisir ou plus simplement du désir…– Alors, les cartes seraient rebattues mais, d’une certaine façon, j’espère que, vous, ne l’accepteriez pas.
Ce fut au tour de Lucile d’éclater d’un rire sans joie.
– Moi ? Mais moi j’ai envie de vous. Je voudrais vous couper les mains pour qu’elles caressent sans arrêt mes seins et mes fesses, ma chatte… Je voudrais garder votre queue dans un écrin pour pouvoir m’en servir à tout instant. Je… Je… Je… ne sais plus ce que je dis, bégaya-t-elle. Parce que j’ai envie de vous. Et qu’elle, ne compte pas.
– Mais elle compte pour moi…– J’en ai marre de ces grognasses qui vous mentent et que vous croyez…– Mais qu’est-ce que tu racontes Lucile, c’est n’importe quoi. Je crois qu’il vaut mieux que je te raccompagne. Pour un esclandre, la rue c’est mieux qu’un restaurant.
– Vous avez raison, partons.
La voix de Lucile était blanche comme l’était son visage. Elle sortit sans attendre, il paya et courut derrière elle.
– Mais qu’est-ce qui t’as pris nom de dlas ? Il n’y a pas de quoi se mettre dans des états pareils.
Elle frissonna, il posa sa veste sur ses épaules, elle saisit sa main.
– Venez chez moi, on y sera plus tranquilles pour parler. La maison est grande et j’y vis seule, pas d’oreilles indiscrètes. Nos secrets y seront bien gardés.
Elle se tut, il se tut. Il était inquiet pour elle, elle était en colère pour lui.
***
Le pavillon était grand, très grand, trop grand pour elle toute seule si bien que les pièces étaient fermées et les meubles recouverts de draps. Le salon était immense mais faisait tout petit tant il était empli de canapés, de bergères, de sofas, de tables, de chaises, de coffres, de commodes, de vitrines… et les murs garnis de tableaux et de photographies. Frédéric se crut, un instant, dans la boutique d’un antiquaire.
Lucile s’installa dans un fauteuil crapaud, face à un canapé club dans lequel elle l’invita à s’asseoir.
– Je n’ai pas été cent pour cent honnête avec vous. Lorsque nous nous sommes croisés dans le train, je vous ai reconnu, c’est pour ça que je me suis assise en face de vous.
Devant son manque de réaction, elle poursuivit :
– Vous vous souvenez de Nathalie ?
– La seule Nathalie dans ma vie, c’est mon première amour, si c’est bien d’elle que tu parles, je te confirme qu’elle est inoubliable.
– La première fois que je vous ai vu, vous l’embrassiez. Vous m’avez plu tout de suite.
– Et alors…
Le ton détaché qu’il employa heurta douloureusement le cœur de la jeune fille.
– Vous êtes mes premiers émois et sans doute mon premier amour. Vous saviez que cette salope vous trompait déjà quand vous étiez en terminale ? Il ne lui a pas fallu trois mois… Je n’étais qu’une gamine à l’époque mais nous nous sommes fâchées et nous ne nous parlons toujours pas ; elle me méprise parce que j’ai sept ans de moins qu’elle, je la déteste parce que c’est une garce. Quand nous nous sommes vus dans le train, j’ai découvert à quel point vous m’aviez manqué. J’ai décidé de courir ma chance. On dirait bien, qu’encore une fois, j’arrive trop tôt.
– Être à l’heure, c’est tout un art ma… Lucile. Il y a plein de gens qui n’y arrive pas et qui se bloquent sur un moment donné alors qu’il suffit parfois d’aller de l’avant. Ne me dit pas que tu n’es jamais tombée amoureuse, je ne te croirais pas. Laisse-toi porter par le courant et tu verras que ça t’arrivera de nouveau.
– Ça veut dire que notre histoire n’aura pas de fin… que je vais continuer à rêver de vous comme je le fais depuis dix ans.
– Détrompe-toi, toutes les histoires ont une fin, c’est juste qu’on n’accepte pas celle qui est écrite. Qu’elle nous plaise ou non n’a aucune importance.
– C’est dégueulasse.
– La vie…– Je ne parle pas de la vie, je parle de vous. Vous êtes là à bavasser que la fin ci, que la fin ça… Mais ma fin à moi, elle ne pourra arriver que quand j’aurai lu tous les chapitres et vous, vous voulez que je passe du deuxième au dernier. Je ne tiens pas à prendre votre raccourci. Une vie, comme un livre, ça peut s’écrire à deux ! Je me demande parfois si vous n’êtes pas un lâche…
« Un con, un salaud et un lâche… » quelqu’un le lui avait déjà dit.
– J’ai déjà une vie en cours, tu tiens vraiment à ce que j’y rajoute ce nouveau chapitre ? Parce que, ne te fais aucune illusion, nous n’écrirons pas un roman. Tout au plus, tu seras une digression dans le mien.
– Même si j’acceptais vos conditions…– Mais je ne t’ai jamais posé de conditions. Je ne t’ai jamais rien proposé. Tu te fais un film ma petite.
– C’est pourtant bien vous qui m’avez parlé de…– De domination et de soumission. Tout à fait. Mais je l’ai fait pour te faire fuir pas pour te mettre dans mon lit.
– Et si je vous demandais de m’éduquer…– Je te trouverais idiote.
– Ce n’est pas une réponse.
– Je refuserais, je ne suis pas un dresseur.
– OK. Je vois que vous êtes têtu alors je vous propose un deal : dans dix-huit mois, le jour de mes vingt-quatre ans, si je vous appelle, vous acceptez de me revoir. Si je ne vous appelle pas, c’est que vous avez raison et que j’aurais fini par accepter la fin.
Frédéric ne dit ni oui ni non. Pas besoin, il avait raison. Au matin, il quitta Lucile, persuadé de ne plus jamais la revoir.
***
Mardi, dix-heures quarante-trois, message sur le répondeur de Frédérique : « appelle-moi. »
***
Mardi, treize heures quinze, appel au bureau de Frédérique : sonnerie infinie.
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Mardi, vingt-deux heures, tentative de connexion sur skype : correspondant absent.
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Frédéric fit l’aller-retour dans la nuit, il ne trouva personne au loft.
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