0221 Les jours d’après.

- Par l'auteur HDS Fab75du31 -
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Récit libertin : 0221 Les jours d’après. Histoire érotique Publiée sur HDS le 15-02-2020 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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0221 Les jours d’après.
Happyness is not a destination, is a way of life.
Le bonheur, n’est pas une destination, mais un chemin (mode) de vie.

Jeudi 13 septembre 2001.


Le lendemain de mon retour sur Toulouse, je me réveille dans un état d’esprit étrange, dans lequel se mélangent des opposés, le bonheur le plus radieux et la tristesse la plus sombre. L’écho de l’amour partagé avec mon bobrun pendant ces quelques jours à la montagne vibre toujours en moi. Mais en même temps, le manque et la distance se font sentir de façon violente.
C’est le premier jour où je me réveille chez moi, depuis Campan. La première fois où je me réveille à Toulouse, dans mon lit, sans Jérém à mes côtés, ou du moins à proximité.
Alors, en cet instant de flottement entre sommeil et veille, entre rêve et réalité, en ce « lieu » imaginaire où tout semble encore possible, je cherche mon bobrun dans les draps, je cherche sa présence, son parfum, sa peau, la chaleur, le contact rassurant de son corps. Pendant un instant, j’arrive presque à me créer l’illusion d’être encore avec lui. Car mon t-shirt, ma peau, mon corps, mon être tout entier portent son « odeur ».
Je me force à garder les yeux fermés, je me force à entretenir cette illusion le plus longtemps possible. Mais lorsque je me résigne à accepter l’évidence, à admettre que mes mains ne rencontrent que des draps vides, que je suis seul dans mon lit, ce sont mes larmes qui balaient les dernières « poussières de rêves ».
Je crois que cette nuit j’ai rêvé de mon bobrun. Je crois que j’en ai rêvé toute la nuit durant. J’ai rêvé qu’on faisait l’amour, qu’on se serrait très fort l’un contre l’autre, qu’on se couvrait de bisous. J’ai rêvé de son sourire, de son regard amoureux. J’ai rêvé qu’on était ensemble et qu’on ne serait plus jamais séparés.
Et pourtant, force est de constater que nous le sommes. Et que si hier matin encore j’étais avec lui – au réveil, pendant le petit déj – aujourd’hui nous sommes loin l’un de l’autre. Commencer une journée sans lui, la première d’une série à la durée indéfinie, ça ne me motive pas vraiment à me lever. Son absence m’assomme.
Je n’ai pas senti de suite cette absence dans toute sa violence. Pas jusqu’à ce réveil.
Certes, dès l’instant où nous nous sommes séparés hier matin, il m’a manqué. Pendant le voyage de retour, tout le long de la route, et même lorsque je suis rentré à St Michel, il m’a manqué, à chaque instant.
En arrivant sur Toulouse, j’ai retrouvé ma ville comme après le retour d'un très long voyage. J’ai eu l’impression de ne plus la reconnaître. Comme si elle avait profondément changé depuis mon départ. En roulant sur la rocade, en parcourant les rues, en regardant les façades, en retrouvant les commerces et les quartiers d’une ville familière et pourtant distante, je me suis senti « étranger ». J’ai eu comme l’impression que mon départ, c’était il y a des années. Et pourtant, il ne s’était écoulé qu’une poignée de jours. Bien sûr, rien n’a vraiment changé depuis vendredi dernier, à part la météo. Grise et pluvieuse alors, intensément ensoleillée ce mercredi. Non, rien n’a changé, à part mon regard, mon ressenti. A part l’absence de mon Jérém. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ».
Mais lorsque j’ai retrouvé ma rue, lorsque j’ai garé la voiture au garage, lorsque j’ai refermé la grande porte derrière moi, lorsque j’ai passé le seuil de la porte du cellier et que j’ai fait la bise à maman, lorsque je me suis réfugié dans ma chambre, je me suis senti comme protégé. Jérém me manquait horriblement, bien sûr. Et pourtant, ce n’était pas aussi violent que ce matin. Je crois que j’étais comme dans le prolongement de la magie de nos retrouvailles. C’est un peu comme lorsqu’on revient d’un beau voyage et qu’on a du mal à « atterrir » dans notre tête, parce qu’on a encore les yeux pleins d’étoiles.
Jusqu’à hier soir, j’étais encore sur mon petit nuage. Au point que, par moments, mon inconscient me chuchotait la folle impression que la porte de ma chambre pourrait s’ouvrir d’une minute à l’autre et que mon Jérém pourrait débarquer pour passer sa vie avec moi. Rien que cela. Alors qu’il était déjà loin, en route pour la capitale, en route pour sa nouvelle vie.
C’est sûrement pour ne pas redescendre de mon petit nuage que je n’ai pas non plus eu envie d’appeler qui que ce soit hier après-midi. Ni ma cousine, ni Julien, ni même Thibault. En fait, j’ai passé l’après-midi à me replonger dans les souvenirs de ces petites vacances, et à essayer de les mettre par écrit. Car je veux me rappeler à tout jamais des moindres moments, de chaque rencontre, de chaque conversation, de chacun des personnages dont j’ai fait la connaissance là-haut. Je ne veux pas oublier ce petit monde et du bonheur qu’il m’a apporté. Et, surtout, je veux me souvenir de chaque mot, du moindre sourire, du moindre regard, du moindre geste de mon Jérém amoureux.
Quand je pense que j’ai failli ne pas aller le rejoindre. Et que j’ai donc failli ne pas connaître la joie immense de retrouver mon Jérém, de le découvrir dans un décor inattendu et surprenant. Aimant et touchant. Il s’en est manqué de peu pour que je passe à côté de ma vie.
La seule personne que j’ai laissé rentrer dans ma bulle, c’est ma maman.
Hier, lorsque je suis rentré, elle m’a dit qu’elle était très soulagée de me revoir enfin à la maison. Elle m’a dit aussi qu’elle s’était beaucoup inquiétée après les attentats de New York.
« Mais je n’étais pas à New York ! » je lui ai rétorqué.
« Je sais. Mais pendant quelques heures, on a tous cru que c’était la fin du monde. Et tu n’étais pas sous mes yeux ! »« Je comprends… ».
Il est plutôt simple à comprendre, le cœur d’une maman, lorsqu’on tend bien l’oreille.
Elle m’a ensuite demandé si mes vacances dans les Pyrénées s’étaient bien passées.
Je lui ai dit à quel point j’avais été heureux pendant ces quelques jours avec mon Jérém.
« Tu es vraiment très amoureux ! ».
« Je n’ai jamais ressenti ça de ma vie ».
« Et lui aussi, il t’aime ? »« Je crois bien, oui… ».
« Il te l’a dit ? »« Non, mais il me l’a montré de tant de façons ».
« A savoir ? ».
« Il s’est excusé pour le mal qu’il m’a fait ».
« Ah, quand-même ! ».
« Je te promets, il a été doux, adorable, aimant, à un point que je ne pensais plus possible ».
« Votre petite bagarre a l’air de lui avoir ouvert les yeux ».
« C’est certain ! T’imagines qu’il a même fait son premier coming out avec ses potes… c’est énorme ! ».
« Ah, carrément. Et il est où maintenant ? ».
« En route pour Paris. Le club de rugby qui l’a recruté le mois dernier l’a convoqué pour faire les derniers examens ».
« Et vous allez faire comment pour vous revoir ? ».
« Je ne sais pas encore, mais on va y arriver ! ».
Le reste de l’après-midi a glissé sans crier gare. Tout pris dans mon écriture, je n’ai pas vu le temps passer. Le soir est venu, l’heure du dîner avec, puis celle du coucher. Et un signe de sa part. Un sms.
« Je sui bien arrive. Tu me manque ».
Un petit message doux comme un baiser. Comme une caresse. Une caresse qui, malgré les larmes qu’elle m’a tirées, m’a fait sentir bien, aimé, et m’a aidé à trouver le sommeil. Un simple sms et j’ai eu l’impression que mon bobrun était à nouveau côté de moi.

Mais ce matin, jeudi, mon bobrun me manque horriblement. Je n’ai pas envie de me lever. Pas envie de sortir, de me balader dans cette ville de Toulouse où je suis désormais certain de ne pas pouvoir croiser mon Jérém. Une ville où son absence est totale, une ville qui me remplit de tristesse. Sa présence dans l’absence est déchirante. Saudade.
Depuis mon réveil, je n’ai cessé de revoir la 205 rouge s’éloigner de Campan. La douceur des souvenirs se mélange à la violence de la séparation. Et dans mes souvenirs, je retrouve également le drame américain de la veille. Je retrouve la peur.
Le réflexe est alors d’allumer la radio, pour voir si pendant la nuit, pendant mon sommeil, il ne s’est pas produit d’autres catastrophes. Heureusement, ça ne semble pas être le cas. Mais les infos parlent toujours des attentats de New York. Sur toutes les stations.
L’écho du 11 septembre retentit toujours dans ma conscience. En entendant parler et reparler de ces attentats, je retrouve intacte l’impression qu’on m’a arraché un bras, l’impression de ressentir l’odeur du sang et de la fumée dans mon nez.
Hier soir, au journal de 20 heures, qui s’est prolongé bien au-delà de sa durée normale et dont le seul sujet était les attentats, la télé n’a cessé de nous repasser en boucle les images des avions qui s’encastrent dans les tours, des tours en feu, des tours qui s’effondrent, des hommes et des femmes en sang.
On a l’impression de vivre une sorte de retour au moyen âge, et le spectre de la guerre est réel. On a l’impression que ces attentats incroyables vont secouer nos civilisations et nos démocraties occidentales jusqu’à la racine et que tout ce qu’on a connu, paix, prospérité, relative liberté, va bientôt disparaître.
Les médias contribuent grandement à créer et entretenir l’ambiance de panique qui sature l’esprit des gens.
J’ai peur, comme tout un chacun a peur. Peur que ça pète ailleurs, peur que le temps nous soit compté. J’ai retrouvé le cocon familial et cela me rassure. Mais j’ai tellement besoin de mon Jérém, de me retrouver dans ses bras puissants, chauds et rassurants. Tellement besoin de dormir avec lui, me réveiller avec lui, me sentir aimé et protégé. J’ai besoin de mon Jérém, il n’y qu’avec lui que je me sentirai en sécurité. Et si c’était vraiment les dernières heures qu’il nous est donné de vivre avant l’Apocalypse, il serait dommage, ce serait un gâchis effroyable, de ne pas les passer ensemble à faire l’amour.
Et si un attentant semblable se produisait à Paris ? Je frissonne à l’idée qu’un truc horrible puisse arriver dans l’une des capitales les plus en vue du monde occidental.
Alors, non, rien ne me motive à me lever en ce triste jeudi matin.
Puis, en me retournant dans mon lit, il se passe quelque chose. Je sens les mailles de ma chaînette glisser sur ma peau. Sa chaînette. Quelle bonne idée, quel beau geste de sa part de me donner cette chaînette. Je ne la quitterais pour rien au monde.
La chaînette de Jérém est bien lourde, la caresse du métal est parfois bien chaude, parfois fraîche, elle m’apporte toute une palette de sensations, entre émotion, nostalgie et excitation.
Cette chaînette qui a été au contact de sa peau pendant des années, qui est comme imprégnée de sa virilité radioactive. Cette chaînette qui a reçu la vibration de tant d’orgasmes de mon bobrun. Avec moi, avec d’autres. Mais le plus grand nombre, avec moi. Cette chaînette que je trouvais si sexy sur mon beau mâle brun, était l’un des « ingrédients » du désir qu’il provoquait en moi. Cette chaînette est désormais à moi. C’est presque un « trophée ». Et en même temps, la plus belle preuve de son amour.
Je ne suis pas sûr de la porter avec le même panache que lui, mais je l’adore. Car je me sens bien avec elle. En la sentant autour de mon cou, j’ai un peu l’impression que Jérém est avec moi. Et en moi.
Elle me donne de l’énergie. Elle me motive à quitter mes draps.
Pourtant, ça ne suffit pas. Je sens que pour pouvoir démarrer cette nouvelle journée, j’ai besoin d’un petit shoot de mon Jérém. J’ai alors l’idée de lui envoyer un nouveau sms.
« Bonjour beau mec ».
Rien que le fait de l’avoir envoyé, sans même avoir de retour, suffit à me requinquer. Ma journée a désormais un but. Celui de recevoir la réponse de mon bobrun.
En attendant, je pars me doucher, je m’habille, je prends mon petit déj. Mon attente est de plus en plus fébrile. Mais après le petit déj, toujours pas de réponse.
Il est 9 heures. Qu’est-il est en train de faire à cet instant précis ? Est-il déjà chez le médecin qui doit l’examiner ? Est-ce qu’il est déjà en boxer en train de se faire reluquer par de jeunes infirmières ?
Pourquoi n’a-t-il pas pensé lui aussi à m’envoyer un message pour me souhaiter la bonne journée ?
Parce qu’il a d’autres chats à fouetter ce matin, et il doit pas mal stresser.
Pourquoi ne m’appelle-t-il pas, pourquoi il ne se repose pas sur moi si il stresse ?
Parce qu’il est comme ça, il garde tout pour lui. Il va sans doute m’envoyer un message un peu plus tard dans la journée.
Après le petit déj, j’appelle mon futur proprio à Bordeaux pour fixer un nouveau rendez-vous pour signer le bail pour le meublé. Le type a l’air gentil et arrangeant, il me dit qu’il me fait confiance pour signer le jour de mon emménagement, c'est-à-dire le jour de la rentrée à la fac. Ce qui m’évitera un aller-retour. Sur les photos de l’agence, l’appart a l’air correct. Pourvu qu’il n’y ait pas embrouille une fois sur place.
Entre midi et deux, je passe d’autres coups de fil. J’appelle d’abord ma cousine pour lui dire que je suis rentré et pour lui parler un peu de mon long week-end, en attendant de pouvoir lui raconter en détail lorsque je la verrai en vrai. Mais elle est très occupée et je n’arrive pas à lui raconter grand-chose. A part lui dire que je viens de passer les plus beaux moments de ma vie toute entière.
« Je suis vraiment heureuse pour toi, mon cousin ».
« Merci beaucoup. Et toi, ça se passe toujours bien avec ton beau Philippe ? ».
« Ça se passe merveilleusement bien. D’ailleurs, j’ai quelque chose à t’annoncer ».
« C’est quoi ? ».
« Je te dirai quand on se verra ».
Intrigué, j’insiste.
« Allez, raconte !!!! ».
« Tu peux bien patienter un peu, je devrais pouvoir me libérer demain ».
Puis, elle a rapidement pris congé et raccroché. Me laissant intrigué par le petit mystère qu’elle n’a pas voulu me dévoiler.
J’ai alors appelé mon pote Julien. Je lui ai demandé s’il avait le temps pour prendre un verre. Il m’a répondu qu’il avait des cours toute la journée mais qu’il pouvait se libérer sur le coup de 18h30. Il n’a pas pu s’empêcher de me demander si j’avais pris cher. Je ne me suis pas privé de l’envoyer chier.
J’aime beaucoup notre relation. Son humour, ses expressions grivoises, sa coquinerie, le tout sous couvert d’une bienveillance qui me fait chaud au cœur. Car ce mec est un véritable pote désormais, et il me fait bien rire. C’est drôle, il m’aura fallu attendre la fin du lycée pour trouver un pote.
Lorsque je raccroche d’avec Julien, je prends une longue inspiration et je passe le dernier et le plus difficile des trois coups de fil de la journée.
Rien qu’en lançant le numéro, et a fortiori lorsque la tonalité retentit dans mon oreille, mon cœur fait une accélération vertigineuse. Car j’ai toujours en tête la distance que j’avais ressentie dans sa voix lorsque je l’avais appelé avant mon départ pour Campan. Ça m’a marqué. J’ai peur de retrouver cette distance telle quelle. Il m’avait promis de me rappeler. Il ne l’a pas fait. J’ai peur de paraître insistant, ridicule. J’ai peur de provoquer de l’agacement. Et pourtant, je dois le faire. Je ne peux pas ne pas faire une dernière tentative de m’expliquer avec Thibault.
A la troisième tonalité, j’ai l’impression d’avoir le cœur assis sur mes cordes vocales. C’est là que l’ancien bomécano, le bopompier, le nouvellement « beau demi de mêlée du Stade Toulousain » décroche enfin.
« Salut Nico ».
C’est un accueil typiquement « thibaudien ». J’ai toujours eu l’impression que sa façon de glisser le prénom de son interlocuteur dans la phrase était une marque de sa considération.
« Salut, tu vas bien ? ».
« Ca va, ça va… et toi ? ».
« Ca va aussi » je lui réponds, avant qu’un silence gêné s’installe entre nous.
Nous n’avons pas échangé dix mots. Et j’ai à nouveau l’impression que le jeune pompier est distant.
« Ça se passe bien les entraînements ? » j’arrive à glisser pour débloquer la situation.
« Oui, très bien, mais je n’ai jamais été aussi fatigué de ma vie ».
Puis, il enchaîne, sans transition.
« Nico, tu as des nouvelles de Jé ? Tu sais s’il est parti à Paris ? ».
« Oui, il est parti hier ».
« Et il a passé ses examens médicaux ? ».
« Je crois qu’il les passe en ce moment même ».
Puis, un nouveau silence nous rattrape. Je décide de forcer les choses.
« Thibault, ça te dirait qu’on prenne un verre ? ».
« Je n’ai pas trop le temps en ce moment ».
« Je vais bientôt partir à Bordeaux pour mes études. Je voudrais vraiment te voir avant. J’ai des trucs à te dire. Je me suis mal comporté avec toi ».
« Laisse tomber ça, Nico. C’est mieux si on oublie tout ça ».
« Juste un moment, s’il te plaît ».
« Je ne sais pas si c’est une bonne idée pour l’instant. S’il te plaît, n’insiste pas ».
Sa détermination me touche et m’impressionne. Elle m’attriste. Et pourtant, elle force le respect.
« Je n’insiste pas, alors ».
« C’est mieux comme ça, je t’assure ».
Depuis quelques jours, à chaque fois que j’ai pensé rappeler Thibault, je me suis demandé si ça n’allait pas être trop tard pour rattraper le coup avec lui. Je crois que je tiens là ma réponse. Je n’ai plus d’arguments à lui opposer. Je culpabilise, j’ai envie de pleurer. Du coup, je ne sais pas comment mettre fin à cette conversation qui vient de me confirmer que j’ai perdu un ami.
Alors, dans un dernier élan d’espoir, je décide de jouer le tout pour tout.
« J’ai énormément d’estime pour toi, Thibault. Tu es un gars en or. Vraiment. Tu es un modèle pour moi. Ton amitié est précieuse pour moi ».
« Nico… ».
Pendant une poignée de secondes, un silence interminable me donne la mesure du malaise qui s’est installé entre nous.
« Je… je » je l’entends bafouiller. Je le sens touché, ému par mes mots.
Je touche du doigt le mal que je lui ai fait et qui lui empêche désormais de surmonter la distance créé par la souffrance. Thibault est blessé. Je l’ai blessé. J’ai blessé ce gars qui était mon ami, un ami sincère. Je l’ai blessé parce je n’ai pas su essayer de comprendre que, pour une fois, il ait pu avoir envie de penser à son propre bonheur. Parce que je n’ai pas su comprendre que, sous sa maturité, sa générosité, son altruisme, son abnégation, Thibault est un être sensible, on ne peut plus humain, et amoureux.
Je me sens minable. J’ai envie de pleurer. J’essaie de me maîtriser, non sans mal.
« Moi aussi je t’aime bien » il finit par lâcher.
« Je regrette tellement, si tu savais ».
« On a tous agi d’une façon qui n’était pas la bonne ».
Un nouveau silence s’installe, pesant.
« Thibault… ».
« Je dois y aller maintenant ».
« Rappelle-moi, quand tu veux… ».
« Tu es toujours sur Toulouse ? »« Oui, mais pas pour longtemps. Je pars lundi soir à Bordeaux ».
« Bon courage pour la fac, Nico ».
Là, je suis assommé. Car cette formule ressemble à un adieu. J’ai vraiment du mal à retenir mes larmes.
« Merci… et bon courage à toi pour le Stade. Fais attention à toi, essaie de ne pas te blesser. Ce serait dommage qu’il t’arrive quelque chose ».
« Merci Nico. Adishatz » il me lance.
« Adishatz… je te dirai pour ses examens » j’ai tout juste le temps de lui relancer, avant que la communication ne soit coupée de son côté.
Désormais, j’en ai le cœur net. J’ai perdu l’amitié de Thibault. Je n’ai senti aucun reproche direct dans ses mots, et pourtant j’ai senti qu’il a été affecté par mon comportement. Jérém pense qu’il a besoin de temps pour surmonter tout ça. Mais moi j’ai bien peur que cela soit plus grave que ça. J’ai peur que, pour se protéger, il coupe les ponts pendant un temps tellement long que si un jour on se recroise, on sera à nouveau de parfaits étrangers. Je sais qu’il ne me rappellera pas.
Ce coup de fil m’a sapé le moral. Je m’en veux horriblement.
Je ressens la tristesse m’envahir. Soudain, Jérém me manque encore plus fort. Je regarde mon téléphone, toujours pas de message de sa part. J’aimerais tellement me blottir dans ses bras pour me réconforter. J’ai envie de le voir, de le toucher, de le serrer contre moi, de l’embrasser, de faire l’amour avec lui. J’ai envie d’entendre sa voix, d’avoir de ses nouvelles, de savoir comment se sont passés ses examens médicaux. Je tourne en rond dans ma chambre.
Je mets un cd de Madonna, cette amie que je connais depuis mon adolescence et dont la "présence", les chansons, ont marqué chaque moment de ma vie. Elle est là quand je suis heureux et quand je ne vais pas bien. Elle m'accompagne, sa présence et sa musique font que d'une certaine façon je ne me suis jamais senti seul même dans les pires moments. Et pourtant, cet après-midi, malgré sa musique, la solitude me prend à la gorge.
Je sors les photos que Thibault m’avait données un jour, lorsque nous étions potes. Une époque, hélas révolue.
Je retrouve Jérém assis sur la pelouse de la prairie des Filtres, on voit une arcade du Pont Neuf tout à gauche de l’image. Le buste soutenu par ses bras tendus derrière son dos et ses mains posées à plat sur le sol. Il est habillé d’un simple jeans et d’une chemise à carreaux noirs et blancs, les manches retroussées, ouverte sur un t-shirt blanc sur lequel sa chaînette de mec est négligemment abandonnée, le regard ténébreux. Tenue et attitude, très, très, très, mais alors, très très très très très meeeeec !
Je retrouve également Jérém en maillot de rugby. Beau comme un Dieu.
Et je retrouve ma préférée, mon bobrun sur la plage, torse nu, le bronzage ajoutant des couleurs à sa peau mate, la lumière du soleil mettant en valeur et en relief la musculature parfaite de son corps.
Je n’arrive toujours pas à croire que j’ai la chance de faire l’amour avec un mec pareil. Et encore moins à croire que je suis quelqu’un de spécial pour ce mec. Qu’il a fait son premier coming out pour moi.
Sur ces trois photos Jérém est plus jeune mais déjà tellement sexy. J’ai tellement envie de lui. J’attrape son t-shirt et son boxer volés dans la corbeille à linge de l’appart de la rue de la Colombette, j’étale les trois photos à côté de moi et je me branle. L’excitation et la montée vers le plaisir me font très vite oublier tous mes tracas.
J’imagine le corps de mon bobrun contre le mien, sa peau chaude enveloppant la mienne, je ferme les yeux et je retrouve la sensation de sa queue dans ma bouche, de ses va et vient, de ses giclées puissantes, de son goût à la fois fort et doux de jeune mâle. Je retrouve sa présence virile entre mes fesses, je me sens envahi par son manche, enivré par son plaisir. J’ai tellement envie de faire jouir ce mec, putain !
La puissance de sa virilité, le goût de son jus de mec me manquent comme une drogue dure. Je revois ses biceps, ses pecs, ses abdos, sa bonne petite gueule se contracter sous l’effet de la décharge de l’orgasme. Je m’imagine bien rempli de sa semence chaude et dense. Qu’est-ce que je ne donnerais pas à cet instant pour qu’il soit là, en train de gicler en moi ! Et je jouis. Avec une intensité inouïe.
Dans les instants qui suivent l’orgasme, je suis envahi par cette sensation d’intense apaisement qui fait tellement de bien. Une sensation qui, hélas, ne dure pas longtemps.
Lorsque je redescends, je repense au moment où le bomécano m’a offert ces images. C’était pendant l’été dernier, la seule fois où il m’avait invité prendre un verre chez lui. Je venais de lui avouer mes sentiments pour son pote. Même si ça faisait un moment qu’il avait compris.
Je me souviens qu’il m’avait parlé de l’anniversaire de son pote Jéjé.
« Dans moins de trois mois, il va fêter ses vingt ans » il m’avait raconté « et j’ai prévu de lui faire une surprise. J’ai envie de l’amener au Mas d’Azil pour lui offrir un saut à l’élastique de 80 mètres de haut. Je sais qu’il va kiffer ».
L’anniversaire de Jérém, c’est dans moins d’un mois. Je doute fort que cela se fasse.
Soudain, je réalise qu’il serait bon que j’aille voir mon bobrun à Paris le week-end de son anniversaire. J’aimerais qu’on puisse se voir avant, mais au pire, je ne peux pas rater le coche du week-end du 13 et 14 octobre, juste avant son anniversaire le 16. Est-ce que je vais lui faire une surprise ? Il faudrait déjà que je sache où il crèche et que je sois certain de son emploi du temps. Que je sois certain de ne pas le déranger. De ne pas trop exposer notre relation. Ça fait beaucoup d’inconnues. Putain, son anniversaire c’est rien que dans un mois. Comment vais-je tenir jusque-là ? J’aimerais tellement pouvoir aller le voir dès ce week-end !
Soudain, en regardant une énième fois les photos de Jérém, je me rappelle que ce ne sont plus les seules que je possède de mon bobrun. Car il y en a bien d’autres dans mon appareil jetable de 24 poses, et qu’il suffit de les amener à développer pour retrouver mon bobrun, d’une certaine façon.
Ceci me donne une raison pour sortir de ma tanière. Ca me changera les idées, en attendant le rancard avec Julien.

[Attention : les paragraphes qui suivent décrivent des gestes et des plaisirs aujourd’hui disparus, inconnus pour les nouvelles générations nées avec le tout numérique et le tout Internet. Et pourtant, qu’est-ce que c’était bon ! Enjoy-it !].

En début d’après-midi, je me rends au grand magasin de cd et livres de la place Wilson. Je laisse les négatifs au comptoir. La nana m’annonce que je peux passer les récupérer samedi 14 heures. Deux jours, ça va être super long ! Je suis tellement impatient de savoir si les photos sont réussies ! Je suis tellement impatient de revoir mon Jérém tel que je l’ai retrouvé à Campan !
Et pourtant, il y a dans cette attente quelque chose de magique. Car c’est bien cette attente, ajoutée au prix à débourser pour obtenir une quantité limitée de clichés, qui donne à ces derniers leur valeur. Pourvu qu’il n’y ait pas d’accident au développement, car ces photos que je n’ai pas encore vues sont déjà si précieuses à mes yeux !
Etant sur place, je profite pour faire un tour dans les rayons cd et dvd. Je flâne, je fouille dans les bacs, je découvre, je laisse mon regard se balader dans cet univers coloré et plein de tentations. Dans les bacs, à la lettre M, je m’attarde sur la section Madonna, de loin la plus fournie de toutes. Les albums côtoient des maxi cd contenant des remix, ou même des cd pas vraiment officiels. Je vérifie s’il y a des cd qui ne sont pas encore dans ma collection. Un cd de pressage américain et au packaging cartonné contenant des remix du titre « Music » attire mon attention. Je ne l’ai pas. Aujourd’hui, je vais encore enrichir ma collection. Je ressens un vrai plaisir. Je le prends, impatient de l’écouter.
Soudain, je me rappelle m’être dit que j’achèterais le cd de Starmania, cet opéra futuriste et prémonitoire que j’ai découvert à Campan. Je cherche, je ne trouve pas. Je cherche un vendeur, je demande. Il m’indique le rayon, avec le sourire. Il m’explique que c’est la version de 1998, celle montée pour les 20 ans de l’opéra rock. Il ajoute qu’il l’aime beaucoup, car elle est à son avis plus sobre et peut-être plus aboutie même que l’original de 1978.
Aujourd’hui, j’explose mon budget musique. Quand je serai à Bordeaux, je devrais faire davantage attention, car la vie étudiante a des priorités autres que les cd.
Je me dirige vers la caisse. Et là, un choc m’attend. Venant en sens inverse et se dirigeant vars le rayon cd, mon regard est aimanté par un petit brun excessivement mignon, avec un brushing de bogoss, un physique de parfait petit con sexy, une peau délicieusement mate, et une petite gueule du genre à faire jouir avec une urgence plus qu’absolue. Une petite gueule bien connue, avec un air de famille. Putain, si je m’attendais à ça, à tomber sur Maxime, le frérot de mon Jérém !
Le bogoss est accompagné de sa copine. Et lorsqu’il me repère, sa belle petite gueule s’ouvre dans un sourire à faire pleurer tous les Dieux de l’Univers. Ah, putain, qu’est-ce qu’il est beau lui aussi, beau étant largement insuffisant à qualifier une telle présence, et le bonheur qu’elle dégage. Un bonheur qui n’a d’équivalent que dans celui provoqué par son frère. A une différence près : le petit Tommasi, tout en étant aussi charmant que son frère, est davantage souriant et jovial. Ça tranche énormément avec le petit gars terrifié, en pleurs et en colère que j’ai découvert dans le hall de l’hôpital de Purpan, le jour de l’accident de Jérém.
« Hey, Nico, tu vas bien ? » me salue le petit mec, très chaleureux, en me claquant la bise.
« Très bien et toi ? ».
« Bien, bien. Je te présente ma copine. Nico, Claire, Claire, Nico ».
« Alors, comment ça s’est passé à Campan ? » il enchaîne.
« Très bien… ».
J’ai envie de lui dire « très bien parce que ton frère était tendre, doux, parce qu’il m’a fait comprendre à quel point je compte pour lui, parce qu’on a fait l’amour tant de fois, parce qu’il a fait son coming out ».
Au lieu de quoi, je me contente d’ajouter :« J’ai fait du cheval pour la première fois de ma vie et j’ai rencontré des gens formidables ».
« Et Jérém il allait bien ? » il me demande, alors que la copine part faire un tour dans les rayons.
« Il était en forme. Il attendait le coup de fil de Paris ».
« Je l’ai eu ce matin, il attendait pour commencer le visites. Il me tarde d’être à ce soir pour savoir ».
Qu’est-ce que c’est beau cette complicité et cette proximité entre frères.
« Moi aussi ».
« Il m’a dit que lui aussi il a passé un très bon moment. Il avait l’air vraiment content que tu l’aies rejoint ».
« C’était génial ».
« Maintenant, il va falloir faire des bornes pour vous voir » il ajoute.
« Je sais, ça va être plus compliqué ».
« Paris et Bordeaux c’est pas si loin ».
« Il me tarde d’aller le voir ».
« A lui aussi ça lui tarde. Tu comptes vraiment beaucoup pour lui, tu sais… ».
« J’espère qu’il ne va pas m’oublier ».
« Non, il ne t’oubliera pas. Mais il va falloir te battre ».
« Je sais ».
« Allez Nico, je vais rejoindre Claire, avant qu’elle fasse la gueule. Content de t’avoir vu ».
« Moi aussi je suis content de t’avoir vu ».
« Au plaisir de te revoir » fait-il, en partant vers le rayonnage, après m’avoir claqué une nouvelle bise et avoir laissé traîner un clin d’œil des plus charmants et sexy.
« J’espère ».
« Tiens » fait-il, en revenant soudainement sur ses pas « je vais te filer mon numéro, et tu vas me filer le tien. Si jamais, un soir on se fera une bouffe ».
Vraiment adorable le petit gars. Je note son numéro sur mon portable et je lui donne le mien.
« Bon courage pour tes études ».
« Merci ».
Je le regarde s’éloigner avec sa démarche bien mec. J’adore ce petit gars. Je crois que j’ai trouvé un nouvel ami.

La télé tourne en continu à la maison. Le monde s’accroche à l’info pour tenter d’apaiser sa peur. Une info qui hélas, distille davantage de questionnements dans l’esprit des gens qu’elle apporte de réponses. Une info qui ne fait qu’alimenter encore cette peur, sans jamais l’apaiser.
Les images effrayantes des impacts des avions sur les tours jumelles et de leur effondrement continuent de tourner en boucle. Des experts de tout bord, dans toutes les langues, se succèdent dans les émissions spéciales qui bouleversent les programmations des chaînes.
Le discours du président américain de la veille est lui aussi passé et repassé et décortiqué sans cesse. Ce qui me frappe le plus dans ses mots, c’est « la guerre ». Une guerre « contre la terreur » qui se veut réponse ferme au sentiment de peur de toute une civilisation. Mais qui, à bien regarder, a un goût de vengeance pure. Une guerre qui veut laver une humiliation, sans se pencher sur la compréhension des raisons qui ont conduit à ce désastre. Une guerre pour éradiquer le terrorisme, par la violence. Une guerre pour créer la paix. Un bel exemple d’oxymore. Car la guerre ne fait en général que créer la guerre. Dans une guerre, il n’y a pas de gagnant. A l’échelle du temps, il n’y a que des perdants.
Cette guerre me fait peur. Jusqu’où elle va nous mener ? Est-ce que les attentats de New York ne sont qu’un avant-goût de l’horreur que vont connaître nos pays occidentaux ?

Je dois retrouver Julien en début de soirée. Je lui ai donné rendez-vous dans une brasserie. Un endroit que je n’ai pas choisi au hasard. Une brasserie à Esquirol. La brasserie où Jérém a travaillé pendant tout l’été passé. J’ai envie de sentir les vibrations de ce lieu qui demeure à mes yeux marqué et imprégné par la présence de mon bobrun.
J’arrive une demi-heure avant le rendez-vous. Il n’y a pas grand monde et j’ai la chance de pouvoir m’installer à la même table où j’étais installé le jour où je suis venu le voir à la brasserie, le dernier jour de la semaine magique où il était venu chaque jour me faire l’amour à la maison pendant sa coupure de l’après-midi.
Je regarde la terrasse presque vide, ses tables inoccupées et je revois mon bobrun avec sa belle chemise blanche, bien ajustée à son torse de fou, les manches retroussées, deux boutons du haut ouverts laissant entrevoir sa chaînette posée sur le relief de ses pecs délicatement poilus. Je le revois, avec son pantalon noir élégant et ses baskets blanches et rouges, un plateau rond chargé de boissons, je le revois voltiger entre les tables, avec son assurance, avec son sourire charmeur et ravageur. Je le revois en train de se faire draguer par deux nanas.
En attendant Julien, j’ai le temps de prendre un café, prétexte pour accéder aux toilettes de l’établissement. Non pas que j’aie vraiment besoin d’aller au petit coin. Ce dont j’ai vraiment envie, c’est de revoir et d’approcher la porte du fond du couloir, celle qui donne sur la petite cour qui mène à la réserve, cet endroit rempli de bouteilles au milieu desquelles mon Jérém a voulu que je lui fasse une gâterie qui s’était révélée terriblement excitante.
Je prends même le risque de pousser la porte qui donne sur la petite cour, comme pour pénétrer un peu plus dans le souvenir. Soudain, à la vue de la porte entrouverte de la réserve, je ressens une bouffée de chaleur monter à mon visage. Mon cœur se tape un sprint mémorable, ma respiration devient espacée et profonde. L’excitation s’empare de moi. Je bande comme un âne. J’ai envie de lui à en crever. Réflexe pavlovien.
Car en une fraction de seconde, je retrouve intactes les sensations de ce jour-là, ce mélange de peur de nous faire gauler et d’excitation extrême. Je retrouve dans mon nez le parfum de sa peau, la chaleur de son corps, les petites odeurs de sa virilité moite de transpiration. Dans mes oreilles résonne le bruit de sa ceinture qui se défait, de sa braguette qui s’ouvre, de son boxer qui glisse sur ses cuisses, de sa queue tendue qui jaillit en claquant sur ses abdos, de ses ahanements de plaisir. Dans ma bouche je ressens la raideur de son manche. Et ses giclées, leur puissance, leur goût divin. Putain de jeune mâle, que ce Jérémie ! Quand je pense que c’est lui qui m’a proposé cette galipette !
J’ai encore envie de me branler. Pendant un instant, l’idée de m’enfermer dans les toilettes pour me soulager me traverse l’esprit, mais j’y renonce. Je reviens à ma table et je me perds à nouveau dans mes souvenirs. Je repense à la semaine magique, aux après-midis chez moi, dont cette pipe dans la réserve avait été le point d’orgue avant le clash qui allait nous séparer pendant un mois. Un mois horrible, le pire moment de ma vie, après cette belle semaine qui était à ce moment-là le plus beau souvenir de ma vie. Et pourtant, après la souffrance, un nouveau bonheur, encore plus grand, était venu. Campan.
Mais ce bonheur avait été de courte durée. Une poignée de jours magiques, avant une nouvelle séparation difficile. Mais cette fois-ci, c’était l’amour qui l’avait rendue difficile, et non pas la bagarre. Un amour que nous partagions, dont les preuves tangibles étaient des larmes que nous partagions également.
La séparation à Campan était le déchirement de deux êtres qui s’aiment et qui se sentent aimés. Peut-être la plus déchirante de toutes des séparations. Certes, pas une séparation définitive, mais une séparation avec des vœux de retrouvailles. Des retrouvailles sans échéance précise, avec une distance dans le temps et dans l’espace. Une séparation qui pourrait faire vaciller les bonnes dispositions de mon bobrun encore fraîches, jeunes et fragiles.
« Eh, oh ! Tu es parti ou, là ? » se moque le beau Julien en me secouant au sens propre (je sens sa main se poser sur mon cou par derrière, l’enserrer et le remuer légèrement) que figuré, de mes rêveries.
Tout pris dans mes réflexions, je ne l’ai même pas vu arriver.
Mais lorsque je reviens à moi, sa présence se dévoile à mes yeux avec la force d’une claque en pleine figure.
Avec son sourire incendiaire, sa voix éraillée et sexy, ses attitudes de charmeur, son t-shirt noir bien ajusté à son physique élancé, sa peau bronzée, ses yeux pétillants, sa dentition parfaite et immaculée de jeune loup conquérant, et ce parfum hypnotisant qui avait failli me faire rater ma conduite à l’époque, le boblond est toujours aussi craquant.
« Alors, comment se sont passées ces retrouvailles avec ton mec ? ».
« Très bien »« Vous avez bien profité de vos corps ? ».
« Oh que oui ».
« Quel coquin, ce Nico ! ».
« Et il a même voulu que je lui fasse l’amour ».
« Toi, tu lui as fait l’amour ? ».
« Oui ».
« Je pensais que tu étais passif ».
« Je le pensais aussi. Mais j’ai pris beaucoup de plaisir ».
« C’était ta première fois ? ».
« Oui ».
« Félicitations, alors, tu n’es plus puceau à présent ».
« C’est ça ! ».
« Quand je pense que tu hésitais à y aller ! ».
« C’est vrai… merci de m’avoir convaincu. Et d’ailleurs, encore merci d’être venu faire démarrer la voiture ».
« C’est rien. Alors, raconte, il t’a demandé en mariage ? » il plaisante.
« T’es con ! Non pas vraiment, mais c’était génial, vraiment génial. Il m’a amené chez lui, il a une vieille bicoque là-haut, dans les montagnes. Il a été tendre, doux, il m’a beaucoup parlé de lui, il m’a dit à quel point il tenait à moi. Il m’a présenté ses amis cavaliers, on a fait du cheval ensemble. C’était la première fois que j’en faisais, je suis tombé, je suis remonté en selle. J’ai rencontré des gens drôles et ouverts d’esprit. Et un soir, il m’a embrassé devant tous ses potes ».
« Ah, carrément ! Couillu, le mec ! ».
« Oui, couillu… on a bien rigolé, on s’est fait des bisous, beaucoup de bisous, et beaucoup venaient de lui. On s’est caressés, on s’est serrés l’un contre l’autre, on a dormi ensemble, on s’est réveillés ensemble, on s’est douchés ensemble, on a mangé ensemble, comme un vrai petit couple. C’était tellement, tellement bien ! »Pendant que je parle, j’en ai les larmes aux yeux. C’est la première fois que je parle si précisément de ces jours magiques à Campan et soudain, la parole ravive le souvenir, et la souffrance que me procure le manque de Jérém se fait sentir comme une plaie béante sur laquelle on aurait jeté du sel.
« Et puis le coup de fil de Paris est arrivé. Et il a dû partir, hier matin ».
« Il te manque, hein ? » fait le boblond, en saisissant mon bras avec sa main chaude et ferme et en caressant ma peau avec son pouce.
« Tu peux pas savoir à quel point. Surtout après ce qui s’est passé avant hier ».
« C’est horrible, on est tous sous le choc. Ça m’a tellement secoué que j’ai ressenti le besoin de prier. Ça devait faire plus de dix ans que je n’avais pas prié. Mais avant-hier soir, j’ai eu besoin d’aller à St Sernin et prier pour toutes ces victimes. J’ai prié pour que rien de semblable n’arrive en France, et que ça n’arrive plus jamais nulle part dans le monde. J’ai prié pour que les Hommes reviennent à la raison, et pour qu’il n’y ait pas une guerre qui pourrait tout effacer de la surface de la planète ».
« Ça dépasse l’entendement » je commente.
« Mais il faut aller de l’avant, il ne faut pas cesser de vivre. Vous allez vous revoir quand ? ».
« Je n’en sais rien… c’est ça qui est le plus dur à supporter ».
« Tu dois lui manquer aussi ».
« Oui, il me l’a dit hier soir ».
« Alors vous allez vous revoir bientôt ».
« Ça dépend de lui, de comment il va être installé, de son emploi du temps. La semaine prochaine c’est ma rentrée à Bordeaux. Ce ne sera pas avant 15 jours au mieux, et plusieurs semaines au pire ».
« L’essentiel c’est que ça arrive, que vous vous retrouviez. Plus l’attente sera longue, plus vous aurez du plaisir à vous retrouver ».
« J’espère qu’il ne va pas m’oublier à Paris ».
« Il ne t’oubliera pas ».
« Il y a tellement de tentations la bas ».
« Je ne te dis pas qu’il ne couchera pas ailleurs, mais tu seras toujours celui qui a la place de choix dans son cœur ».
« Coucher ailleurs ? » je fais, déstabilisé par ses mots.
« Tu te doutes bien que tu ne peux pas lui demander de ne pas se vider les burnes pendant des mois ».
« Je préfère ne pas y penser ».
« Toi aussi tu auras des occasions ».
« Je n’en veux pas ! ».
« Si tu t’obstines à lui réclamer la fidélité et à lui imposer l’abstinence, tu vas le perdre ».
Je pousse un souffle de détresse.
« Et si tu t’imposes l’abstinence » il continue « tu vas devenir fou. L’important, c’est que vous vous protégiez quand vous allez voir ailleurs. Que vous ne vous rameniez pas de saloperies. C’est ça que tu dois exiger de lui et c’est aussi ça que tu dois lui garantir ».
« Je ne veux pas coucher ailleurs, et je ne veux pas qu’il couche ailleurs ».
« Je ne te parle que de sexe. Il sera toujours ton Jérémie et tu seras toujours son Nico à lui ».
« Qui me garantit qu’en couchant ailleurs, il ne va pas tomber amoureux d’un autre ? ».
« Personne. Et c’est vrai aussi de ton côté. Mais c’est le risque à prendre pour donner une chance à votre relation. Toi non plus tu ne tiendrais pas ».
« Si ».
« Admettons. Mais pour lui ça va être plus compliqué ».
« Pourquoi ? ».
« Un joueur de rugby pro, bogosse comme lui, dans une ville comme Paris, il sera sollicité à mort. Il ne tiendra pas. Si tu lui demandes de ne pas coucher, il sera obligé de te mentir. Et un jour tu découvriras ses mensonges et tu auras mal. Vous vous finirez par vous vous disputer et vous quitter ».
« Tu es si négatif ! ».
« Non, je suis réaliste. Je te parle de mon expérience avec les nanas ».
« Je ne sais pas si je suis capable d’accepter que Jérém couche ailleurs ».
« Si tu n’acceptes pas ça, ta vie va vite devenir un enfer. Tu vas être rongé par la jalousie et les questionnements et tes études vont s’en ressentir. Et en plus, tu vas le perdre ».
« Ecoute, Nico » il continue, tout en posant sa main sur la mienne, pour me rassurer « il a 20 ans, laisse-le papillonner jusqu’à ce qu’il en ait marre. Et toi aussi fais des expériences. Imagine s’il part un jour à l’étranger pour une carrière internationale, ce sera encore plus difficile. [Je frissonne à la simple évocation de cette possibilité que je n’avais encore jamais envisagée]. Dis-toi qu’il a fait un grand pas vers toi en faisant son coming out ».
« J’ai peur que ses bonnes intentions et sa volonté de s’assumer ne durent pas longtemps à Paris ».
« Pourquoi ça ? ».
« A Campan on était au milieu de nulle part, entouré de gens bienveillants. Mais à Paris, dès qu’il va être connu, j’ai peur qu’il veuille à tout prix garder les apparences et remettre de la distance entre nous ».
« C’est vrai, je n’y avais pas pensé. Mais n’oublie jamais que tu es quelqu’un de spécial pour lui. S’il ne peut pas assumer ta présence dans sa vie dans l’immédiat, le forcer ne servirait à rien. Montre-lui ton amour et n’exige pas plus que ce qu’il peut te donner. Sois patient et prête attention aux petites choses qui t’assurent de son amour, au-delà de ses coucheries et de ce que son environnement sportif lui impose comme limites ».
Les mots de Julien me secouent. Car il a mis le doigt précisément là où ça fait mal. Je sais que Julien a raison, mais c’est horriblement dur à entendre et à admettre. Car le cœur a ses raisons que la raison ignore, et le cœur aime mieux écouter ses propres raisons plutôt que celles de raison. Alors, je préfère penser que nous allons y arriver, que notre couple va résister à la distance sans que nous ayons besoin d’aller voir ailleurs.
Jérém me manque horriblement. Sur le chemin vers la maison, je lui envoie un nouveau sms.
« Tout se passe bien ? ».
Deux minutes plus tard, je reçois sa réponse.
« Pas encore finit, je tappelle tt l heure ».
Pendant le dîner, j’attends fébrilement son coup de fil. Mais à 20 heures il n’est toujours pas arrivé. A 21 heures non plus.
Ce n’est qu’à 21h50 que mon portable se met à vibrer et que l’écran affiche les dix chiffres familiers associées au prénom tant aimé de mon Jérém.
« Ourson… » je l’entends répondre à mon simple « Allo ? ». Le ton de sa voix est calme et doux comme une caresse. Et dans ce petit surnom, je retrouve toute sa tendresse, son amour.
« Comment ça va ? » je le questionne.
« Bien ».
« Alors, ces visites médicales ? ».
« Ils m’ont fait foutre à poil, ils m’ont regardé sous toutes mes coutures, ils m’ont fait toute sorte d’examens, prises de sang, test de souffle, j’avais l’impression d’être une voiture et de passer le contrôle technique ».
« Verdict ? Avec ou sans contre-visite ? ».
« Sans. Il semblerait que je suis pas trop détraqué ».
« C’est bon alors ? ».
« Ouiiiiiiiiiiiiiiii !!!!!!!!!!!!!! A priori je signe le contrat demain et je commence les entraînements dès mercredi ! ».
Sentir Jérém à ce point heureux m’émeut jusqu’aux larmes. On dirait un gosse le jour de Noël. Je voudrais tant être à ses côtés pour partager cette joie avec lui. Fêter ça avec un resto. En faisant l’amour.
« Je suis tellement content pour toi ».
« Merci, merci ».
« Tu l’as dit à Maxime ? ».
« Non, je vais l’appeler juste après. Je voulais te l’annoncer en premier ».
Adorable.
« Je l’ai croisé aujourd’hui en ville avec sa copine. Il m’a demandé comment s’était passé Campan ».
« Il est curieux le petit ».
« Il est très sympa ».
« Il est génial ».
« Comme son frère ».
« Tu me manques, Nico ».
Lire ces mots dans un sms, m’a ému aux larmes. Les entendre de sa vive voix, me bouleverse.
« Toi aussi tu me manques. Il me tarde de te revoir ».
« Dès que je serai installé, promis ».
« Tu dors où ce soir ? ».
« Dans un hôtel payé par le club. J’ai une chambre toute pour moi. Et il y a d’autres joueurs juniors à côté. Mais dès le mois prochain je devrais avoir un appart ».
La simple idée de la proximité d’autres jeunes joueurs que j’imagine d’emblée bien foutus et sexy, mais aussi seuls, un peu déboussolés par cette ville inconnue, par ce changement d’horizon, par cette vie nouvelle, et qui ne seraient pas contre un peu de compagnie et d’intimité, suffit à produire en moi une flambée de jalousie.
« Tu vas faire quoi ce soir ? ».
« On a prévu d’aller prendre un verre avec les gars ».
« Tu restes sage ! » je ne peux m’empêcher de lui glisser en rigolant.
« T’inquiète, je ne vais pas trop boire ».
« Je parlais des gars » je fais, sur un ton taquin.
« Ah, mais je ne suis pas pd, moi ! » il se marre.
« C’est ça ».
« J’ai envie de toi ».
« Moi aussi, j’ai eu envie de toi depuis ce matin ».
« Ce matin je me suis branlé en pensant à toi » il me glisse.
« Moi aussi… ».
« Quel gâchis ».
« Je ne te le fais pas dire ».
« Passe une bonne soirée, Nico ».
« Toi aussi, Jérém, et bon courage pour demain ».
« Bisous ».
« Bisous ».
Ce soir, dans mon lit, j’ai du mal à trouver le sommeil. Je repense aux mots de Julien : « il n’a que 20 ans, laisse-le papillonner ». Et je repense aux mots de Jérém : « On a prévu d’aller prendre un verre avec les gars ». Mais aussi, et surtout, à ses autres mots : « j’ai envie de toi ». Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Mais j’ai encore envie d’y croire. Et je m’endors en pleurant, à la fois de bonheur et de tristesse.
Mais avant de partir dans les limbes, j’envoie un message à Thibault.
« Les examens se sont bien passés. Jérém commence les entraînements lundi ».
« Merci Nico ».

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