0224 Au revoir Thibault, ma ville rose, ma maison d’enfance…

- Par l'auteur HDS Fab75du31 -
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Récit libertin : 0224 Au revoir Thibault, ma ville rose, ma maison d’enfance… Histoire érotique Publiée sur HDS le 04-04-2020 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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0224 Au revoir Thibault, ma ville rose, ma maison d’enfance…
Avant de nous quitter, et alors que nous sommes en train de nous dire au revoir devant la porte d’entrée, Thibault va me glisser quelques mots qui vont me bouleverser.
« De toute façon, maintenant tout ça, ça n’a plus la même importance pour moi. A présent, je dois me concentrer sur le rugby. Et il faut surtout que je m’occupe de ma famille… ».
« Pourquoi, tu as des soucis ? ».
« Non, pas de soucis. Que du bonheur. Je vais être papa, Nico… ».
« Ah bon ? » je ne trouve rien de mieux à lui répondre, complètement dérouté par la surprise.
« Oui, je vais être papa ».
« Mais tu as une copine ? ».
« Oui, enfin, c’est une nana que je voyais de temps à autre ».
« Mais tu le voulais ? Je veux dire… tu l’avais prévu ? ».
« Non, pas vraiment. Elle m’a appelé il y a quelques semaines, peu de temps après l’accident de Jé ».
« Mais si vous n’étiez pas vraiment ensemble… tu es sûr que cet enfant est bien… ».
« Quand on a couché ensemble, on s’est toujours protégés, sauf deux fois où on n’avait pas de capote. Elle est enceinte de trois mois. Ça correspond bien. Elle est tellement sûre d’elle qu’elle m’a même proposé de faire un test de paternité ».
« Et tu es heureux ? ».
« Oui, très heureux ».
« Garçon ou fille ? ».
« Je ne sais pas, et à vrai dire, ça n’a pas trop d’importance ».
Son regard s’illumine enfin quand il parle de son enfant. Il est vraiment beau.
« Je suis jeune pour devenir père » il enchaîne « et je n’avais pas prévu ça pour si tôt. Mais ce gosse va bientôt être là, et je dois l’assumer ».
« Et la maman ? ».
« Elle a cinq ans de plus que moi, elle est infirmière. On s’entend bien ».
« Mais tu te vois passer ta vie avec elle ? Je veux dire… tu l’aimes assez pour ? ».
« Je… je… je l’aime aussi… je l’aime bien » il finit par lâcher, après un instant d’hésitation.
« Dans tous les cas, j’apprendrai à l’aimer » il enchaîne « elle va être la mère de mon enfant, je ne peux pas la lâcher maintenant. D’ailleurs, nous allons bientôt nous installer ensemble ».
« T’es sûr de toi, Thibault ? T’es vraiment sûr que tu vas te plaire dans cette relation ? Tu t’installerais avec elle s’il n’y avait pas cet enfant ? ».
« Je ne sais pas. Mais de toute façon, je dois assumer. Ce gosse a besoin d’un papa. Ce gosse va donner un sens à ma vie ».
« Mais elle a déjà un sens, tu es un gars génial, et tu vas être un grand joueur au rugby ».
« Tu sais, Nico. Depuis un mois, je me demande ce que je fous à passer toutes mes journées à faire de la muscu et à jouer à la baballe comme un gosse. Je ne me sens pas à ma place ».
« Je croyais que c’était ton rêve ».
« Je le croyais aussi ».
« Tu ne t’y plais pas ? ».
« Être au Stade, c’est génial. Mais de plus en plus souvent, je me dis que ma place n’est pas là. Je me dis que je serais tellement plus utile à apporter de l’aide et du secours. Il n’y a qu’avec l’uniforme de pompier que je me sens bien. Ça rapporte 100 fois moins et on risque sa vie. Mais c’est ce que j’aime ».
« Tu es vraiment un gars fantastique ».
« Depuis mardi dernier, je ne peux plus regarder la télé, ni écouter la radio, ni lire les journaux. Ce qui s’est passé à New York est horrible. Il y a tant d’hommes et de femmes qui ont perdu leur vie sous les décombres. Et tant de collègues pompiers. Si je m’écoutais, je planterais tout et je prendrais le premier avion pour aller donner un coup de main. D’ailleurs, j’y ai pensé très fort la semaine dernière. Mais il n’y avait pas d’avion. Et de toute façon, là-bas je n’aurais pas su comment porter de l’aide dans tout ce bazar. Je ne parle même pas l’anglais ».
Thibault a vraiment l’air très affecté par les attentats. Sa sensibilité, son empathie, son altruisme, sa profonde humanité me touchent tellement. Ça c’est vraiment un bon gars.
« Alors » il continue « avec ce qui arrive dans le monde, ce qui s’est passé avec Jé, ça n’a plus la même importance. Le monde est devenu complètement fou. Et je pense que ça n’est pas fini là ».
« Tu penses vraiment lâcher le Stade ? ».
« Maintenant j’ai signé pour un an et je ne vais pas leur faire faux bon. Dans six mois, mon enfant va être là. J’aurai la responsabilité de le faire grandir. Ce sera une nouvelle vie. Et cette nouvelle vie me fera peut-être passer l’envie de risquer la mienne pour essayer de sauver celle des autres. Et ça m’aidera à tourner la page vis-à-vis de ce qui s’est passé avec Jé ».
« Tu crois que tu ne pourrais pas tomber amoureux d’un autre mec ? ».
« Il y a bien un autre gars qui me fait de l’effet, mais il est tout aussi inaccessible que Jé ».
Je crève d’envie de lui en demander plus, mais Thibault enchaîne sans m’en laisser la possibilité.
« De toute façon, je dois oublier tout ça ».
« Mais tu ne pourras pas. Ce serait trop dur pour toi ».
« Je m’y ferai, il faut que je m’y fasse. Je suis trop content de devenir papa ».
Je ne suis pas vraiment convaincu par ses propos. Je sais qu’on ne peut pas s’obliger à aimer. Mais son engouement pour ce petit être en gestation est si sincère, que je n’ai pas le courage d’insister.
« Alors je te souhaite tout le meilleur, Thibault. D’ailleurs, félicitations… papa ».
« Merci Nico ».
« Merci à toi de m’avoir rappelé ».
« J’ai beaucoup hésité à le faire. Je n’avais pas tellement envie de reparler de tout ça. Mais finalement je te remercie d’avoir insisté, ça m’a fait du bien d’en parler. Pour l’instant, j’ai perdu le contact avec Jé. Mais au moins, avec toi, ça va mieux ».
« A moi aussi ça m’a fait du bien ».
« Ça me fait plaisir ».
« J’imagine que Jé n’est pas au courant de la grande nouvelle » j’ai envie de savoir.
« Non ».
« Je peux lui en parler ? ».
« Je préfère lui annoncer par moi-même ».
« C’est noté ».
« Merci ».
« Je veux qu’on reste amis » je ne peux me retenir de lui lancer.
« On le restera. Laisse-moi juste un peu de temps ».
« D’accord. A bientôt Thibault ».
« Bon courage pour ta rentrée ».
« Bon courage à toi pour tout ».
Nous nous faisons la bise. Et alors que je m’apprête à m’éloigner de lui pour repartir, le jeune rugbyman me prend dans ses bras et me serre fort contre lui. Le parfum frais et propre qui émane de son t-shirt m’enivre avec la même puissance magnétique d’un déo.
« Merci Nico d’avoir fait le premier pas ».
« Je te le devais ».

Pour le retour vers la maison, je ne prends pas de bus. Ma discussion avec Thibault m’a donné beaucoup d’émotions. La nouvelle de sa future paternité m’a complètement chamboulé. J’ai besoin de marcher pour évacuer tout ça.
Je suis heureux d’avoir pu lui parler et d’avoir eu l’occasion de lui dire à quel point je regrettais mon comportement. Aussi, ça m’a fait du bien de comprendre ce qui s’était vraiment passé entre Jérém et lui, et pourquoi. De connaître son ressenti, son histoire. Et d’avoir réussi à rétablir un contact.
Thibault a été très amoureux et très malheureux. Et j’ai moi-même contribué à son malheur, avec mon comportement injuste après son aveu.
Certes, sa souffrance est avant tout la conséquence du fait que ses sentiments pour Jérém n’étaient pas partagés. Jérém avait certainement une attirance vis-à-vis de son pote, mais il n’avait jamais eu les mêmes sentiments. Peut-être que l’amitié les avait tués dans l’œuf. Peut-être que s’ils n’avaient pas été potes, s’ils s’étaient rencontrés plus tard, dans un autre contexte, dans un autre monde, ils seraient tombés amoureux l’un de l’autre.
Car le malheur de Thibault est aussi le dégât collatéral d’une société qui n’accepte pas l’amour dans toutes ses expressions.
Dans un monde idéal, où toute forme d’amour serait légitime, acceptée et vécue au grand jour, Thibault aurait osé montrer ses sentiments à Jérém. Et ces sentiments auraient peut-être été réciproques. Ainsi, cette nuit sous la tente l’été de leurs 13 ans aurait pu être le premier épisode d’un amour qui durerait peut-être encore aujourd’hui.
Ou pas. Mais au moins, Thibault en aurait eu le cœur net. Et il n’aurait pas passé des années à désirer, espérer, tenter d’oublier. A s’épuiser.
Quant à moi, je serais de toute façon tombé amoureux de Jérém. Dans ce monde idéal, j’aurais peut-être eu le courage de lui faire comprendre plus tôt mes sentiments. Ou pas. En fait, je crois que même sans le joug du regard culpabilisant de la société, je n’aurais pas osé. Jérém m’impressionnait trop, je le pensais complètement inaccessible pour un mec comme moi. Trop beau, trop sexy, trop populaire.
Du coup, j’aurais peut-être quand même attendu les dernières semaines avant le bac pour lui proposer de réviser. Mais il n’aurait pas accepté. Et quand bien même il aurait accepté, il ne m’aurait jamais proposé de lui faire une gâterie. Et nos « révisions » se seraient limitées à de véritables révisions.
S’il n’avait pas fait le premier pas, je n’aurais pas eu le cran de le faire à sa place.
Et même si j’avais osé lui faire des avances, il m’aurait refroidi net. « Désolé, je ne suis pas célibataire. J’ai un mec » je me serais peut-être entendu dire. Ça aurait été dur à encaisser, mais je m’en serais fait une raison. Comme tout hétéro qui se prend un râteau. La chose la plus naturelle du monde.
Le bac serait passé, j’aurais fini par l’oublier et par tomber amoureux d’un autre garçon.
D’ailleurs, si Jérém avait été en couple avec Thibault, il n’aurait peut-être pas fait le con dans sa classe de seconde, et il ne se serait pas fait jeter de son ancien lycée. Il n’aurait pas redoublé. Nos chemins ne se seraient jamais croisés. Et ma rétine n’aurait pas été brûlée par sa présence dès le premier jour du lycée. Je ne me serais jamais envolé amoureux de lui. Oui, envolé. Car quand on se retrouve amoureux, on n’a pas du tout l’impression de tomber, mais de s’envoler.
Oui, dans un monde parfait, aujourd’hui Jérém et Thibault seraient peut-être ensemble et ils formeraient un beau petit couple de bogoss.
Ou pas. Peut-être qu’à l’heure qu’il est ils ne seraient plus ensemble. Rares sont les amours d’adolescence qui arrivent jusqu’à l’âge adulte. Mais au moins ils auraient connu le bonheur de ce premier amour. Jérém n’aurait pas eu besoin de papillonner à tout va, il n’aurait pas eu besoin de faire son petit macho pour se prouver qu’il n’était pas gay. Et Thibault n’aurait pas connu la privation d’un amour et d’un désir qui l’a rongé pendant toute son adolescence et le début de sa vie de jeune adulte, pendant cette période délicate où l’on se construit.
La fin de cet amour les aurait blessés. Mais la séparation aurait été une séparation normale, ils auraient souffert, puis ils s’en seraient remis, et ils auraient trouvé d’autres gars qui les auraient rendus heureux.
Hélas, avec les « si » et les « peut-être », on mettrait Paris en bouteille, et Toulouse aussi.
Je ne sais pas quand je vais revoir Thibault. Ce que je sais, c’est qu’il va me manquer. Son sourire et sa gentillesse vont me manquer. Son côté rassurant et affable qui met à l’aise, qui fait sentir bien et qui donne envie d’être comme lui, quelqu’un de bien, va me manquer aussi. Et ce regard toujours empreint de respect et de bienveillance vers son prochain, son amitié, sa présence vont me faire défaut par-dessus tout.
Côtoyer un gars comme Thibault est un pur bonheur. C’est une telle caresse pour l’esprit, un cadeau de la vie capable d’éclipser même le désir sensuel que je peux ressentir pour son corps de fou. En sa présence, je ne sens presque plus la piqure d'aiguille dans le ventre qui est chez moi le signal d’une attirance brûlante. Juste un sentiment diffus de bien-être.
J’envie ses co-équipiers qui vont avoir la chance de le côtoyer tous les jours. J’envie cette nana qui va partager sa vie. Partager l’existence d’un mec comme Thibault, jusqu’à l’intimité de la vie de couple, ça doit être un cadeau absolu.
Thibault a l’air heureux de devenir bientôt papa. Et d’une certaine façon, je m’en réjouis pour lui. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de me dire que ce gosse va dévier à jamais la trajectoire de son destin.
A dix-neuf ans, on est au tout début du voyage de la vie, il a à peine commencé, on a des tas d'expériences à faire, pleins de choses à voir, à découvrir, des pays à visiter, des gens à rencontrer. A dix-neuf ans, on a besoin d’apprendre à aimer. A s’aimer soi-même, avant toute autre chose. A dix-neuf ans, on ne peut pas déjà faire une escale qui va durer des années. Et même si cela m’inspire le respect envers ceux qui doivent l’assumer, dix-neuf ans ce n’est pas un âge pour avoir des enfants. Avoir des enfants, c’est une responsabilité, et ça doit être un choix réfléchi. A dix-neuf ans, on doit s’occuper de soi.
Mais ce qui m’inquiète le plus dans cette histoire, c’est sa volonté de se ranger avec une nana dont il n’est visiblement pas amoureux. Justement parce qu’il y a ce gosse en route.
J’ai le sentiment que si Thibault va être un jeune papa heureux, il ne sera pas un compagnon heureux. Et je ne crois pas qu’il va pouvoir s’y faire, comme il le prétend. J’espère au moins que cette nana comprend la chance qui est la sienne et qu’elle va bien se comporter avec lui.
Je repense à cette petite phrase de Thibault, comme quoi il y aurait apparemment un autre gars qui lui ferait de l’effet, mais tout aussi inaccessible que Jérém.
Mais qui est donc ce mec qui lui fait de l’effet ? Un gars de son équipe ? Un gars qu’il vient de rencontrer ? L’un de ses anciens coéquipiers ? Ou, alors, un pote pompier ? Je n’ai pas osé le questionner à ce sujet. Il en a trop dit ou pas assez, et en tout cas, je ne pourrais pas effacer cette phrase de ma tête.
Quoi qu’il en soit, quand je pense à l’avenir de Thibault, j’ai un goût amer dans la bouche, je me sens triste. Je sais que je n’ai le pouvoir de changer quoi que ce soit. Ce qui est sûr, c’est que je vais prendre régulièrement de ses nouvelles. Je veux être présent dans sa vie, je veux lui offrir une oreille attentive et du soutien, comme il l’a fait pour moi au début de notre amitié.

Je m’éloigne du quartier des Minimes en longeant le canal du Midi. Un trajet qui me conduit immanquablement à croiser la rue de la Colombette. Je ne peux m’empêcher alors de m’y engouffrer une dernière fois avant de quitter ma ville, de la parcourir en me remémorant les premiers épisodes de mon histoire avec Jérém.
A chaque pas, je ressens des frissons. Je repense aux nombreuses fois où je l’ai empruntée pour aller voir mon bobrun, brûlant de désir. Je repense aux départs de chez lui, après nos « révisions », je me revois, rongé par la frustration de ne pas arriver à avoir plus que du sexe de sa part. Je repense à toutes ces occasions où j’ai descendu cette rue, le cœur lourd, tétanisé par la peur de ne plus jamais revoir mon Jérém.
Aujourd’hui, assuré de son amour, je suis heureux. Mais pendant plusieurs mois, ce n’était pas du tout le cas. Et en parcourant cette rue, je retrouve cette peur en moi, et elle remonte à ma conscience dans toute sa violence.
Façade après façade, je remonte le temps, je retrouve les sensations de cette époque déjà derrière moi, lointaine. La nostalgie me happe, j’ai envie de pleurer. Une fois de plus, je prends conscience que le temps du lycée est bel et bien fini. Le lycée, ce temps béni où Jérém et moi habitions la même ville, où nous avions à peu près le même emploi du temps et où je pouvais – où j’aurais pu – le rejoindre à pied, le voir et faire l’amour avec lui tous les jours.
Aujourd’hui nous sommes séparés par des centaines de bornes, par les emplois du temps et les exigences de deux vies très différentes. Nous ne pourrons plus nous voir tous les jours. D’ailleurs, je me demande quand est-ce que je le reverrai. Il me manque tellement !
En arrivant à proximité de son ancien immeuble, je lève les yeux vers la terrasse où Jérém fumait ses clopes après l’amour. Un mec est en train de fumer une cigarette, appuyé de dos contre la rambarde. Je ne peux pas voir sa tête, mais je devine l’allure du spécimen. Casquette blanche portée à l’envers, t-shirt du Stade Toulousain, cheveux bruns. Même de dos, ça sent l’adorable petit con sexy. Un autre petit con baiseur. Qui se tape-t-il ? Des nanas ? Des mecs ? Est-ce qu’il est au lycée aussi ? Est-ce qu’il a, lui aussi, fait tomber amoureux de lui un camarade de classe ? Y’a-t-il d’autres « révisions » en vue entre ces murs qui ont vu tant de choses ?
Au revoir p’tit con sexy, profite de chaque instant, et ne sois pas trop dur avec ce mec timide qui te kiffe à mort !

Lorsque j’arrive à la maison, il est 17 heures passées. Il est grand temps pour moi de larguer les amarres.
Je dis au revoir à mes parents. Maman est très émue. Alors que papa affiche un air plutôt détaché.
« Tu n’as rien oublié ? ».
« Non, maman ».
« T’es sûr ? ».
« Je crois, mais de toute façon je vais vite revenir ».
« Tu fais attention sur la route ».
« Oui maman ».
« Appelle quand tu arrives ».
« Oui maman ».
« Donne des nouvelles ».
« Oui maman ».
Je réalise que je ne suis pas doué pour les « adieux ». En fait, c’et la première fois que j’en vis un. L’émotion de maman me touche, et pourtant je n’ai pas le courage de montrer mon émotion. Est-ce pour ne pas l’attrister encore davantage ? Ou bien pour ne pas craquer ? Ou bien à cause de la présence de mon père ?
Je démarre ma petite voiture, je quitte le garage de ma maison d’enfance, je me retrouve dans circulation. Au premier feu rouge, je me dis qu’à l’heure qu’il est, maman doit être en train de pleurer. Je le sens dans mes tripes. J’ai aussi envie de pleurer. Je sens mon cœur comme écrasé par une chape de plomb. Au rondpoint suivant j’ai envie de faire demi-tour. J’hésite, je ralentis. Un coup de klaxon me rappelle à la réalité. Si je fais demi-tour, je ne vais pas pouvoir repartir. Je vais rater ma rentrée à la fac.
Je me force à continuer sur ma route, celle que j’ai décidé d’emprunter pour aller vers mon avenir. Mais qu’est-ce que c’est dur de quitter le nid pour la première fois !
J’avance, la vue embuée par les larmes. De rues en boulevards, je traverse le paysage familier de ma ville. Un paysage que je quitte en rentrant sur la rocade, cet espace plus tout à fait familier mais pas encore complètement étranger, cette sorte de « no man’s land » entre « chez moi » et « ailleurs ».
La rocade, comme une piste de décollage où les panneaux parlent de contrées lointaines. « Paris », « Auch », « Tarbes », « St Sebastian ». Et « Bordeaux ».
Me voilà en train de quitter la rocade, direction l’inconnu bordelais. Bientôt, un alignement de guichets de péage se dresse devant moi. Ca y est, je quitte ma ville pour de bon.
Je prends le ticket et la barrière s’ouvre. Ca y est, c’est parti. Ma nouvelle vie m’ouvre définitivement les bras. C’est une sorte de point de non-retour. J’hésite encore avant d’embrayer la vitesse. Je me fais klaxonner à nouveau. Je passe le premier rapport, puis le deuxième, jusqu’au cinquième.
La voiture prend de la vitesse. Et mon cœur semble enfin se délester du poids qui l’avait oppressé jusque-là. Le cordon qui me relie à mon nid d’enfance et qui n’a fait que s’étirer douloureusement depuis que j’ai quitté le quartier St Michel, semble soudainement craquer. Le claquement est sec, mais libératoire. Mes larmes se sèchent. Mes poumons s’ouvrent et se remplissent d’un air nouveau.
Au revoir Toulouse, à nous deux Bordeaux !
J’essaie d’avoir des pensées positives, d’imaginer ma nouvelle vie, mon indépendance, mes études passionnantes.
Et pourtant, je suis assailli par les doutes. Est-ce que je vais réussir mes études ? Est-ce que je vais savoir tenir un appart, un budget, un ménage ? Est-ce que je vais arriver à me faire des amis ? Ca n’a jamais vraiment été le cas au lycée.
Est-ce que les moqueries et les quolibets vont me suivre à la fac ? Est-ce que je vais pouvoir m’intégrer dans la vie universitaire ? Est-ce que je vais pouvoir tenir bon, sans la présence rassurante de mes parents au quotidien, sans la proximité de ma cousine ? Est-ce que je vais tenir bon, alors que mon bobrun est à 600 bornes ? Est-ce que notre amour survivra à l’éloignement ?
Je suis excité par cette nouvelle aventure de la fac qui s’ouvre devant moi et pourtant je ressens de la tristesse à cause de ce que je laisse derrière moi, une maman inquiète, un pote Thibault pas vraiment heureux. Mon pote Julien.
Le petit moment d’euphorie que j’ai connu en quittant la Rocade ne fait pas long feu. Assez vite, au fil des bornes parcourues dans l’indifférence et la monotonie de cette autoroute sans fin, c’est la tristesse et l’angoisse qui prennent le dessus dans mon esprit.
Heureusement, peu après Castelsarrasin, l’autoroute enjambe la Garonne. Soudain, je réalise que ma ville de mes racines et la ville de mes études sont reliées par cette rivière. C’est idiot, mais cette pensée me rassure.
A une aire d’autoroute, je fais une pause pipi en terre inconnue. J’en profite pour jeter un œil à mon portable. Il y a un sms :« Bon courage à Bordeaux, champion ».
Julien est toujours aussi adorable. Son message m’aide à reprendre mon chemin avec l’esprit un peu plus apaisé.
Une heure et demie plus tard, j’arrive à Bègles. Bordeaux n’est plus qu’à une poignée de minutes. Mon appart n’est plus qu’à quelques minutes. Ma nouvelle vie aussi. A partir de Bègles, la route longe la Garonne. Sa présence me rassure à nouveau. Ici la Garonne est immense, bien plus large et imposante qu’à Toulouse. Elle me paraît d’autant plus imposante qu’elle ne coule pas plusieurs mètres en contrebas de la ville, comme chez moi, mais presque au niveau de la route. De plus, elle affiche une drôle de couleur marron que je ne lui ai jamais connue à Toulouse. Je me demande d’où vient cette couleur peu ragoûtante, et si elle est causée par la pollution.
Au premier contact avec Bordeaux, je trouve ses rues, ses bâtisses, ses teintes plus austères que celles de ma Toulouse natale, plus douce, plus colorée, plus « souriante ». Un environnement étranger nous paraît souvent hostile au premier abord.
A une époque où le GPS n’est pas encore dans chaque voiture, j’ai un peu de mal à trouver le quartier et la rue St Genès. Je suis obligé de m’arrêter, de demander, de me tromper, d’hésiter, de me faire klaxonner à nouveau. Mais lorsque je trouve enfin, je suis assez fier de moi.
La rue Saint Genès est une rue tranquille, avec des immeubles à un ou deux étages, plus éventuellement un mansardé. Les façades sont homogènes, en pierre assez claire, avec des balcons en fer forgé.
Très vite, je me fais la réflexion, accompagné d’un doux frisson, que cette rue à sens unique me rappelle à beaucoup d’égards une rue qui a beaucoup compté pour moi : la rue de la Colombette à Toulouse.
Je roule doucement, je cherche le numéro de rue indiqué sur l’annonce. Je le trouve. Il correspond à un grand portail en bois peint en vert. Mais il n’y a pas de place à proximité. On me klaxonne à nouveau. Putain, mais le Bordelais a l’avertisseur sonore facile ou quoi ?! Ou alors c’est parce que je suis immatriculé 31, c’est du bizutage.
Je suis obligé de m’éloigner, de prendre une rue transversale pour trouver à me garer. En sortant de ma voiture, je prends un grand bol de cet air nouveau pour moi. Il fait plus frais qu’à Toulouse. Je me sens étranger en terre inconnue.
J’appelle maman pour lui dire que je suis bien arrivé. Puis, je prends l’une de mes valises et je me rends à ma future adresse. Me voilà pile devant le grand portail en bois impeccablement peint en vert foncé mais brillant. On dirait que ça a été fait la veille. Sur le tableau des sonnettes, je repère le nom du propriétaire, Mr Guillon.
Je sonne. Ma nouvelle vie commence ici et maintenant.

 

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