0330 Jérém a 25 ans.
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 28-10-2023 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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0330 Jérém a 25 ans.
Samedi 14 octobre 2006.
Hier, le vent d’Autan s’est levé sur Toulouse. Il a soufflé toute la nuit, il m’a même réveillé à deux reprises. Et ça continue aujourd’hui. Sur les allées, les branches des platanes se balancent au gré des caprices de la force éolienne. Les feuilles tombent par vagues, la chaussée et les trottoirs en sont couverts.
Ce matin, sur mon chemin vers la gare Matabiau, je remonte les souvenirs. Car c’est le même trajet que j’ai emprunté il y a un peu plus de cinq ans, le même trajet que j’ai emprunté tant de fois pour aller retrouver Jérém. Et je repense tout particulièrement à la première fois que j’ai fait ce trajet, pour aller retrouver Jérém pour notre première révision.
C'était le printemps, c’était la première année du nouveau millénaire. Mais c’était surtout et avant tout l’année de mes 18 ans.
Ce jour-là, le vent d’Autan soufflait très fort dans les rues de la ville Rose. Puissant, insistant, il caressait ma peau, chatouillait mes oreilles, me parlait du printemps, un printemps qui se manifestait partout, dans les arbres des allées au feuillage triomphant, dans les massifs fleuris du Grand Rond, dans les t-shirts qui mettaient en valeur la plastique des garçons.
J’ai le net souvenir de la sensation de ce vent dans le dos, accompagnant mes pas, encourageant ma démarche, comme pour faire taire mon hésitation.
Je me souviens de mon cœur qui battait la chamade en arrivant au Grand Rond, je me souviens de mes mains moites. Je me souviens d’avoir eu envie de faire demi-tour. J’avais trop peur du malaise de me retrouver seul avec un petit Dieu comme Jérém. Je m’apprêtais à revenir sur mes pas, cédant à la peur, prisonnier de mes craintes, fuyant la vie. Je m’apprêtais à faire demi-tour, lorsqu’une rafale de vent plus puissante et déterminée que les précédentes avait semblé me bousculer, me « mettre un coup de pied au cul», m’obligeant à avancer.
Quand j’y repense, j’ai presque l’impression que le vent d’Autan semblait ce jour-là souffler dans mon dos comme pour me pousser à la rencontre de mon destin.
Ce jour-là, le vent d’Autan me poussait à aller au bout de mon trajet, à franchir la distance entre la maison de mes parents, dans le quartier Saint-Michel, et l’appart de Jérém, rue de la Colombette. Il me poussait à marcher tout droit vers la première révision de maths avec mon camarade, vers la première révision de ma vie sentimentale, et de ma vie d’adulte.
C’était le début de cette histoire, de mon histoire.
Ce samedi, le vent d’Autan souffle toujours. Et j’ai l’impression qu’il me pousse à nouveau vers mon destin.
Le week-end de l’anniversaire de Jérém, le Stade Français retrouve Biarritz à Paris. Evidemment, je monte à la capitale pour assister au match. Là aussi le vent souffle à bloc. Ce n’est pas le vent d’Autan, mais ça décoiffe tout autant.
Jérém poursuit sur sa lancée, il semble inarrêtable. Les Parisiens s’imposent sur les Biarrots et remportent le match sur un score de 22 points à 16. La troisième mi-temps s’étire dans la nuit. A l’appart, je crève d’envie de faire l’amour avec Jérém. Mais je finis par m’endormir.
Il est deux heures du mat’ lorsque je suis réveillé par le bruit de la porte d’entrée. Jérém est enfin là, beau comme un Dieu. Il se penche sur moi, il m’embrasse. Au lit, nous nous endormons l’un dans les bras de l’autre.
Le dimanche, en revanche, nous ne quittons le lit que pour de très rares moments. Nous passons le plus clair de la journée à faire l’amour.
Lundi 16 octobre 2006.
Aujourd’hui, Jérém a 25 ans. Pour fêter son anniversaire, je le réveille avec une bonne pipe. Sous la couette, pendant que je le suce, j'adore glisser ma main entre sa peau douce et le coton doux de son t-shirt blanc, sentir la chaleur de son corps, et les délicieuses petites odeurs qui se dégagent de sa peau. La vibration de son orgasme est un instant de bonheur absolu. Ses giclées sont puissantes, chaudes, denses.
Pour fêter son anniversaire, Ulysse nous a invités chez lui le soir même. Le beau blond a une nouvelle passion, la cuisine. A bientôt 32 ans, il commence à penser à l’après de sa carrière sportive. Et il l’envisage en tant que chef cuisinier dans un établissement de standing qu’il projette de créer dans la capitale. D’ailleurs, son projet est déjà bien avancé, il en est d’ailleurs au stade de la recherche du site pour ouvrir son activité.
Rien ne m’appelle à Toulouse, mon taf ne commence que dans deux semaines. J’ai donc prévu de rester quelques jours de plus avec mon Jérém. Pendant que mon beau brun est aux entraînements, et en attendant son retour pour nous rendre à la soirée chez Ulysse, j’appelle Maman. Elle m’apprend que le vent d’Autan ne s’est pas calmé du week-end, et qu’il souffle toujours aussi fort.
A Paris aussi le vent souffle toujours. Je sors en début d’après-midi pour aller chercher le cadeau pour Jérém, un t-shirt et un boxer de sa marque préférée.
De retour de ses entraînements, Jérém m’embrasse fougueusement. Puis, sans un mot, il me plaque contre le mur, face au mur, il défait sa braguette, la mienne, il me pénètre, il me pilonne. Le baiser mis à part, j’ai l’impression de revivre le jour du bac philo, ce jour où il m’avait intimé de le suivre chez lui, après que je l’avais bien chauffé pendant l’épreuve. Je sens son corps contre le mien, je sens son corps dominer le mien, je sens ses mains saisir mes hanches, mes bras, je sens son souffle excité dans mon cou. Et au bout d’une poignée de minutes, j’entends le râle de plaisir contenu de justesse pendant que le beau brun me gicle dans le cul.
— Bon anniversaire, chéri ! je lui glisse, alors que je suis encore sonné par sa fougue.
Une minute plus tard, nous prenons la douche ensemble. Qu’est-ce que j’aime prendre ma douche avec Jérém, le regarder se savonner, voir l’eau ruisseler sur sa peau mate, nous embrasser longuement. Mais aussi le regarder s’essuyer, s’habiller, s’apprêter. A la fin de ce processus magique, mon beau brun est prêt à partir pour notre soirée chez Ulysse.
Blouson en daim sur t-shirt blanc col rond, chaînette posée négligemment sur le coton immaculé, jeans super bien coupé, baskets blanches. Le brushing bien fixé au gel, la barbe de quelques jours, aux contours bien nets, une note de parfum aux effluves capiteux qui flotte avec insistance autour de lui. Ce soir, Jérém est sur son trente et un. Ce soir, Jérém est beau comme un Dieu et il sent divinement bon. Ce soir, son sourire est à se damner. Ce soir, son regard amoureux est à pleurer.
Lorsque nous quittons l’immeuble, le vent souffle toujours. Il en est de même lorsque nous arrivons à la résidence d’Ulysse.
A l’appart, nous retrouvons le beau blond barbu dans la cuisine, derrière les fourneaux. Avec son tablier rouge posé sur t-shirt noir aux manchettes bien collées à ses biceps de fou, avec sa belle petite gueule au regard d’ange viril, il est sexy à mort.
Le demi de mêlée s’est donné la peine de préparer un super repas pour l’anniversaire de son co-équipier. De la préparation des mets, tous les uns plus raffinés que les autres, jusqu’au dressage de la table et des assiettes, tout est beau, tout est bon, tout est soigné. Ce repas est digne d’un grand restaurant.
Pendant le dîner, le futur chef nous parle de la formation de cuisine qu’il est en train de suivre en parallèle de sa carrière sportive. Il est passionné et passionnant.
Au dessert, c’est tiramisu. Ulysse nous explique que le secret du tiramisu, c’est le mascarpone.
— Ma grand-mère disait que le mascarpone, quand on le fait soi-même, a un goût tout particulier.
Ulysse est touchant. Jérém est Jérém, et il m’émeut. Les deux rugbymen accaparent tout mon champ de vision. T-shirt blanc ajusté sur torse de malade sur mec très brun à la peau mate et t-shirt noir tout aussi ajusté sur torse de fou mec très blond à la peau claire, qu’est-ce que c’est beau !
Les deux coéquipiers sont vraiment sexy à se damner. Et encore plus après quelques verres de vin qui rendent leurs regards sensuels et pétillants. Ça me donne le tournis. A moins que ce ne soient les verres que j’ai bus qui me donnent le tournis. Ou les deux.
Nous passons une très bonne soirée. La conversation finit par glisser vers le rugby. Il s’en suit une discussion animée entre les deux joueurs, un échange dans lequel une différence de point de vue sur certains aspects du jeu du dernier match semble crisper les esprits embrumés par l’alcool. Le beau blond finit par désamorcer les tensions en lançant une blague hilarante.
Après le dîner, nous nous posons sur le canapé du séjour, avec d’autres verres et d’autres boissons. Ulysse lance un DVD de match du Stade, justement l’objet du différend. Il passe en revue les actions de Jérém et fait des remarques sur son jeu. Ce sont des remarques constructives, bienveillantes. Images à l’appui, la discussion entre l’ailier et le demi de mêlée reprend de plus belle, mais sur un ton plus apaisé, plus complice.
Il est minuit passé lorsque le débrief prend fin, lorsque les points de vue de deux garçons semblent enfin reconciliés.
— Merci Uly, finit par glisser Jérém.
— Merci de quoi ?
— Pour cette soirée, et pour tout ce que tu m’apprends au rugby.
— Je ne t’apprends rien, j’essaie juste de te faire partager mon expérience.
— J’apprécie énormément, même si parfois je suis un peu buté. Alors, merci de me supporter !
— De rien, de rien, fait le beau blond, l’air gêné par les mots de Jérém.
Quelques minutes plus tard, dans l’ascenseur de l’immeuble, Jérém me sourit, l’air fripon, l’étincelle bien coquine dans le regard.
— Tu sais quoi ? J’ai envie de toi ! il me lance, à brûle pourpoint.
— Moi aussi j’ai très envie de toi.
— Oui, très envie…
— Tu vas me baiser à l’appart, oui !
— Je ne crois pas que je vais pouvoir attendre d’arriver à l’appart, il me glisse, tout en attrapant ma main et en la posant sur sa braguette à nouveau frémissante et bouillante.
— Et toi non plus, tu ne vas pas pouvoir attendre, il enchaîne, en posant sa main sur ma braguette, tout aussi frémissante que la sienne.
— C’est Ulysse qui t’a mis dans cet état ? je le questionne.
— Et toi ?
Le regard que nous nous échangeons est chargé d’un érotisme brûlant. Son sourire brun serait capable de faire fondre le soleil lui-même.
L’ascenseur termine sa course au rez-de-chaussée. Les portes s’ouvrent. Ça se passe très vite.
— Viens ! m’intime Jérém, en m’attrapant par l’avant-bras, en déviant ma trajectoire naturelle vers la grande porte d’entrée, en la détournant vers une petite porte située juste à côté de l’ascenseur sur laquelle une plaque stipule « Accès parking ».
Jérém connaît bien l’immeuble, car il y a passé quelques mois, en colocation avec Ulysse, après le non renouvellement de son contrat avec le Racing.
Dans le passage éclairé par une lumière terne, Jérém m’embrasse avec une fougue terrible. Je le sens chaud comme la braise. Pendant que sa langue galoche la mienne, et que son souffle excité me rend dingue, je l’entends se débraguetter en vitesse.
Oui, son excitation me rend dingue, mais pas au point de faire taire toutes mes peurs. Soudain, je repense à une fois dans l’entrée de l’immeuble de la rue de la Colombette, une nuit où j’avais commencé à le sucer et où nous avions failli nous faire surprendre par une voisine rentrée au mauvais moment. Je me souviens que Jérém avait été tellement échaudé qu’une fois à l’appart il avait eu une panne, panne qui l’avait bien mis en pétard, d’ailleurs.
— T’es sûr, Jérém ?
— Certain !
— On ne risque pas de se faire gauler ?
— C’est ça qui est bon !
— T’as pas peur qu’on te…
— Ferme-là, et baise-moi ! il me lance, sans détours, en défaisant ma braguette avec des gestes frénétiques.
Un instant plus tard, je me laisse glisser en lui. Dans ce couloir mal éclairé, Jérém se donne à moi. Je suis un peu mal à l’aise, mais il faut bien admettre que la situation est très excitante. Je sens mon orgasme arriver à grand pas, et je tente de le retenir en ralentissant mes coups de reins. Mais Jérém ne l’entend pas de la même façon.
— C'est bon, putain, défonce-moi ! Remplis-moi le cul, vas-y, beau mec !
Ses mots crus, son attitude débridée, son cul offert sans pudeur, son envie de se faire posséder entièrement assumée, son plaisir de passif tout aussi assumé. Et aussi, la vision de ses cheveux bruns, de son tatouage qui remonte le long de son cou, de sa chaînette posée sur le col de son t-shirt immaculé qui dépasse de son blouson, le parfum qui se dégage de lui. Tout cela me met dans un état second. Il y a de quoi précipiter mon orgasme. Et je ne tarde pas à gicler abondamment dans son beau et bon cul de rugbyman.
Je viens tout juste de jouir, lorsque le beau brun se déboîte de moi. Un instant plus tard, il me plaque contre le mur en béton, il se plaque contre moi. Je sens la fraîcheur sur mes fesses désormais dénudées. Puis, sa salive tiède sur mon trou. Puis, sa queue bien chaude entre mes fesses, son manche bien raide en train de me pilonner. Jérém me baise avec une précipitation certaine, ainsi qu’avec une certaine sauvagerie bien excitante.
Son excitation est telle qu’il gicle en moi à son tour au bout de quelques coups de reins à peine.
Jérém se déboîte à nouveau très vite de moi, il remonte son boxer, reboutonne sa braguette, agrafe sa ceinture. J’en fais de même. Je suis ivre de plaisir. J’ai le visage en feu, le cul en feu, le ventre en feu. J’ai l’impression d’être une torche qui vient de brûler. Avant de quitter les lieux, Jérém m'embrasse une dernière fois. C’est le baiser d’un amant qui vient de jouir comme un malade. C’est le baiser d’un gars à l’haleine bien alcoolisée mais au regard amoureux.
Il est environ une heure du matin lorsque nous quittons l’immeuble d’Ulysse. Le vent souffle toujours, et il me fait penser au vent d’Autan qui doit toujours souffler sur Toulouse à cet instant.
Dans le boulevard, nous cherchons un taxi. Il n'y en a pas. La nuit est agréable, il ne fait pas froid. Jérém n’aime pas le métro, alors nous décidons de marcher.
Je regarde Jérém, je décèle dans son allure l’ivresse du vin que nous avons bu pendant la soirée, des mille émotions que nous avons connues, et de l'amour que nous venons de faire. Et la douce fatigue qui s’empare du corps après le plaisir. Je les reconnais car ce sont les mêmes qui ralentissent mon corps et mon esprit. Notre complicité n’a jamais été aussi belle, notre bonheur aussi intense, notre amour aussi magique.
Dans la rue que notre manque de vigilance nous fait apparaître déserte, Jérém me plaque contre un mur et m’embrasse.
Après ce baiser d’amant amoureux, nous nous remettons à marcher. Nous n’avons fait que quelques dizaines de pas, lorsque j’entends quelqu’un venir dans notre dos avec un pas rapide. Je me retourne et je capte un type qui approche. Soudain, un frisson parcourt ma colonne vertébrale. Et s’il nous avait vus ? Et s’il avait reconnu Jérém ?
Alerté par mon geste, Jérém se retourne à son tour. Le type accélère encore le pas, visiblement dans l’intention de nous rejoindre. Il porte un pull à capuche, cette dernière remontée sur sa tête.
— Eh, les gars, il nous lance, vous avez une cigarette ?
Dans la pénombre du boulevard, le type me semble avoir une trentaine d’années. Instinctivement, quelque chose en lui me fait peur.
— J’ai arrêté de fumer, fait Jérém, lui aussi sur le qui-vive.
— Je ne fume pas, je lance à mon tour.
— Eh, dites, les gars, enchaîne le type sans transition, vous trouvez pas que ça sent mauvais par ici ?
— Quoi ? fait Jérém, décontenancé.
— Voyons… si, si, si, c’est bien ça, fait le type en faisant semblant de humer l’air… ça pue la tarlouze !
C’est à cet instant que la peur me glace. Une rafale de vent particulièrement violente semble annoncer la catastrophe qui arrive.
— Qu'est-ce que tu as dit, espèce de connard ?
— T’as bien entendu, espèce de fiotte. Je vous ai vus, les pédés, je vous ai vus vous embrasser ! Vous me dégoûtez !
— Tu veux que je te pète la gueule, espèce de grosse merde ? ! s’échauffe Jérém.
— Allez, Jérém, laisse tomber, on s’en va, on s’en va ! j’essaie de calmer le jeu, en retenant mon beau brun par l’avant-bras de toutes mes forces.
— Je ne crois pas, non, fait le type, avec un sourire effrayant.
Sans que nous les ayons vu arriver, distraits par l’altercation avec ce premier connard, quatre autres gars surgissent derrière nous, nous saisissent et nous entravent.
Je suis tétanisé de peur et je suis incapable d’opposer la moindre résistance. Mais Jérém se débat, leur crie de nous lâcher. Jusqu’à ce que le premier connard lui assène un coup sur la figure, d’une violence extrême.
— Ferme ta gueule, tarlouze !
Je ressens le bruit sourd du poing qui percute le nez de mon beau brun, jusqu’à dans mes tripes.
Soudain, un souvenir remonte à ma conscience. Celui d’une nuit en boîte de nuit à Toulouse où son t-shirt était éclaboussé de sang, mais pas le sien, celui d'un connard qui voulait s’en prendre à moi à cause d’un regard un peu insistant. Cette nuit-là, Jérém était arrivé au bon moment, et il avait mis une bonne raclée à ce connard.
Mais cette nuit, les forces du mal sont en nombre, et la bravoure de Jérém ne suffit pas. D’ailleurs, il a l’air bien sonné par ce premier coup de poing. Son t-shirt blanc est désormais parsemé de traînées écarlates, et c’est son sang qui continue à couler de son nez.
Nous sommes tous deux maîtrisés chacun par deux gars solides. Mais Jérém se débat comme un lion en cage et arrive à se dégager et même à rendre le poing dans la gueule au premier connard. Ce dernier, pris par surprise, est balayé par la violence du coup et fait un vol plané sur le goudron. Lorsqu’il se relève, il a le nez tout aussi en sang que Jérém.
Mais les deux autres ordures se jettent sur mon beau brun et arrivent à le maîtriser à nouveau.
— Espèce de sale pédé ! crie rageusement le premier connard en se tenant le nez en sang. Tu vas me le payer !
Puis, il se relève, s’approche de Jérém et commence à le frapper violemment.
Je voudrais trouver les mots pour me défendre, pour nous défendre, pour leur faire comprendre à quel point cette agression est injustifiée. Je voudrais trouver la force de leur dire que ce qui se passe entre Jérém et moi ne regarde personne d’autres que nous. Que le baiser auquel ils ont assisté, est un véritable baiser d’amour. Je voudrais leur parler de notre Amour. Je voudrais que notre amour arrive à les émouvoir.
Mais je sais instinctivement qu’aucun débat n’est possible avec ce genre d’énergumène. Que rien ne va les émouvoir. Alors, la peur, l’urgence, l’esprit de survie appellent des réactions épidermiques, suggèrent des mots que ce genre de cerveau malade est à mesure de recevoir. Et je crie de toutes mes forces :
— Lâche-le, espèce de fils de pute !
Je m’en fous de ce qui va arriver. Tout ce qui compte, c’est qu’il arrête de frapper Jérém.
Mes mots font leur effet. Le type, saisi par mes insultes, arrête de cogner Jérém.
— Qu’est-ce que t’as dit, espèce de sale tarlouze ? il me lance, dans un sifflement de serpent venimeux.
— Lâche-le, il ne t’a rien fait, je pleure. La peur me submerge. Mes nerfs lâchent.
— Elle fait la maline, la tafiole… et puis elle chiale de peur !
— Laisse-nous partir, espèce de connard !
— Nico arrête ! j’entends Jérém me crier.
— Si je comprends bien, lui c’est le mec et toi c'est la femme… dit-il en me regardant. Et tu es une pute prête à se sacrifier pour son homme… Toi, t’as bien l’air d’une chienne qui aime se la prendre bien profonde dans le cul… tu me dégoûtes encore plus que lui !
Le type me crache à la figure et me cogne en plein dans le nez. Une douleur atroce, insoutenable se diffuse sur mon visage. L’odeur et le goût de mon sang envahissent instantanément ma bouche.
— Laisse-le, espèce de merde ! j’entends Jérém crier.
— Attends un peu, je vais m’occuper un peu de ta copine, après il y en aura encore pour toi ! Tu ne perds rien pour attendre !
— Je vais enculer ta mère… et je vais enculer ton père ! j’entends alors Jérém hurler. Je suis sûr que ton père couine sa race quand il se prend une bonne queue dans le cul !
Je suis en état de choc, mais j’ai encore assez d’esprit pour comprendre ce que Jérém est en train de faire. Il essaie de détourner le sale type de moi. En provoquant le connard sur ce terrain particulièrement sensible, il prend tous les risques. J’ai peur, très peur.
— Non, Jérém, non ! je pleure.
— Toi, je vais te tuer !
Le sale connard se jette sur Jérém et recommence à le cogner avec une rage décuplée. Je crois qu’il va le tuer.
— Arrête, putain, on avait dit qu'on leur donnait juste une petite correction ! j’entends cracher l’un des types qui m’entravent. Arrête, tu vas le tuer !
Mais le premier connard continue de s'acharner sur Jérém, aveuglé par sa colère.
Soudain, je sens la prise sur mon bras gauche se dissiper. Le type qui vient de protester se jette sur le premier connard et essaie de le maîtriser.
— Lâche-moi, espèce de merde ! crie le sale type.
Un instant plus tard, j’entends d’autres cris. Quelqu’un arrive. Les cinq connards battent en retraite, ma deuxième entrave se dissipe, je m’effondre sur le goudron. Jérém, s’effondre lui aussi, complètement sonné.
Une petite foule accourt à notre secours. Certains s’arrêtent pour nous aider, d’autres coursent nos agresseurs. J’entends la voix d’Ulysse. J’entends la voix d’un autre gars qui dit :
— Je suis infirmier, je m’occupe d’eux, j’appelle les secours. Allez-y, chopez-les ! Ne les ratez pas !
Le jeune infirmier s’occupe très bien de nous. Le SAMU arrive assez rapidement. Du moins, c’est ce qu’on m’a dit. Car, lorsque le gars qu’on aime est à terre, en sang, après avoir été sauvagement agressé, chaque instant en attente des secours ressemble à une éternité.
Je ne sais pas comment j’ai tenu jusqu’ici. Mais là, tout mon corps lâche d’un coup. La douleur au visage me submerge. Mon esprit lâche lui aussi, terrassé par le choc, par la violence, par la peur de la mort qu’il vient de découvrir pendant l’agression. Et par la peur de connaître la gravité des blessures de Jérém. A vouloir me préserver, il a vraiment chargé, le pauvre.
Soudain, une image remonte à ma conscience. C’est une image d’il y a près de dix ans, l’image d’un petit con de 16 ans, un petit con à casquette à l’envers et au t-shirt noir, un petit con dans la cour du lycée, un petit con dont je suis instantanément tombé amoureux. Pas un seul instant ce jour-là j’aurais imaginé que cet adorable petit con sexy un jour me sauverait de cette façon si héroïque.
Un instant avant de perdre connaissance, je repense aux mots qu’Albert m’a dit un jour : « Être un homme, ce n’est pas avoir une femme, des gosses, un travail de mec et gagner de l’argent à la toque. Être un homme, c’est s’occuper des siens, avant toute chose ».
Je crois que cette nuit les évènements ont fait que nous avons été des Hommes.
Et puis, c’est le rideau noir.
Mardi 17 octobre 2006, 17h45, 16 heures après le désastre.
La première sensation qui vient à moi, c’est l’odeur des produits de nettoyage de l’hôpital. Puis, la douleur, à la tête, au visage. La bouche pâteuse. Les membres engourdis. Je suis dans le coltard.
Puis, des flash-backs comme des décharges électriques. Les souvenirs de l’agression me foudroient. Je revois Jérém en train de se faire tabasser, son t-shirt blanc désormais presque totalement rouge de son sang.
Jérém ! Où est-il ? Dans quel état est-il ? Il faut que je sache, là, sur le champ.
Je n’ai pas encore ouvert les yeux, mais j’entends des bruits, des voix, des échanges autour de moi.
Peu à peu, les voix deviennent familières, je reconnais celle de Maman, puis celle de Papa.
Et les images viennent en dernier. J’ouvre les paupières peu à peu, car la lumière est aveuglante, elle agresse mes rétines habituées au noir.
— Tu es réveillé, mon lapin ? s’exclame Maman, pleurant bruyamment sa joie de me voir revenir parmi les vivants.
J’essaie de parler, mais ma langue et ma mâchoire n’obéissent pas. Et pourtant, il le faut. Je dois arriver à parler, je dois demander des nouvelles de Jérém, je ne peux pas rester dans cette ignorance, dans cette angoisse qui ravage mon ventre. C’est au prix d’un effort considérable, presque surhumain, que j’arrive à articuler péniblement :
— Papa… Maman…
— Ça va mon lapin, tu as mal ?
— Je vais appeler une infirmière, j’entends Papa lancer.
— Ça va… je suis là, Maman…
— Tu nous as fait tellement peur !
— Maman…
— Oui, Nicolas…
— Jérém… est-ce qu’il est… vivant ?
— Oui, il est vivant, mais il est blessé.
— Il va tenir bon, hein ?
— Les médecins font tout ce qu’ils peuvent.
— Je veux le voir ! je lance, tout en essayant de me lever, alors que j’ai du mal à garder les paupières ouvertes et à articuler chaque mot, alors que ma tête tourne comme une toupie, alors qu’un marteau semble taper à l’intérieur sans relâche, alors que j’ai l’impression qu’elle va exploser.
— Non, Nicolas, ce n’est pas possible. Tu dois te reposer. De toute façon, ils ne laissent aller que la famille lui rendre visite.
— Je veux parler à son médecin !
— Je vais voir ce que je peux faire, mais c’est compliqué d’attraper les médecins ici, et puis ils ne parlent qu’à la famille.
— Son père et son frère sont là ?
— Oui.
— Va leur dire de venir me voir ! S’il te plaît, s’il te plaît !
— D’accord, d’accord Nicolas, mais reste calme, je t’en supplie.
Papa revient avec l’infirmière et un jeune et charmant médecin. Ce dernier me pose des questions, essaie d’évaluer mon degré de douleur pour doser les calmants. Il m’informe que mon nez n’est pas cassé, mais qu’il faut que je fasse attention.
— Je veux des nouvelles de Jérém ! je crie avec la faiblesse de mon souffle.
— Restez calme, Mr Sabathé, me glisse le jeune interne.
— Alain, tu peux aller voir le père de Jérémie et lui dire de passer voir Nicolas ? lance Maman à Papa.
— J’y vais ! s’empresse de répondre ce dernier, en quittant la chambre au pas de course.
Les deux soignants quittent la chambre à leur tour et je reste en tête à tête avec Maman.
— Qu’est-ce qu’ils t’ont fait mon lapin, elle pleure, laissant enfin s’exprimer toute sa peur, son angoisse retenue depuis des longues heures.
— Ça va, Maman, ça va, je tente de la rassurer d’une voix faible.
— Qu’est ce qui s’est passé ?
L’image du gars qui nous aborde, qui demande une cigarette, qui nous insulte, les quatre autres énergumènes qui débarquent et nous empoignent et nous traînent de force dans la petite rue, la peur, la douleur, les coups, l’odeur du sang. Et Jérém en train de se faire tabasser déchire mon esprit. Je n'ai rien pu faire pour l’aider. Je l'ai regardé se faire tabasser, c’était horrible, j’ai cru qu’ils allaient le tuer.
Il n’y a pas de mots pour décrire la peur que vous ressentez en voyant le gars de votre vie en train de se faire cogner, et ce pour la simple et bonne raison qu’il vous aime, que vous vous aimez. L’incompréhension qui vous envahit, et le sentiment d'impuissance aussi.
Les larmes montent à mes yeux, coulent sur mes joues. Si seulement on avait fait davantage gaffe…
— Ça va pas, mon lapin ?
Sur ce, Papa revient accompagné de M. Tommasi et de Maxime. Le petit brun vient m’embrasser, son papa me serre affectueusement la main. Les salutations se mélangent aux présentations. Ce n’est pas exactement de cette façon, dans une pareille occasion, que j’avais imaginé la rencontre de nos familles respectives. Mais l’urgence est ailleurs.
— Dites-moi comment va Jérém ! je m’impatiente au prix d’une recrudescence des coups de marteau piqueur dans la tête.
— Il a un paquet de côtes cassées, une épaule démise, et le nez cassé, m’explique M. Tommasi.
— Mais ça va aller, hein ?
— Bien sûr que ça va aller.
— Mon grand frère est un champion, un battant !
— Qu’est-ce qui s’est passé, Nico ? me lance M. Tommasi.
— On sortait de chez Ulysse après une soirée, et ces types nous sont tombés dessus.
— Parce que vous étiez ensemble ?
— On avait un peu bu, on rigolait et…
— Et ?
— Et… et… on… s’est… embrassés… je finis par admettre, dans les larmes.
— En pleine rue ? s’étonne M. Tommasi.
— On aurait dû faire davantage gaffe…
— Eh oh, c’est quoi ces raisonnements à la con ? me coupe Maxime. Alors, une fille qui porte une mini-jupe est un appel au viol et deux gars qui s’embrassent, c’est un appel au passage à tabac ? Mais on va où comme ça ? C’est plutôt ces sales types qui ont de la merde dans la tête ! Ils ont été bercés près du mur. Ou pas assez, en fait. Un coup un peu plus fort, et ils ne seraient pas là, et le monde se porterait d’autant mieux. Ce ne sont que de sales bâtards !
— Ces sales bâtards ont eu ce qu’ils méritaient, j’entends une nouvelle voix se glisser parmi celles de nos familles.
La vibration virile de sa voix a sonné comme une caresse pour mes oreilles et pour mon esprit. Cette voix de mâle, je la connais bien. Le beau blond Ulysse vient de pénétrer dans la chambre.
— On les a coursés et on a fini par en rattraper trois. Et je peux de dire qu’on n’y a pas été de main morte. J’en ai encore mal aux articulations de la main !
Je remarque que le demi de mêlée arbore un joli cocard à l’œil gauche.
— Comment tu as su…
— Après votre départ, je suis sorti pour aller rejoindre des potes. J’ai entendu les cris, et j’ai vu des gars qui couraient. J’ai compris qu’il se passait quelque chose, et j’ai suivi le mouvement. Et quand je vous ai vus par terre, en sang… putain… tu peux pas savoir comment je m’en suis voulu !
— Mais voulu de quoi ?
— Je ne sais pas, je ne sais pas, ça a été un tel choc…
— Ce ne sont pas des êtres humains, ce ne sont même pas des animaux ! rage Maxime.
— Ce sont des déchets, rien de plus, abonde Ulysse.
— Un coup de pelle sur la tête pour les achever, c’est tout ce qu’ils mériteraient, ajoute M. Tommasi.
— Ce qui me dégoûte aussi, c’est ce que racontent les journaux, continue Maxime. Jérém ne s’est pas fait agresser pour se faire voler, il s’est fait agresser parce qu’il aime Nico, et en plus il ne s’est pas fait agresser tout seul !
J’apprendrai plus tard que, coordonnée par l’agent de Jérém, la presse s’était donné le mot pour divulguer un narratif politiquement correct de l’agression. En gros, le récit officiel apprenait au grand public que Jérémie Tommasi, l’ailier vedette du Stade Français et du XV de France, avait été victime d’une agression à Paris. Que les malfrats s’en seraient pris à lui pour lui subtiliser sa carte bleue, sa montre de valeur et sa voiture sportive. Que le jeune rugbyman ne se serait pas laissé faire et il aurait été passé violemment à tabac. Et que, à la suite à ses blessures, il avait été hospitalisé dans un état sérieux.
Oui, j’apprendrai plus tard que la réalité est une matière fluide qu’on peut manipuler à sa guise. Les média, des alchimistes. Les directeurs de communication, des affabulateurs professionnels. Il n’est d’ailleurs fait aucune mention du fait que quelqu’un d’autre s’est fait tabasser avec lui. Moins on en dit, mieux la manipulation se porte.
— Hélas, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, confirme le beau blond. Il est plus important de garder les apparences que de faire évoluer les mentalités.
— Pour l’instant, ça c’est le cadet de nos soucis, fait M. Tommasi. L’important, maintenant, c’est que Jérém s’en sorte.
— Oui, l’important est que Jérém s’en sorte, considère Maxime. Mais faire évoluer les mentalités ne doit pas être le cadet de nos soucis. Si on ne parle pas de ce genre d’agression, on ne peut pas faire évoluer les choses. Et ça va arriver, encore et encore. J’espère que vous allez porter plainte ! il me lance.
Le lendemain matin, je suis autorisé à quitter l’hôpital. Et, grâce à l’intervention de M. Tommasi, je suis également autorisé à passer voir mon Jérém. C’est dur, c’est horrible de le voir allongé sur ce lit, immobile, le visage tuméfié, le nez caché par un gros pansement blanc. Si ce n’était pas grâce à ses cheveux bruns et ses tatouages, je ne le reconnaîtrais pas. Mon beau brun est conscient, mais assommé par les calmants. Je ne sais même pas s’il s’est rendu compte que je suis passé le voir.
— Je m’en veux tellement, tellement ! je pleure devant M. Tommasi.
— Tu n’as rien à te reprocher, Nico. Rien, du tout, tu m’entends ! Tu ne peux pas te reprocher d’aimer mon fils ! Maxime a raison, ce sont eux les coupables, eux et personne d’autre.
— S’il ne m’avait jamais croisé, il n’en serait pas là.
— Oui, c’est bien probable que s’il ne t’avait pas rencontré, il n’en serait pas là. Il est fort probable qu’il n’aurait pas appris à se connaître et à s’aimer, il est fort probable qu’il serait malheureux. Tu sais, Nico, avec les « si »…
Je culpabilise d’avoir qu’une blessure légère et que lui ait pris le gros des coups. Je culpabilise de ne pas avoir su le défendre comme il a su me défendre. L’idée que Jérém puisse endurer toutes ces conséquences de notre agression me donne le vertige. J’ai mal pour lui, j’ai mal d’avance. Son malheur à venir me hante déjà.
C’est horrible de penser que la gravité de ses blessures est en relation avec la puissance de son amour pour moi. Je sais que si ce gros bâtard s’est autant acharné sur lui, c’est parce que Jérém l’a cherché. Et je sais qu’il l’a cherché pour qu’il arrête de s’en prendre à moi. C’est une belle preuve d’amour. Dont je me serais franchement passé.
Un sentiment d’injustice, de haine, d’impuissance m’envahit devant ses blessures, encore plus que devant les miennes.
CINQ CONTRE DEUX, bande de sales lâches ! Visiblement en plus d'être intolérants, vous êtes aussi des lâches ! Mais vous savez quoi ? Vous pourrez frapper et encore frapper, vous ne nous empêcherez pas de nous aimer. Nous sommes peut-être des pédales, des tafioles comme vous dites, mais nous on n'attaque pas deux mecs à cinq.
J’aurais tellement voulu faire plus, épargner plus de coups à Jérém. Pourvu qu’il s’en sorte. Pourvu que sa carrière…
Maxime a raison. Pourquoi ce serait à nous de faire attention ? Est-ce qu’on a fait quelque chose de mal ? On essaie juste d’être heureux comme on l’entend. Est-ce que cela concerne quelqu’un d’autre que nous ? Il ne me semble pas. Alors, pourquoi tant de haine pour quelque chose qui ne concerne que nous ? Pourquoi tant de violence ? Quel est le délit qui justifierait cela ?
L’homosexualité n’est pas un choix, mais un état de choses. On naît homosexuel. C’est une caractéristique d’origine. C’est aussi naturel d’être homosexuel que d’être hétérosexuel.
L’homophobie, en revanche, ce n’est pas quelque chose de naturel. C’est culturel. En fait, non, même pas. L’homophobie est un ramassis de partis pris, d’ignorance, de manque d’empathie et, surtout, surtout, surtout, un manque absolu d’intelligence. La plupart des personnes ne savent même pas livrer les raisons pour lesquelles elles sont homophobes. Ou alors ce sont des raisons fallacieuses, sans fondement intellectuel. « C’est contre nature ». « Ça me dégoûte ». « Homosexuel = pédophile ». Voilà le top 3 des « arguments » des homophobes.
Ce ne sont pas les personnes homosexuelles qui ont un problème. Ce sont ceux qui pensent qu’ils peuvent décider de ce que les personnes homosexuelles ont le droit ou pas de faire.
En nous aimant, nous ne faisons de mal à personne, nous ne privons personne d’une quelconque liberté. Pourquoi notre liberté n’est pas respectée, n’est pas considérée comme étant légitime ?
Les homophobes n’agissent, ne luttent pas pour avoir plus de droits, mais pour que d’autres personnes n’en aient pas. C'est horrible de devoir se dire que juste parce qu'on est ce qu'on est, on se fait lyncher.
Papa et Maman sont évidemment déçus et inquiets que je ne rentre pas à Toulouse avec eux. Ça les aurait rassurés, ça leur aurait fait tellement plaisir de prendre soin de moi. Et ça m’aurait fait immensément plaisir aussi. Mais comment partir en laissant Jérém dans cet état ? C’est tout bonnement inenvisageable à mes yeux. Mais mes parents sont formidables, et ils comprennent mon choix.
Mon choix qui est celui d’accepter de bon cœur la proposition d’Ulysse de passer quelques jours chez lui en attendant de voir comment la situation de Jérém va évoluer. J’aurais pu m’installer dans l’appart de Jérém, mais il est déjà occupé par M. Tommasi et Maxime.
Pendant trois jours, Jérém est maintenu sous sédation. Pendant ces trois jours, je rumine, je broie du noir. J’ai peur. Peur que Jérém garde des séquelles. Peur de sa réaction si jamais ses blessures sont de nature à compromettre sa carrière. Il est presque certain que sa saison est foutue. Pourvu qu’il revienne à sa meilleure forme, pourvu qu’il revienne au rugby, à ses rêves, à son bonheur.
Quand je pense qu’il était le meilleur marqueur de points en ce début de saison et qu’il était populaire comme jamais. Qu’il était partout, dans les journaux, sportifs et de caniveau, et même à la télé. Quand je pense qu’on était heureux comme jamais.
C’est fou comme on peut tout perdre du jour au lendemain, en un instant. Pourvu que nous nous retrouvions après tout ça.
Le temps est très mauvais, il fait froid, et la pluie ne cesse de tomber, rendant Paris gris et austère. A moins que ce ne soit mon immense tristesse qui ait ôté toute couleur au présent. La présence de Maxime et de M. Tommasi, avec qui je déjeune chaque midi, me fait chaud au cœur. Tout comme celle d’Alice, la maman de Jérém, venue elle aussi au chevet de son aîné. Ou celle de Thibault, accouru lui aussi auprès de son pote de toujours.
Mais leur proximité n’enlève rien à la peur, à l’angoisse. Pendant trois jours, je vais voir Jérém à l’hôpital. Pendant trois jours, je me retiens de pleurer devant son visage méconnaissable, devant son manque de réactions, conséquence d’une lourde sédation, avant de fondre en larmes une fois dans le couloir du service.
Pendant trois jours, je lui parle. Je lui raconte notre histoire, depuis nos révisions dans l’appart de la rue de la Colombette, en passant par nos disputes, par notre accrochage dans la maison de mes parents, par les retrouvailles à Campan. Je lui dis à quel point il m’a manqué pendant les premiers mois de son aménagement à Paris, à quel point nos éloignements et nos ruptures ont été difficiles pour moi. Je lui parle de mon bonheur d’avoir pu être à ses côtés pendant l’épreuve qu’a été son accident au rugby. Et de celui, encore plus grand, des derniers mois, où plus rien semblait pouvoir atteindre notre amour. Je lui parle de nos voyages, en Italie, à l’Ile de Ré, en Islande, au Québec, dans le Gers, dans le Nord.
— Nous avons encore tant de choses à vivre ensemble. Tu as encore tant de matches à jouer, tant de boucliers de Brennus à soulever !
Au bout de trois jours, sa sédation est progressivement levée, et le beau brun revient enfin à lui. Il me faudra attendre le lendemain soir pour qu’il retrouve ses esprits.
Mais même une grosse journée après l’arrêt des calmants, Jérém demeure sonné, et il n’arrive presque pas à parler. Il a l’air vraiment fatigué. Et inquiet. J’essaie de l’apaiser, je glisse mes doigts dans ses cheveux, je pose un bisou léger sur son front. J’essaie de le câliner discrètement, mais je sens qu’il est mal à l’aise. Il est nerveux. L’infirmière qui vient vérifier sa perfusion finit par me prier de partir et de revenir le lendemain.
Ironie du sort, c’est ce même jour que le nouveau calendrier des Dieux du Stade débarque dans les librairies et autres kiosques à journaux. Ironie encore plus grande, le jeune ailier qui est depuis quelques jours dans la presse non pas à cause de ses exploits mais suite à son agression, fait carrément la couverture de cette nouvelle édition, chose que j’ignorais car il ne m’en avait pas parlé. J’imagine qu’il voulait me faire la surprise, et guetter ma réaction à chaud.
Le cliché, en noir et blanc avec un soupçon de chromatisme sépia, est tout bonnement à se damner.
Ironie presque absurde, cruelle, sur cette photo, Jérém y est magnifique comme sur aucune autre auparavant, et c’est pas peu dire. Il se dégage de cette photo une beauté, une puissance, une virilité, une jeunesse, une insolence, une attitude de jeune loup assuré, une sensualité, un regard brun illuminé d’un début de sourire qui feraient s’émoustiller un bloc de granit. Ce n’est pas un hasard si elle a été choisie pour paraître en couverture.
Sur cette couverture, Jérém y est somptueux, de beauté, de jeunesse, d’effronterie, d’assurance. Le torse, hélas rasé, et pourtant spectaculaire, les pecs, les tétons, les biceps, les abdos, les plis de l’aine, tout est saillant, à la fois délicieusement solide et parfaitement harmonieux, merveilleusement dessiné, divinement sculpté.
Mais c’est son attitude qui met le coup de grâce à la santé mentale de l’observateur. Le buste légèrement incliné et pivoté vers sa droite, la tête insolemment relevée, la mèche rebelle, un soupçon de barbe négligée et insupportablement sexy, les lèvres entrouvertes, le regard de b(r)aise bien planté dans l’axe de l’objectif. Et dans ses yeux, un sourire léger, pétillant d’une insistante étincelle lubrique. Toute son attitude dégage une sensualité torride.
Et encore, c’est sans compter avec le geste esquissé par sa main droite, par cet élastique de boxer blanc pincé entre le pouce et l’index, écarté de la hanche, une insoutenable invitation à glisser le regard et la main dedans, une pure incitation au délit. Un délit que la belle bosse dessinée par la poche du boxer rend carrément inéluctable.
Une attitude et une beauté d’une insolence rare, inégalable. Nous sommes là en présence d’un petit Dieu, un somptueux Dieu mâle à la sensualité radioactive.
Devant une telle image, il est impossible de ne pas avoir l’impression d’avoir un tambour de machine à laver en mode essorage dans le ventre. On ne peut pas regarder cette image sans avoir envie de se mettre à genoux. On ne peut regarder cette photo que d’une seule main.
C’est au mois de mars que je retrouve le boblond Ulysse. Je le retrouve en compagnie d’un « invité », non pas un rugbyman, mais un footballeur. Le demi de mêlée y apparaît dans toute sa splendeur, avec sa blondeur aveuglante, ses beaux cheveux, sa belle barbe virile, son regard clair, à la fois doux et furieusement viril. Quant au footballeur, il est brun, barbu lui aussi, le regard ténébreux dégageant quelque chose de sauvage, d’animal, de macho, de furieusement viril. Dans une certaine mesure, il me fait penser au magnifique bipède à casquette croisé dans le parc du Mont Riding.
Les deux sportifs sont torse nu, le beau blond, de profil par rapport à l’objectif, enlace le beau brun dans le dos, l’avant-bras du premier abandonné sur l’épaule de l’autre. Ils sont assis, ce qui fait que les épaules d’Ulysse partent un peu vers l’avant, et que son torse s’en trouve légèrement contracté. Et pourtant, malgré cette position peu propice à mettre en valeur la plastique masculine, ses pecs et ses abdos demeurent fabuleusement tendus.
Le bel invité est positionné de trois quarts, tous pecs et abdos tendus lui aussi. Le regard de glace du rugbyman et le regard de braise du footballeur pénétrant doublement l’objectif, et nourrissent et le fantasme du spectateur. Comment ne pas imaginer, en regardant cette photo, puisque c’est si bien suggéré par la mise en scène, les deux superbes mâles dans un pieu ? Comment ne pas ressentir ce petit vent, cette sensation d’apesanteur qui happe l'esprit, le vertige, le même qui nous vrille l'esprit en essayant d'imaginer l'infinité de l'Univers, quand on essaie d'imaginer qui prendrait possession de l'autre ?
Dans une autre photo, Ulysse est photographié seul, assis, les cuisses écartées, l’avant-bras et la main couvrant sa virilité, l’autre bras levé au-dessus de sa tête, appuyé contre un mur recouvert d’un drap blanc. Une position qui fait étirer son pec gauche, remonter son téton, découvrir la délicieuse pilosité de son aisselle. Le regard bien planté dans l’objectif, il est beau comme un Dieu Viking.
Inutile de chercher mon beau brun à travers les mois de l’année 2007. En effet, Jérém est l’Alpha et l’Omega de cette édition du Calendrier des Dieux du Stade.
Je retrouve mon bobrun dans la dernière de couverture, seul, dans une photo en noir et blanc magnifique. Le jeune ailier y figure allongé sur une serviette, positionné dans la diagonale du cadre, dans son plus simple appareil, le bras gauche relevé et replié pour que sa main puisse soutenir sa tête, l’aisselle poilue au premier plan, le visage tourné vers son biceps, le regard un brin lascif bien offert à l’objectif.
Et son torse – putain ! – avec ces pecs saillants recouverts de cette pilosité brune naturelle si furieusement sexy ! Visiblement, cette photo a été réalisée avant celle de couverture, avant que la lame d’un rasoir ne commette l’irréparable. La limite inférieure de la photo coupe juste en dessous de son pubis, de cette pilosité brune qui part de son nombril et se diffuse autour de sa queue et de ses couilles. Sa main droite est délicatement posée sur ses attributs, mais laisse apprécier une vaste portion de pilosité virile.
Entre les deux couvertures, on découvre ainsi deux facettes de la beauté insolente de mon Jérém. La beauté pure, et la beauté sensuelle.
Ironie du sort, oui, cruelle ironie. Quand je pense que le sujet de ces superbes clichés gît sur ce lit d’hôpital, avec sa belle petite gueule défigurée par de gros hématomes et cet immense pansement au nez, avec des fractures multiples et son avenir en suspens, j’ai envie de pleurer toutes les larmes de mon corps.
Le lendemain, Jérém est plus alerte. Il arrive à articuler davantage. Apparemment, il n’a pas gardé de séquelles mentales. Mais il n’a visiblement aucune envie de taper la discute. Car son moral est plus bas que terre. Il sait désormais que ses saisons en Top14 et en H Cup sont largement compromises. Il mesure également l’effort que va lui demander de revenir une nouvelle fois au top de sa forme après des semaines, des mois de convalescence.
Contrairement à mes craintes, il ne se montre pas particulièrement de mauvaise humeur. Il est juste absent, sans réaction, comme s’il retenait son souffle. Son regard brun se perd au-delà des vitres de la fenêtre, dans la grisaille peu engageante du ciel parisien de ce début d’automne. Ce qui me fait le plus mal, c’est que son regard brun est éteint. Je préférerais encore le voir fulminer, enrager.
Je me dis que ça doit être sa façon de gérer le traumatisme psychique. Je me sens moi-même comme vidé depuis l’agression. Je me sens anxieux, j’ai régulièrement des moments d’angoisse, et de soudaines chutes de moral. Parfois, j’ai du mal à retenir mes larmes. Le moindre bruit inconnu et un peu violent me fait sursauter. Des images de notre agression surgissent dans mon esprit sans prévenir, à toute heure. J’ai l’impression de sentir à nouveau la violence et le bruit des coups, l’odeur du sang, la peur qu’ils nous tuent. A part dans l’appart d’Ulysse, la porte d’entrée fermée à double tour, j’ai l’impression de n’être en sécurité nulle part.
Je trouve mon beau brun horriblement distant. Et même si je comprends son état d’esprit, l’ambiance que cela installe ajoute du malaise et de la tristesse à ma souffrance. J’aimerais tellement le prendre dans mes bras, partager nos angoisses, nos larmes, nos colères. Mais tout cela paraît tout simplement impossible.
Oui, je me dis que l’air absent et le mutisme de Jérém doivent être ses façons à lui de gérer son traumatisme. Mais tout ce silence m’angoisse. J’essaie alors de lui parler, mais j’ai l’impression de le déranger. L’agression est évidemment un sujet tabou. Le rugby en est un autre. L’avenir, le pire de tous. Evoquer le souvenir de nos jours heureux, j’ai essayé. Il ne réagit pas. Pas un mot, pas un regard. J’ai même l’impression de l’emmerder. Au bout d’un certain temps, il prétend être fatigué et me demande de le laisser tranquille.
— Je voudrais aller porter plainte contre ces types, je lui glisse avant de quitter sa chambre.
— Ne fais pas ça ! il me balance du tac-au-tac, en se sortant illico de son mutisme, sa voix oscillant entre peur et angoisse.
— Pourquoi tu ne veux pas porter plainte ?
— T’imagines si ça se sait ?
— Tu parles du fait qu’on a été agressés parce qu’on est homo ?
— C’est déjà assez dur comme ça, Nico, n’en rajoute pas s’il te plaît ! Si ça se sait, plus personne ne me respectera, personne. Je ne serai qu’une merde !
— C’est pas toi qui est une merde, c’est pas nous, ce sont eux, les merdes !
— Si tu portes plainte, tu vas être obligé de parler de moi, et ils vont vouloir m’entendre aussi. La presse va s’en mêler et ça va être un désastre. Je ne veux pas affronter ça ! Ne me fais pas ça, Nico, ne me fais pas ça !
— Mais Jérém…
— En plus, si tu portes plainte, tu risques de foutre Ulysse dans la merde. Si les mecs se font choper et qu’ils disent qu’ils se sont fait tabasser par un joueur connu, il va avoir de gros problèmes. Laisse-lui terminer sa carrière sans accrocs, s’il te plaît, il ne mérite pas d’avoir des ennuis. Il a fait ce qu’il fallait, il les a chopés et il leur a mis une bonne raclée, c’est tout ce que comprennent ces types. Et puis, mon agent a menti à la direction. C’est lui qui a inventé l’histoire du vol. S’ils apprennent qu’il a menti, il va passer pour qui ? Et moi, je vais passer pour quoi ?
— Et s’ils recommencent ? Et s’ils s’en prennent à d’autres gars comme nous, tu as pensé à ça ?
— Si c’est pas eux qui recommencent, ce seront d’autres…
— Alors quoi, on laisse faire ?
— Ils se sont fait défoncer la gueule, ils vont réfléchir deux fois avant de recommencer.
— Je ne suis pas sûr que ce soit suffisant. Quand on est con à ce stade, on l’est pour la vie ! Tu sais, quand les secours sont arrivés, j’ai entendu un pompier dire que ce genre d’agression « ce sont malheureusement des choses qui arrivent ». Non, ce genre de choses ne doit pas être banalisé. Ces choses ne doivent plus arriver ! La haine ne doit pas être tolérée !
— Ecoute-moi, Nico, je vais déjà en prendre plein la gueule comme ça, alors, ça suffit !
C’est à contre-cœur que je consens à sa demande, je ne veux pas lui infliger ça en plus de ses angoisses. Non, je ne porterai pas plainte. Et ce crime restera impuni. La presse complice, aux yeux de la justice, il n’aura même pas existé.
Hier, le vent d’Autan s’est levé sur Toulouse. Il a soufflé toute la nuit, il m’a même réveillé à deux reprises. Et ça continue aujourd’hui. Sur les allées, les branches des platanes se balancent au gré des caprices de la force éolienne. Les feuilles tombent par vagues, la chaussée et les trottoirs en sont couverts.
Ce matin, sur mon chemin vers la gare Matabiau, je remonte les souvenirs. Car c’est le même trajet que j’ai emprunté il y a un peu plus de cinq ans, le même trajet que j’ai emprunté tant de fois pour aller retrouver Jérém. Et je repense tout particulièrement à la première fois que j’ai fait ce trajet, pour aller retrouver Jérém pour notre première révision.
C'était le printemps, c’était la première année du nouveau millénaire. Mais c’était surtout et avant tout l’année de mes 18 ans.
Ce jour-là, le vent d’Autan soufflait très fort dans les rues de la ville Rose. Puissant, insistant, il caressait ma peau, chatouillait mes oreilles, me parlait du printemps, un printemps qui se manifestait partout, dans les arbres des allées au feuillage triomphant, dans les massifs fleuris du Grand Rond, dans les t-shirts qui mettaient en valeur la plastique des garçons.
J’ai le net souvenir de la sensation de ce vent dans le dos, accompagnant mes pas, encourageant ma démarche, comme pour faire taire mon hésitation.
Je me souviens de mon cœur qui battait la chamade en arrivant au Grand Rond, je me souviens de mes mains moites. Je me souviens d’avoir eu envie de faire demi-tour. J’avais trop peur du malaise de me retrouver seul avec un petit Dieu comme Jérém. Je m’apprêtais à revenir sur mes pas, cédant à la peur, prisonnier de mes craintes, fuyant la vie. Je m’apprêtais à faire demi-tour, lorsqu’une rafale de vent plus puissante et déterminée que les précédentes avait semblé me bousculer, me « mettre un coup de pied au cul», m’obligeant à avancer.
Quand j’y repense, j’ai presque l’impression que le vent d’Autan semblait ce jour-là souffler dans mon dos comme pour me pousser à la rencontre de mon destin.
Ce jour-là, le vent d’Autan me poussait à aller au bout de mon trajet, à franchir la distance entre la maison de mes parents, dans le quartier Saint-Michel, et l’appart de Jérém, rue de la Colombette. Il me poussait à marcher tout droit vers la première révision de maths avec mon camarade, vers la première révision de ma vie sentimentale, et de ma vie d’adulte.
C’était le début de cette histoire, de mon histoire.
Ce samedi, le vent d’Autan souffle toujours. Et j’ai l’impression qu’il me pousse à nouveau vers mon destin.
Le week-end de l’anniversaire de Jérém, le Stade Français retrouve Biarritz à Paris. Evidemment, je monte à la capitale pour assister au match. Là aussi le vent souffle à bloc. Ce n’est pas le vent d’Autan, mais ça décoiffe tout autant.
Jérém poursuit sur sa lancée, il semble inarrêtable. Les Parisiens s’imposent sur les Biarrots et remportent le match sur un score de 22 points à 16. La troisième mi-temps s’étire dans la nuit. A l’appart, je crève d’envie de faire l’amour avec Jérém. Mais je finis par m’endormir.
Il est deux heures du mat’ lorsque je suis réveillé par le bruit de la porte d’entrée. Jérém est enfin là, beau comme un Dieu. Il se penche sur moi, il m’embrasse. Au lit, nous nous endormons l’un dans les bras de l’autre.
Le dimanche, en revanche, nous ne quittons le lit que pour de très rares moments. Nous passons le plus clair de la journée à faire l’amour.
Lundi 16 octobre 2006.
Aujourd’hui, Jérém a 25 ans. Pour fêter son anniversaire, je le réveille avec une bonne pipe. Sous la couette, pendant que je le suce, j'adore glisser ma main entre sa peau douce et le coton doux de son t-shirt blanc, sentir la chaleur de son corps, et les délicieuses petites odeurs qui se dégagent de sa peau. La vibration de son orgasme est un instant de bonheur absolu. Ses giclées sont puissantes, chaudes, denses.
Pour fêter son anniversaire, Ulysse nous a invités chez lui le soir même. Le beau blond a une nouvelle passion, la cuisine. A bientôt 32 ans, il commence à penser à l’après de sa carrière sportive. Et il l’envisage en tant que chef cuisinier dans un établissement de standing qu’il projette de créer dans la capitale. D’ailleurs, son projet est déjà bien avancé, il en est d’ailleurs au stade de la recherche du site pour ouvrir son activité.
Rien ne m’appelle à Toulouse, mon taf ne commence que dans deux semaines. J’ai donc prévu de rester quelques jours de plus avec mon Jérém. Pendant que mon beau brun est aux entraînements, et en attendant son retour pour nous rendre à la soirée chez Ulysse, j’appelle Maman. Elle m’apprend que le vent d’Autan ne s’est pas calmé du week-end, et qu’il souffle toujours aussi fort.
A Paris aussi le vent souffle toujours. Je sors en début d’après-midi pour aller chercher le cadeau pour Jérém, un t-shirt et un boxer de sa marque préférée.
De retour de ses entraînements, Jérém m’embrasse fougueusement. Puis, sans un mot, il me plaque contre le mur, face au mur, il défait sa braguette, la mienne, il me pénètre, il me pilonne. Le baiser mis à part, j’ai l’impression de revivre le jour du bac philo, ce jour où il m’avait intimé de le suivre chez lui, après que je l’avais bien chauffé pendant l’épreuve. Je sens son corps contre le mien, je sens son corps dominer le mien, je sens ses mains saisir mes hanches, mes bras, je sens son souffle excité dans mon cou. Et au bout d’une poignée de minutes, j’entends le râle de plaisir contenu de justesse pendant que le beau brun me gicle dans le cul.
— Bon anniversaire, chéri ! je lui glisse, alors que je suis encore sonné par sa fougue.
Une minute plus tard, nous prenons la douche ensemble. Qu’est-ce que j’aime prendre ma douche avec Jérém, le regarder se savonner, voir l’eau ruisseler sur sa peau mate, nous embrasser longuement. Mais aussi le regarder s’essuyer, s’habiller, s’apprêter. A la fin de ce processus magique, mon beau brun est prêt à partir pour notre soirée chez Ulysse.
Blouson en daim sur t-shirt blanc col rond, chaînette posée négligemment sur le coton immaculé, jeans super bien coupé, baskets blanches. Le brushing bien fixé au gel, la barbe de quelques jours, aux contours bien nets, une note de parfum aux effluves capiteux qui flotte avec insistance autour de lui. Ce soir, Jérém est sur son trente et un. Ce soir, Jérém est beau comme un Dieu et il sent divinement bon. Ce soir, son sourire est à se damner. Ce soir, son regard amoureux est à pleurer.
Lorsque nous quittons l’immeuble, le vent souffle toujours. Il en est de même lorsque nous arrivons à la résidence d’Ulysse.
A l’appart, nous retrouvons le beau blond barbu dans la cuisine, derrière les fourneaux. Avec son tablier rouge posé sur t-shirt noir aux manchettes bien collées à ses biceps de fou, avec sa belle petite gueule au regard d’ange viril, il est sexy à mort.
Le demi de mêlée s’est donné la peine de préparer un super repas pour l’anniversaire de son co-équipier. De la préparation des mets, tous les uns plus raffinés que les autres, jusqu’au dressage de la table et des assiettes, tout est beau, tout est bon, tout est soigné. Ce repas est digne d’un grand restaurant.
Pendant le dîner, le futur chef nous parle de la formation de cuisine qu’il est en train de suivre en parallèle de sa carrière sportive. Il est passionné et passionnant.
Au dessert, c’est tiramisu. Ulysse nous explique que le secret du tiramisu, c’est le mascarpone.
— Ma grand-mère disait que le mascarpone, quand on le fait soi-même, a un goût tout particulier.
Ulysse est touchant. Jérém est Jérém, et il m’émeut. Les deux rugbymen accaparent tout mon champ de vision. T-shirt blanc ajusté sur torse de malade sur mec très brun à la peau mate et t-shirt noir tout aussi ajusté sur torse de fou mec très blond à la peau claire, qu’est-ce que c’est beau !
Les deux coéquipiers sont vraiment sexy à se damner. Et encore plus après quelques verres de vin qui rendent leurs regards sensuels et pétillants. Ça me donne le tournis. A moins que ce ne soient les verres que j’ai bus qui me donnent le tournis. Ou les deux.
Nous passons une très bonne soirée. La conversation finit par glisser vers le rugby. Il s’en suit une discussion animée entre les deux joueurs, un échange dans lequel une différence de point de vue sur certains aspects du jeu du dernier match semble crisper les esprits embrumés par l’alcool. Le beau blond finit par désamorcer les tensions en lançant une blague hilarante.
Après le dîner, nous nous posons sur le canapé du séjour, avec d’autres verres et d’autres boissons. Ulysse lance un DVD de match du Stade, justement l’objet du différend. Il passe en revue les actions de Jérém et fait des remarques sur son jeu. Ce sont des remarques constructives, bienveillantes. Images à l’appui, la discussion entre l’ailier et le demi de mêlée reprend de plus belle, mais sur un ton plus apaisé, plus complice.
Il est minuit passé lorsque le débrief prend fin, lorsque les points de vue de deux garçons semblent enfin reconciliés.
— Merci Uly, finit par glisser Jérém.
— Merci de quoi ?
— Pour cette soirée, et pour tout ce que tu m’apprends au rugby.
— Je ne t’apprends rien, j’essaie juste de te faire partager mon expérience.
— J’apprécie énormément, même si parfois je suis un peu buté. Alors, merci de me supporter !
— De rien, de rien, fait le beau blond, l’air gêné par les mots de Jérém.
Quelques minutes plus tard, dans l’ascenseur de l’immeuble, Jérém me sourit, l’air fripon, l’étincelle bien coquine dans le regard.
— Tu sais quoi ? J’ai envie de toi ! il me lance, à brûle pourpoint.
— Moi aussi j’ai très envie de toi.
— Oui, très envie…
— Tu vas me baiser à l’appart, oui !
— Je ne crois pas que je vais pouvoir attendre d’arriver à l’appart, il me glisse, tout en attrapant ma main et en la posant sur sa braguette à nouveau frémissante et bouillante.
— Et toi non plus, tu ne vas pas pouvoir attendre, il enchaîne, en posant sa main sur ma braguette, tout aussi frémissante que la sienne.
— C’est Ulysse qui t’a mis dans cet état ? je le questionne.
— Et toi ?
Le regard que nous nous échangeons est chargé d’un érotisme brûlant. Son sourire brun serait capable de faire fondre le soleil lui-même.
L’ascenseur termine sa course au rez-de-chaussée. Les portes s’ouvrent. Ça se passe très vite.
— Viens ! m’intime Jérém, en m’attrapant par l’avant-bras, en déviant ma trajectoire naturelle vers la grande porte d’entrée, en la détournant vers une petite porte située juste à côté de l’ascenseur sur laquelle une plaque stipule « Accès parking ».
Jérém connaît bien l’immeuble, car il y a passé quelques mois, en colocation avec Ulysse, après le non renouvellement de son contrat avec le Racing.
Dans le passage éclairé par une lumière terne, Jérém m’embrasse avec une fougue terrible. Je le sens chaud comme la braise. Pendant que sa langue galoche la mienne, et que son souffle excité me rend dingue, je l’entends se débraguetter en vitesse.
Oui, son excitation me rend dingue, mais pas au point de faire taire toutes mes peurs. Soudain, je repense à une fois dans l’entrée de l’immeuble de la rue de la Colombette, une nuit où j’avais commencé à le sucer et où nous avions failli nous faire surprendre par une voisine rentrée au mauvais moment. Je me souviens que Jérém avait été tellement échaudé qu’une fois à l’appart il avait eu une panne, panne qui l’avait bien mis en pétard, d’ailleurs.
— T’es sûr, Jérém ?
— Certain !
— On ne risque pas de se faire gauler ?
— C’est ça qui est bon !
— T’as pas peur qu’on te…
— Ferme-là, et baise-moi ! il me lance, sans détours, en défaisant ma braguette avec des gestes frénétiques.
Un instant plus tard, je me laisse glisser en lui. Dans ce couloir mal éclairé, Jérém se donne à moi. Je suis un peu mal à l’aise, mais il faut bien admettre que la situation est très excitante. Je sens mon orgasme arriver à grand pas, et je tente de le retenir en ralentissant mes coups de reins. Mais Jérém ne l’entend pas de la même façon.
— C'est bon, putain, défonce-moi ! Remplis-moi le cul, vas-y, beau mec !
Ses mots crus, son attitude débridée, son cul offert sans pudeur, son envie de se faire posséder entièrement assumée, son plaisir de passif tout aussi assumé. Et aussi, la vision de ses cheveux bruns, de son tatouage qui remonte le long de son cou, de sa chaînette posée sur le col de son t-shirt immaculé qui dépasse de son blouson, le parfum qui se dégage de lui. Tout cela me met dans un état second. Il y a de quoi précipiter mon orgasme. Et je ne tarde pas à gicler abondamment dans son beau et bon cul de rugbyman.
Je viens tout juste de jouir, lorsque le beau brun se déboîte de moi. Un instant plus tard, il me plaque contre le mur en béton, il se plaque contre moi. Je sens la fraîcheur sur mes fesses désormais dénudées. Puis, sa salive tiède sur mon trou. Puis, sa queue bien chaude entre mes fesses, son manche bien raide en train de me pilonner. Jérém me baise avec une précipitation certaine, ainsi qu’avec une certaine sauvagerie bien excitante.
Son excitation est telle qu’il gicle en moi à son tour au bout de quelques coups de reins à peine.
Jérém se déboîte à nouveau très vite de moi, il remonte son boxer, reboutonne sa braguette, agrafe sa ceinture. J’en fais de même. Je suis ivre de plaisir. J’ai le visage en feu, le cul en feu, le ventre en feu. J’ai l’impression d’être une torche qui vient de brûler. Avant de quitter les lieux, Jérém m'embrasse une dernière fois. C’est le baiser d’un amant qui vient de jouir comme un malade. C’est le baiser d’un gars à l’haleine bien alcoolisée mais au regard amoureux.
Il est environ une heure du matin lorsque nous quittons l’immeuble d’Ulysse. Le vent souffle toujours, et il me fait penser au vent d’Autan qui doit toujours souffler sur Toulouse à cet instant.
Dans le boulevard, nous cherchons un taxi. Il n'y en a pas. La nuit est agréable, il ne fait pas froid. Jérém n’aime pas le métro, alors nous décidons de marcher.
Je regarde Jérém, je décèle dans son allure l’ivresse du vin que nous avons bu pendant la soirée, des mille émotions que nous avons connues, et de l'amour que nous venons de faire. Et la douce fatigue qui s’empare du corps après le plaisir. Je les reconnais car ce sont les mêmes qui ralentissent mon corps et mon esprit. Notre complicité n’a jamais été aussi belle, notre bonheur aussi intense, notre amour aussi magique.
Dans la rue que notre manque de vigilance nous fait apparaître déserte, Jérém me plaque contre un mur et m’embrasse.
Après ce baiser d’amant amoureux, nous nous remettons à marcher. Nous n’avons fait que quelques dizaines de pas, lorsque j’entends quelqu’un venir dans notre dos avec un pas rapide. Je me retourne et je capte un type qui approche. Soudain, un frisson parcourt ma colonne vertébrale. Et s’il nous avait vus ? Et s’il avait reconnu Jérém ?
Alerté par mon geste, Jérém se retourne à son tour. Le type accélère encore le pas, visiblement dans l’intention de nous rejoindre. Il porte un pull à capuche, cette dernière remontée sur sa tête.
— Eh, les gars, il nous lance, vous avez une cigarette ?
Dans la pénombre du boulevard, le type me semble avoir une trentaine d’années. Instinctivement, quelque chose en lui me fait peur.
— J’ai arrêté de fumer, fait Jérém, lui aussi sur le qui-vive.
— Je ne fume pas, je lance à mon tour.
— Eh, dites, les gars, enchaîne le type sans transition, vous trouvez pas que ça sent mauvais par ici ?
— Quoi ? fait Jérém, décontenancé.
— Voyons… si, si, si, c’est bien ça, fait le type en faisant semblant de humer l’air… ça pue la tarlouze !
C’est à cet instant que la peur me glace. Une rafale de vent particulièrement violente semble annoncer la catastrophe qui arrive.
— Qu'est-ce que tu as dit, espèce de connard ?
— T’as bien entendu, espèce de fiotte. Je vous ai vus, les pédés, je vous ai vus vous embrasser ! Vous me dégoûtez !
— Tu veux que je te pète la gueule, espèce de grosse merde ? ! s’échauffe Jérém.
— Allez, Jérém, laisse tomber, on s’en va, on s’en va ! j’essaie de calmer le jeu, en retenant mon beau brun par l’avant-bras de toutes mes forces.
— Je ne crois pas, non, fait le type, avec un sourire effrayant.
Sans que nous les ayons vu arriver, distraits par l’altercation avec ce premier connard, quatre autres gars surgissent derrière nous, nous saisissent et nous entravent.
Je suis tétanisé de peur et je suis incapable d’opposer la moindre résistance. Mais Jérém se débat, leur crie de nous lâcher. Jusqu’à ce que le premier connard lui assène un coup sur la figure, d’une violence extrême.
— Ferme ta gueule, tarlouze !
Je ressens le bruit sourd du poing qui percute le nez de mon beau brun, jusqu’à dans mes tripes.
Soudain, un souvenir remonte à ma conscience. Celui d’une nuit en boîte de nuit à Toulouse où son t-shirt était éclaboussé de sang, mais pas le sien, celui d'un connard qui voulait s’en prendre à moi à cause d’un regard un peu insistant. Cette nuit-là, Jérém était arrivé au bon moment, et il avait mis une bonne raclée à ce connard.
Mais cette nuit, les forces du mal sont en nombre, et la bravoure de Jérém ne suffit pas. D’ailleurs, il a l’air bien sonné par ce premier coup de poing. Son t-shirt blanc est désormais parsemé de traînées écarlates, et c’est son sang qui continue à couler de son nez.
Nous sommes tous deux maîtrisés chacun par deux gars solides. Mais Jérém se débat comme un lion en cage et arrive à se dégager et même à rendre le poing dans la gueule au premier connard. Ce dernier, pris par surprise, est balayé par la violence du coup et fait un vol plané sur le goudron. Lorsqu’il se relève, il a le nez tout aussi en sang que Jérém.
Mais les deux autres ordures se jettent sur mon beau brun et arrivent à le maîtriser à nouveau.
— Espèce de sale pédé ! crie rageusement le premier connard en se tenant le nez en sang. Tu vas me le payer !
Puis, il se relève, s’approche de Jérém et commence à le frapper violemment.
Je voudrais trouver les mots pour me défendre, pour nous défendre, pour leur faire comprendre à quel point cette agression est injustifiée. Je voudrais trouver la force de leur dire que ce qui se passe entre Jérém et moi ne regarde personne d’autres que nous. Que le baiser auquel ils ont assisté, est un véritable baiser d’amour. Je voudrais leur parler de notre Amour. Je voudrais que notre amour arrive à les émouvoir.
Mais je sais instinctivement qu’aucun débat n’est possible avec ce genre d’énergumène. Que rien ne va les émouvoir. Alors, la peur, l’urgence, l’esprit de survie appellent des réactions épidermiques, suggèrent des mots que ce genre de cerveau malade est à mesure de recevoir. Et je crie de toutes mes forces :
— Lâche-le, espèce de fils de pute !
Je m’en fous de ce qui va arriver. Tout ce qui compte, c’est qu’il arrête de frapper Jérém.
Mes mots font leur effet. Le type, saisi par mes insultes, arrête de cogner Jérém.
— Qu’est-ce que t’as dit, espèce de sale tarlouze ? il me lance, dans un sifflement de serpent venimeux.
— Lâche-le, il ne t’a rien fait, je pleure. La peur me submerge. Mes nerfs lâchent.
— Elle fait la maline, la tafiole… et puis elle chiale de peur !
— Laisse-nous partir, espèce de connard !
— Nico arrête ! j’entends Jérém me crier.
— Si je comprends bien, lui c’est le mec et toi c'est la femme… dit-il en me regardant. Et tu es une pute prête à se sacrifier pour son homme… Toi, t’as bien l’air d’une chienne qui aime se la prendre bien profonde dans le cul… tu me dégoûtes encore plus que lui !
Le type me crache à la figure et me cogne en plein dans le nez. Une douleur atroce, insoutenable se diffuse sur mon visage. L’odeur et le goût de mon sang envahissent instantanément ma bouche.
— Laisse-le, espèce de merde ! j’entends Jérém crier.
— Attends un peu, je vais m’occuper un peu de ta copine, après il y en aura encore pour toi ! Tu ne perds rien pour attendre !
— Je vais enculer ta mère… et je vais enculer ton père ! j’entends alors Jérém hurler. Je suis sûr que ton père couine sa race quand il se prend une bonne queue dans le cul !
Je suis en état de choc, mais j’ai encore assez d’esprit pour comprendre ce que Jérém est en train de faire. Il essaie de détourner le sale type de moi. En provoquant le connard sur ce terrain particulièrement sensible, il prend tous les risques. J’ai peur, très peur.
— Non, Jérém, non ! je pleure.
— Toi, je vais te tuer !
Le sale connard se jette sur Jérém et recommence à le cogner avec une rage décuplée. Je crois qu’il va le tuer.
— Arrête, putain, on avait dit qu'on leur donnait juste une petite correction ! j’entends cracher l’un des types qui m’entravent. Arrête, tu vas le tuer !
Mais le premier connard continue de s'acharner sur Jérém, aveuglé par sa colère.
Soudain, je sens la prise sur mon bras gauche se dissiper. Le type qui vient de protester se jette sur le premier connard et essaie de le maîtriser.
— Lâche-moi, espèce de merde ! crie le sale type.
Un instant plus tard, j’entends d’autres cris. Quelqu’un arrive. Les cinq connards battent en retraite, ma deuxième entrave se dissipe, je m’effondre sur le goudron. Jérém, s’effondre lui aussi, complètement sonné.
Une petite foule accourt à notre secours. Certains s’arrêtent pour nous aider, d’autres coursent nos agresseurs. J’entends la voix d’Ulysse. J’entends la voix d’un autre gars qui dit :
— Je suis infirmier, je m’occupe d’eux, j’appelle les secours. Allez-y, chopez-les ! Ne les ratez pas !
Le jeune infirmier s’occupe très bien de nous. Le SAMU arrive assez rapidement. Du moins, c’est ce qu’on m’a dit. Car, lorsque le gars qu’on aime est à terre, en sang, après avoir été sauvagement agressé, chaque instant en attente des secours ressemble à une éternité.
Je ne sais pas comment j’ai tenu jusqu’ici. Mais là, tout mon corps lâche d’un coup. La douleur au visage me submerge. Mon esprit lâche lui aussi, terrassé par le choc, par la violence, par la peur de la mort qu’il vient de découvrir pendant l’agression. Et par la peur de connaître la gravité des blessures de Jérém. A vouloir me préserver, il a vraiment chargé, le pauvre.
Soudain, une image remonte à ma conscience. C’est une image d’il y a près de dix ans, l’image d’un petit con de 16 ans, un petit con à casquette à l’envers et au t-shirt noir, un petit con dans la cour du lycée, un petit con dont je suis instantanément tombé amoureux. Pas un seul instant ce jour-là j’aurais imaginé que cet adorable petit con sexy un jour me sauverait de cette façon si héroïque.
Un instant avant de perdre connaissance, je repense aux mots qu’Albert m’a dit un jour : « Être un homme, ce n’est pas avoir une femme, des gosses, un travail de mec et gagner de l’argent à la toque. Être un homme, c’est s’occuper des siens, avant toute chose ».
Je crois que cette nuit les évènements ont fait que nous avons été des Hommes.
Et puis, c’est le rideau noir.
Mardi 17 octobre 2006, 17h45, 16 heures après le désastre.
La première sensation qui vient à moi, c’est l’odeur des produits de nettoyage de l’hôpital. Puis, la douleur, à la tête, au visage. La bouche pâteuse. Les membres engourdis. Je suis dans le coltard.
Puis, des flash-backs comme des décharges électriques. Les souvenirs de l’agression me foudroient. Je revois Jérém en train de se faire tabasser, son t-shirt blanc désormais presque totalement rouge de son sang.
Jérém ! Où est-il ? Dans quel état est-il ? Il faut que je sache, là, sur le champ.
Je n’ai pas encore ouvert les yeux, mais j’entends des bruits, des voix, des échanges autour de moi.
Peu à peu, les voix deviennent familières, je reconnais celle de Maman, puis celle de Papa.
Et les images viennent en dernier. J’ouvre les paupières peu à peu, car la lumière est aveuglante, elle agresse mes rétines habituées au noir.
— Tu es réveillé, mon lapin ? s’exclame Maman, pleurant bruyamment sa joie de me voir revenir parmi les vivants.
J’essaie de parler, mais ma langue et ma mâchoire n’obéissent pas. Et pourtant, il le faut. Je dois arriver à parler, je dois demander des nouvelles de Jérém, je ne peux pas rester dans cette ignorance, dans cette angoisse qui ravage mon ventre. C’est au prix d’un effort considérable, presque surhumain, que j’arrive à articuler péniblement :
— Papa… Maman…
— Ça va mon lapin, tu as mal ?
— Je vais appeler une infirmière, j’entends Papa lancer.
— Ça va… je suis là, Maman…
— Tu nous as fait tellement peur !
— Maman…
— Oui, Nicolas…
— Jérém… est-ce qu’il est… vivant ?
— Oui, il est vivant, mais il est blessé.
— Il va tenir bon, hein ?
— Les médecins font tout ce qu’ils peuvent.
— Je veux le voir ! je lance, tout en essayant de me lever, alors que j’ai du mal à garder les paupières ouvertes et à articuler chaque mot, alors que ma tête tourne comme une toupie, alors qu’un marteau semble taper à l’intérieur sans relâche, alors que j’ai l’impression qu’elle va exploser.
— Non, Nicolas, ce n’est pas possible. Tu dois te reposer. De toute façon, ils ne laissent aller que la famille lui rendre visite.
— Je veux parler à son médecin !
— Je vais voir ce que je peux faire, mais c’est compliqué d’attraper les médecins ici, et puis ils ne parlent qu’à la famille.
— Son père et son frère sont là ?
— Oui.
— Va leur dire de venir me voir ! S’il te plaît, s’il te plaît !
— D’accord, d’accord Nicolas, mais reste calme, je t’en supplie.
Papa revient avec l’infirmière et un jeune et charmant médecin. Ce dernier me pose des questions, essaie d’évaluer mon degré de douleur pour doser les calmants. Il m’informe que mon nez n’est pas cassé, mais qu’il faut que je fasse attention.
— Je veux des nouvelles de Jérém ! je crie avec la faiblesse de mon souffle.
— Restez calme, Mr Sabathé, me glisse le jeune interne.
— Alain, tu peux aller voir le père de Jérémie et lui dire de passer voir Nicolas ? lance Maman à Papa.
— J’y vais ! s’empresse de répondre ce dernier, en quittant la chambre au pas de course.
Les deux soignants quittent la chambre à leur tour et je reste en tête à tête avec Maman.
— Qu’est-ce qu’ils t’ont fait mon lapin, elle pleure, laissant enfin s’exprimer toute sa peur, son angoisse retenue depuis des longues heures.
— Ça va, Maman, ça va, je tente de la rassurer d’une voix faible.
— Qu’est ce qui s’est passé ?
L’image du gars qui nous aborde, qui demande une cigarette, qui nous insulte, les quatre autres énergumènes qui débarquent et nous empoignent et nous traînent de force dans la petite rue, la peur, la douleur, les coups, l’odeur du sang. Et Jérém en train de se faire tabasser déchire mon esprit. Je n'ai rien pu faire pour l’aider. Je l'ai regardé se faire tabasser, c’était horrible, j’ai cru qu’ils allaient le tuer.
Il n’y a pas de mots pour décrire la peur que vous ressentez en voyant le gars de votre vie en train de se faire cogner, et ce pour la simple et bonne raison qu’il vous aime, que vous vous aimez. L’incompréhension qui vous envahit, et le sentiment d'impuissance aussi.
Les larmes montent à mes yeux, coulent sur mes joues. Si seulement on avait fait davantage gaffe…
— Ça va pas, mon lapin ?
Sur ce, Papa revient accompagné de M. Tommasi et de Maxime. Le petit brun vient m’embrasser, son papa me serre affectueusement la main. Les salutations se mélangent aux présentations. Ce n’est pas exactement de cette façon, dans une pareille occasion, que j’avais imaginé la rencontre de nos familles respectives. Mais l’urgence est ailleurs.
— Dites-moi comment va Jérém ! je m’impatiente au prix d’une recrudescence des coups de marteau piqueur dans la tête.
— Il a un paquet de côtes cassées, une épaule démise, et le nez cassé, m’explique M. Tommasi.
— Mais ça va aller, hein ?
— Bien sûr que ça va aller.
— Mon grand frère est un champion, un battant !
— Qu’est-ce qui s’est passé, Nico ? me lance M. Tommasi.
— On sortait de chez Ulysse après une soirée, et ces types nous sont tombés dessus.
— Parce que vous étiez ensemble ?
— On avait un peu bu, on rigolait et…
— Et ?
— Et… et… on… s’est… embrassés… je finis par admettre, dans les larmes.
— En pleine rue ? s’étonne M. Tommasi.
— On aurait dû faire davantage gaffe…
— Eh oh, c’est quoi ces raisonnements à la con ? me coupe Maxime. Alors, une fille qui porte une mini-jupe est un appel au viol et deux gars qui s’embrassent, c’est un appel au passage à tabac ? Mais on va où comme ça ? C’est plutôt ces sales types qui ont de la merde dans la tête ! Ils ont été bercés près du mur. Ou pas assez, en fait. Un coup un peu plus fort, et ils ne seraient pas là, et le monde se porterait d’autant mieux. Ce ne sont que de sales bâtards !
— Ces sales bâtards ont eu ce qu’ils méritaient, j’entends une nouvelle voix se glisser parmi celles de nos familles.
La vibration virile de sa voix a sonné comme une caresse pour mes oreilles et pour mon esprit. Cette voix de mâle, je la connais bien. Le beau blond Ulysse vient de pénétrer dans la chambre.
— On les a coursés et on a fini par en rattraper trois. Et je peux de dire qu’on n’y a pas été de main morte. J’en ai encore mal aux articulations de la main !
Je remarque que le demi de mêlée arbore un joli cocard à l’œil gauche.
— Comment tu as su…
— Après votre départ, je suis sorti pour aller rejoindre des potes. J’ai entendu les cris, et j’ai vu des gars qui couraient. J’ai compris qu’il se passait quelque chose, et j’ai suivi le mouvement. Et quand je vous ai vus par terre, en sang… putain… tu peux pas savoir comment je m’en suis voulu !
— Mais voulu de quoi ?
— Je ne sais pas, je ne sais pas, ça a été un tel choc…
— Ce ne sont pas des êtres humains, ce ne sont même pas des animaux ! rage Maxime.
— Ce sont des déchets, rien de plus, abonde Ulysse.
— Un coup de pelle sur la tête pour les achever, c’est tout ce qu’ils mériteraient, ajoute M. Tommasi.
— Ce qui me dégoûte aussi, c’est ce que racontent les journaux, continue Maxime. Jérém ne s’est pas fait agresser pour se faire voler, il s’est fait agresser parce qu’il aime Nico, et en plus il ne s’est pas fait agresser tout seul !
J’apprendrai plus tard que, coordonnée par l’agent de Jérém, la presse s’était donné le mot pour divulguer un narratif politiquement correct de l’agression. En gros, le récit officiel apprenait au grand public que Jérémie Tommasi, l’ailier vedette du Stade Français et du XV de France, avait été victime d’une agression à Paris. Que les malfrats s’en seraient pris à lui pour lui subtiliser sa carte bleue, sa montre de valeur et sa voiture sportive. Que le jeune rugbyman ne se serait pas laissé faire et il aurait été passé violemment à tabac. Et que, à la suite à ses blessures, il avait été hospitalisé dans un état sérieux.
Oui, j’apprendrai plus tard que la réalité est une matière fluide qu’on peut manipuler à sa guise. Les média, des alchimistes. Les directeurs de communication, des affabulateurs professionnels. Il n’est d’ailleurs fait aucune mention du fait que quelqu’un d’autre s’est fait tabasser avec lui. Moins on en dit, mieux la manipulation se porte.
— Hélas, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, confirme le beau blond. Il est plus important de garder les apparences que de faire évoluer les mentalités.
— Pour l’instant, ça c’est le cadet de nos soucis, fait M. Tommasi. L’important, maintenant, c’est que Jérém s’en sorte.
— Oui, l’important est que Jérém s’en sorte, considère Maxime. Mais faire évoluer les mentalités ne doit pas être le cadet de nos soucis. Si on ne parle pas de ce genre d’agression, on ne peut pas faire évoluer les choses. Et ça va arriver, encore et encore. J’espère que vous allez porter plainte ! il me lance.
Le lendemain matin, je suis autorisé à quitter l’hôpital. Et, grâce à l’intervention de M. Tommasi, je suis également autorisé à passer voir mon Jérém. C’est dur, c’est horrible de le voir allongé sur ce lit, immobile, le visage tuméfié, le nez caché par un gros pansement blanc. Si ce n’était pas grâce à ses cheveux bruns et ses tatouages, je ne le reconnaîtrais pas. Mon beau brun est conscient, mais assommé par les calmants. Je ne sais même pas s’il s’est rendu compte que je suis passé le voir.
— Je m’en veux tellement, tellement ! je pleure devant M. Tommasi.
— Tu n’as rien à te reprocher, Nico. Rien, du tout, tu m’entends ! Tu ne peux pas te reprocher d’aimer mon fils ! Maxime a raison, ce sont eux les coupables, eux et personne d’autre.
— S’il ne m’avait jamais croisé, il n’en serait pas là.
— Oui, c’est bien probable que s’il ne t’avait pas rencontré, il n’en serait pas là. Il est fort probable qu’il n’aurait pas appris à se connaître et à s’aimer, il est fort probable qu’il serait malheureux. Tu sais, Nico, avec les « si »…
Je culpabilise d’avoir qu’une blessure légère et que lui ait pris le gros des coups. Je culpabilise de ne pas avoir su le défendre comme il a su me défendre. L’idée que Jérém puisse endurer toutes ces conséquences de notre agression me donne le vertige. J’ai mal pour lui, j’ai mal d’avance. Son malheur à venir me hante déjà.
C’est horrible de penser que la gravité de ses blessures est en relation avec la puissance de son amour pour moi. Je sais que si ce gros bâtard s’est autant acharné sur lui, c’est parce que Jérém l’a cherché. Et je sais qu’il l’a cherché pour qu’il arrête de s’en prendre à moi. C’est une belle preuve d’amour. Dont je me serais franchement passé.
Un sentiment d’injustice, de haine, d’impuissance m’envahit devant ses blessures, encore plus que devant les miennes.
CINQ CONTRE DEUX, bande de sales lâches ! Visiblement en plus d'être intolérants, vous êtes aussi des lâches ! Mais vous savez quoi ? Vous pourrez frapper et encore frapper, vous ne nous empêcherez pas de nous aimer. Nous sommes peut-être des pédales, des tafioles comme vous dites, mais nous on n'attaque pas deux mecs à cinq.
J’aurais tellement voulu faire plus, épargner plus de coups à Jérém. Pourvu qu’il s’en sorte. Pourvu que sa carrière…
Maxime a raison. Pourquoi ce serait à nous de faire attention ? Est-ce qu’on a fait quelque chose de mal ? On essaie juste d’être heureux comme on l’entend. Est-ce que cela concerne quelqu’un d’autre que nous ? Il ne me semble pas. Alors, pourquoi tant de haine pour quelque chose qui ne concerne que nous ? Pourquoi tant de violence ? Quel est le délit qui justifierait cela ?
L’homosexualité n’est pas un choix, mais un état de choses. On naît homosexuel. C’est une caractéristique d’origine. C’est aussi naturel d’être homosexuel que d’être hétérosexuel.
L’homophobie, en revanche, ce n’est pas quelque chose de naturel. C’est culturel. En fait, non, même pas. L’homophobie est un ramassis de partis pris, d’ignorance, de manque d’empathie et, surtout, surtout, surtout, un manque absolu d’intelligence. La plupart des personnes ne savent même pas livrer les raisons pour lesquelles elles sont homophobes. Ou alors ce sont des raisons fallacieuses, sans fondement intellectuel. « C’est contre nature ». « Ça me dégoûte ». « Homosexuel = pédophile ». Voilà le top 3 des « arguments » des homophobes.
Ce ne sont pas les personnes homosexuelles qui ont un problème. Ce sont ceux qui pensent qu’ils peuvent décider de ce que les personnes homosexuelles ont le droit ou pas de faire.
En nous aimant, nous ne faisons de mal à personne, nous ne privons personne d’une quelconque liberté. Pourquoi notre liberté n’est pas respectée, n’est pas considérée comme étant légitime ?
Les homophobes n’agissent, ne luttent pas pour avoir plus de droits, mais pour que d’autres personnes n’en aient pas. C'est horrible de devoir se dire que juste parce qu'on est ce qu'on est, on se fait lyncher.
Papa et Maman sont évidemment déçus et inquiets que je ne rentre pas à Toulouse avec eux. Ça les aurait rassurés, ça leur aurait fait tellement plaisir de prendre soin de moi. Et ça m’aurait fait immensément plaisir aussi. Mais comment partir en laissant Jérém dans cet état ? C’est tout bonnement inenvisageable à mes yeux. Mais mes parents sont formidables, et ils comprennent mon choix.
Mon choix qui est celui d’accepter de bon cœur la proposition d’Ulysse de passer quelques jours chez lui en attendant de voir comment la situation de Jérém va évoluer. J’aurais pu m’installer dans l’appart de Jérém, mais il est déjà occupé par M. Tommasi et Maxime.
Pendant trois jours, Jérém est maintenu sous sédation. Pendant ces trois jours, je rumine, je broie du noir. J’ai peur. Peur que Jérém garde des séquelles. Peur de sa réaction si jamais ses blessures sont de nature à compromettre sa carrière. Il est presque certain que sa saison est foutue. Pourvu qu’il revienne à sa meilleure forme, pourvu qu’il revienne au rugby, à ses rêves, à son bonheur.
Quand je pense qu’il était le meilleur marqueur de points en ce début de saison et qu’il était populaire comme jamais. Qu’il était partout, dans les journaux, sportifs et de caniveau, et même à la télé. Quand je pense qu’on était heureux comme jamais.
C’est fou comme on peut tout perdre du jour au lendemain, en un instant. Pourvu que nous nous retrouvions après tout ça.
Le temps est très mauvais, il fait froid, et la pluie ne cesse de tomber, rendant Paris gris et austère. A moins que ce ne soit mon immense tristesse qui ait ôté toute couleur au présent. La présence de Maxime et de M. Tommasi, avec qui je déjeune chaque midi, me fait chaud au cœur. Tout comme celle d’Alice, la maman de Jérém, venue elle aussi au chevet de son aîné. Ou celle de Thibault, accouru lui aussi auprès de son pote de toujours.
Mais leur proximité n’enlève rien à la peur, à l’angoisse. Pendant trois jours, je vais voir Jérém à l’hôpital. Pendant trois jours, je me retiens de pleurer devant son visage méconnaissable, devant son manque de réactions, conséquence d’une lourde sédation, avant de fondre en larmes une fois dans le couloir du service.
Pendant trois jours, je lui parle. Je lui raconte notre histoire, depuis nos révisions dans l’appart de la rue de la Colombette, en passant par nos disputes, par notre accrochage dans la maison de mes parents, par les retrouvailles à Campan. Je lui dis à quel point il m’a manqué pendant les premiers mois de son aménagement à Paris, à quel point nos éloignements et nos ruptures ont été difficiles pour moi. Je lui parle de mon bonheur d’avoir pu être à ses côtés pendant l’épreuve qu’a été son accident au rugby. Et de celui, encore plus grand, des derniers mois, où plus rien semblait pouvoir atteindre notre amour. Je lui parle de nos voyages, en Italie, à l’Ile de Ré, en Islande, au Québec, dans le Gers, dans le Nord.
— Nous avons encore tant de choses à vivre ensemble. Tu as encore tant de matches à jouer, tant de boucliers de Brennus à soulever !
Au bout de trois jours, sa sédation est progressivement levée, et le beau brun revient enfin à lui. Il me faudra attendre le lendemain soir pour qu’il retrouve ses esprits.
Mais même une grosse journée après l’arrêt des calmants, Jérém demeure sonné, et il n’arrive presque pas à parler. Il a l’air vraiment fatigué. Et inquiet. J’essaie de l’apaiser, je glisse mes doigts dans ses cheveux, je pose un bisou léger sur son front. J’essaie de le câliner discrètement, mais je sens qu’il est mal à l’aise. Il est nerveux. L’infirmière qui vient vérifier sa perfusion finit par me prier de partir et de revenir le lendemain.
Ironie du sort, c’est ce même jour que le nouveau calendrier des Dieux du Stade débarque dans les librairies et autres kiosques à journaux. Ironie encore plus grande, le jeune ailier qui est depuis quelques jours dans la presse non pas à cause de ses exploits mais suite à son agression, fait carrément la couverture de cette nouvelle édition, chose que j’ignorais car il ne m’en avait pas parlé. J’imagine qu’il voulait me faire la surprise, et guetter ma réaction à chaud.
Le cliché, en noir et blanc avec un soupçon de chromatisme sépia, est tout bonnement à se damner.
Ironie presque absurde, cruelle, sur cette photo, Jérém y est magnifique comme sur aucune autre auparavant, et c’est pas peu dire. Il se dégage de cette photo une beauté, une puissance, une virilité, une jeunesse, une insolence, une attitude de jeune loup assuré, une sensualité, un regard brun illuminé d’un début de sourire qui feraient s’émoustiller un bloc de granit. Ce n’est pas un hasard si elle a été choisie pour paraître en couverture.
Sur cette couverture, Jérém y est somptueux, de beauté, de jeunesse, d’effronterie, d’assurance. Le torse, hélas rasé, et pourtant spectaculaire, les pecs, les tétons, les biceps, les abdos, les plis de l’aine, tout est saillant, à la fois délicieusement solide et parfaitement harmonieux, merveilleusement dessiné, divinement sculpté.
Mais c’est son attitude qui met le coup de grâce à la santé mentale de l’observateur. Le buste légèrement incliné et pivoté vers sa droite, la tête insolemment relevée, la mèche rebelle, un soupçon de barbe négligée et insupportablement sexy, les lèvres entrouvertes, le regard de b(r)aise bien planté dans l’axe de l’objectif. Et dans ses yeux, un sourire léger, pétillant d’une insistante étincelle lubrique. Toute son attitude dégage une sensualité torride.
Et encore, c’est sans compter avec le geste esquissé par sa main droite, par cet élastique de boxer blanc pincé entre le pouce et l’index, écarté de la hanche, une insoutenable invitation à glisser le regard et la main dedans, une pure incitation au délit. Un délit que la belle bosse dessinée par la poche du boxer rend carrément inéluctable.
Une attitude et une beauté d’une insolence rare, inégalable. Nous sommes là en présence d’un petit Dieu, un somptueux Dieu mâle à la sensualité radioactive.
Devant une telle image, il est impossible de ne pas avoir l’impression d’avoir un tambour de machine à laver en mode essorage dans le ventre. On ne peut pas regarder cette image sans avoir envie de se mettre à genoux. On ne peut regarder cette photo que d’une seule main.
C’est au mois de mars que je retrouve le boblond Ulysse. Je le retrouve en compagnie d’un « invité », non pas un rugbyman, mais un footballeur. Le demi de mêlée y apparaît dans toute sa splendeur, avec sa blondeur aveuglante, ses beaux cheveux, sa belle barbe virile, son regard clair, à la fois doux et furieusement viril. Quant au footballeur, il est brun, barbu lui aussi, le regard ténébreux dégageant quelque chose de sauvage, d’animal, de macho, de furieusement viril. Dans une certaine mesure, il me fait penser au magnifique bipède à casquette croisé dans le parc du Mont Riding.
Les deux sportifs sont torse nu, le beau blond, de profil par rapport à l’objectif, enlace le beau brun dans le dos, l’avant-bras du premier abandonné sur l’épaule de l’autre. Ils sont assis, ce qui fait que les épaules d’Ulysse partent un peu vers l’avant, et que son torse s’en trouve légèrement contracté. Et pourtant, malgré cette position peu propice à mettre en valeur la plastique masculine, ses pecs et ses abdos demeurent fabuleusement tendus.
Le bel invité est positionné de trois quarts, tous pecs et abdos tendus lui aussi. Le regard de glace du rugbyman et le regard de braise du footballeur pénétrant doublement l’objectif, et nourrissent et le fantasme du spectateur. Comment ne pas imaginer, en regardant cette photo, puisque c’est si bien suggéré par la mise en scène, les deux superbes mâles dans un pieu ? Comment ne pas ressentir ce petit vent, cette sensation d’apesanteur qui happe l'esprit, le vertige, le même qui nous vrille l'esprit en essayant d'imaginer l'infinité de l'Univers, quand on essaie d'imaginer qui prendrait possession de l'autre ?
Dans une autre photo, Ulysse est photographié seul, assis, les cuisses écartées, l’avant-bras et la main couvrant sa virilité, l’autre bras levé au-dessus de sa tête, appuyé contre un mur recouvert d’un drap blanc. Une position qui fait étirer son pec gauche, remonter son téton, découvrir la délicieuse pilosité de son aisselle. Le regard bien planté dans l’objectif, il est beau comme un Dieu Viking.
Inutile de chercher mon beau brun à travers les mois de l’année 2007. En effet, Jérém est l’Alpha et l’Omega de cette édition du Calendrier des Dieux du Stade.
Je retrouve mon bobrun dans la dernière de couverture, seul, dans une photo en noir et blanc magnifique. Le jeune ailier y figure allongé sur une serviette, positionné dans la diagonale du cadre, dans son plus simple appareil, le bras gauche relevé et replié pour que sa main puisse soutenir sa tête, l’aisselle poilue au premier plan, le visage tourné vers son biceps, le regard un brin lascif bien offert à l’objectif.
Et son torse – putain ! – avec ces pecs saillants recouverts de cette pilosité brune naturelle si furieusement sexy ! Visiblement, cette photo a été réalisée avant celle de couverture, avant que la lame d’un rasoir ne commette l’irréparable. La limite inférieure de la photo coupe juste en dessous de son pubis, de cette pilosité brune qui part de son nombril et se diffuse autour de sa queue et de ses couilles. Sa main droite est délicatement posée sur ses attributs, mais laisse apprécier une vaste portion de pilosité virile.
Entre les deux couvertures, on découvre ainsi deux facettes de la beauté insolente de mon Jérém. La beauté pure, et la beauté sensuelle.
Ironie du sort, oui, cruelle ironie. Quand je pense que le sujet de ces superbes clichés gît sur ce lit d’hôpital, avec sa belle petite gueule défigurée par de gros hématomes et cet immense pansement au nez, avec des fractures multiples et son avenir en suspens, j’ai envie de pleurer toutes les larmes de mon corps.
Le lendemain, Jérém est plus alerte. Il arrive à articuler davantage. Apparemment, il n’a pas gardé de séquelles mentales. Mais il n’a visiblement aucune envie de taper la discute. Car son moral est plus bas que terre. Il sait désormais que ses saisons en Top14 et en H Cup sont largement compromises. Il mesure également l’effort que va lui demander de revenir une nouvelle fois au top de sa forme après des semaines, des mois de convalescence.
Contrairement à mes craintes, il ne se montre pas particulièrement de mauvaise humeur. Il est juste absent, sans réaction, comme s’il retenait son souffle. Son regard brun se perd au-delà des vitres de la fenêtre, dans la grisaille peu engageante du ciel parisien de ce début d’automne. Ce qui me fait le plus mal, c’est que son regard brun est éteint. Je préférerais encore le voir fulminer, enrager.
Je me dis que ça doit être sa façon de gérer le traumatisme psychique. Je me sens moi-même comme vidé depuis l’agression. Je me sens anxieux, j’ai régulièrement des moments d’angoisse, et de soudaines chutes de moral. Parfois, j’ai du mal à retenir mes larmes. Le moindre bruit inconnu et un peu violent me fait sursauter. Des images de notre agression surgissent dans mon esprit sans prévenir, à toute heure. J’ai l’impression de sentir à nouveau la violence et le bruit des coups, l’odeur du sang, la peur qu’ils nous tuent. A part dans l’appart d’Ulysse, la porte d’entrée fermée à double tour, j’ai l’impression de n’être en sécurité nulle part.
Je trouve mon beau brun horriblement distant. Et même si je comprends son état d’esprit, l’ambiance que cela installe ajoute du malaise et de la tristesse à ma souffrance. J’aimerais tellement le prendre dans mes bras, partager nos angoisses, nos larmes, nos colères. Mais tout cela paraît tout simplement impossible.
Oui, je me dis que l’air absent et le mutisme de Jérém doivent être ses façons à lui de gérer son traumatisme. Mais tout ce silence m’angoisse. J’essaie alors de lui parler, mais j’ai l’impression de le déranger. L’agression est évidemment un sujet tabou. Le rugby en est un autre. L’avenir, le pire de tous. Evoquer le souvenir de nos jours heureux, j’ai essayé. Il ne réagit pas. Pas un mot, pas un regard. J’ai même l’impression de l’emmerder. Au bout d’un certain temps, il prétend être fatigué et me demande de le laisser tranquille.
— Je voudrais aller porter plainte contre ces types, je lui glisse avant de quitter sa chambre.
— Ne fais pas ça ! il me balance du tac-au-tac, en se sortant illico de son mutisme, sa voix oscillant entre peur et angoisse.
— Pourquoi tu ne veux pas porter plainte ?
— T’imagines si ça se sait ?
— Tu parles du fait qu’on a été agressés parce qu’on est homo ?
— C’est déjà assez dur comme ça, Nico, n’en rajoute pas s’il te plaît ! Si ça se sait, plus personne ne me respectera, personne. Je ne serai qu’une merde !
— C’est pas toi qui est une merde, c’est pas nous, ce sont eux, les merdes !
— Si tu portes plainte, tu vas être obligé de parler de moi, et ils vont vouloir m’entendre aussi. La presse va s’en mêler et ça va être un désastre. Je ne veux pas affronter ça ! Ne me fais pas ça, Nico, ne me fais pas ça !
— Mais Jérém…
— En plus, si tu portes plainte, tu risques de foutre Ulysse dans la merde. Si les mecs se font choper et qu’ils disent qu’ils se sont fait tabasser par un joueur connu, il va avoir de gros problèmes. Laisse-lui terminer sa carrière sans accrocs, s’il te plaît, il ne mérite pas d’avoir des ennuis. Il a fait ce qu’il fallait, il les a chopés et il leur a mis une bonne raclée, c’est tout ce que comprennent ces types. Et puis, mon agent a menti à la direction. C’est lui qui a inventé l’histoire du vol. S’ils apprennent qu’il a menti, il va passer pour qui ? Et moi, je vais passer pour quoi ?
— Et s’ils recommencent ? Et s’ils s’en prennent à d’autres gars comme nous, tu as pensé à ça ?
— Si c’est pas eux qui recommencent, ce seront d’autres…
— Alors quoi, on laisse faire ?
— Ils se sont fait défoncer la gueule, ils vont réfléchir deux fois avant de recommencer.
— Je ne suis pas sûr que ce soit suffisant. Quand on est con à ce stade, on l’est pour la vie ! Tu sais, quand les secours sont arrivés, j’ai entendu un pompier dire que ce genre d’agression « ce sont malheureusement des choses qui arrivent ». Non, ce genre de choses ne doit pas être banalisé. Ces choses ne doivent plus arriver ! La haine ne doit pas être tolérée !
— Ecoute-moi, Nico, je vais déjà en prendre plein la gueule comme ça, alors, ça suffit !
C’est à contre-cœur que je consens à sa demande, je ne veux pas lui infliger ça en plus de ses angoisses. Non, je ne porterai pas plainte. Et ce crime restera impuni. La presse complice, aux yeux de la justice, il n’aura même pas existé.
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1 avis des lecteurs et lectrices après lecture : Les auteurs apprécient les commentaires de leurs lecteurs
Les avis des lecteurs
Superbe récit, très bien construit, avec le bonheur tranquille et les perspectives de vie soudain bousculées par un évènement extérieur particulièrement violent, puis l'élément non-négligeable du mix ortho-grammaire impeccables, qui qui reconstitue un peu les cônes et bâtonnets de mes rétines, trop souvent mises à mal...
Belle réflexion sur l'homophobie, aussi, et la difficulté trop fréquente d'y répondre et de réagir en proportion, il y a des combats qui sont encore loin d'être gagnés.
Merci pour ce beau texte :)
Belle réflexion sur l'homophobie, aussi, et la difficulté trop fréquente d'y répondre et de réagir en proportion, il y a des combats qui sont encore loin d'être gagnés.
Merci pour ce beau texte :)