0404 Errances et tâtonnements.
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 12-04-2024 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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0404 Errances et tâtonnements.
Juillet 2009.
C’est en rentrant à Toulouse (après mes vacances sur la côte en compagnie de Stéphane) qu’un immense coup de tonnerre déchire mon horizon. Il s’annonce par le biais du vent d’Autan qui souffle dans les rues de Toulouse.
Toute la presse en parle. Rodney Williams vient d’annoncer son retrait définitif du rugby professionnel à la veille du coup d’envoi de la Currie Cup, le tournoi de rugby d’Afrique du Sud auquel il devait participer au sein des Sharks.
Mais la nouvelle de son retrait soudain et « inexplicable » de la scène rugbystique est totalement éclipsée par une autre info bien plus croustillante pour la presse à scandale. Rodney Williams vient de faire son coming out dans un talk-show sur une grande chaîne de télévision anglaise. Et, de ce fait, devant la Terre entière.
La photo par laquelle le « scandale » avait éclaté était parue dans un canard anglais à gros tirage. L’image, prise par téléobjectif et par ailleurs assez floue, montrait deux silhouettes masculines au bord d’une piscine, dans une attitude qui semblait de grande proximité. On y voyait Jérém de dos, je n’ai pas eu de mal à reconnaître son dos musclé et ses tatouages, et Rodney devant lui, à moitié caché. Les deux garçons semblaient en train de s’embrasser, ou en passe de s’embrasser. Une hypothèse promue par un titre écrit en gros caractères dégoulinants d’encre rouge et suggérant le « scandale » :
BOYS HAVE FUN !
Les noms de Rodney et de Jérém y étaient cités, avec une allusion malicieuse à la nature de leurs véritables relations.
A l’intérieur du canard, d’autres photos, moins explicites mais non moins sensuelles, affichant leur demi-nudités, les torses musclés sortant des maillots de bain, des sourires, une complicité visible.
L’« article », ou plutôt l’ensemble de ragots accompagnant les photos, parlaient d’amitié particulière, avec des allusions vaseuses.
Pendant plusieurs jours, il n’y avait eu aucune réaction de la part des intéressés. Puis, l’interview de Rodney, tombée par surprise, avait fait l’effet d’une bombe. Et elle avait été relayée par la plupart des médias.
Je n’ai pas eu de difficultés à retrouver ses propos sur Internet.
Ça démarre très fort, à partir du titre de l’article : « Il est temps que la honte change de camp ».
— Rodney Williams, comment avez-vous vécu la publication de ce fameux article ?
— Mal, très mal. Ma vie privée ne concerne que moi. J’étais dans un espace privé, j’ai tout fait pour rester discret.
— Mais vous êtes un personnage public, et votre vie intéresse le public…
— Je suis un rugbyman professionnel. Enfin, je l’étais, jusqu’à il y a peu de temps . Mes performances sportives concernaient le public. Je le répète, ma vie privée ne concerne que moi. Je n’ai jamais cherché à m’afficher, il aurait tout simplement fallu respecter cela.
— Comment ces « révélations » sur votre vie privée ont été accueillies autour de vous ?
— Cette histoire m’a attiré de la haine, de l’hostilité, mais aussi des soutiens. Ma famille me soutient. Les gens intelligents me soutiennent. Quant aux autres, je ne porte aucun intérêt à leur sujet.
— Pourquoi quitter le rugby alors que vous deviez participer à la Currie Cup ?
— Je sais qu’après cette histoire j’aurais trop de pression à gérer, et je ne pourrais pas être au top de ma forme. J’arrête avant le tournoi de trop. Et puis, j’ai passé l’âge de me faire emmerder.
— Si je comprends bien, votre retrait du rugby professionnel s’est fait sous la pression médiatique…
— Vous comprenez très bien. Dans l’absolu, c’est triste que cela se passe de cette façon. Mais cette histoire aura au moins permis d’attirer l’attention sur quelque chose d’important.
— Vous pensez à quoi ?
— Je pense au fait que l’orientation sexuelle n’a aucune influence sur ce qui définit l’individu par ailleurs.
— Expliquez-vous.
— Il me semble pouvoir dire, au vu de mon parcours dans le rugby, que j’ai eu une belle carrière, que j’ai de très bonnes statistiques. Je pense que j’ai été un bon joueur, sinon on ne m’aurait pas fait jouer dans l’équipe nationale, non ? J’ai joué dans le top du rugby anglais et international, et ce, malgré la pression que j’ai ressentie sur moi pendant toute ma carrière.
— De quelle pression voulez-vous parler ?
— La pression de l’homophobie dans le milieu sportif. J’ai dû mentir sur mon orientation depuis mon adolescence, pendant plus de vingt ans, pour avoir la paix et mener à bien ma carrière. Je sais qu’en venant ici ce soir je vais en prendre plein la gueule, mais je m’en fiche. Il est grand temps que les choses bougent, et il n’y a qu’en libérant la parole qu’elles peuvent bouger. J’affirme que tout sportif doué doit pouvoir trouver sa place dans le rugby, indépendamment de son orientation sexuelle.
Oh, Rodney, il me semble que j’ai déjà lu ces mots ailleurs, « regardless of their sexual orientation », dans un tract associé au livret d’un CD qui est précieux à mon cœur.
— J’affirme que ce qui compte est le résultat sportif d’un joueur, et que ce qui se passe dans son pieu ne concerne que lui et la personne qui accepte de le partager avec lui.
— Comment M. Tommasi a vécu toute cette histoire ?
— Mon coming-out ne concerne que moi. Je viens vous parler pour dire que oui, je suis gay, gay et fier de l’être, et pour demander qu’on arrête de me poursuivre avec des téléobjectifs et avec des micros. Je viens demander qu’on fiche la paix à ma famille. Je ne suis pas une bête de foire, je suis comme tout un chacun, j’ai besoin d’aimer et d’être aimé. Et le fait que je préfère aimer un garçon plutôt qu’une fille ce n’est qu’un détail. Fin de l’histoire, il n’y a rien d’autre à rajouter.
— Vous êtes le premier rugbyman connu à faire son coming-out. Mais vous n’êtes certainement pas le seul homosexuel dans le rugby professionnel.
— Non, je ne suis pas le seul. Il y a d’autres joueurs homosexuels dans le rugby et dans les autres sports, et ils se cachent pour avoir la paix et ça les mine. Vous n’avez pas idée de l’énergie que ça demande de faire semblant d’être celui qu’on n’est pas à longueur de temps, de mentir aux gens qu’on aime, qu’on admire, qu’on respecte. C’est un immense déchirement que de devoir choisir entre sa carrière sportive et son bonheur personnel.
Et maintenant il est grand temps que tout cela change, il est temps que la honte change de camp.
Il est temps que la honte change de camp. C’est le mot de la fin, un très joli mot de la fin. Par le biais de cette interview, Rodney fait un joli doigt d’honneur à ceux qui l’ont harcelé, et il le fait avec panache.
Mais pour un Rodney qui ose, combien de sportifs souffrent de devoir « choisir entre sa carrière sportive et son bonheur personnel » ?
Je sais que Jérém a toujours souffert de ce choix sans cesse posé dans sa vie de rugbyman. Et les mots clairs et percutants de Rodney m’ont ému, car ils m’ont fait prendre la mesure de l’ampleur de ce déchirement.
Dans les quelques photos illustrant l’article, l’ex-rugbyman est très élégant, très en valeur, très beau, l’air épanoui et bien dans ses baskets. Je comprends très bien que Jérém puisse être fou de ce garçon.
Lorsque Jérém a rencontré Rodney, il a probablement cru pouvoir enfin concilier les deux. Mais la réalité a fini par le rattraper.
Toute cette histoire m’a mis dans un état de fébrilité immense. Mille questions se bousculent dans ma tête. Où est donc passé Jérém ? Comment va-t-il ? Comment vit-il toute cette histoire ? Est-ce qu’il va poursuivre sa carrière dans le rugby ou pas ? Est-ce qu’il est revenu en France ou va revenir en France ? Est-ce qu’il est toujours avec Rodney ? Est-ce qu’il est entouré, soutenu ?
J’aimerais tellement être à côté de lui en ce moment difficile. Je ne peux rester les bras croisés sans rien faire, sans rien savoir.
— Oh Nico… il est reparti en Australie, m’annonce Maxime, d’entrée, en décrochant. Il n’est même pas passé nous voir, il est parti juste après la publication de l’article.
— Et le rugby ?
— Cette fois-ci, je crois que c’est fini pour de bon.
— Comment il va ?
— Je pense qu’il a besoin d’être loin de tout ce bordel et de se changer les idées.
— Seul ?
— Je ne sais pas…
— Tu sais pas si Rodney est allé le rejoindre ?
— Je crois que c’est prévu… il finit par admettre.
— On peut le joindre ?
— Non, pas vraiment.
— Il a un portable ?
— Pas pour l’instant. Je crois qu’il n’en veut pas. Il rappellera quand il sera prêt.
— Passe-lui le bonjour de ma part, je pleure, si tu en as l’occasion, et dis-lui que je l’aime toujours.
— J’aurais tellement aimé que tu demeures mon beau-frère, Nico !
La nouvelle du retrait définitif du rugby de Jérém et de sa nouvelle fuite en Australie me plonge dans un état de détresse et de frustration indicibles.
La vie de l’amour de ma vie a été traversée par un ouragan qui a tout emporté sur son passage et je ne peux rien faire pour l’aider. Je n’ai pas de mal à imaginer ce qu’il ressent, à quel point il doit se sentir humilié après ce nouvel outing si médiatique, face à cette photo à la une d’un tabloïd à la vue de tous.
Il doit être dans une colère noire, du fait que tout ce bordel l’oblige à renoncer à sa carrière au rugby. Il doit en vouloir à la Terre entière.
Je sais ce que le rugby représente pour lui, et j’imagine sans mal sa souffrance, son déchirement, le sentiment d’injustice et d’immense gâchis qu’il doit ressentir au fond de lui. Je suis moi aussi profondément en colère. Pour un scoop, pour une photo tapageuse à la une, on n’hésite pas à gâcher la vie de quelqu’un. C’est insupportable.
J’en viens à souhaiter que Rodney soit à ses côtés pour le soutenir et l’aider à surmonter cette épreuve. Au vu de l’interview que je viens de lire, je me dis que Rodney a l’air d’être un garçon mentalement très solide, et c’est tout ce dont Jérém a besoin en ce moment. Je me dis qu’il saura s’occuper de lui, peut-être mieux que je le pourrais dans une telle circonstance.
Je me demande également comment il a vécu le fait que Rodney fasse son coming-out…
Je suis super inquiet. J’espère vraiment que Rodney ne l’a pas laissé tomber.
Pendant quelques jours, mon esprit est traversé par l’idée d’acheter un billet d’avion et partir à sa recherche. Je suis prêt à cramer toute mon épargne, à traverser la moitié de la planète pour aller voir comment il va. Même si je dois me faire virer de mon travail, même si je devais trouver Rodney à ses côtés.
Mais comment faire, alors que je ne sais pas du tout dans quel coin de cette immense île-continent le chercher ?
Puis les jours passent, et je finis par me dire que s’il est reparti là-bas, c’est qu’il sait qu’il y sera bien. Il y a déjà passé plusieurs mois après notre agression, et il a dû penser qu’il y serait bien à nouveau. A 16 heures d’avion de ses emmerdes, il pourra redevenir un garçon anonyme, loin des ragots et de la pression médiatique. C’est sans doute ce qu’il souhaite désormais comme nouvelle vie.
Je te souhaite d’être heureux, mon Jérém !
Vendredi 16 octobre 2009.
Jérém a 28 ans.
Jérém, où es-tu, que fais-tu, mon Jérém ?
Jeudi 24 décembre 2009.
Jérém, où es-tu, que fais-tu, mon Jérém ?
Jeudi 31 décembre 2009.
Jérém, où es-tu, que fais-tu, mon Jérém ?
***
L’année 2010.
Janvier 2010.
C’est au début de la nouvelle année, lors d’une nuit au B-Machine, où je me suis rendu seul suite à un forfait de Stéphane, que je tombe sur Matthieu. Nous échangeons quelques regards, puis il vient me parler. Nous finissons la soirée chez lui, nous couchons ensemble.
Matthieu est un garçon doux et tendre. Il me propose de nous revoir. J’accepte son invitation et nous nous retrouvons une, deux, trois fois. Nous nous faisons un resto, un cinéma, une balade, nous recouchons ensemble.
Au fil des rencontres, je réalise qu’il s’attache à moi. Et, très vite, ça me fait peur. Moi qui me sens rejeté à chaque fois qu’un gars quitte mon appart ou que je quitte le sien avec la certitude que je ne le reverrai pas, pour une fois qu’un petit gars semble vouloir autre chose, ça me fait fuir.
Je me demande ce qui cloche chez moi. Pourtant, j’adore ce petit mec, il est touchant, câlin, et je le sens sincèrement amoureux. Le fait est que je ne me sens pas amoureux de lui. Je constate un décalage de plus en plus marqué entre nos attentes respectives, et je ne veux pas laisser les choses aller trop loin, jusqu’à ce qu’elles m’échappent des mains. Je ne veux pas répéter les mêmes erreurs que j’ai faites avec Ruben, je ne veux pas le laisser espérer et le blesser plus tard, quand il se rendra compte que ses sentiments ne sont pas réciproques. Et je sais que plus le temps passe, plus la mise au point sera douloureuse.
J’aimerais ressentir la même chose que Matthieu, avoir les yeux qui pétillent quand je le regarde, le cœur qui bat la chamade à chaque fois que je pense à lui, mais ce n’est pas le cas.
J’ai l’impression que je suis désormais incapable de retomber amoureux, comme si quelque chose avait cassé au fond de moi. Stéphane a raison, le problème c’est que je n’arrive plus à faire confiance, et je n’y arrive plus parce que j’ai trop peur de souffrir à nouveau, parce que j’ai une peur bleue de l’abandon.
Mais la raison est peut-être ailleurs. J’ai l’impression que mon cœur est comme ces enceintes sans fil qui ne supportent qu’une connexion à la fois et qui ne peuvent se connecter à un nouvel appareil sans être d’abord déconnectés de l’appareil auquel elles étaient connectés auparavant.
Comment me déconnecter de Jérém ? Lui, qui hante toujours mon cœur, mon esprit, mes souvenirs, jusqu’à mes baises ?
Mon regard n’a de cesse de rechercher les gars bruns, le corps dessiné, la peau mate, un brin macho et dominants. Dans chaque gars que je croise, dans chaque sourire, dans chaque braguette, je te cherche toi, mon Jérém.
J’ai fini par parler à Matthieu et lui dire que je ne suis pas prêt pour une relation suivie. Il m’a dit qu’il était prêt à m’attendre. Nous nous sommes revus encore une fois, mais j’ai dû me montrer tellement distant qu’il a fini par ne plus me rappeler.
Samedi 16 octobre 2010.
Jérém a 29 ans.
Jérém, où es-tu, que fais-tu, mon Jérém ?
***
L’année 2011.
L’année 2011 est jalonnée comme les précédentes par la complicité avec Stéphane, les sorties dans les bars et boîtes gays toulousaines, et la frustration de ne pas savoir aller au-delà de rencontres furtives.
Au printemps, une nouvelle série, « Glee », met en scène des personnages gays et lesbiens et remet au goût du jour des grands classiques de la musique contemporaine.
L’épisode 15 de la saison 1 achève de conquérir mon cœur. Titré « La puissance de Madonna », cet épisode est un hommage haut en couleur pour celle que j’admire toujours autant. La version de « Vogue » par Sue Sylvester est un petit chef d’œuvre à la fois fidèle à l’original et plein d’humour.
https://www.youtube.com/watch?v=0UFTygbBXcs
16 octobre 2011.
Jérém a eu 30 ans. 30 ans, c’est le changement de décennie, c’est une sorte de tournant dans la vie, c’est l’un de ces anniversaires que l’on fête tout particulièrement. Et c’est encore un anniversaire que nous ne fêterons pas ensemble. Avec qui le fêtes-tu, mon Jérém ?
***
L’année 2012.
L’année 2012 démarre fort. Début février, Madonna est la vedette de la mi-temps du Superbowl. Débarquant sur scène dans un char tiré par une légion de beaux mâles, elle donne un spectacle grandiose, accompagnée par le beau Brahim, son dernier toy-boy en date, et entouré par la troupe du Cirque du Soleil.
https://www.youtube.com/watch?v=ucdaEjd1Y4A
Ça laisse présager que du bien pour la tournée qui est annoncée pour l’été. Dès l’ouverture des préventes le lendemain du Superbowl, j’achète deux tickets pour Barcelone, en juin prochain. Deux tickets car, évidemment, Stéphane est partant à 200% pour partager ce moment avec moi.
Le nouvel album sort fin mars et il tourne en boucle dans mon lecteur. Coup de cœur pour la puissance du titre « Girl Gone Wild » accompagné d’un clip en noir et blanc très esthétique et très très gay.
https://www.youtube.com/watch?v=tYkwziTrv5o&list=RDGMEMQ1dJ7wXfLlqCjwV0xfSNbA
À Saint-Pétersbourg, une loi réprimant « la propagande auprès des mineurs de la pédophilie, l'homosexualité, la bisexualité et du transsexualisme » est votée au printemps. En réponse à cette loi, Madonna déclare sur son site officiel : « Je viendrai à Saint-Pétersbourg pour soutenir la communauté gay […] et dénoncer cette atrocité ridicule ».
Juin 2012.
Le 20 juin, le Palau San Jordi à Barcelone est plein à craquer. Stéphane et moi attendions ce moment avec impatience. Et le spectacle va même au-delà de nos attentes. De celles de Stéphane encore plus que des miennes, car c’est la première fois qu’il assiste à un spectacle de Madonna.
Nous en prenons plein la vue et plein les oreilles. Le plaisir est toujours décuplé lorsqu’on se rend à un concert en compagnie de quelqu’un qui partage notre admiration pour l’artiste sur scène. Je repense au concert de 2001 à Londres avec Elodie. Je repense surtout au concert de 2006 avec Jérém. Et j’ai envie de pleurer.
Mais je ne veux pas laisser la nostalgie et la tristesse gâcher ce moment. Alors je danse un peu plus fou, je chante un peu plus fort.
Août 2012.
Elle a tenu parole. Lors de son concert du 9 août 2012 à Saint-Petersbourg, Madonna fait distribuer des bracelets roses au public. Des centaines de drapeaux arc-en-ciel avec l'inscription « No Fear » flottent dans la salle. Entre deux chansons, elle tient le discours suivant :
« Je suis ici pour dire que la communauté gay, les gays qui sont ici ce soir, et tous les gays du monde, ont le droit d'être traités avec respect, dignité, compassion et amour.
Pour tous ceux qui citent la Bible, qui utilisent Dieu pour stigmatiser la différence, je rappelle que Jésus-Christ, Mahomet, Bouddha et Moïse ont tous prêché : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ! » Vous ne pouvez pas utiliser la religion ou le nom de Dieu pour maltraiter les autres ! ».
Je réitère l’expérience du MDNA Tour, en solo, le 21 août à Nice.
15 septembre 2012.
Aujourd’hui, j’ai 30 ans. Et je réalise que, contrairement à ce que j’avais voulu penser jusqu’ici, ça me fait quelque chose de changer de décennie. Je ne suis plus un gamin, et j’ai l’impression que le temps passe de plus en plus vite, qu’il me file entre les doigts.
Je me dis que je dois arrêter de vivre dans le passé, que je dois m’en déconnecter définitivement et résolument, que je dois aller de l’avant et réussir à aimer à nouveau. Car il n’y a que lorsqu’on aime vraiment qu’on est pleinement heureux. Mais je ne sais toujours pas par où commencer.
16 octobre 2012.
Aujourd’hui, Jérém a 31 ans. Ça va faire bientôt cinq ans qu’il a disparu de ma vie. Bientôt il aura passé plus de temps passé loin de moi qu'avec moi. Je n’ai pas de nouvelles de lui. Je n’ai pas vraiment cherché à en avoir. Tout ce que je sais de lui, c’est qu’il est reparti en Australie au lendemain du coming out de Rodney, que ce dernier l’a rejoint là-bas, et qu’ils sont toujours ensemble. Du moins, cela était vrai il y a trois ans. Si c’est toujours le cas à l’heure actuelle, il aura bientôt passé plus de temps avec lui qu'avec moi.
Novembre 2012.
Annoncé pendant la campagne du nouveau Président de la République, le projet de loi pour le « mariage pour tous » est enfin présenté en Conseil des Ministres. A l’instant où l’info paraît dans les médias, les passions se déchaînent.
Toujours en novembre 2012.
Un soir de novembre, chez Stéphane. En essayant de jouer avec Gabin, je constate que son allure est moins vive qu’auparavant, son pas plus lourd, que son envie de jouer est moins flagrante. Au cours des derniers mois, j’ai vu apparaître de plus en plus de poils blancs sur son menton et ses babines, et son attitude changer peu à peu.
Quatorze ans, le toutou, c’est un âge vénérable. Et il est toujours aussi mignon, un véritable aimant à câlins. Je profite de chaque occasion pour lui faire des papouilles, et Stéphane aussi.
Dans le regard de ce dernier, je vois toujours la même indéfectible affection, mélangée cependant à une tristesse qui ne le quitte plus. Je sais à quoi pense mon pote en regardant Gabin. Il pense aux bons moments passé avec le Labranoir, mais aussi au temps qu’il n’a pas pu lui consacrer car accaparé par le quotidien. Mais aussi, et surtout, à la grande inconnue, le temps qui lui reste à partager avec.
La mignonnerie de Gabin me donne envie d'avoir moi aussi un compagnon à quatre pattes. Je décide de sauter le pas et je passe commande à un élevage de la région. Ce sera un Labrador aussi, et il sera noir aussi. Une portée est annoncée pour la mi-décembre, pour une livraison en février.
A partir de là, l’attente est fébrile.
Décembre 2012.
C’est dans la nuit entre le 10 et le 11 décembre, vers deux heures du matin, que la portée de mon futur Labranoir vient au monde. Quelques jours après, je suis invité à voir la portée, et Stéphane m’accompagne. Devant cette débauche de minuscules boules de poil adorables, quatre noires et trois chocolat, mon pote craque et en commande un lui-aussi. Un noir, bien évidemment.
— Il tiendra compagnie à Gabin… il me dit, les yeux embués de larmes, et ça lui fera son stage de « labradorisation »…
Je sais qu’il pense surtout : « Il remplacera Gabin. Et au moins, il l’aura côtoyé pendant un certain temps ».
***
L’année 2013.
L’année 2013 en France commence de la même façon que s’est terminée la précédente, dans un climat de profonde division de l’opinion française au sujet d’une loi par laquelle en réalité la majorité de Français n’est pas du tout concernée. Chacun a son mot à dire, nombreux sont ceux qui s’occupent davantage du cul d’autrui que du leur. Ça manifeste dans tous les sens, pour et contre.
Manifester en soutien d’une loi ouvrant des droits, c’est chose honorable.
Manifester pour que les inégalités persistent, c’est une abomination.
Une illustration circulant sur Internet résume à elle seule l’absurdité de toute cette haine et ces clivages liberticides.
Devant tant d’hypocrisie et d’intolérance, j’adhère à la proposition de Stéphane de participer à l’une des manifestations de soutien à la loi Taubira.
— Même si on est différent des autres, on n’en est pas moins quelqu’un, il me glisse, pendant que nous défilons. Et à ce titre, nous devons avoir les mêmes droits que tout le monde .
Jeudi 14 février 2013.
C’est aujourd’hui que nos deux mini toutous nous sont livrés. Le mien s’appellera Galaak et celui de Stéphane, Gold. Les deux frères ont bien grandi depuis notre visite après leur naissance, et avec leur bidou bien rond et leurs yeux tristes et pleins d’amour, ils sont vraiment à craquer.
Les regarder jouer ensemble avec leur démarche pataude est un véritable régal. Et voir Gabin retrouver des attitudes de chiot en jouant avec les deux mini-labradors est particulièrement émouvant.
Printemps 2013.
La loi finit par passer malgré les immenses tensions l’entourant tout autant dans les institutions que dans la rue, et elle rentre en vigueur au printemps 2013.
Mardi 18 juin 2013.
Après quelques semaines difficiles, cette nuit Gabin est parti rejoindre les étoiles. Stéphane est inconsolable. Je reste dormir chez lui, j’essaie de lui apporter mon soutien. Tout comme nos chiots qui ressentent notre tristesse, tout en nous apportant des torrents de tendresse et de réconfort.
La vie n’est qu’un emprunt, on ne fait que passer.
Octobre 2013.
C’est peu de temps après mon anniversaire, lors d’une sortie au Shangay, que Stéphane fait la rencontre d’un très charmant Iban, beau garçon d’origine basque d’une quarantaine d’année, pâtissier de son métier. Entre les deux, l’étincelle est immédiate, ils deviennent très vite inséparables. Ils ont l’air si heureux, c’est beau à voir, et je suis très heureux pour eux.
Même si cela signifie que mon meilleur pote a désormais moins de temps pour moi. Et que je perds mon compagnon de sorties, mon mentor, mon conseiller, le phare qui m’a guidé pendant la longue nuit de bourrasque que j’ai traversé depuis ma séparation d’avec Jérém, et qui n’est pas tout à fait terminée.
Je sais bien qu’à 31 ans je ne peux pas continuer à compter sur les autres pour avancer dans ma vie. Depuis quelques années, Stéphane m’a été d’un grand soutien. Son nouveau bonheur est peut-être un signe du destin, le signe qu’il est peut-être temps que j’apprenne à avancer seul, sans la béquille d’un confident dédié.
N’empêche que le bonheur des deux tourtereaux et le changement soudain de ma relation avec mon meilleur pote me mettent un grand coup au moral.
Que vais-je devenir sans lui ?
Décembre 2013.
En réalité, Stéphane ne m’a pas totalement lâché. Je suis régulièrement invité à dîner chez lui, ou à partager des activités, comme des séances cinéma. Mais ce n’est plus pareil. Justement parce que la plupart du temps je revois Stéphane en compagnie de son Iban. Dès lors, notre complicité ne peut plus être la même qu’auparavant. Je revis ce que j’ai vécu avec ma cousine Elodie lorsqu’elle a rencontré son futur mari, je perds une partie de cette connivence qui faisait l’essentiel de notre relation.
Nos échanges quotidiens par messagerie ont été davantage épargnés, mais cela ne remplace pas la présence physique d’un ami.
Peu avant Noël, deux mois à peine après leur rencontre, le beau Basque emménage chez Stéphane. Mon meilleur pote est vraiment amoureux, et Iban semble bien le lui rendre.
Je donnerais cher pour tomber à nouveau amoureux, pour revivre des frissons comme en 2001, pour retrouver l’inconscience et l’innocence de mes dix-huit ans, pour me lancer tête la première dans une histoire folle, sans filet, sans peur, et aimer, totalement, avec les tripes et le cœur uniquement, sans que le cerveau oppose ses peurs à chaque rencontre, à chaque instant. Je donnerais cher pour arriver à lâcher prise, complétement, pour me laisser transporter là où le cœur m’amènerait.
J’aimerais ressentir en moi le feu qui brûlait en moi en 2001, cette énergie inépuisable qui fait traverser des fleuves immenses et escalader les montagnes les plus imposantes. Mais cette force j’ai l’impression de l’avoir perdue, à tout jamais.
En vrai, ce ne sont pas des frissons « comme » en 2001 que je voudrais revivre, mais bel et bien « les mêmes » frissons qu’en 2001, ceux de la découverte de l’amour, du premier amour, et je voudrais surtout les revivre avec le même garçon.
Elle réside peut-être là la cause de mon incapacité à être à nouveau heureux. Malgré notre séparation, et les six années qui se sont écoulées depuis, Jérém n’a jamais cessé de hanter mon cœur, mon corps, mon désir.
Dans ma nouvelle solitude, je repense à nouveau plus souvent à lui. Je me demande comment il va, s’il est heureux. Je me demande si ça lui arrive de penser à moi, parfois.
Entre Noël 2013 et le Jour de l’An 2014.
Comme chaque année, Maxime m’appelle pour me souhaiter de bonnes fêtes. D’habitude, je fais tout ce que je peux pour ne pas avoir des nouvelles d’Australie. Et le jeune Tommasi a toujours respecté mon besoin de me protéger.
Mais cette année, je ne peux me retenir de lui demander des nouvelles de son grand frère. J’apprends ainsi qu’il est revenu au domaine viticole pendant le mois de juillet de cette année – seul – et qu’il y a passé quelques jours. Qu’il est ensuite parti à Campan pendant deux semaines. Qu’il est ensuite reparti en Australie. Qu’il n’est plus avec Rodney, car ce dernier est rentré en Angleterre un an plus tôt pour s’y installer définitivement.
Ça fait beaucoup de nouvelles d’un seul coup, ça me donne le tournis. Une fois le téléphone raccroché, j’ai l’impression de plonger dans un abîme sans fin.
Beaucoup de choses à digérer, ça va prendre du temps et ça va faire mal. Ça m’apprendra à demander. En attendant, le mal est fait. Je n’ai pas fini de cogiter dans tous les sens.
Jérém était donc dans la région cet été, et il était seul, car il n’est plus avec Rodney.
Finalement, leur histoire n’aura pas duré davantage que la nôtre. Mais la durée de notre séparation est désormais plus importante que celle de notre histoire.
Jérém était en Occitanie et il n’a pas eu l’idée de passer me voir. Ou bien, il n’a pas eu le cran. Ou alors, il n’a pas osé. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Maxime n’a pas eu l’idée de me dire que Jérém était au domaine. Tout comme Charlène n’a pas non plus eu l’idée de me dire que Jérém était à Campan. Ni Martine, ni Jean-Paul, ni Ginette, ni Daniel. Sur le coup, je me sens trahi. Si seulement j’avais su, j’aurais accouru sur le champ ! Aurions-nous pu nous retrouver ? Ou bien ça aurait été une immense déception ?
Au final, est-ce que ça aurait été une bonne chose de le revoir ? Se retrouver en ex, en potes, je crois que je ne suis toujours pas prêt. Mais est-ce que Jérém aurait eu seulement envie de me revoir ? S’il ne m’a pas fait signe, c’est que ce n’était pas le cas.
Quant à ses proches, je sais bien que je n’ai pas de raison de leur en vouloir. Je sais très bien que si personne ne m’a pas appelé, c’est que Jérém leur a demandé de ne pas le faire.
Ce que Maxime ne m’a pas dit, et que je n’ai pas eu la force de lui demander, c’est si Jérém avait à nouveau quelqu’un dans sa vie.
Pendant quelques temps après le coup de fil de Maxime, ça me démange, ça me brûle, ça me ravage les tripes de rappeler Maxime pour lui demander tous les renseignements au sujet de la localisation exacte de son grand frère. L’envie me chatouille à nouveau de tout plaquer pour aller rejoindre Jérém.
Mais à quoi bon, après toutes ces années ? A quoi ça rimerait de traverser la moitié de la planète pour revivre ce que j’ai vécu il y a quelques années en traversant la Manche ? Trouver un Jérém distant, déjà amoureux d’un autre, si ça se trouve ? Trouver un inconnu ? Je ne le supporterais pas. C’est au-dessus de mes forces.
Cette année se termine dans une tristesse sans fin. Et je n’ai même pas envie d’aller déranger Stéphane avec mes histoires, ni d’en parler à qui que ce soit. Au bout de toutes ces années de séparation, je n’ose plus saouler mes amis et ma famille avec le « dossier » Jérém, même si de nouvelles informations m’ont amené à le rouvrir. J’ai peur qu’on me trouve pathétique, ridicule. En six ans, j’aurais dû aller de l’avant, refaire ma vie. Et pourtant, je n’ai pas pu. J’aurais dû cesser d’avoir mal. Et pourtant, j’ai toujours mal. Je garde tout pour moi, et ça me mine.
Heureusement, Galaak est là. Il n’est encore qu’un très jeune chien, il vient tout juste de souffler sa première bougie, mais il sent quand je suis triste. En ces moments-là, il vient se coller à moi, il pose sa tête sur ma cuisse, il vient chercher les câlins, proposer les câlins. Il vient me faire sentir sa présence, m’apporter du réconfort.
Un Labrador est le meilleur anti-dépresseur au monde, et à ce titre il devrait être remboursé par la Sécurité Sociale.
***
L’année 2014.
Depuis que mon meilleur pote est en couple, je ne sors plus, car ça ne me dit rien de sortir seul. Aller poiroter dans un bar, ou dans une boîte, je trouve ça glauque.
Pour tromper ma solitude, j’ai installé une application de rencontres entre mecs. Il me suffit de l’ouvrir pour que des dizaines de photos apparaissent, et ça donne même la distance à laquelle le gars qui m’intéresse se trouve. C’est tentant et encourageant.
Au début, j’ai beaucoup de touches. Je suis le petit nouveau dans le paysage numérique, j’attire l’attention. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que dans cet espace, les échanges sont plutôt directs et réduits à l’essentiel.
Ça commence le plus souvent par un « Slt », même pas « Salut », on n’a pas le temps, je réalise très vite que la quantité des échanges et des rencontres potentielles prime sur la qualité. Et ça enchaîne direct avec des répliques du style :
« Tu cherches quoi », « actif / passif », « monté comment », « photo torse nu », « photo de ta bite ».
Bref, on peut faire plus classe comme techniques d'approche.
Une fois le contact établi, on commence à discuter. Il arrive régulièrement que, au bout de quelques échanges, le gars à l’autre bout du clic cesse de répondre de façon soudaine, quitte l’appli sans même dire « au revoir ». Il revient parfois discuter le lendemain sans le moindre « bonjour ». C’est décousu, irrégulier, frustrant. Il faut un temps d’adaptation à cette absence de formes de politesse, à cet espace où les échanges ont des codes et des rythmes propres et très prosaïques.
Des touches, il y en a beaucoup. Mais il est nécessaire de passer du temps, pas mal de temps, à échanger avec tous ces inconnus, avant une éventuelle rencontre réelle. Car tout le monde parle avec tout le monde, et tout le monde est dispersé et volatile. Quand il y a trop d’offre, on survole. On peut parler avec un gars pendant des jours, envisager un plan, et le voir disparaître des radars, cesser de répondre, juste avant l’aboutissement de semaines de drague. On peut se faire bloquer, parfois pour la simple et bonne raison de demander des nouvelles une fois de trop.
Je me connecte quand je me sens triste, anxieux ou seul. C'est-à-dire, assez souvent. Chercher un plan est un moyen d’anesthésier ses plaies et de tromper sa solitude, et le sexe est une parfaite distraction. Une distraction très provisoire. Bien souvent, je me sens encore plus mal après avoir couché avec un gars.
Parfois, le soir, seul dans mon lit, je me souviens de cette envie irrépressible, dévorante, que je ressentais de coucher avec Jérém, de faire l’amour avec lui, d’emboîter nos corps qui semblaient conçus exprès pour cela, comme une évidence, de mélanger nos plaisirs pour créer cette parfaite alchimie, une réaction explosive. Je me souviens de cette envie brûlante, jamais satisfaite, jamais rassasiée, de recommencer encore et encore. Et je me souviens du bonheur de savoir que je pouvais compter sur lui, jeune mâle insatiable, jeune mâle me faisant l’immense honneur de m’avoir choisi pour satisfaire ses envies, pour recommencer encore et encore.
Je me souviens de plusieurs fois où, après l’avoir longuement sucé, je lui disais à quel point j’avais envie de lui, à quel point j’avais envie qu’il vienne en moi, tous les orifices de mon corps réclamant sa présence avec la même furieuse intensité.
— Fais-moi jouir dans ta bouche d’abord, sinon je vais pas durer longtemps dans ton cul, était souvent sa réponse.
Et alors je m’exécutais, trop heureux de ces annonces de multiplications des plaisirs. Je le faisais jouir dans ma bouche, et lorsque son orgasme venait, lorsqu’il m’intimait de l’avaler, là encore je m’exécutais avec un bonheur plein et total.
Une cigarette plus tard, une poignée de minutes plus tard, il était en moi, ses va-et-vient étaient puissants, ses couilles frappaient vigoureusement les miennes ou mon entrejambe, suivant la position, il me défonçait comme s’il ne venait pas de tout juste jouir dans ma bouche. Et la venue de son nouvel orgasme était pour moi le plus intense des plaisirs.
Je me souviens des petites odeurs qui se dégageaient de sa peau, de ses aisselles, du creux de son cou et de ses pecs, de ses poils, après l’apothéose du plaisir. J’ai toujours adoré la sensation de porter son odeur sur moi, ce bouquet mâle sentant à la fois son parfum de mec mais aussi, et surtout, la transpiration, la queue, la baise, le foutre, l’orgasme consommé.
Je cherche toujours et encore le souvenir de ce bouquet dans le t-shirt blanc et les boxers que j’avais discrètement subtilisés de la salle de bain de l’appart de la rue de la Colombette. Je plonge mon nez dedans, en quête de mon Jérém. Hélas, toute ces délicieuses petites odeurs de jeune mâle ont disparu avec le temps. Et pourtant, je ne peux me résoudre à les jeter.
Je me souviens du bonheur d’avoir son jus partout en moi. La sensation de pouvoir lui faire confiance, le sexe insouciant, le meilleur, car c’est dans le lâcher prise total que réside le plaisir le plus pur.
Que ne donnerais-je pas pour refaire l’amour avec lui, une fois seulement. Et pour m’endormir dans ses bras, me sentir aimé, sentir sa présence, et savoir qu’il sera là demain matin, que nous pourrons nous réveiller ensemble à nouveau.
Que ne donnerais-je pas pour retourner dans la petite maison de Campan, de retrouver la cheminée allumée, et Jérém devant moi, en train de me sourire !
Eté 2014.
Jour après jours, mois après mois, sans même m’en rendre compte, ou plutôt sans vouloir m’en rendre compte, je deviens addict à l’application. A chaque connexion, il est impossible de savoir sur qui on va tomber. Et on nourrit toujours l’espoir fou de décrocher le jackpot. Cette addiction à la « surprise » me pousse à me connecter de plus en plus souvent et à y consacrer de plus en plus de temps. J’y passe toutes mes soirées, une partie de mes nuits et de mon sommeil, tous mes week-ends et jours fériés, ainsi que chaque instant de mon temps libre.
L’application, c’est le diktat des muscles, des belles gueules, des corps parfaits. Je ne jette pas la pierre à qui que ce soit, j’ai été moi aussi à fond dans ce fantasme, j’ai aimé, adoré, fantasmé le corps, les muscles, la belle petite gueule et la queue de Jérém.
Mais ici, dans le virtuel, le fantasme du gars parfait est omniprésent. Ici, les corps se mettent en scène, on choisit ce qu’on veut bien montrer et ce qu’on veut cacher. Les images d’hier peuvent très bien servir pour se « vendre » d’aujourd’hui. Parfois, entre le virtuel et le réel, il n’y a pas le compte, autant pour les années que pour les kilos. Parfois, il y a tromperie caractérisée sur la « marchandise ».
En attendant, cette image biaisée de l’idéal masculin devient le mètre-étalon de comparaison. Inconsciemment, je finis par me comparer à ceux qui plaisent au plus grand nombre.
Dans cette comparaison, on est souvent perdants. Et ça finit par faire perdre confiance en soi.
On commence à se dire que tel beau gosse ne vient jamais nous parler ou qu’il ne répond pas parce qu’on n’est pas assez beau, puis on en fait une généralité, on finit par se dire qu’on ne plait pas assez ou qu’on est insignifiant.
D’ailleurs, après des débuts sur les chapeaux de roues, au fur et à mesure que le temps passe, j’ai l’impression de me fondre dans le paysage et de perdre une grande partie de mon intérêt. Les touches sont moins nombreuses, et, après m’être pris pas mal de râteaux, j’ose moins aller vers les gars de peur de me prendre d’autres râteaux.
Lorsque j’arrive à trouver assez de force mentale pour arriver à décrocher des applications, je peux consacrer du temps à l’écriture. Mais ce n’est pas facile de m’y remettre après l’avoir abandonnée pendant un certain temps. L’écriture est une fleur qui se cultive au quotidien, et elle supporte mal l’inconstance. C’est une maîtresse exigeante. Elle est capable de donner beaucoup de plaisir, mais à la seule condition qu’on s’occupe bien d’elle. Lorsqu’on ne lui consacre pas assez de temps, elle boude pendant un certain temps pour nous le faire payer. L’écriture est une machine qui demande un certain temps pour chauffer.
Hélas, conséquence de mon travail décousu, beaucoup de notes s’entassent, des textes dans mon ordi, d’autres manuscrits rangés dans une boîte. Et lorsque je pense à toutes ces pages, ça me donne le tournis. Ça me décourage de m’y mettre. J’ai l’impression que je n’aurais jamais l’énergie et le temps nécessaires pour reprendre tout ça pour trier, organiser, structurer, pour en faire quelque chose de cohérent. Je devine que cela représente un travail colossal.
Il me faut énormément d’énergie pour me replonger dans le bain, après une longue pause.
Ça fait maintenant des années que j’écris au sujet de Jérém et Nico. J’écris pour garder une trace de cet immense bonheur passé, j’écris pour ne pas oublier, j’écris pour pouvoir à chaque instant de ma vie me dire « ça a bien existé ».
Cela ne m’empêche pas de me demander, parfois, à quoi bon, au fond, passer autant de temps devant mon ordi, pourquoi écrire au sujet d’anciens chapitres de ma vie au lieu d’en vivre de nouveaux.
La réponse à cette question est désormais évidente. C’est quand ça charbonne sec sur mon clavier que je suis le plus heureux. Lorsque j’arrive enfin à me réconcilier avec l’écriture, je prends beaucoup de plaisir à écrire. Devant mon écran, seul avec mes « personnages », j’oublie tout, ma tristesse, ma mélancolie, ma nostalgie, mes regrets, mes peurs, je m’enferme dans une bulle où je suis bien comme nulle part ailleurs.
Au début, j’avais du mal à écrire trop longtemps, car bien souvent les larmes venaient noyer mon clavier. Mais au fil du temps, j’ai réalisé que mes larmes, une fois que j’ai réussi à les retranscrire à l’écran, n’alourdissent plus mon cœur. C’est en ça que je considère que l’écriture est pour moi comme une thérapie. Et ça va même au-delà de ça, elle m’apporte carrément du bonheur.
Mais de nombreux obstacles se dressent entre l’écriture et moi. Le premier, c’est ma libido. Elle réclame régulièrement son « dû ». J’ouvre alors l’application avec l’intention d’y passer un court moment. J’y passe la soirée, et je n’écris pas. Le lendemain, je me reconnecte. Et ainsi de suite. Je finis par ferrer le poisson et faire un plan. Je remets le doigt dans l’engrenage infernal et je me fais happer à nouveau.
L’application est toujours présente sur mon téléphone, l’icône me nargue, la tentation me titille, la facilité me fait capituler.
Je devrais la désinstaller. Je l’ai fait une ou deux fois, mais j’ai fini par la réinstaller. Je suis comme un fumeur qui sait que la cigarette est nocive mais qui n’arrive pas à décrocher pour autant. Addiction, quand tu me tiens !
Les applications ont rendu les rencontres entre gars plus rapides et plus sûres, mais elles ont en même temps sapé les bases de la réussite d’une relation stable. Car elles poussent au papillonage, à la volatilité. Elles favorisent une sorte de consommation boulimique des corps couplée à une insatisfaction éternelle. Cela entraîne dans une course sans fin vers un mirage, celui de la rencontre parfaite.
Mais si on regarde constamment ailleurs, si on ne prend pas le temps de consacrer du temps à la personne, on passera à côté de bien des choses.
Sur Internet, les rencontres sont plus faciles, mais aussi plus précaires. Les applications rendent les gens plus fragiles, plus désenchantés, plus exigeants, plus dispersés, et plus méfiants.
Comment espérer trouver l’amour, comment faire confiance à quelqu’un rencontré sur l’application, alors que, tout autant que moi, il a l’habitude de chasser avec cette facilité ?
Comment espérer construire quelque chose avec des gars tenant au creux de leurs mains les innombrables occasions offertes par la technologie moderne ?
J’ai rencontré des gars qui, une fois consommé ce qui était consommable, n’avaient qu’une hâte, celle de partir et de ne plus jamais revenir. D’autres qui ne pouvaient jamais quitter leur portable des yeux, et qui n’avaient même pas la délicatesse de le mettre en sourdine, laissant la signature sonore des notifications de l’appli retentir à longueur de temps, y compris pendant notre rencontre, ou pendant nos ébats, la tête, la queue et le cul en permanence ailleurs.
J’ai l’impression d’être à la fois le client et le produit d’une sorte d’immense « supermarché » de la baise. Et pourtant, malgré ma frustration, je finis toujours par céder à la tentation, à la facilité. J’y cède pour tromper l’ennui, pour oublier ma solitude, pour essayer de calmer une blessure qui ne guérit pas, pour essayer de flatter mon égo.
Et le piège se referme sur moi. La facilité entraîne la banalisation des rencontres, mais aussi leur « désacralisation » et, par conséquent, la dévalorisation de l’autre. Et de soi-même, par ricochet.
Après l’addiction vient l’accoutumance, puis la désillusion et le dégoût.
16 octobre 2014.
Aujourd’hui, Jérém a 33 ans. Où es-tu, mon Jérém ? Es-tu heureux ? Mon p’tit Loup, est-ce qu’il t’arrive, parfois, d’avoir une pensée pour celui que tu as appelé un jour « ton Ourson » ?
Décembre 2014.
Parfois, le soir, dans mon lit, je me souviens que le seul autre garçon à qui j’ai fait un jour totalement confiance est Thibault. Nous ne nous voyons pas souvent, son engagement dans les Pompiers ne lui laisse pas beaucoup de temps libre. Mais à chaque fois que nous nous retrouvons tous les deux, je le trouve toujours aussi beau, charmant et désirable. A chaque fois, j’ai l’impression que, pour peu que je m’amuserais à forcer un peu le destin, ça pourrait facilement déraper entre nous. Que nous pourrions remettre ça, comme à Bordeaux.
Je sais qu’il ne fera pas le premier pas, Thibault est un garçon trop droit dans ses bottes pour cela. Il ne tromperait jamais son adorable Arthur de sa propre initiative.
Mais si ça venait de moi, qui sait.
Je me branle parfois en me remémorant la sensualité et la virilité du beau pompier. Et en me branlant, je me dis que je devrais oser, lui proposer de recommencer. J’ai tellement envie de faire l’amour avec un beau garçon ! Et je m’imagine que lui aussi il en a envie, qu’il n’attend que ça, en fait.
Mais une fois m’être soulagé, ma raison reprend aussitôt le contrôle sur le fantasme, et une certitude s’affiche dans mon esprit. Coucher avec Thibault ce ne serait pas du tout une bonne idée.
***
L’année 2015.
Elle commence mal, très mal. Le 7 janvier, au soir, les bougies se multiplient sur les rebords des fenêtres de la France entière pour montrer que nous sommes tous « Charlie Hebdo ».
Janvier 2015.
En ce début d’année, je prends la résolution de me consacrer davantage à l’écriture. J’ai besoin de me poser, de me retrouver. J’ai besoin de calme.
Mars 2015.
Le nouvel album de Madonna sort enfin dans les bacs. Malgré quelques chansons de qualité, à l’instar du single « Ghosttown », dont les notes mélancoliques épousent parfaitement ma tristesse de cette période, il connait hélas un succès beaucoup plus confidentiel que les précédents.
https://www.youtube.com/watch?v=GgDxv0Qg_Rg
La sauce Madonna a plus de mal à prendre que par le passé. Tous les artifices du monde ont de plus en plus de mal à faire illusion, à concilier le mythe Madonna avec la réalité de ses bientôt 60 ans. Des titres hétérogènes, une silhouette qui s’alourdit, une chirurgie plastique désormais trop évidente, des pas de danse moins audacieux, des performances vocales peu convaincantes. Et, par-dessus tout, un refus obstiné d’accepter le temps qui passe. Elle n’est plus dans l’air du temps, les nouvelles générations sont passées à autre chose, les radios la blacklistent sans s’en cacher. Même avec MTV, avec qui la symbiose a été parfaite depuis le premier jour, le divorce semble définitivement consommé.
Heureusement, il reste la diffusion sur Internet.
Dans mes yeux de fan, bien sûr, le fait que Madonna ne soit plus aussi en forme, ni aussi populaire qu’à une certaine époque, ça ne change rien. Je suis conscient de tout ce qu’elle a représenté pour « les hommes de ma génération ». Elle est la Stella Spotlight de ma génération. Elle m’a tellement donné par le passé que je la suivrai jusqu’au bout, quoi qu’il arrive. Et puis, si elle vend beaucoup moins de disques, ses concerts se jouent à guichets fermés. Au fond, c’est le plus important.
Une nuit, je me réveille en sursaut. Je savais qu’elle devait performer le soir même un titre à la télé anglaise, et j’ai un mauvais pressentiment. J’ai besoin de savoir si tout s’est bien passé. Je vais voir sur Youtube.
Sa chute spectaculaire de la scène des British Award vient de se produire deux heures auparavant, les médias rapportent qu’elle serait à présent en observation à l’hôpital.
https://www.youtube.com/watch?v=jAxqzaQpiU0
Elle a pourtant mené sa prestation jusqu’au bout avant de se faire secourir, je suis admiratif. Mais en même temps, cela me peine beaucoup. Pour la première fois, je me dis qu’elle aussi est faite de chair et de sang, et qu’elle est aussi en train de vieillir. Et que peut être le gros de sa carrière est désormais derrière elle.
Mars 2015.
Aujourd’hui, c’est une belle journée de printemps. Le vent d’Autan souffle depuis hier, vigoureux et insistant, et le ciel est bien dégagé.
Ce matin, je me rends dans un magasin de matériel électrique pour acheter une bricole pour la maison. Dès mon arrivée, je constate qu’il y a du monde au comptoir. Mais aujourd’hui je ne travaille pas, et je ne suis pas pressé.
Et je ne le suis d’autant pas que je viens de TE remarquer dans la file d’attente à côté de la mienne. Toi, beau jeune mâle brun au regard ténébreux et au physique avantageux. Mon regard et mon Être tout entier se figent sur toi, et tout disparaît autour.
A chaque fois que l’existence d’un beau garçon traverse ma rétine et mon esprit, je me retrouve comme plongé dans un état second. C’est une expérience presque mystique. Pendant quelques instants, j’assiste, incrédule, à une sorte de révélation repoussant à chaque fois les limites de la magnificence du Masculin.
Je suis percuté, submergé, envahi par un trop plein de sexytude, de mâlitude, de virilité, d’irrépressible désir. Ma conscience sature, bugge. Je me retrouve comme hébété, fixant avec insistance le Petit Dieu pour laquelle mon adoration est déjà totale, comme en étant d’hypnose, dans la tentative inconsciente et désespérée de capturer, de comprendre, d’admettre que tant de beauté, de mâlitude, de sexytude puissent être réunies en un seul garçon.
C’est une expérience à la fois délicieuse et frustrante, tant l’objet de mon désir est généralement inaccessible. Mais ça me met toujours de bonne humeur que de croiser un bel inconnu de bon matin.
Et toi, toi t’es vraiment beau, mec ! Tu es un garçon solide, un brun comme je les aime, pas très grand, un mètre 70 maximum. Il est à mes yeux une sexytude propre à ce genre de garçons, que j’appelle les « petits formats très bien proportionnés ». Tes cheveux sont ni trop courts, ni trop longs, arrangés un peu à l’arrache. Tu as la peau mate, une petite barbe de quelques jours, bien sexy. Tu te situes dans une plage d’âge entre 25 et 30 ans.
Tu es habillé plutôt simplement, tu portes un pantalon de travail à poches, des chaussures de sécurité.
Mais aussi un t-shirt gris avec un ballon ovale imprimé dans le dos, surmonté par le nom d’une petite ville des alentours. Tu es donc un rugbyman, ou du moins un passionné de rugby.
Le t-shirt épouse à la perfection tes épaules bien taillées, tes pecs, laissant même deviner tes tétons. Quelques petits poils tout mignons dépassent de l’arrondi du col. C’est un t-shirt de travail, et tu le portes avec un naturel désarmant, sans intention particulière de te mettre en valeur. Et pourtant, ça te met sacrement en valeur. Tu ne peux même pas imaginer à quel point. Tu n'es peut-être même pas conscient d’à quel point tu es sexy.
Première loi de la Bogossitude : un rien habille un bogoss.
Deuxième loi : un garçon n’est jamais autant sexy que lorsqu’il ne fait rien pour cela.
Troisième loi : le garçon le plus sexy qui soit est celui qui ignore à quel point il l’est.
Et c’est justement cette absence d’intention et de conscience qui font le charme de ta tenue, et de ta personne. Petit mec, tu es insupportablement sexy !
Tu rentres dans mon champ de vision et mon regard est à nouveau vierge, à nouveau enchanté. Et en te regardant, je ressens un bonheur tout aussi intense que la première fois de ma vie où j’ai été percuté par la beauté d’un beau garçon. Pour autant que je me souvienne, ça devait être au Cours Moyen, lors d’un cours de natation. L’un des moniteurs était très beau. C’était la première fois que je voyais un garçon aussi beau.
Petit brun, tu as l’air pressé. Tu dois avoir du travail qui t’attend, des clients à contenter. Tiens, d’ailleurs ton téléphone vient de sonner. Tu décroches. Et soudain, tes beaux traits virils se crispent. Ton regard brun et charmant prend un air désabusé et fatigué. A un moment, il croise le mien. Je te souris, l’air compatissant. Te montrer de l’empathie est ma façon de te faire remarquer mon existence. Mon sourire doit te faire plaisir car tu souris à ton tour. A cet instant, j’ai envie de pleurer tellement ton sourire m’emplit de bonheur.
Le premier client de ta file d’attente est parti et il ne reste qu’un autre type devant toi. Tu en as assez entendu, tu as l’air de vouloir mettre un terme à cette conversation qui commence visiblement à t’agacer.
Ecoutez, Madame, je serai chez vous en début de semaine prochaine, mais pas avant. Je vous ai dépanné de ce qui était le plus urgent et j’en fais de même avec d’autres clients. Je dois vous laisser, j’ai beaucoup de travail. C’est pas la peine de me rappeler encore d’ici là. Je sais parfaitement ce qui me reste à faire. Je vous dis à lundi, passez un bon week-end.
Le ton de ta voix est ferme, et je décèle un bon petit accent toulousain plutôt marqué, plutôt craquant.
Tu viens de raccrocher et ton regard revient vers moi. Nous ne sommes pas très loin l’un de l’autre, moins de deux mètres nous séparent. Je te souris à nouveau. Tu souris à ton tour, mais pas longtemps. Ton portable sonne à nouveau. Cette fois-ci, tu ne réponds pas, tu appuies sur la touche rouge, l’air de plus en plus agacé. Finalement, le client devant toi prend beaucoup de temps, et tu commences à t’impatienter.
Tu as l’air fatigué, mon mignon. A en juger d’après la façon dont tu t’étires, il est évident que ton sommeil matinal a été coupé par un réveil qui a sonné trop tôt. Et maintenant, planté là à attendre, ta fatigue te rattrape. Tu aurais encore dormi, j’imagine, si le taf ne t'avait pas obligé à sortir de tes draps.
Tu es debout depuis quelle heure ? Est-ce que tu étais seul dans ton lit ? Est que tu étais avec ta copine ? Avec ta femme ? Est-ce que tu lui as fait l’amour hier soir ? Est-ce que tu t'es réveillé avec une bonne trique et tu t’es fait sucer ? Ou bien, est-ce que tu as pris le temps de te branler avant de sortir de ton lit ? Ou alors sous la douche ?
Tu bailles, tu t'étires à nouveau, tu frottes ta barbe brune, et je te trouve de plus en plus sexy à chaque seconde qui passe. Je sens mon ventre frémir, comme secoué par un tambour de machine à linge en mode essorage. J’ai déjà follement envie de toi.
C'est long, ça n’avance pas… je te lance, comme la première pierre posée d’un pont que je voudrais bâtir entre nous.
Je suis le premier étonné de mon « audace ». Mais tu me fais vraiment trop d’effet, et j’ai besoin d’attirer ton attention, j’ai besoin que tu poses ton regard sur moi, j’ai besoin que tu saches que j’existe. Au moins pendant un instant.
En vrai, je tremble, j’ai le cœur qui bat à mille, j’ai le souffle coupé, les jambes en coton. J’ai peur que tu trouves ma remarque déplacée, que tu me trouves déplacé tout court, j’ai peur d’ajouter de l’agacement à ton esprit.
Mais, pour mon grand plaisir, tu me réponds, tu me secondes. Et tu n’as pas du tout l’air agacé par ma démarche.
Ah, oui, j'en ai marre d'attendre. En plus, j’ai un taf monstre qui m’attend !
Vous bossez dans quoi ?
Je suis chauffagiste. Et vous ?
Ingénieur et… bricoleur !
Moi c’est Pierre.
Moi c’est Nicolas, enchanté !
Le client devant toi a terminé et c’est désormais à ton tour de te faire servir. Ce qui met un terme prématuré à nos échanges. Tu approches du comptoir. Le petit mec qui vient vers toi est un brun à lunettes au physique élancé, pas mal du tout dans son genre non plus. Mais moi, je n’arrive pas à décrocher mon regard de toi, beau chauffagiste !
Je t’entends expliquer que tu as passé une commande et qu’on t’a appelé pour te dire qu’elle était arrivée. Le petit mec à lunettes cherche sur son ordi mais semble avoir du mal à retrouver la commande en question. Tu attends, les coudes appuyés sur le comptoir, le dos incliné, les fesses un brin cambrées. Mais putain qu’est-ce que tu es beau, ainsi négligemment appuyé au comptoir ! Tu l’ignores, mais cette position fait se soulever légèrement ton t-shirt à l’arrière, laissant ainsi découvrir un petit bout de peau proche de ta chute de reins. C’est beau, beau, beau !
Le petit mec à lunettes part dans le bureau à l’arrière du comptoir. On le voit discuter avec un autre type derrière la porte vitrée. Ce dernier passe un coup de fil. Entre temps, le client qui me précédait dans la file d’attente est parti et je me retrouve à mon tour devant le comptoir. A nouveau à un mètre de toi. J’annonce rapidement ma commande et le vendeur part dans l’arrière-boutique chercher la marchandise.
Mon regard revient aussitôt vers toi, beau chauffagiste. Mais je n’ai pas le bonheur de croiser le tien car le petit mec à lunettes revient t’expliquer qu’il y a eu une erreur, que ta commande est incomplète, qu’il manque juste… la pièce principale !
Tu sembles excédé. Je t’entends lancer, à bout de nerfs :
Ça bousille ma journée. J’avais promis au client d’y aller aujourd’hui. Est-ce que je peux au moins savoir quand j’aurais cette pièce ?
Le jeune vendeur retourne dans l’arrière-boutique pour se renseigner. Et moi j’en profite pour te lancer :
Ça ne s'arrange pas ici…
C’est une affirmation qui ne repose sur rien, car c’est la première fois que je viens dans ce magasin, c’est un bluff imaginé dans le seul et unique but d’essayer d’établir un début de complicité par l’empathie. Et ça marche !
Non, pas du tout… tu confirmes.
En attendant, mes pièces sont arrivées sur le comptoir. Trop vite, pour une fois que je ne suis pas pressé ! C’est con, je vais avoir fini avant toi. Je vais partir avant toi. J’aurais bien voulu continuer à discuter avec toi, trouver le moyen de te parler d’autre chose que de taf et de taf.
Une fois que j’aurai réglé ma facture, je vais partir ! Et ce sera fini, je rentrerai dans ma voiture, je reprendrai ma route et ne te reverrai plus jamais.
Bien sûr, il y a toujours une raison qui fait que rien n’est jamais possible entre moi et un gars que je kiffe. Je peux toujours invoquer des conditions conjoncturelles défavorables pour tenter d’expliquer mon manque de cran, pour tenter de justifier à moi-même mon incapacité à aller vers l’autre, à briser le mur de verre qui me sépare d’une possible belle rencontre. Aujourd’hui, je peux me dire par exemple que ce beau chauffagiste est bien trop accaparé par ses soucis et bien trop pressé pour qu’il puisse être réceptif à mes approches.
Mais je sais pertinemment que ce ne sont que des excuses. Et ça n’apaise en rien la douloureuse déchirure provoquée au plus profond de moi par la dichotomie inconciliable entre mon désir et ma frustration.
La vérité est que je ne sais pas aller vers les garçons qui me font de l’effet. Je ne sais même pas y aller pas dans les endroits prévus pour cela, alors, dans la vie de tous les jours…
La peur du rejet, de l’humiliation et de la violence me tétanise. Aussi, la bogossitude m’impressionne, me fait me sentir comme un vilain petit canard honteux et me fait perdre tous mes moyens.
Mon vendeur me rend la carte bleue, me tend la facture et me colle mon carton dans les mains. Je me retourne vers toi, beau Pierre. Tu captes mon regard et tu y accroches le tien. Je voudrais te parler, trouver le moyen de prolonger nos échanges, mais je n’ai aucune idée de comment m’y prendre.
Bon courage… tu me glisses, tout mignon.
Oui, bon courage à vous aussi…
Et voilà, c’est comme ça que ça se termine, déjà. Je me mettrais des baffes, des baffes et encore des baffes.
J’avance vers le sas, le ventre ravagé par le regret et la frustration. Je me sens mal et pire, j’ai envie de hurler jusqu’à m’en casser les cordes vocales !
C’est en rentrant à Toulouse (après mes vacances sur la côte en compagnie de Stéphane) qu’un immense coup de tonnerre déchire mon horizon. Il s’annonce par le biais du vent d’Autan qui souffle dans les rues de Toulouse.
Toute la presse en parle. Rodney Williams vient d’annoncer son retrait définitif du rugby professionnel à la veille du coup d’envoi de la Currie Cup, le tournoi de rugby d’Afrique du Sud auquel il devait participer au sein des Sharks.
Mais la nouvelle de son retrait soudain et « inexplicable » de la scène rugbystique est totalement éclipsée par une autre info bien plus croustillante pour la presse à scandale. Rodney Williams vient de faire son coming out dans un talk-show sur une grande chaîne de télévision anglaise. Et, de ce fait, devant la Terre entière.
La photo par laquelle le « scandale » avait éclaté était parue dans un canard anglais à gros tirage. L’image, prise par téléobjectif et par ailleurs assez floue, montrait deux silhouettes masculines au bord d’une piscine, dans une attitude qui semblait de grande proximité. On y voyait Jérém de dos, je n’ai pas eu de mal à reconnaître son dos musclé et ses tatouages, et Rodney devant lui, à moitié caché. Les deux garçons semblaient en train de s’embrasser, ou en passe de s’embrasser. Une hypothèse promue par un titre écrit en gros caractères dégoulinants d’encre rouge et suggérant le « scandale » :
BOYS HAVE FUN !
Les noms de Rodney et de Jérém y étaient cités, avec une allusion malicieuse à la nature de leurs véritables relations.
A l’intérieur du canard, d’autres photos, moins explicites mais non moins sensuelles, affichant leur demi-nudités, les torses musclés sortant des maillots de bain, des sourires, une complicité visible.
L’« article », ou plutôt l’ensemble de ragots accompagnant les photos, parlaient d’amitié particulière, avec des allusions vaseuses.
Pendant plusieurs jours, il n’y avait eu aucune réaction de la part des intéressés. Puis, l’interview de Rodney, tombée par surprise, avait fait l’effet d’une bombe. Et elle avait été relayée par la plupart des médias.
Je n’ai pas eu de difficultés à retrouver ses propos sur Internet.
Ça démarre très fort, à partir du titre de l’article : « Il est temps que la honte change de camp ».
— Rodney Williams, comment avez-vous vécu la publication de ce fameux article ?
— Mal, très mal. Ma vie privée ne concerne que moi. J’étais dans un espace privé, j’ai tout fait pour rester discret.
— Mais vous êtes un personnage public, et votre vie intéresse le public…
— Je suis un rugbyman professionnel. Enfin, je l’étais, jusqu’à il y a peu de temps . Mes performances sportives concernaient le public. Je le répète, ma vie privée ne concerne que moi. Je n’ai jamais cherché à m’afficher, il aurait tout simplement fallu respecter cela.
— Comment ces « révélations » sur votre vie privée ont été accueillies autour de vous ?
— Cette histoire m’a attiré de la haine, de l’hostilité, mais aussi des soutiens. Ma famille me soutient. Les gens intelligents me soutiennent. Quant aux autres, je ne porte aucun intérêt à leur sujet.
— Pourquoi quitter le rugby alors que vous deviez participer à la Currie Cup ?
— Je sais qu’après cette histoire j’aurais trop de pression à gérer, et je ne pourrais pas être au top de ma forme. J’arrête avant le tournoi de trop. Et puis, j’ai passé l’âge de me faire emmerder.
— Si je comprends bien, votre retrait du rugby professionnel s’est fait sous la pression médiatique…
— Vous comprenez très bien. Dans l’absolu, c’est triste que cela se passe de cette façon. Mais cette histoire aura au moins permis d’attirer l’attention sur quelque chose d’important.
— Vous pensez à quoi ?
— Je pense au fait que l’orientation sexuelle n’a aucune influence sur ce qui définit l’individu par ailleurs.
— Expliquez-vous.
— Il me semble pouvoir dire, au vu de mon parcours dans le rugby, que j’ai eu une belle carrière, que j’ai de très bonnes statistiques. Je pense que j’ai été un bon joueur, sinon on ne m’aurait pas fait jouer dans l’équipe nationale, non ? J’ai joué dans le top du rugby anglais et international, et ce, malgré la pression que j’ai ressentie sur moi pendant toute ma carrière.
— De quelle pression voulez-vous parler ?
— La pression de l’homophobie dans le milieu sportif. J’ai dû mentir sur mon orientation depuis mon adolescence, pendant plus de vingt ans, pour avoir la paix et mener à bien ma carrière. Je sais qu’en venant ici ce soir je vais en prendre plein la gueule, mais je m’en fiche. Il est grand temps que les choses bougent, et il n’y a qu’en libérant la parole qu’elles peuvent bouger. J’affirme que tout sportif doué doit pouvoir trouver sa place dans le rugby, indépendamment de son orientation sexuelle.
Oh, Rodney, il me semble que j’ai déjà lu ces mots ailleurs, « regardless of their sexual orientation », dans un tract associé au livret d’un CD qui est précieux à mon cœur.
— J’affirme que ce qui compte est le résultat sportif d’un joueur, et que ce qui se passe dans son pieu ne concerne que lui et la personne qui accepte de le partager avec lui.
— Comment M. Tommasi a vécu toute cette histoire ?
— Mon coming-out ne concerne que moi. Je viens vous parler pour dire que oui, je suis gay, gay et fier de l’être, et pour demander qu’on arrête de me poursuivre avec des téléobjectifs et avec des micros. Je viens demander qu’on fiche la paix à ma famille. Je ne suis pas une bête de foire, je suis comme tout un chacun, j’ai besoin d’aimer et d’être aimé. Et le fait que je préfère aimer un garçon plutôt qu’une fille ce n’est qu’un détail. Fin de l’histoire, il n’y a rien d’autre à rajouter.
— Vous êtes le premier rugbyman connu à faire son coming-out. Mais vous n’êtes certainement pas le seul homosexuel dans le rugby professionnel.
— Non, je ne suis pas le seul. Il y a d’autres joueurs homosexuels dans le rugby et dans les autres sports, et ils se cachent pour avoir la paix et ça les mine. Vous n’avez pas idée de l’énergie que ça demande de faire semblant d’être celui qu’on n’est pas à longueur de temps, de mentir aux gens qu’on aime, qu’on admire, qu’on respecte. C’est un immense déchirement que de devoir choisir entre sa carrière sportive et son bonheur personnel.
Et maintenant il est grand temps que tout cela change, il est temps que la honte change de camp.
Il est temps que la honte change de camp. C’est le mot de la fin, un très joli mot de la fin. Par le biais de cette interview, Rodney fait un joli doigt d’honneur à ceux qui l’ont harcelé, et il le fait avec panache.
Mais pour un Rodney qui ose, combien de sportifs souffrent de devoir « choisir entre sa carrière sportive et son bonheur personnel » ?
Je sais que Jérém a toujours souffert de ce choix sans cesse posé dans sa vie de rugbyman. Et les mots clairs et percutants de Rodney m’ont ému, car ils m’ont fait prendre la mesure de l’ampleur de ce déchirement.
Dans les quelques photos illustrant l’article, l’ex-rugbyman est très élégant, très en valeur, très beau, l’air épanoui et bien dans ses baskets. Je comprends très bien que Jérém puisse être fou de ce garçon.
Lorsque Jérém a rencontré Rodney, il a probablement cru pouvoir enfin concilier les deux. Mais la réalité a fini par le rattraper.
Toute cette histoire m’a mis dans un état de fébrilité immense. Mille questions se bousculent dans ma tête. Où est donc passé Jérém ? Comment va-t-il ? Comment vit-il toute cette histoire ? Est-ce qu’il va poursuivre sa carrière dans le rugby ou pas ? Est-ce qu’il est revenu en France ou va revenir en France ? Est-ce qu’il est toujours avec Rodney ? Est-ce qu’il est entouré, soutenu ?
J’aimerais tellement être à côté de lui en ce moment difficile. Je ne peux rester les bras croisés sans rien faire, sans rien savoir.
— Oh Nico… il est reparti en Australie, m’annonce Maxime, d’entrée, en décrochant. Il n’est même pas passé nous voir, il est parti juste après la publication de l’article.
— Et le rugby ?
— Cette fois-ci, je crois que c’est fini pour de bon.
— Comment il va ?
— Je pense qu’il a besoin d’être loin de tout ce bordel et de se changer les idées.
— Seul ?
— Je ne sais pas…
— Tu sais pas si Rodney est allé le rejoindre ?
— Je crois que c’est prévu… il finit par admettre.
— On peut le joindre ?
— Non, pas vraiment.
— Il a un portable ?
— Pas pour l’instant. Je crois qu’il n’en veut pas. Il rappellera quand il sera prêt.
— Passe-lui le bonjour de ma part, je pleure, si tu en as l’occasion, et dis-lui que je l’aime toujours.
— J’aurais tellement aimé que tu demeures mon beau-frère, Nico !
La nouvelle du retrait définitif du rugby de Jérém et de sa nouvelle fuite en Australie me plonge dans un état de détresse et de frustration indicibles.
La vie de l’amour de ma vie a été traversée par un ouragan qui a tout emporté sur son passage et je ne peux rien faire pour l’aider. Je n’ai pas de mal à imaginer ce qu’il ressent, à quel point il doit se sentir humilié après ce nouvel outing si médiatique, face à cette photo à la une d’un tabloïd à la vue de tous.
Il doit être dans une colère noire, du fait que tout ce bordel l’oblige à renoncer à sa carrière au rugby. Il doit en vouloir à la Terre entière.
Je sais ce que le rugby représente pour lui, et j’imagine sans mal sa souffrance, son déchirement, le sentiment d’injustice et d’immense gâchis qu’il doit ressentir au fond de lui. Je suis moi aussi profondément en colère. Pour un scoop, pour une photo tapageuse à la une, on n’hésite pas à gâcher la vie de quelqu’un. C’est insupportable.
J’en viens à souhaiter que Rodney soit à ses côtés pour le soutenir et l’aider à surmonter cette épreuve. Au vu de l’interview que je viens de lire, je me dis que Rodney a l’air d’être un garçon mentalement très solide, et c’est tout ce dont Jérém a besoin en ce moment. Je me dis qu’il saura s’occuper de lui, peut-être mieux que je le pourrais dans une telle circonstance.
Je me demande également comment il a vécu le fait que Rodney fasse son coming-out…
Je suis super inquiet. J’espère vraiment que Rodney ne l’a pas laissé tomber.
Pendant quelques jours, mon esprit est traversé par l’idée d’acheter un billet d’avion et partir à sa recherche. Je suis prêt à cramer toute mon épargne, à traverser la moitié de la planète pour aller voir comment il va. Même si je dois me faire virer de mon travail, même si je devais trouver Rodney à ses côtés.
Mais comment faire, alors que je ne sais pas du tout dans quel coin de cette immense île-continent le chercher ?
Puis les jours passent, et je finis par me dire que s’il est reparti là-bas, c’est qu’il sait qu’il y sera bien. Il y a déjà passé plusieurs mois après notre agression, et il a dû penser qu’il y serait bien à nouveau. A 16 heures d’avion de ses emmerdes, il pourra redevenir un garçon anonyme, loin des ragots et de la pression médiatique. C’est sans doute ce qu’il souhaite désormais comme nouvelle vie.
Je te souhaite d’être heureux, mon Jérém !
Vendredi 16 octobre 2009.
Jérém a 28 ans.
Jérém, où es-tu, que fais-tu, mon Jérém ?
Jeudi 24 décembre 2009.
Jérém, où es-tu, que fais-tu, mon Jérém ?
Jeudi 31 décembre 2009.
Jérém, où es-tu, que fais-tu, mon Jérém ?
***
L’année 2010.
Janvier 2010.
C’est au début de la nouvelle année, lors d’une nuit au B-Machine, où je me suis rendu seul suite à un forfait de Stéphane, que je tombe sur Matthieu. Nous échangeons quelques regards, puis il vient me parler. Nous finissons la soirée chez lui, nous couchons ensemble.
Matthieu est un garçon doux et tendre. Il me propose de nous revoir. J’accepte son invitation et nous nous retrouvons une, deux, trois fois. Nous nous faisons un resto, un cinéma, une balade, nous recouchons ensemble.
Au fil des rencontres, je réalise qu’il s’attache à moi. Et, très vite, ça me fait peur. Moi qui me sens rejeté à chaque fois qu’un gars quitte mon appart ou que je quitte le sien avec la certitude que je ne le reverrai pas, pour une fois qu’un petit gars semble vouloir autre chose, ça me fait fuir.
Je me demande ce qui cloche chez moi. Pourtant, j’adore ce petit mec, il est touchant, câlin, et je le sens sincèrement amoureux. Le fait est que je ne me sens pas amoureux de lui. Je constate un décalage de plus en plus marqué entre nos attentes respectives, et je ne veux pas laisser les choses aller trop loin, jusqu’à ce qu’elles m’échappent des mains. Je ne veux pas répéter les mêmes erreurs que j’ai faites avec Ruben, je ne veux pas le laisser espérer et le blesser plus tard, quand il se rendra compte que ses sentiments ne sont pas réciproques. Et je sais que plus le temps passe, plus la mise au point sera douloureuse.
J’aimerais ressentir la même chose que Matthieu, avoir les yeux qui pétillent quand je le regarde, le cœur qui bat la chamade à chaque fois que je pense à lui, mais ce n’est pas le cas.
J’ai l’impression que je suis désormais incapable de retomber amoureux, comme si quelque chose avait cassé au fond de moi. Stéphane a raison, le problème c’est que je n’arrive plus à faire confiance, et je n’y arrive plus parce que j’ai trop peur de souffrir à nouveau, parce que j’ai une peur bleue de l’abandon.
Mais la raison est peut-être ailleurs. J’ai l’impression que mon cœur est comme ces enceintes sans fil qui ne supportent qu’une connexion à la fois et qui ne peuvent se connecter à un nouvel appareil sans être d’abord déconnectés de l’appareil auquel elles étaient connectés auparavant.
Comment me déconnecter de Jérém ? Lui, qui hante toujours mon cœur, mon esprit, mes souvenirs, jusqu’à mes baises ?
Mon regard n’a de cesse de rechercher les gars bruns, le corps dessiné, la peau mate, un brin macho et dominants. Dans chaque gars que je croise, dans chaque sourire, dans chaque braguette, je te cherche toi, mon Jérém.
J’ai fini par parler à Matthieu et lui dire que je ne suis pas prêt pour une relation suivie. Il m’a dit qu’il était prêt à m’attendre. Nous nous sommes revus encore une fois, mais j’ai dû me montrer tellement distant qu’il a fini par ne plus me rappeler.
Samedi 16 octobre 2010.
Jérém a 29 ans.
Jérém, où es-tu, que fais-tu, mon Jérém ?
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L’année 2011.
L’année 2011 est jalonnée comme les précédentes par la complicité avec Stéphane, les sorties dans les bars et boîtes gays toulousaines, et la frustration de ne pas savoir aller au-delà de rencontres furtives.
Au printemps, une nouvelle série, « Glee », met en scène des personnages gays et lesbiens et remet au goût du jour des grands classiques de la musique contemporaine.
L’épisode 15 de la saison 1 achève de conquérir mon cœur. Titré « La puissance de Madonna », cet épisode est un hommage haut en couleur pour celle que j’admire toujours autant. La version de « Vogue » par Sue Sylvester est un petit chef d’œuvre à la fois fidèle à l’original et plein d’humour.
https://www.youtube.com/watch?v=0UFTygbBXcs
16 octobre 2011.
Jérém a eu 30 ans. 30 ans, c’est le changement de décennie, c’est une sorte de tournant dans la vie, c’est l’un de ces anniversaires que l’on fête tout particulièrement. Et c’est encore un anniversaire que nous ne fêterons pas ensemble. Avec qui le fêtes-tu, mon Jérém ?
***
L’année 2012.
L’année 2012 démarre fort. Début février, Madonna est la vedette de la mi-temps du Superbowl. Débarquant sur scène dans un char tiré par une légion de beaux mâles, elle donne un spectacle grandiose, accompagnée par le beau Brahim, son dernier toy-boy en date, et entouré par la troupe du Cirque du Soleil.
https://www.youtube.com/watch?v=ucdaEjd1Y4A
Ça laisse présager que du bien pour la tournée qui est annoncée pour l’été. Dès l’ouverture des préventes le lendemain du Superbowl, j’achète deux tickets pour Barcelone, en juin prochain. Deux tickets car, évidemment, Stéphane est partant à 200% pour partager ce moment avec moi.
Le nouvel album sort fin mars et il tourne en boucle dans mon lecteur. Coup de cœur pour la puissance du titre « Girl Gone Wild » accompagné d’un clip en noir et blanc très esthétique et très très gay.
https://www.youtube.com/watch?v=tYkwziTrv5o&list=RDGMEMQ1dJ7wXfLlqCjwV0xfSNbA
À Saint-Pétersbourg, une loi réprimant « la propagande auprès des mineurs de la pédophilie, l'homosexualité, la bisexualité et du transsexualisme » est votée au printemps. En réponse à cette loi, Madonna déclare sur son site officiel : « Je viendrai à Saint-Pétersbourg pour soutenir la communauté gay […] et dénoncer cette atrocité ridicule ».
Juin 2012.
Le 20 juin, le Palau San Jordi à Barcelone est plein à craquer. Stéphane et moi attendions ce moment avec impatience. Et le spectacle va même au-delà de nos attentes. De celles de Stéphane encore plus que des miennes, car c’est la première fois qu’il assiste à un spectacle de Madonna.
Nous en prenons plein la vue et plein les oreilles. Le plaisir est toujours décuplé lorsqu’on se rend à un concert en compagnie de quelqu’un qui partage notre admiration pour l’artiste sur scène. Je repense au concert de 2001 à Londres avec Elodie. Je repense surtout au concert de 2006 avec Jérém. Et j’ai envie de pleurer.
Mais je ne veux pas laisser la nostalgie et la tristesse gâcher ce moment. Alors je danse un peu plus fou, je chante un peu plus fort.
Août 2012.
Elle a tenu parole. Lors de son concert du 9 août 2012 à Saint-Petersbourg, Madonna fait distribuer des bracelets roses au public. Des centaines de drapeaux arc-en-ciel avec l'inscription « No Fear » flottent dans la salle. Entre deux chansons, elle tient le discours suivant :
« Je suis ici pour dire que la communauté gay, les gays qui sont ici ce soir, et tous les gays du monde, ont le droit d'être traités avec respect, dignité, compassion et amour.
Pour tous ceux qui citent la Bible, qui utilisent Dieu pour stigmatiser la différence, je rappelle que Jésus-Christ, Mahomet, Bouddha et Moïse ont tous prêché : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ! » Vous ne pouvez pas utiliser la religion ou le nom de Dieu pour maltraiter les autres ! ».
Je réitère l’expérience du MDNA Tour, en solo, le 21 août à Nice.
15 septembre 2012.
Aujourd’hui, j’ai 30 ans. Et je réalise que, contrairement à ce que j’avais voulu penser jusqu’ici, ça me fait quelque chose de changer de décennie. Je ne suis plus un gamin, et j’ai l’impression que le temps passe de plus en plus vite, qu’il me file entre les doigts.
Je me dis que je dois arrêter de vivre dans le passé, que je dois m’en déconnecter définitivement et résolument, que je dois aller de l’avant et réussir à aimer à nouveau. Car il n’y a que lorsqu’on aime vraiment qu’on est pleinement heureux. Mais je ne sais toujours pas par où commencer.
16 octobre 2012.
Aujourd’hui, Jérém a 31 ans. Ça va faire bientôt cinq ans qu’il a disparu de ma vie. Bientôt il aura passé plus de temps passé loin de moi qu'avec moi. Je n’ai pas de nouvelles de lui. Je n’ai pas vraiment cherché à en avoir. Tout ce que je sais de lui, c’est qu’il est reparti en Australie au lendemain du coming out de Rodney, que ce dernier l’a rejoint là-bas, et qu’ils sont toujours ensemble. Du moins, cela était vrai il y a trois ans. Si c’est toujours le cas à l’heure actuelle, il aura bientôt passé plus de temps avec lui qu'avec moi.
Novembre 2012.
Annoncé pendant la campagne du nouveau Président de la République, le projet de loi pour le « mariage pour tous » est enfin présenté en Conseil des Ministres. A l’instant où l’info paraît dans les médias, les passions se déchaînent.
Toujours en novembre 2012.
Un soir de novembre, chez Stéphane. En essayant de jouer avec Gabin, je constate que son allure est moins vive qu’auparavant, son pas plus lourd, que son envie de jouer est moins flagrante. Au cours des derniers mois, j’ai vu apparaître de plus en plus de poils blancs sur son menton et ses babines, et son attitude changer peu à peu.
Quatorze ans, le toutou, c’est un âge vénérable. Et il est toujours aussi mignon, un véritable aimant à câlins. Je profite de chaque occasion pour lui faire des papouilles, et Stéphane aussi.
Dans le regard de ce dernier, je vois toujours la même indéfectible affection, mélangée cependant à une tristesse qui ne le quitte plus. Je sais à quoi pense mon pote en regardant Gabin. Il pense aux bons moments passé avec le Labranoir, mais aussi au temps qu’il n’a pas pu lui consacrer car accaparé par le quotidien. Mais aussi, et surtout, à la grande inconnue, le temps qui lui reste à partager avec.
La mignonnerie de Gabin me donne envie d'avoir moi aussi un compagnon à quatre pattes. Je décide de sauter le pas et je passe commande à un élevage de la région. Ce sera un Labrador aussi, et il sera noir aussi. Une portée est annoncée pour la mi-décembre, pour une livraison en février.
A partir de là, l’attente est fébrile.
Décembre 2012.
C’est dans la nuit entre le 10 et le 11 décembre, vers deux heures du matin, que la portée de mon futur Labranoir vient au monde. Quelques jours après, je suis invité à voir la portée, et Stéphane m’accompagne. Devant cette débauche de minuscules boules de poil adorables, quatre noires et trois chocolat, mon pote craque et en commande un lui-aussi. Un noir, bien évidemment.
— Il tiendra compagnie à Gabin… il me dit, les yeux embués de larmes, et ça lui fera son stage de « labradorisation »…
Je sais qu’il pense surtout : « Il remplacera Gabin. Et au moins, il l’aura côtoyé pendant un certain temps ».
***
L’année 2013.
L’année 2013 en France commence de la même façon que s’est terminée la précédente, dans un climat de profonde division de l’opinion française au sujet d’une loi par laquelle en réalité la majorité de Français n’est pas du tout concernée. Chacun a son mot à dire, nombreux sont ceux qui s’occupent davantage du cul d’autrui que du leur. Ça manifeste dans tous les sens, pour et contre.
Manifester en soutien d’une loi ouvrant des droits, c’est chose honorable.
Manifester pour que les inégalités persistent, c’est une abomination.
Une illustration circulant sur Internet résume à elle seule l’absurdité de toute cette haine et ces clivages liberticides.
Devant tant d’hypocrisie et d’intolérance, j’adhère à la proposition de Stéphane de participer à l’une des manifestations de soutien à la loi Taubira.
— Même si on est différent des autres, on n’en est pas moins quelqu’un, il me glisse, pendant que nous défilons. Et à ce titre, nous devons avoir les mêmes droits que tout le monde .
Jeudi 14 février 2013.
C’est aujourd’hui que nos deux mini toutous nous sont livrés. Le mien s’appellera Galaak et celui de Stéphane, Gold. Les deux frères ont bien grandi depuis notre visite après leur naissance, et avec leur bidou bien rond et leurs yeux tristes et pleins d’amour, ils sont vraiment à craquer.
Les regarder jouer ensemble avec leur démarche pataude est un véritable régal. Et voir Gabin retrouver des attitudes de chiot en jouant avec les deux mini-labradors est particulièrement émouvant.
Printemps 2013.
La loi finit par passer malgré les immenses tensions l’entourant tout autant dans les institutions que dans la rue, et elle rentre en vigueur au printemps 2013.
Mardi 18 juin 2013.
Après quelques semaines difficiles, cette nuit Gabin est parti rejoindre les étoiles. Stéphane est inconsolable. Je reste dormir chez lui, j’essaie de lui apporter mon soutien. Tout comme nos chiots qui ressentent notre tristesse, tout en nous apportant des torrents de tendresse et de réconfort.
La vie n’est qu’un emprunt, on ne fait que passer.
Octobre 2013.
C’est peu de temps après mon anniversaire, lors d’une sortie au Shangay, que Stéphane fait la rencontre d’un très charmant Iban, beau garçon d’origine basque d’une quarantaine d’année, pâtissier de son métier. Entre les deux, l’étincelle est immédiate, ils deviennent très vite inséparables. Ils ont l’air si heureux, c’est beau à voir, et je suis très heureux pour eux.
Même si cela signifie que mon meilleur pote a désormais moins de temps pour moi. Et que je perds mon compagnon de sorties, mon mentor, mon conseiller, le phare qui m’a guidé pendant la longue nuit de bourrasque que j’ai traversé depuis ma séparation d’avec Jérém, et qui n’est pas tout à fait terminée.
Je sais bien qu’à 31 ans je ne peux pas continuer à compter sur les autres pour avancer dans ma vie. Depuis quelques années, Stéphane m’a été d’un grand soutien. Son nouveau bonheur est peut-être un signe du destin, le signe qu’il est peut-être temps que j’apprenne à avancer seul, sans la béquille d’un confident dédié.
N’empêche que le bonheur des deux tourtereaux et le changement soudain de ma relation avec mon meilleur pote me mettent un grand coup au moral.
Que vais-je devenir sans lui ?
Décembre 2013.
En réalité, Stéphane ne m’a pas totalement lâché. Je suis régulièrement invité à dîner chez lui, ou à partager des activités, comme des séances cinéma. Mais ce n’est plus pareil. Justement parce que la plupart du temps je revois Stéphane en compagnie de son Iban. Dès lors, notre complicité ne peut plus être la même qu’auparavant. Je revis ce que j’ai vécu avec ma cousine Elodie lorsqu’elle a rencontré son futur mari, je perds une partie de cette connivence qui faisait l’essentiel de notre relation.
Nos échanges quotidiens par messagerie ont été davantage épargnés, mais cela ne remplace pas la présence physique d’un ami.
Peu avant Noël, deux mois à peine après leur rencontre, le beau Basque emménage chez Stéphane. Mon meilleur pote est vraiment amoureux, et Iban semble bien le lui rendre.
Je donnerais cher pour tomber à nouveau amoureux, pour revivre des frissons comme en 2001, pour retrouver l’inconscience et l’innocence de mes dix-huit ans, pour me lancer tête la première dans une histoire folle, sans filet, sans peur, et aimer, totalement, avec les tripes et le cœur uniquement, sans que le cerveau oppose ses peurs à chaque rencontre, à chaque instant. Je donnerais cher pour arriver à lâcher prise, complétement, pour me laisser transporter là où le cœur m’amènerait.
J’aimerais ressentir en moi le feu qui brûlait en moi en 2001, cette énergie inépuisable qui fait traverser des fleuves immenses et escalader les montagnes les plus imposantes. Mais cette force j’ai l’impression de l’avoir perdue, à tout jamais.
En vrai, ce ne sont pas des frissons « comme » en 2001 que je voudrais revivre, mais bel et bien « les mêmes » frissons qu’en 2001, ceux de la découverte de l’amour, du premier amour, et je voudrais surtout les revivre avec le même garçon.
Elle réside peut-être là la cause de mon incapacité à être à nouveau heureux. Malgré notre séparation, et les six années qui se sont écoulées depuis, Jérém n’a jamais cessé de hanter mon cœur, mon corps, mon désir.
Dans ma nouvelle solitude, je repense à nouveau plus souvent à lui. Je me demande comment il va, s’il est heureux. Je me demande si ça lui arrive de penser à moi, parfois.
Entre Noël 2013 et le Jour de l’An 2014.
Comme chaque année, Maxime m’appelle pour me souhaiter de bonnes fêtes. D’habitude, je fais tout ce que je peux pour ne pas avoir des nouvelles d’Australie. Et le jeune Tommasi a toujours respecté mon besoin de me protéger.
Mais cette année, je ne peux me retenir de lui demander des nouvelles de son grand frère. J’apprends ainsi qu’il est revenu au domaine viticole pendant le mois de juillet de cette année – seul – et qu’il y a passé quelques jours. Qu’il est ensuite parti à Campan pendant deux semaines. Qu’il est ensuite reparti en Australie. Qu’il n’est plus avec Rodney, car ce dernier est rentré en Angleterre un an plus tôt pour s’y installer définitivement.
Ça fait beaucoup de nouvelles d’un seul coup, ça me donne le tournis. Une fois le téléphone raccroché, j’ai l’impression de plonger dans un abîme sans fin.
Beaucoup de choses à digérer, ça va prendre du temps et ça va faire mal. Ça m’apprendra à demander. En attendant, le mal est fait. Je n’ai pas fini de cogiter dans tous les sens.
Jérém était donc dans la région cet été, et il était seul, car il n’est plus avec Rodney.
Finalement, leur histoire n’aura pas duré davantage que la nôtre. Mais la durée de notre séparation est désormais plus importante que celle de notre histoire.
Jérém était en Occitanie et il n’a pas eu l’idée de passer me voir. Ou bien, il n’a pas eu le cran. Ou alors, il n’a pas osé. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Maxime n’a pas eu l’idée de me dire que Jérém était au domaine. Tout comme Charlène n’a pas non plus eu l’idée de me dire que Jérém était à Campan. Ni Martine, ni Jean-Paul, ni Ginette, ni Daniel. Sur le coup, je me sens trahi. Si seulement j’avais su, j’aurais accouru sur le champ ! Aurions-nous pu nous retrouver ? Ou bien ça aurait été une immense déception ?
Au final, est-ce que ça aurait été une bonne chose de le revoir ? Se retrouver en ex, en potes, je crois que je ne suis toujours pas prêt. Mais est-ce que Jérém aurait eu seulement envie de me revoir ? S’il ne m’a pas fait signe, c’est que ce n’était pas le cas.
Quant à ses proches, je sais bien que je n’ai pas de raison de leur en vouloir. Je sais très bien que si personne ne m’a pas appelé, c’est que Jérém leur a demandé de ne pas le faire.
Ce que Maxime ne m’a pas dit, et que je n’ai pas eu la force de lui demander, c’est si Jérém avait à nouveau quelqu’un dans sa vie.
Pendant quelques temps après le coup de fil de Maxime, ça me démange, ça me brûle, ça me ravage les tripes de rappeler Maxime pour lui demander tous les renseignements au sujet de la localisation exacte de son grand frère. L’envie me chatouille à nouveau de tout plaquer pour aller rejoindre Jérém.
Mais à quoi bon, après toutes ces années ? A quoi ça rimerait de traverser la moitié de la planète pour revivre ce que j’ai vécu il y a quelques années en traversant la Manche ? Trouver un Jérém distant, déjà amoureux d’un autre, si ça se trouve ? Trouver un inconnu ? Je ne le supporterais pas. C’est au-dessus de mes forces.
Cette année se termine dans une tristesse sans fin. Et je n’ai même pas envie d’aller déranger Stéphane avec mes histoires, ni d’en parler à qui que ce soit. Au bout de toutes ces années de séparation, je n’ose plus saouler mes amis et ma famille avec le « dossier » Jérém, même si de nouvelles informations m’ont amené à le rouvrir. J’ai peur qu’on me trouve pathétique, ridicule. En six ans, j’aurais dû aller de l’avant, refaire ma vie. Et pourtant, je n’ai pas pu. J’aurais dû cesser d’avoir mal. Et pourtant, j’ai toujours mal. Je garde tout pour moi, et ça me mine.
Heureusement, Galaak est là. Il n’est encore qu’un très jeune chien, il vient tout juste de souffler sa première bougie, mais il sent quand je suis triste. En ces moments-là, il vient se coller à moi, il pose sa tête sur ma cuisse, il vient chercher les câlins, proposer les câlins. Il vient me faire sentir sa présence, m’apporter du réconfort.
Un Labrador est le meilleur anti-dépresseur au monde, et à ce titre il devrait être remboursé par la Sécurité Sociale.
***
L’année 2014.
Depuis que mon meilleur pote est en couple, je ne sors plus, car ça ne me dit rien de sortir seul. Aller poiroter dans un bar, ou dans une boîte, je trouve ça glauque.
Pour tromper ma solitude, j’ai installé une application de rencontres entre mecs. Il me suffit de l’ouvrir pour que des dizaines de photos apparaissent, et ça donne même la distance à laquelle le gars qui m’intéresse se trouve. C’est tentant et encourageant.
Au début, j’ai beaucoup de touches. Je suis le petit nouveau dans le paysage numérique, j’attire l’attention. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que dans cet espace, les échanges sont plutôt directs et réduits à l’essentiel.
Ça commence le plus souvent par un « Slt », même pas « Salut », on n’a pas le temps, je réalise très vite que la quantité des échanges et des rencontres potentielles prime sur la qualité. Et ça enchaîne direct avec des répliques du style :
« Tu cherches quoi », « actif / passif », « monté comment », « photo torse nu », « photo de ta bite ».
Bref, on peut faire plus classe comme techniques d'approche.
Une fois le contact établi, on commence à discuter. Il arrive régulièrement que, au bout de quelques échanges, le gars à l’autre bout du clic cesse de répondre de façon soudaine, quitte l’appli sans même dire « au revoir ». Il revient parfois discuter le lendemain sans le moindre « bonjour ». C’est décousu, irrégulier, frustrant. Il faut un temps d’adaptation à cette absence de formes de politesse, à cet espace où les échanges ont des codes et des rythmes propres et très prosaïques.
Des touches, il y en a beaucoup. Mais il est nécessaire de passer du temps, pas mal de temps, à échanger avec tous ces inconnus, avant une éventuelle rencontre réelle. Car tout le monde parle avec tout le monde, et tout le monde est dispersé et volatile. Quand il y a trop d’offre, on survole. On peut parler avec un gars pendant des jours, envisager un plan, et le voir disparaître des radars, cesser de répondre, juste avant l’aboutissement de semaines de drague. On peut se faire bloquer, parfois pour la simple et bonne raison de demander des nouvelles une fois de trop.
Je me connecte quand je me sens triste, anxieux ou seul. C'est-à-dire, assez souvent. Chercher un plan est un moyen d’anesthésier ses plaies et de tromper sa solitude, et le sexe est une parfaite distraction. Une distraction très provisoire. Bien souvent, je me sens encore plus mal après avoir couché avec un gars.
Parfois, le soir, seul dans mon lit, je me souviens de cette envie irrépressible, dévorante, que je ressentais de coucher avec Jérém, de faire l’amour avec lui, d’emboîter nos corps qui semblaient conçus exprès pour cela, comme une évidence, de mélanger nos plaisirs pour créer cette parfaite alchimie, une réaction explosive. Je me souviens de cette envie brûlante, jamais satisfaite, jamais rassasiée, de recommencer encore et encore. Et je me souviens du bonheur de savoir que je pouvais compter sur lui, jeune mâle insatiable, jeune mâle me faisant l’immense honneur de m’avoir choisi pour satisfaire ses envies, pour recommencer encore et encore.
Je me souviens de plusieurs fois où, après l’avoir longuement sucé, je lui disais à quel point j’avais envie de lui, à quel point j’avais envie qu’il vienne en moi, tous les orifices de mon corps réclamant sa présence avec la même furieuse intensité.
— Fais-moi jouir dans ta bouche d’abord, sinon je vais pas durer longtemps dans ton cul, était souvent sa réponse.
Et alors je m’exécutais, trop heureux de ces annonces de multiplications des plaisirs. Je le faisais jouir dans ma bouche, et lorsque son orgasme venait, lorsqu’il m’intimait de l’avaler, là encore je m’exécutais avec un bonheur plein et total.
Une cigarette plus tard, une poignée de minutes plus tard, il était en moi, ses va-et-vient étaient puissants, ses couilles frappaient vigoureusement les miennes ou mon entrejambe, suivant la position, il me défonçait comme s’il ne venait pas de tout juste jouir dans ma bouche. Et la venue de son nouvel orgasme était pour moi le plus intense des plaisirs.
Je me souviens des petites odeurs qui se dégageaient de sa peau, de ses aisselles, du creux de son cou et de ses pecs, de ses poils, après l’apothéose du plaisir. J’ai toujours adoré la sensation de porter son odeur sur moi, ce bouquet mâle sentant à la fois son parfum de mec mais aussi, et surtout, la transpiration, la queue, la baise, le foutre, l’orgasme consommé.
Je cherche toujours et encore le souvenir de ce bouquet dans le t-shirt blanc et les boxers que j’avais discrètement subtilisés de la salle de bain de l’appart de la rue de la Colombette. Je plonge mon nez dedans, en quête de mon Jérém. Hélas, toute ces délicieuses petites odeurs de jeune mâle ont disparu avec le temps. Et pourtant, je ne peux me résoudre à les jeter.
Je me souviens du bonheur d’avoir son jus partout en moi. La sensation de pouvoir lui faire confiance, le sexe insouciant, le meilleur, car c’est dans le lâcher prise total que réside le plaisir le plus pur.
Que ne donnerais-je pas pour refaire l’amour avec lui, une fois seulement. Et pour m’endormir dans ses bras, me sentir aimé, sentir sa présence, et savoir qu’il sera là demain matin, que nous pourrons nous réveiller ensemble à nouveau.
Que ne donnerais-je pas pour retourner dans la petite maison de Campan, de retrouver la cheminée allumée, et Jérém devant moi, en train de me sourire !
Eté 2014.
Jour après jours, mois après mois, sans même m’en rendre compte, ou plutôt sans vouloir m’en rendre compte, je deviens addict à l’application. A chaque connexion, il est impossible de savoir sur qui on va tomber. Et on nourrit toujours l’espoir fou de décrocher le jackpot. Cette addiction à la « surprise » me pousse à me connecter de plus en plus souvent et à y consacrer de plus en plus de temps. J’y passe toutes mes soirées, une partie de mes nuits et de mon sommeil, tous mes week-ends et jours fériés, ainsi que chaque instant de mon temps libre.
L’application, c’est le diktat des muscles, des belles gueules, des corps parfaits. Je ne jette pas la pierre à qui que ce soit, j’ai été moi aussi à fond dans ce fantasme, j’ai aimé, adoré, fantasmé le corps, les muscles, la belle petite gueule et la queue de Jérém.
Mais ici, dans le virtuel, le fantasme du gars parfait est omniprésent. Ici, les corps se mettent en scène, on choisit ce qu’on veut bien montrer et ce qu’on veut cacher. Les images d’hier peuvent très bien servir pour se « vendre » d’aujourd’hui. Parfois, entre le virtuel et le réel, il n’y a pas le compte, autant pour les années que pour les kilos. Parfois, il y a tromperie caractérisée sur la « marchandise ».
En attendant, cette image biaisée de l’idéal masculin devient le mètre-étalon de comparaison. Inconsciemment, je finis par me comparer à ceux qui plaisent au plus grand nombre.
Dans cette comparaison, on est souvent perdants. Et ça finit par faire perdre confiance en soi.
On commence à se dire que tel beau gosse ne vient jamais nous parler ou qu’il ne répond pas parce qu’on n’est pas assez beau, puis on en fait une généralité, on finit par se dire qu’on ne plait pas assez ou qu’on est insignifiant.
D’ailleurs, après des débuts sur les chapeaux de roues, au fur et à mesure que le temps passe, j’ai l’impression de me fondre dans le paysage et de perdre une grande partie de mon intérêt. Les touches sont moins nombreuses, et, après m’être pris pas mal de râteaux, j’ose moins aller vers les gars de peur de me prendre d’autres râteaux.
Lorsque j’arrive à trouver assez de force mentale pour arriver à décrocher des applications, je peux consacrer du temps à l’écriture. Mais ce n’est pas facile de m’y remettre après l’avoir abandonnée pendant un certain temps. L’écriture est une fleur qui se cultive au quotidien, et elle supporte mal l’inconstance. C’est une maîtresse exigeante. Elle est capable de donner beaucoup de plaisir, mais à la seule condition qu’on s’occupe bien d’elle. Lorsqu’on ne lui consacre pas assez de temps, elle boude pendant un certain temps pour nous le faire payer. L’écriture est une machine qui demande un certain temps pour chauffer.
Hélas, conséquence de mon travail décousu, beaucoup de notes s’entassent, des textes dans mon ordi, d’autres manuscrits rangés dans une boîte. Et lorsque je pense à toutes ces pages, ça me donne le tournis. Ça me décourage de m’y mettre. J’ai l’impression que je n’aurais jamais l’énergie et le temps nécessaires pour reprendre tout ça pour trier, organiser, structurer, pour en faire quelque chose de cohérent. Je devine que cela représente un travail colossal.
Il me faut énormément d’énergie pour me replonger dans le bain, après une longue pause.
Ça fait maintenant des années que j’écris au sujet de Jérém et Nico. J’écris pour garder une trace de cet immense bonheur passé, j’écris pour ne pas oublier, j’écris pour pouvoir à chaque instant de ma vie me dire « ça a bien existé ».
Cela ne m’empêche pas de me demander, parfois, à quoi bon, au fond, passer autant de temps devant mon ordi, pourquoi écrire au sujet d’anciens chapitres de ma vie au lieu d’en vivre de nouveaux.
La réponse à cette question est désormais évidente. C’est quand ça charbonne sec sur mon clavier que je suis le plus heureux. Lorsque j’arrive enfin à me réconcilier avec l’écriture, je prends beaucoup de plaisir à écrire. Devant mon écran, seul avec mes « personnages », j’oublie tout, ma tristesse, ma mélancolie, ma nostalgie, mes regrets, mes peurs, je m’enferme dans une bulle où je suis bien comme nulle part ailleurs.
Au début, j’avais du mal à écrire trop longtemps, car bien souvent les larmes venaient noyer mon clavier. Mais au fil du temps, j’ai réalisé que mes larmes, une fois que j’ai réussi à les retranscrire à l’écran, n’alourdissent plus mon cœur. C’est en ça que je considère que l’écriture est pour moi comme une thérapie. Et ça va même au-delà de ça, elle m’apporte carrément du bonheur.
Mais de nombreux obstacles se dressent entre l’écriture et moi. Le premier, c’est ma libido. Elle réclame régulièrement son « dû ». J’ouvre alors l’application avec l’intention d’y passer un court moment. J’y passe la soirée, et je n’écris pas. Le lendemain, je me reconnecte. Et ainsi de suite. Je finis par ferrer le poisson et faire un plan. Je remets le doigt dans l’engrenage infernal et je me fais happer à nouveau.
L’application est toujours présente sur mon téléphone, l’icône me nargue, la tentation me titille, la facilité me fait capituler.
Je devrais la désinstaller. Je l’ai fait une ou deux fois, mais j’ai fini par la réinstaller. Je suis comme un fumeur qui sait que la cigarette est nocive mais qui n’arrive pas à décrocher pour autant. Addiction, quand tu me tiens !
Les applications ont rendu les rencontres entre gars plus rapides et plus sûres, mais elles ont en même temps sapé les bases de la réussite d’une relation stable. Car elles poussent au papillonage, à la volatilité. Elles favorisent une sorte de consommation boulimique des corps couplée à une insatisfaction éternelle. Cela entraîne dans une course sans fin vers un mirage, celui de la rencontre parfaite.
Mais si on regarde constamment ailleurs, si on ne prend pas le temps de consacrer du temps à la personne, on passera à côté de bien des choses.
Sur Internet, les rencontres sont plus faciles, mais aussi plus précaires. Les applications rendent les gens plus fragiles, plus désenchantés, plus exigeants, plus dispersés, et plus méfiants.
Comment espérer trouver l’amour, comment faire confiance à quelqu’un rencontré sur l’application, alors que, tout autant que moi, il a l’habitude de chasser avec cette facilité ?
Comment espérer construire quelque chose avec des gars tenant au creux de leurs mains les innombrables occasions offertes par la technologie moderne ?
J’ai rencontré des gars qui, une fois consommé ce qui était consommable, n’avaient qu’une hâte, celle de partir et de ne plus jamais revenir. D’autres qui ne pouvaient jamais quitter leur portable des yeux, et qui n’avaient même pas la délicatesse de le mettre en sourdine, laissant la signature sonore des notifications de l’appli retentir à longueur de temps, y compris pendant notre rencontre, ou pendant nos ébats, la tête, la queue et le cul en permanence ailleurs.
J’ai l’impression d’être à la fois le client et le produit d’une sorte d’immense « supermarché » de la baise. Et pourtant, malgré ma frustration, je finis toujours par céder à la tentation, à la facilité. J’y cède pour tromper l’ennui, pour oublier ma solitude, pour essayer de calmer une blessure qui ne guérit pas, pour essayer de flatter mon égo.
Et le piège se referme sur moi. La facilité entraîne la banalisation des rencontres, mais aussi leur « désacralisation » et, par conséquent, la dévalorisation de l’autre. Et de soi-même, par ricochet.
Après l’addiction vient l’accoutumance, puis la désillusion et le dégoût.
16 octobre 2014.
Aujourd’hui, Jérém a 33 ans. Où es-tu, mon Jérém ? Es-tu heureux ? Mon p’tit Loup, est-ce qu’il t’arrive, parfois, d’avoir une pensée pour celui que tu as appelé un jour « ton Ourson » ?
Décembre 2014.
Parfois, le soir, dans mon lit, je me souviens que le seul autre garçon à qui j’ai fait un jour totalement confiance est Thibault. Nous ne nous voyons pas souvent, son engagement dans les Pompiers ne lui laisse pas beaucoup de temps libre. Mais à chaque fois que nous nous retrouvons tous les deux, je le trouve toujours aussi beau, charmant et désirable. A chaque fois, j’ai l’impression que, pour peu que je m’amuserais à forcer un peu le destin, ça pourrait facilement déraper entre nous. Que nous pourrions remettre ça, comme à Bordeaux.
Je sais qu’il ne fera pas le premier pas, Thibault est un garçon trop droit dans ses bottes pour cela. Il ne tromperait jamais son adorable Arthur de sa propre initiative.
Mais si ça venait de moi, qui sait.
Je me branle parfois en me remémorant la sensualité et la virilité du beau pompier. Et en me branlant, je me dis que je devrais oser, lui proposer de recommencer. J’ai tellement envie de faire l’amour avec un beau garçon ! Et je m’imagine que lui aussi il en a envie, qu’il n’attend que ça, en fait.
Mais une fois m’être soulagé, ma raison reprend aussitôt le contrôle sur le fantasme, et une certitude s’affiche dans mon esprit. Coucher avec Thibault ce ne serait pas du tout une bonne idée.
***
L’année 2015.
Elle commence mal, très mal. Le 7 janvier, au soir, les bougies se multiplient sur les rebords des fenêtres de la France entière pour montrer que nous sommes tous « Charlie Hebdo ».
Janvier 2015.
En ce début d’année, je prends la résolution de me consacrer davantage à l’écriture. J’ai besoin de me poser, de me retrouver. J’ai besoin de calme.
Mars 2015.
Le nouvel album de Madonna sort enfin dans les bacs. Malgré quelques chansons de qualité, à l’instar du single « Ghosttown », dont les notes mélancoliques épousent parfaitement ma tristesse de cette période, il connait hélas un succès beaucoup plus confidentiel que les précédents.
https://www.youtube.com/watch?v=GgDxv0Qg_Rg
La sauce Madonna a plus de mal à prendre que par le passé. Tous les artifices du monde ont de plus en plus de mal à faire illusion, à concilier le mythe Madonna avec la réalité de ses bientôt 60 ans. Des titres hétérogènes, une silhouette qui s’alourdit, une chirurgie plastique désormais trop évidente, des pas de danse moins audacieux, des performances vocales peu convaincantes. Et, par-dessus tout, un refus obstiné d’accepter le temps qui passe. Elle n’est plus dans l’air du temps, les nouvelles générations sont passées à autre chose, les radios la blacklistent sans s’en cacher. Même avec MTV, avec qui la symbiose a été parfaite depuis le premier jour, le divorce semble définitivement consommé.
Heureusement, il reste la diffusion sur Internet.
Dans mes yeux de fan, bien sûr, le fait que Madonna ne soit plus aussi en forme, ni aussi populaire qu’à une certaine époque, ça ne change rien. Je suis conscient de tout ce qu’elle a représenté pour « les hommes de ma génération ». Elle est la Stella Spotlight de ma génération. Elle m’a tellement donné par le passé que je la suivrai jusqu’au bout, quoi qu’il arrive. Et puis, si elle vend beaucoup moins de disques, ses concerts se jouent à guichets fermés. Au fond, c’est le plus important.
Une nuit, je me réveille en sursaut. Je savais qu’elle devait performer le soir même un titre à la télé anglaise, et j’ai un mauvais pressentiment. J’ai besoin de savoir si tout s’est bien passé. Je vais voir sur Youtube.
Sa chute spectaculaire de la scène des British Award vient de se produire deux heures auparavant, les médias rapportent qu’elle serait à présent en observation à l’hôpital.
https://www.youtube.com/watch?v=jAxqzaQpiU0
Elle a pourtant mené sa prestation jusqu’au bout avant de se faire secourir, je suis admiratif. Mais en même temps, cela me peine beaucoup. Pour la première fois, je me dis qu’elle aussi est faite de chair et de sang, et qu’elle est aussi en train de vieillir. Et que peut être le gros de sa carrière est désormais derrière elle.
Mars 2015.
Aujourd’hui, c’est une belle journée de printemps. Le vent d’Autan souffle depuis hier, vigoureux et insistant, et le ciel est bien dégagé.
Ce matin, je me rends dans un magasin de matériel électrique pour acheter une bricole pour la maison. Dès mon arrivée, je constate qu’il y a du monde au comptoir. Mais aujourd’hui je ne travaille pas, et je ne suis pas pressé.
Et je ne le suis d’autant pas que je viens de TE remarquer dans la file d’attente à côté de la mienne. Toi, beau jeune mâle brun au regard ténébreux et au physique avantageux. Mon regard et mon Être tout entier se figent sur toi, et tout disparaît autour.
A chaque fois que l’existence d’un beau garçon traverse ma rétine et mon esprit, je me retrouve comme plongé dans un état second. C’est une expérience presque mystique. Pendant quelques instants, j’assiste, incrédule, à une sorte de révélation repoussant à chaque fois les limites de la magnificence du Masculin.
Je suis percuté, submergé, envahi par un trop plein de sexytude, de mâlitude, de virilité, d’irrépressible désir. Ma conscience sature, bugge. Je me retrouve comme hébété, fixant avec insistance le Petit Dieu pour laquelle mon adoration est déjà totale, comme en étant d’hypnose, dans la tentative inconsciente et désespérée de capturer, de comprendre, d’admettre que tant de beauté, de mâlitude, de sexytude puissent être réunies en un seul garçon.
C’est une expérience à la fois délicieuse et frustrante, tant l’objet de mon désir est généralement inaccessible. Mais ça me met toujours de bonne humeur que de croiser un bel inconnu de bon matin.
Et toi, toi t’es vraiment beau, mec ! Tu es un garçon solide, un brun comme je les aime, pas très grand, un mètre 70 maximum. Il est à mes yeux une sexytude propre à ce genre de garçons, que j’appelle les « petits formats très bien proportionnés ». Tes cheveux sont ni trop courts, ni trop longs, arrangés un peu à l’arrache. Tu as la peau mate, une petite barbe de quelques jours, bien sexy. Tu te situes dans une plage d’âge entre 25 et 30 ans.
Tu es habillé plutôt simplement, tu portes un pantalon de travail à poches, des chaussures de sécurité.
Mais aussi un t-shirt gris avec un ballon ovale imprimé dans le dos, surmonté par le nom d’une petite ville des alentours. Tu es donc un rugbyman, ou du moins un passionné de rugby.
Le t-shirt épouse à la perfection tes épaules bien taillées, tes pecs, laissant même deviner tes tétons. Quelques petits poils tout mignons dépassent de l’arrondi du col. C’est un t-shirt de travail, et tu le portes avec un naturel désarmant, sans intention particulière de te mettre en valeur. Et pourtant, ça te met sacrement en valeur. Tu ne peux même pas imaginer à quel point. Tu n'es peut-être même pas conscient d’à quel point tu es sexy.
Première loi de la Bogossitude : un rien habille un bogoss.
Deuxième loi : un garçon n’est jamais autant sexy que lorsqu’il ne fait rien pour cela.
Troisième loi : le garçon le plus sexy qui soit est celui qui ignore à quel point il l’est.
Et c’est justement cette absence d’intention et de conscience qui font le charme de ta tenue, et de ta personne. Petit mec, tu es insupportablement sexy !
Tu rentres dans mon champ de vision et mon regard est à nouveau vierge, à nouveau enchanté. Et en te regardant, je ressens un bonheur tout aussi intense que la première fois de ma vie où j’ai été percuté par la beauté d’un beau garçon. Pour autant que je me souvienne, ça devait être au Cours Moyen, lors d’un cours de natation. L’un des moniteurs était très beau. C’était la première fois que je voyais un garçon aussi beau.
Petit brun, tu as l’air pressé. Tu dois avoir du travail qui t’attend, des clients à contenter. Tiens, d’ailleurs ton téléphone vient de sonner. Tu décroches. Et soudain, tes beaux traits virils se crispent. Ton regard brun et charmant prend un air désabusé et fatigué. A un moment, il croise le mien. Je te souris, l’air compatissant. Te montrer de l’empathie est ma façon de te faire remarquer mon existence. Mon sourire doit te faire plaisir car tu souris à ton tour. A cet instant, j’ai envie de pleurer tellement ton sourire m’emplit de bonheur.
Le premier client de ta file d’attente est parti et il ne reste qu’un autre type devant toi. Tu en as assez entendu, tu as l’air de vouloir mettre un terme à cette conversation qui commence visiblement à t’agacer.
Ecoutez, Madame, je serai chez vous en début de semaine prochaine, mais pas avant. Je vous ai dépanné de ce qui était le plus urgent et j’en fais de même avec d’autres clients. Je dois vous laisser, j’ai beaucoup de travail. C’est pas la peine de me rappeler encore d’ici là. Je sais parfaitement ce qui me reste à faire. Je vous dis à lundi, passez un bon week-end.
Le ton de ta voix est ferme, et je décèle un bon petit accent toulousain plutôt marqué, plutôt craquant.
Tu viens de raccrocher et ton regard revient vers moi. Nous ne sommes pas très loin l’un de l’autre, moins de deux mètres nous séparent. Je te souris à nouveau. Tu souris à ton tour, mais pas longtemps. Ton portable sonne à nouveau. Cette fois-ci, tu ne réponds pas, tu appuies sur la touche rouge, l’air de plus en plus agacé. Finalement, le client devant toi prend beaucoup de temps, et tu commences à t’impatienter.
Tu as l’air fatigué, mon mignon. A en juger d’après la façon dont tu t’étires, il est évident que ton sommeil matinal a été coupé par un réveil qui a sonné trop tôt. Et maintenant, planté là à attendre, ta fatigue te rattrape. Tu aurais encore dormi, j’imagine, si le taf ne t'avait pas obligé à sortir de tes draps.
Tu es debout depuis quelle heure ? Est-ce que tu étais seul dans ton lit ? Est que tu étais avec ta copine ? Avec ta femme ? Est-ce que tu lui as fait l’amour hier soir ? Est-ce que tu t'es réveillé avec une bonne trique et tu t’es fait sucer ? Ou bien, est-ce que tu as pris le temps de te branler avant de sortir de ton lit ? Ou alors sous la douche ?
Tu bailles, tu t'étires à nouveau, tu frottes ta barbe brune, et je te trouve de plus en plus sexy à chaque seconde qui passe. Je sens mon ventre frémir, comme secoué par un tambour de machine à linge en mode essorage. J’ai déjà follement envie de toi.
C'est long, ça n’avance pas… je te lance, comme la première pierre posée d’un pont que je voudrais bâtir entre nous.
Je suis le premier étonné de mon « audace ». Mais tu me fais vraiment trop d’effet, et j’ai besoin d’attirer ton attention, j’ai besoin que tu poses ton regard sur moi, j’ai besoin que tu saches que j’existe. Au moins pendant un instant.
En vrai, je tremble, j’ai le cœur qui bat à mille, j’ai le souffle coupé, les jambes en coton. J’ai peur que tu trouves ma remarque déplacée, que tu me trouves déplacé tout court, j’ai peur d’ajouter de l’agacement à ton esprit.
Mais, pour mon grand plaisir, tu me réponds, tu me secondes. Et tu n’as pas du tout l’air agacé par ma démarche.
Ah, oui, j'en ai marre d'attendre. En plus, j’ai un taf monstre qui m’attend !
Vous bossez dans quoi ?
Je suis chauffagiste. Et vous ?
Ingénieur et… bricoleur !
Moi c’est Pierre.
Moi c’est Nicolas, enchanté !
Le client devant toi a terminé et c’est désormais à ton tour de te faire servir. Ce qui met un terme prématuré à nos échanges. Tu approches du comptoir. Le petit mec qui vient vers toi est un brun à lunettes au physique élancé, pas mal du tout dans son genre non plus. Mais moi, je n’arrive pas à décrocher mon regard de toi, beau chauffagiste !
Je t’entends expliquer que tu as passé une commande et qu’on t’a appelé pour te dire qu’elle était arrivée. Le petit mec à lunettes cherche sur son ordi mais semble avoir du mal à retrouver la commande en question. Tu attends, les coudes appuyés sur le comptoir, le dos incliné, les fesses un brin cambrées. Mais putain qu’est-ce que tu es beau, ainsi négligemment appuyé au comptoir ! Tu l’ignores, mais cette position fait se soulever légèrement ton t-shirt à l’arrière, laissant ainsi découvrir un petit bout de peau proche de ta chute de reins. C’est beau, beau, beau !
Le petit mec à lunettes part dans le bureau à l’arrière du comptoir. On le voit discuter avec un autre type derrière la porte vitrée. Ce dernier passe un coup de fil. Entre temps, le client qui me précédait dans la file d’attente est parti et je me retrouve à mon tour devant le comptoir. A nouveau à un mètre de toi. J’annonce rapidement ma commande et le vendeur part dans l’arrière-boutique chercher la marchandise.
Mon regard revient aussitôt vers toi, beau chauffagiste. Mais je n’ai pas le bonheur de croiser le tien car le petit mec à lunettes revient t’expliquer qu’il y a eu une erreur, que ta commande est incomplète, qu’il manque juste… la pièce principale !
Tu sembles excédé. Je t’entends lancer, à bout de nerfs :
Ça bousille ma journée. J’avais promis au client d’y aller aujourd’hui. Est-ce que je peux au moins savoir quand j’aurais cette pièce ?
Le jeune vendeur retourne dans l’arrière-boutique pour se renseigner. Et moi j’en profite pour te lancer :
Ça ne s'arrange pas ici…
C’est une affirmation qui ne repose sur rien, car c’est la première fois que je viens dans ce magasin, c’est un bluff imaginé dans le seul et unique but d’essayer d’établir un début de complicité par l’empathie. Et ça marche !
Non, pas du tout… tu confirmes.
En attendant, mes pièces sont arrivées sur le comptoir. Trop vite, pour une fois que je ne suis pas pressé ! C’est con, je vais avoir fini avant toi. Je vais partir avant toi. J’aurais bien voulu continuer à discuter avec toi, trouver le moyen de te parler d’autre chose que de taf et de taf.
Une fois que j’aurai réglé ma facture, je vais partir ! Et ce sera fini, je rentrerai dans ma voiture, je reprendrai ma route et ne te reverrai plus jamais.
Bien sûr, il y a toujours une raison qui fait que rien n’est jamais possible entre moi et un gars que je kiffe. Je peux toujours invoquer des conditions conjoncturelles défavorables pour tenter d’expliquer mon manque de cran, pour tenter de justifier à moi-même mon incapacité à aller vers l’autre, à briser le mur de verre qui me sépare d’une possible belle rencontre. Aujourd’hui, je peux me dire par exemple que ce beau chauffagiste est bien trop accaparé par ses soucis et bien trop pressé pour qu’il puisse être réceptif à mes approches.
Mais je sais pertinemment que ce ne sont que des excuses. Et ça n’apaise en rien la douloureuse déchirure provoquée au plus profond de moi par la dichotomie inconciliable entre mon désir et ma frustration.
La vérité est que je ne sais pas aller vers les garçons qui me font de l’effet. Je ne sais même pas y aller pas dans les endroits prévus pour cela, alors, dans la vie de tous les jours…
La peur du rejet, de l’humiliation et de la violence me tétanise. Aussi, la bogossitude m’impressionne, me fait me sentir comme un vilain petit canard honteux et me fait perdre tous mes moyens.
Mon vendeur me rend la carte bleue, me tend la facture et me colle mon carton dans les mains. Je me retourne vers toi, beau Pierre. Tu captes mon regard et tu y accroches le tien. Je voudrais te parler, trouver le moyen de prolonger nos échanges, mais je n’ai aucune idée de comment m’y prendre.
Bon courage… tu me glisses, tout mignon.
Oui, bon courage à vous aussi…
Et voilà, c’est comme ça que ça se termine, déjà. Je me mettrais des baffes, des baffes et encore des baffes.
J’avance vers le sas, le ventre ravagé par le regret et la frustration. Je me sens mal et pire, j’ai envie de hurler jusqu’à m’en casser les cordes vocales !
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1 avis des lecteurs et lectrices après lecture : Les auteurs apprécient les commentaires de leurs lecteurs
Les avis des lecteurs
Ton histoire est magnifique, le temps s’accélère dans cet épisode tellement triste, ce qui fait ressentir ce grand vide dans la vie de Nico. Je me suis vraiment attaché à lui au fil des épisodes. J‘ai beaucoup aimé aussi ta description très juste des applis de rencontres.
Pour les lecteurs intéressés et impatients, d‘autres épisodes sont en ligne sur le site Jerem & Nico.com. Il y a plein d‘autres choses aussi (des vidéos, des chansons autour de l’histoire,…) et possibilité de commenter entre lecteurs.
Pour les lecteurs intéressés et impatients, d‘autres épisodes sont en ligne sur le site Jerem & Nico.com. Il y a plein d‘autres choses aussi (des vidéos, des chansons autour de l’histoire,…) et possibilité de commenter entre lecteurs.