55.3 La dernière fois que Jérém est venu chez moi.
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 01-04-2018 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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55.3 La dernière fois que Jérém est venu chez moi.
Vendredi 10 août 2001
Il est 16h46 lorsque la sonnerie de la porte d’entrée retentit dans la maison.
Je vais ouvrir et l’image du bogoss transperce ma rétine, mon cerveau, mon cœur, mes entrailles ; et je ressens, tout à la fois, un nœud dans la gorge, une brûlure dans le ventre, un choc dans la tête comme si on m’avait assené un coup en pleine figure ; j’ai envie de hurler, de pleurer, de me jeter sur lui direct.
Le bogoss est là, devant moi, ses cheveux bruns coupés très courts autour de tête, faisant raccord avec sa barbe de quelques jours ; sur le haut du crâne, son brushing est relevé et fixé au gel – mais pas figé – en une sorte de crête partant légèrement sur un côté. C’est beau, c’est sexy, c’est « petit con » tout craché.
Sa tenue du jour comporte une chemisette couleur bleu pétrole, teinte unie ; le premier bouton défait, mon regard tombe direct sur son petit grain de beauté, si mignon, si sexy ; les manchettes enveloppent parfaitement ses biceps et s’arrêtent juste en dessus de ses deux tatouages ; alors que la coupe, visiblement conçue dans le but précis de redessiner ses épaules et ses pecs, retombe à hauteur des poches d’un jeans assez clair, taillé dans un tissu qui a l’air très doux.
« Salut » il finit par me lancer « tu me files ma chaînette ? ».
Le ton de sa voix est distant, le regard fuyant.
« Tu veux pas rentrer un moment ? »« Non, donne la chaînette, je dois y aller… ».
« Et s’il te plaît ? » je cherche à gagner du temps.
« S’il te plait ! » fait-il sur un ton agacé.
« Rentre, Jérém… ».
« Je suis pressé… ».
« Allez, juste 5 minutes… ».
« Je te dis que je dois y aller, je suis juste passé récupérer ma chaîne… ».
« Viens, rentre… » je lui répète, tout en attrapant son avant-bras, simple contact qui a l’effet d’une décharge électrique « rentre juste un moment… je vais te la donner ta chaîne… ».
Jérém oppose une résistance.
« S’il te plaît… » j’insiste.
Le bogoss finit par se laisser faire. Il avance, il franchit le seuil de la maison ; sur son passage, mes narines sont percutées par le coup de fouet d’une fragrance fraîche et boisée inconnue jusque-là.
Je me retiens de lui sauter dessus sur le champ et je referme la porte derrière nous.
« Bon, tu me la donnes, maintenant ? ».
J’attrape la chaînette dans le col de mon t-shirt et je tente de défaire la fermeture ; j’ai les doigts qui tremblent, j’ai du mal à y parvenir ; je capte le regard de mon bobrun : il a l’air étonné que je la porte. Peut-être touché aussi.
J’arrive enfin à ouvrir le faux maillon, je tire par un bout et je sens les mailles glisser une dernière fois sur ma peau ; je rassemble la chaînette dans ma main et la lui tends.
Je ressens un frisson intense rien qu’au contact du bout de ses doigts venant chercher l’objet dans le creux de ma main.
Le bogoss la passe aussitôt autour de son cou ; lorsqu’il relève la tête, les mailles reprennent leur place autour de son cou puissant, retombant sur le deuxième bouton de la chemisette ; définitivement, cette chaînette de mec fait bien plus d’effet sur lui que sur moi.
Le bogoss fait déjà demi-tour pour repartir.
« Tu veux pas rester un peu plus ? » je tente de le retenir.
« Non ! ».
Sa réponse est sèche.
Jérém attrape la poignée de la porte, il se prépare à l’ouvrir. Je m’appuie dessus avec mon dos pour l’en empêcher.
« Qu’est-ce que tu fais ? » il me lance, toujours sans me regarder.
« Qu’est ce qui ne va pas, Jérém ? ».
« Tout va très bien ! ».
« Je te trouve bizarre… ».
« Ne me casse pas les couilles, Nico ! ».
« Mais regarde-moi, putain ! » je finis par lui lancer. Je n’en peux plus de son regard qui me fuit.
« Sors-toi de là, laisse-moi partir ! » fait Jérém en forçant sur la poignée.
« Attends un peu, Jérém ! ».
« Pour quoi faire ? ».
« Pourquoi tu ne passes plus à la pause ? ».
« Je n’ai pas le temps ».
« C’est des conneries, t’avais toujours le temps la semaine dernière… ».
« Alors je n’ai plus le temps… ».
« Un jour tu m’as dit qu’il y a toujours le temps pour une pipe… ».
« Pas aujourd’hui… ».
« Quand, alors ? ».
« Je ne sais pas, tu m’emmerdes ! ».
« Rien qu’un câlin me suffirait… ».
« Arrête, Nico, vraiment ! » fait-il, de plus en plus irrité.
« Tu ne te souviens pas comment c’est bon… » je lui chuchote, tout en approchant le nez du creux de son cou pour en capter les arômes boisés, alors que mes lèvres frémissent déjà en rêvant de se poser sur sa peau, alors que mes mains frôlent déjà le Denim tout doux de son jeans à hauteur de sa braguette.
Jérém tente de me repousser. Je reviens à la charge, passe ma main sur sa chemisette à hauteur de ses pecs : je le sens frissonner ; je caresse sa bosse : je sens la bête grossir sous le tissu doux et souple.
« Ne me dis pas que tu n’en as pas envie… ».
Je connais mon bobrun : sa déglutition nerveuse et sa respiration profonde traduisent son excitation montante.
Le bogoss semble se laisser faire. Je prends confiance, je colle ma braguette contre la sienne, je frotte ma bosse contre la sienne ; j’envoie mes doigts à l’assaut du deuxième bouton de la chemisette, impatient de les défaire.
Je n’en aurai pas le loisir : ses mains repoussent les miennes, avant de me repousser tout court, m’obligeant à me décoller de lui.
Le regard toujours fuyant, il commence à défaire les boutons, l’un après l’autre, lentement : je le regarde faire, d’abord déçu de ne pas pouvoir le faire moi-même ; puis, très vite, je me prends à observer le naturel, sa simple beauté de ses gestes avec une sorte d’enchantement ; je suis envouté par l’harmonie de ses mouvements, mélange de puissance et de nonchalance, une grâce éminemment masculine.
Mais comment est-ce possible de dégager autant de sexytude ?
Et lorsque le bogoss a ce geste inouï – il défait sa ceinture, avant d’ouvrir le premier bouton de sa braguette, sans aller plus loin, comme une injonction à aller chercher ce à quoi je ne peux résister – j’ai tout simplement envie d’hurler.
« Viens, on monte… ».
Jérém semble réticent à ma proposition.
« Allez, viens… on sera plus tranquilles là-haut… » je tente de le rassurer, tout en saisissant un bout de l’élastique de son boxer, en frôlant de mes doigts la peau douce et ferme de ses abdos chauds. Je brûle de désir.
Le bogoss me défie du regard mais finit par me suivre.
Je referme la porte de ma chambre et, très vite, je suis à genoux devant lui, en train de défaire sa braguette au tissu si doux, en train de caresser le boxer bleu intense et de provoquer la bête tapie à l’intérieur. Tout aussi vite, son jeans et son boxer finissent sur le carrelage. Alors que le maillot blanc et rouge atterrit en vrac sur mon bureau.
« J’ai envie de fumer… ».
« Vas-y, fais toi plaisir… » j’ai envie de le mettre à l’aise, alors que j’ai horreur de l’odeur de la fumée de cigarette dans ma chambre.
Je me déshabille pendant qu’il allume sa cigarette et je commence à pomper avidement cette belle queue tendue.
Les épaules appuyées au mur, la chemisette ouverte sur son torse dessiné, le bassin bien en avant, le bogoss me laisse le sucer, tout en fumant sa clope ; il se laisse sucer en silence, un silence cadencé par le bruit de ses taffes et de ses expirations.
Le contact de ses doigts sur mes tétons me manque. Non seulement pour le plaisir et l’excitation que ce contact me procure, mais aussi et surtout pour le changement que cela semble illustrer dans son attitude, preuve supplémentaire du fait que notre complicité sensuelle a bel et bien disparu. J’ai presque l’impression que cette pipe, il ne l’apprécie pas vraiment ; j’ai comme la désagréable impression de lui forcer la main.
Dans un geste presque désespéré, j’attrape sa main libre, je la porte à mes tétons, en espérant qu’elle retrouve le plaisir de me faire plaisir.
Elle s’y attarde un très court instant, sans entrain, et elle repart aussi vite ; elle atterrit sur ma nuque, et elle s’emploie aussitôt à impulser des mouvements désordonnés, là aussi sans entrain.
Mais il y a un autre truc qui me chiffonne, en plus de tout ça : c’est un petit goût que ma langue a décelé dès le premier contact avec son gland : c’est un goût que je connais trop bien pour ne pas le reconnaître : c’est le goût de sa queue… après une première jouissance.
Bien sûr, ça fait plusieurs jours que nous n’avons pas couché ensemble : mon bobrun, habitué à jouir plusieurs fois dans l’après-midi, n’allait pas faire disette pendant tout ce temps ; mais j’ai du mal à l’imaginer en train de se branler, alors que tant de regards se tournent sur son passage… Il arrive d’où à cette heure si inhabituelle ? Avec qui il a passé le plus clair de sa pause ? Avec qui il a joui, putain ?
Soudainement, l’idée que mon bobrun puisse avoir pris du plaisir avec quelqu’un d’autre que moi m’apparaît insupportable, et déclenche en moi une violente décharge de jalousie. Tellement violente qu’elle me coupe toute envie ; tellement violente que j’arrête de le sucer : tellement violente que je dégage ma nuque de la prise de sa main et je plante mon regard dans le sien, en quête d’une réponse à une question que je n’ose pas poser.
« Y a un problème ? » fait le bogoss, une étincelle de défi dans son regard, avant de me sommer : « suce, sinon je me tire ! ».
Alors, je le suce. Je le suce malgré les questions qui assaillent mon esprit et que sa réaction de petit con n’a fait qu’attiser ; je suce alors que sa main se pose désormais lourdement sur ma nuque pour imprimer un puissant mouvement de va-et-vient ; je le suce, alors que je n’en ai plus vraiment envie.
Je suis obsédé par cet arrière-goût qui disparaît au gré de ma pipe, mais qui persiste dans mon nez, et dans mon esprit.
Ses coups de reins se font de plus en plus puissants, de plus en plus débordants, de plus en plus étouffants.
« Je vais jouir et tu vas tout avaler… » fait-il en sortant enfin de son silence.
C’est au mot près ce qu’il m’avait dit, au même moment, dans la même position, dans la même circonstance, le jour de notre toute première révision.
Je suis percuté, assommé par l’inquiétante sensation d’une sorte de boucle qui se referme sur notre relation, comme si nous venions de faire une révolution complète qui nous aurait ramenés au point de départ ; comme si ce clin d’œil, volontaire ou pas, au tout début de notre relation, était un présage de la fin.
Pourtant, si les mots sont les mêmes, le ton sur lesquels ils sont balancés change : ainsi, sa totale assurance du premier jour semble désormais replacée par une sorte de mélancolie, que son attitude de macho d’aujourd’hui n’arrive pas complètement à masquer.
Un instant plus tard, il jouit bien au fond de ma gorge. Sa semence est chaude, bonne, délicieuse. Pourtant, elle a un goût amer.
Très vite, il se retire d’entre mes lèvres, il s’allonge sur le lit, en silence. Il a l’air fatigué.
Je m’allonge à côté de lui, dans l’espoir fou qu’il me serre dans ses bras comme il l’a fait parfois la semaine dernière. Mais le bogoss ne bouge pas un orteil.
Le silence devient vite pesant ; je plonge un instant, j’émerge en sursaut.
Jérém s’est déjà levé, il est en train de fumer à la fenêtre.
Je regarde l’heure, il est 17h25.
« Tu reprends quand ? ».
« Je vais y aller… ».
« Déjà ? ».
« Oui… »Je le regarde, tout juste habillé de sa chemisette ouverte, ses jolies fesses dépassant au-dessus du tissu léger. Je ne veux pas qu’il parte : j’ai envie de lui, horriblement envie de lui.
Je dois aussi lui parler : je dois lui parler sans faute.
Mais pour l’heure, je suis happé par sa présence, pas le désir ; et tant que cette envie me brûlera de l’intérieur, je n’aurai pas l’esprit assez clair pour l’« affronter ».
Je cherche à me rassurer en me disant qu’après une nouvelle jouissance, il sera peut-être dans de meilleures dispositions, que ce sera plus facile de lui parler.
« J’ai envie de toi… » je finis par lâcher, tout simplement.
« J’ai pas le temps… » c’est sa réponse laconique.
Mon corps est une torche d’excitation embrasée. Je me tourne, je m’allonge sur le ventre, face à lui.
Le bogoss tourne légèrement le visage, la cigarette fumante entre deux doigts.
J’ai vraiment trop envie de lui ; plus qu’une envie, c’est un besoin. Et j’ai aussi besoin de me prouver qu’il a encore de la ressource, qu’il n’a pas trop baisé cet après-midi.
Ma queue est dure comme du bois, hypersensible : j’ai besoin d’avoir mon mâle en moi.
Du coin de l’œil, je capte la présence de son boxer bleu sur le sol. Je plonge pour le saisir, et je plonge mon visage dans l’intimité odorante du mâle.
Ses yeux, ses oreilles, ont tout petit un mouvement soudain, le genre de mouvement qui se produit inconsciemment lorsque certaines cordes vraiment sensibles sont sollicitées.
Preuve en est que sa main s’est glissée sur sa queue, et elle a commencé à la caresser. Je suis tellement fou de désir que j’en tremble.
« Il n’y a que toi qui me fait cet effet, Jérém… ».
Un instant plus tard, il écrase son mégot sur le rebord de la fenêtre, il avance vers le lit ; armé de son assurance de jeune mec, il passe à côté de moi, laissant derrière lui une trainée de son nouveau parfum, comme un coup de fouet olfactif ; et il disparait, dans mon dos.
Le matelas se dérobe sous mes jambes, sous l’effet du poids de son corps. Ses doigts empoignent mes fesses avec fermeté, les écartent avec un bon geste puissant de mec ; la chaleur de ses paumes me rend dingue. L’envie me consume.
Déjà, une bonne perle de salive tombe à l’aplomb de ma rondelle ; puis, son gland vise juste, très juste. Ses mains écartent encore, son bassin exerce une pression croissante, jusqu’à ce que les muscles de mon petit trou cèdent pour le laisser venir en moi.
Sa queue s’enfonce d’une seule traite. Le bogoss marque une pause au fond de moi, cette pause qui est depuis toujours sa signature virile. Sa chemisette atterrit sur le lit, juste à côté de moi.
Ses mains saisissent mes épaules, et le bogoss se sert de cet appui pour commencer à me limer.
Son bassin claque contre mes fesses, ses cuisses contre mes cuisses, ses couilles contre mes couilles, son gland bien au fond de mon ventre.
J’ai tant voulu que ça arrive ; pourtant, très vite, je me rends compte que ce qui est en train de se passer ne correspond pas du tout à mes attentes : ses mains s’agrippent de plus en plus fermement à mes épaules, et elles ne cherchent à aucun moment à aller me faire du bien auprès de mes tétons ; ses va-et-vient ont une allure comme mécanique, qui tranche rudement avec la complicité des dernières fois.
C’est une sensation rendue encore plus insupportable par son silence assourdissant, un silence souligné par les bruits de fond – sa respiration monocorde, le grouillement de la ville qui remontent de la rue, un petit couinement du lit, le rideau malmené par le Vent d’Autan.
Voilà tout un ensemble de (mauvaises) sensations qui me renvoient à l’un des pires souvenirs de ma vie, à cette baise inutile avec ce Mourad levé devant le On Off quelques temps auparavant.
Quand je pense qu’il y a seulement quelques jours je faisais l’amour, un amour intense, complice, explosif, avec ce même garçon, sur ce même lit… qu’est-ce qu’on est en train de faire, là ?
Rien de plus qu’une saillie qui a quelque chose d’incroyablement triste. Je me sens étouffer sous les coups de cette baise sans bonheur. Cette baise, c’est une erreur, une insulte au bonheur de la semaine magique.
Dans un sursaut de désespoir, je me déboite de lui, je m’arrache à la prise de ses mains, je me retourne ; fou de désir, mais avant tout de frustration, de tristesse et d’angoisse, à la recherche désespérée de notre complicité perdue, j’embrasse fébrilement son torse, ses pecs, son cou, ses lèvres.
Jérém ne réagit pas : il reste immobile, comme médusé, le regard toujours absent.
Dans un geste encore plus désespéré, je prends son visage entre mes deux mains et je le couvre de bisous ; Jérém tourne la tête, il détourne ses lèvres. Ses mains saisissent mes épaules pour m’inviter à me retourner à nouveau.
C’est avec un mélange de tristesse et de désolation que je seconde son geste, et que je le laisse revenir en moi. Ses mains reviennent agripper fermement à mes épaules, et il recommence à me pilonner de la même façon, mécaniquement, en silence.
Comme c’est triste de revenir à la baise, alors qu’on a gouté au bonheur de faire l’amour, avec le garçon qu’on aime.
Les minutes passent, sa respiration s’emballe, ses coups de reins s’enchaînent dans des séquences d’une puissance inégale ; son corps semble fatiguer dans cette course derrière un orgasme qui ne veut pas se laisser attraper.
Désormais il n’y a plus de doute, Jérém s’est déjà vidé les couilles cet après-midi.
La jalousie, l’inquiétude, la tristesse de cette baise sinistre font évaporer toute excitation de mon corps ; je n’ai plus qu’une envie, c’est qu’il arrive vite au bout de cette saillie interminable.
J’essaie de tenir bon, de prendre sur moi, en me disant qu’il ne doit plus être très loin de son orgasme : mauvaise spéculation, ses assauts n’ont pas l’air de vouloir cesser de sitôt.
« Arrête, Jérém, j’ai plus envie… » je lui lance.
« Je viens… » fait-il, tout en ralentissant ses va-et-vient.
Ses mots sont immédiatement suivis par de nombreux râles bruyants, comme de grands cris de triomphe après un effort considérable.
Ce qui ne m’empêche pas de ressentir en moi le souvenir de l’une des pires baises avec Jérém, dans une cabine des chiottes du lycée ; une baise tout aussi mécanique, aussi froide, tout aussi déplaisante sur la fin.
Lorsque ses coups de reins cessent, la prise de ses mains sur mes épaules disparaît également, et sa queue s’arrache de moi aussitôt.
Je me retourne, et Jérém est déjà assis sur le bord du lit, le boxer à la main.
Après cette baise sans âme, je ne peux pas le laisser repartir comme ça. J’ai plus que jamais besoin d’un peu de chaleur de sa part. Je m’approche de lui, je pose ma main sur son épaule, je tente un câlin.
« Arrête ! » fait-il, sur un ton très agacé, tout en se secouant avec un geste énervé.
« Jérém… ».
« Arrête, je te dis ! ».
« Mais qu’est-ce qu’il te prend ? ».
« Fiche-moi la paix ! ».
« Qu’est-ce qu’il t’arrive depuis quelques jours ? ».
« Arrête, Nico… ».
« Non, je n’arrête pas… la semaine dernière on a passé des moments de fou, c’était magique… tu étais si différent… tu étais souriant, détendu… on était si complices… pourquoi du jour au lendemain tu ne viens plus, tu ne réponds même pas à mes messages, tu m’évites, tu es froid et distant ? ».
« Ne me casse pas les couilles, Nico… ».
« Tu me manques, Jérém… ».
Le bogoss se tait, immobile, la respiration haletante. Plus je le regarde, plus j’ai l’impression qu’il n’est pas dans son assiette. C’est comme s’il voulait me dire quelque chose, et qu’il n’arrivait pas à trouver le courage de le faire ; comme si quelque chose le tracassait vraiment, comme s’il étouffait d’être dans cette pièce ; comme s’il regrettait déjà d’avoir couché avec moi, de s’être laissé faire.
C’est dur de savoir, à priori, ce qui le tracasse ; de savoir et de le voir le garder pour lui, de voir qu’il n’a pas l’intention de m’en parler, alors que je suis aussi concerné que lui ; c’est dur de savoir et de ne pas pouvoir lui en parler, parce que j’ai promis de ne pas le faire.
Je regarde son dos en V, ses épaules, ses tatouages, ses beaux cheveux bruns, ses oreilles adorables ; je regarde ce garçon que j’ai envie de couvrir de bisous et de câlins, sans pouvoir le faire.
« Est-ce que j’ai fait ou j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? » je tente d’attaquer ses remparts par un côté qui me semble moins bien gardé.
« Arrête Nico ! » fait-il en passant son boxer bleu.
« Mais putain, parle-moi, Jérém ! » je lui lance, tout en passant à mon tour mon boxer et mon t-shirt et en me glissant sur le bord du lit, juste à côté de lui.
« Je n’ai rien à te dire ! » fait-il sur un ton agacé, en se penchant pour attraper son jeans.
Le geste est rapide et brusque ; c’est lorsque le jeans atterrit sur ses genoux que quelque chose tombe de sa poche et atterrit sur le carrelage juste devant nous. Un petit bruit sec, pourtant assourdissant.
Mes yeux m’apportent une image à laquelle mon cerveau se refuse de croire. J’ai envie de hurler mais je me sens comme tétanisé. J’ai la tête qui tourne, j’ai l’impression que le ciel vient de me tomber sur la tête.
Ce n’est que lorsque Jérém se baisse pour ramasser ce qui est tombé que je trouve la force de réagir : « C’est quoi, ça ? ».
Mes mots ne sont que le reflexe de cette souffrance soudaine qui envahit mon cerveau, mon cœur, et mon corps même.
« C’est rien… ».
« Tu te fiches de moi ? »L’image de cette capote tape dans ma tête comme un Cognard ensorcelé. Je ressens un douloureux sentiment de désolation envahir mon cœur, mon cerveau, mon esprit, comme une présence de Détraqueur, me laissant dans le désespoir absolu que tout bonheur me soit interdit, à tout jamais.
Ça fait mal, ça fait trop mal ; tellement mal que je sens approcher le point au-delà duquel il m’aura fait trop souffrir pour que je puisse lui pardonner, le point à partir duquel mon amour sera tellement meurtri qu’il cassera en mille morceaux. Ce point que je vois approcher à grand pas, c’est le point de non-retour de notre relation.
« Tu… tu… tu couches ailleurs ? » je finis par l’interroger, face à son silence obstiné.
« Ça ne te regarde pas… ».
« Ta queue sentait le jus… » je me parle tout seul, sans même réagir à ses mots.
« C’est toi qui a voulu me sucer à tout prix… ».
« Tu couches ailleurs ? ».
« T’es sûr que tu veux vraiment qu’on parle de ça ? ».
« Oui, je suis sûr ! » je m’énerve.
« Puisque tu veux savoir… j’ai… une copine… » fait-il, le regard toujours loin de moi.
Sa jambe est animée par une sorte de vibration, un petit tremblement nerveux qui semble trahir son malaise.
« De quoi ? ».
« T’as bien entendu… ».
Même si ses mots sont prononcés sur un ton à l’apparence détaché, j’ai l’impression qu’il est plutôt mal dans ses baskets, même s’il ne les a pas encore passées à ses pieds.
« Tu te fiches de moi ?!?! ».
« Mais pas du tout… ».
J’ai une soudaine envie de le frapper, mais je suis tellement assommé que mes membres ne répondent même pas à ma colère.
« Depuis quand ? ».
« Ça ne te regarde pas… ».
« Mais t’es pas bien toi… je te rappelle que je te laisse me baiser sans capote… ».
« Bah, justement, tu vois, je ne prends pas de risque, je mets des capotes ! ».
« Pourquoi tu me fais ça ? ».
« Parce que j’ai envie de baiser des nanas… c’est aussi simple que ça… ».
« Sérieux, tu as une copine ? ».
« Oui, parfaitement ! ».
« Et tu l’as rencontrée où ? ».
« Au taf… ».
« Au taf ? ».
Jérém passe son jeans sans répondre à ma question.
J’ai un mal de chien. Je suis blessé, meurtri, humilié, je bouillonne de l’intérieur.
« Mais bon sang, Jérém… tu crois que ça me fait quoi de découvrir ça, alors que je viens de te laisser jouir en moi ? ».
« C’est toi qui a voulu que je te baise… ».
« Mais t’as bien pris ton pied toi aussi… tu l’as dit la dernière fois… tu n’as jamais joui aussi fort que comme avec moi… ».
« De quoi ? J’ai jamais dit ça… » il me balance, pendant qu’il chausse ses baskets.
« Si tu l’as dit ! ».
« Je ne suis pas pd, fiche-toi ça dans la tête ! »« C’est génial ce qu’il y a entre nous… ne gâche pas tout, s’il te plaît ! ».
« On a bien baisé, oui... j’ai pris mon pied, t’as pris ton pied… mais ça s’arrête là… ».
« Pas pour moi… ».
« Bah, ça devrait… » fait-il, en bouclant sa ceinture.
Sur ces mots, il s’avance vers la porte de la chambre, torse nu, avec sa chemisette à la main. Je me lève d’un bond, je me jette sur la porte pour lui empêcher de l’ouvrir.
« Qu’est-ce que tu fais ? ».
Je n’ai plus le choix, je n’ai plus le temps : je ne peux pas lui laisser passer cette porte sans lui avoir dit ce que je ressens pour lui.
« Jérém… ».
Jérém, trois syllabes qui contiennent pour moi toute la poésie de l’Univers ; Jérém, ce beau prénom qui rime si bien avec :« … je t’aime… ».
Juste trois petits mots qui s’envolent de mes lèvres ; trois mots, un monde entier.
C’est un cri du cœur qui me laisse vidé de toute énergie, la poitrine qui tape à tout rompre, la respiration coupée ; un cri qui n’a d’écho que le silence assourdissant de son destinataire, et son regard comme assommé, ébahi, figé.
« Ecoute, tu sais quoi ? » fait Jérém après une pause insupportable « on va en rester là tous les deux, ça devient trop ingérable tout ça… ».
Je sens le désespoir m’envahir comme un poison mortel, le ciel me tomber sur la tête, je n’arrive plus à respirer, ma vue se brouille, mes oreilles bourdonnent. Je ne sais même pas comment je trouve la force de le relancer : « Pourquoi tu veux tout gâcher ? ».
« On aurait dû arrêter tout ça il y a longtemps… on n’aurait même jamais dû commencer… ».
« Tu penses vraiment ce que tu dis ? ».
« Oui… et ce coup-ci, on va arrêter pour de bon ! ».
Je suis sonné, j’ai l’impression de venir de recevoir un grand coup de massue sur la tête.
« J’ai pas envie d’arrêter, moi ! ».
« Moi si ! ».
« Mais putain ! Jérém ! Si tu savais à quel point tu comptes pour moi… je n’ai jamais ressenti pour personne ce que je ressens pour toi… quand je te vois, et même quand je pense à toi, j’ai le cœur qui bat la chamade… tu es tout pour moi… j’ai besoin d’être avec toi… je n’ai besoin de personne d’autre, juste de toi… ».
Je sens mes larmes monter à grands pas.
« Ça ne peut pas finir comme ça entre nous ! » je pleure.
Jérém se tait, le regard posé sur la poignée de la porte. Ses traits sont figés, ses paupières clignent nerveusement, ses lèvres sont serrées, parcourues par un frémissement incontrôlable ; sa pomme d’Adam bondit sous l’effet d’une déglutition fiévreuse ; ses yeux se ferment lourdement, se rouvrent ; sa tête a un petit mouvement sur le côté, comme s’il voulait chercher le mien, puis il se perd à nouveau dans le vide.
J’ai l’impression de me retrouver devant un garçon qui n’est pas mon Jérém ; un garçon qui se fait violence pour être aussi méchant. C’est horrible cette barrière en verre qu’il a érigé pour m’interdire l’accès à son cœur. Et ces barbelés qu’il est en train de tirer partout autour pour me blesser et m’éloigner de lui.
« Laisse-moi partir maintenant ! » il me lance, tout bas.
« Jérém, s’il te plaît… je t’aime Jérém, je t’aime tellement, je t’aime plus que tout, je t’aime depuis le premier instant que je t’ai vu dans la cour du lycée ! ».
« Et moi, ce que j’aime, c’est juste te baiser… ».
« C’est vrai ? ».
« Puisque je te le dis… » il lâche, le regard sur ses pompes, les yeux plissés.
« Regarde-moi dans les yeux, Jérém… regarde-moi dans les yeux et redis-moi ça ! » je le mets au défi.
Et là, son visage se redresse lentement, son regard se plante dans le mien et il assène froidement :« Tu veux vraiment savoir ? ».
Je sens l’orage venir. Et qu’il va être violent.
« Il n’y a toujours eu que ton cul qui m’intéressait ! ».
Je me sens de plus en plus humilié, je sens ma colère monter en flèche.
« Ça c’est ce que tu dis pour ne pas avoir à assumer ce qui se passe entre nous… » je lui gueule dessus.
« Arrête donc de faire ton psy à deux balles ! ».
Jérém me regarde fixement dans les yeux, son regard noir est plein d’éclairs mauvais. Je sais que si je provoque encore, sa méchanceté peut être sans limites. Mais je veux en avoir le cœur net, au risque de me faire terrasser : « Tu ne me fera pas croire qu’il n’y a pas un truc spécial entre nous… ».
« Mais quel truc ? Quand est-ce que tu as vu qu’il y avait ce truc ? ».
« Tu te souviens du samedi quand tu m’as défendu de cet abruti à l’Esmé… ».
« Et donc ? ».
« Quand on est rentrés, tu m’as fait l’amour pour la première fois… ».
« Tu prends tes rêves pour des réalités ! ».
« On a passé l’une des plus belles nuits ensemble… tu m’as même demandé de rester dormir… ».
« J’avais juste envie que tu me suces encore pendant la nuit ! ».
« Ce n’est pas vrai… tu avais besoin de câlins… tu m’as donné des câlins… mais le matin tu m’as jeté comme une merde… ».
« On n’aurait jamais dû commencer ces conneries… ».
« Ce ne sont pas des conneries… tu ne vas pas me faire croire que tu n’as pas aimé tout ce qui s’est passé entre nous ! ».
« Tais-toi… tout ça c'est de ta faute ! ».
« Ma faute ? » je chauffe.
« T'aurais pas dû me proposer de réviser... tu voulais juste baiser avec moi… ».
« Je te rappelle que c’est toi qui a voulu que je te suce ce jour-là ! ».
« Tu m’as allumé… t’arrêtais pas de me mater en cours ! ».
« Bien sûr que je te kiffais, je te kiffais à mort, je te kiffais comme un fou depuis le premier jour du lycée… mais moi je n’aurais jamais osé te proposer quoi que ce soit… ».
« Tu en crevais d’envie… ».
« Alors, si tu savais que j’avais envie de coucher avec toi, pourquoi t’as répondu « oui » quand je t’ai proposé de réviser ? ».
« Parce que je voulais me payer ton cul… ».
« Donc t’es aussi pd que moi ! ».
« Arrête de me chercher ou ça va mal se finir... » fait-il, les yeux exorbités, les veines apparentes dans le cou, l’air menaçant.
« Jérém… » je tente de le raisonner « nous ne faisons rien de mal, nous sommes juste deux mecs qui se font du bien… ».
« Ferme-la, putain… je ne suis pas pd et je ne veux pas devenir pd comme toi ! Tu entends ? ».
Ses mots sont blessants, injustes, violents, gratuits.
Ses mains me dégagent de la porte de la chambre. J’ai les larmes qui me montent aux yeux en le regardant disparaître dans le couloir. Je ne peux pas le laisser partir comme ça.
Je sors de la chambre, je dévale l’escalier, et je le rattrape alors qu’il est tout proche de la porte d’entrée.
« Mais bon sang ! » je m’emporte « ça pourrait être si génial entre nous deux si seulement tu étais moins con ! Il y a un truc spécial entre nous… les chanceux c’est nous, Jérém ! ».
« Spécial ? Pourquoi ça ? T’es pas le seul mec que j’ai fait couiner… ».
« Oui, mais avec ton cousin et avec le mec du On Off, c’était pas pareil… » je tente de me rassurer.
« Si tu crois que c’est les seuls… » fait Jérém, odieux.
« De quoi ???????????? » je tombe sur la tête.
« T’as très bien compris ! ».
Lorsque je reçois ce nouveau coup de massue sur la tête, encore plus puissant que le précèdent, je sens immédiatement que quelque chose est sur le point de casser en moi.
Ça en est trop, vraiment trop. Même si je veux mon Jérém pour moi tout seul, je peux encore tolérer qu’on se fasse des plans à trois ; et même si ça me fait profondément chier, si vraiment il a envie de coucher avec des nanas, je n’ai pas de recours contre ça.
Mais le fait de savoir qu’il s’est tapé d’autres mecs à mon insu, alors que je crève d’envie de lui ; qu’il a trouvé le moyen de franchir le pas d’aller voir ailleurs, alors qu’il n’assume même pas notre relation : ça, ça me blesse à vif.
Le point de non-retour est là, devant moi.
« T’es qu’un connard ! » je lui lance, toujours incrédule, le regard défait.
« De quoi tu t’étonnes ? T’es pas le seul cul à baiser de la ville ! ».
C’est à cet instant précis que le point de non-retour, celui que j’ai vu approcher de seconde en seconde, est atteint : ce coup-ci, Jérém a vraiment dépassé les bornes ; sa méchanceté est telle, que même tout l’amour que je lui porte ne suffira pas pour lui pardonner. Oui, quelque chose vient de casser en moi. Je sens mon sang bouillir, je sens une violente envie de lui faire mal au moins autant qu’il vient de m’en faire. Je vois rouge. Et je perds les pédales.
Tout se passe en une fraction de seconde : je le charge et je le frappe au visage.
Jérém n’a rien vu venir ; attaqué par surprise, il reçoit mon droit de plein fouet.
Un filet de sang rouge vif commence à couler presque instantanément de son nez ; c’est à ce moment-là que je réalise que je viens de frapper le garçon à qui j’ai envie de faire tous les câlins du monde, jusqu’à mon dernier souffle. Moi qui ne me suis jamais battu de ma vie, il faut que je commence par Jérém. Si c’est pas malheureux, ça !
Alors que je regrette déjà mon geste, je le vois porter deux doigts sous son nez, et les retirer ensanglantés. Son regard est désormais rempli de haine.
J’ai peur de la violence de sa réaction : et c’est moins la douleur physique que je redoute, bien moins que le chagrin de voir notre histoire se terminer à coups de poings dans la figure.
« Je suis désolé, Jérém, je ne voulais pas… » je tente de le calmer.
Hélas, mes excuses n’ont aucun effet ; Jérém voit rouge, aussi rouge que moi un peu plus tôt, aussi rouge que le sang qui coule de son nez, qui éclabousse son torse et laisse des traces sur son jeans et sur le carrelage.
Je le vois charger comme un taureau, et je sais que ça va faire mal. Je suis tellement dégouté par la tournure que sont en train de prendre les choses, dégouté que ce soit par ma faute, d’avoir frappé en premier, que je n’ai même pas le réflexe de tenter de me protéger le visage : lorsque son droit à lui me percute, je ressens une douleur aigue se propager depuis le milieu de mon visage, jusqu’à l’intérieur de ma tête.
Non, je ne me suis jamais battu auparavant : je réalise à cet instant à quoi font référence les petites étoiles qu’on voit tourner autour de la tête des personnages de dessin animés lorsqu’ils prennent un coup au crane ou au visage.
C’est le goût bizarre du sang sur mes lèvres qui me fait pleinement réaliser que je viens de me faire frapper par le garçon que j’aime ; ce garçon dont le goût viril persiste dans ma bouche, le garçon qui, quelques minutes plus tôt, m’a rempli de sa semence. C’est triste à en pleurer.
« T’es vraiment qu’un gros con qui ne sait pas assumer ce qu’il ressent dans son cœur… » je lui crie en pleurant.
Sa réaction ne se fait pas attendre :« Et toi, t’es vraiment qu’une petite merde ! ».
« Dégage connard ! ».
« Oh, oui, je vais dégager, t’inquiète, mais toi aussi tu vas dégager, tu vas dégager de ma vie ! ».
Ses mots sont sans appel, et ils me rendent malade. Mais il est d’autres mots qui s’enchainent aux siens et qui vont me rendre encore plus malade.
« Qu’est-ce qui se passe ici ? » j’entends une voix familière s’écrier.
Je lève les yeux : maman vient de débarquer.
« C’est quoi tout ce sang ? » elle s’inquiète, en voyant le carrelage tâché.
« C’est rien, un petit accident, rien de grave, madame… » fait Jérém.
Maman le regarde, puis me regarde fixement, les yeux écarquillés, le regard anxieux.
Je regarde Jérém se baisser pour ramasser sa chemisette sur le carrelage et la passer très vite autour de son torse, tout en essayant de tamponner avec la main son nez qui n’arrête pas de pisser le sang.
Jérém accroche deux boutons à la va vite, et il se précipite vers la porte d’entrée. Dans mes tripes, je ressens malgré tout l’instinct d’essayer de le rattraper, une fois encore ; je sais que si je lui laisse passer cette porte, ce sera vraiment fini entre nous. Mais mon corps ne suit plus ; je suis à bout de forces, physiquement, moralement.
Jérém saisit la poignée, la fait tourner, il commence à tirer le battant ; et là, au lieu de partir comme une fusée, il marque une pause ; un instant de rien, le temps d’un regard qui en dit plus que mille mots.
Je le vois tourner la tête vers moi, planter ses yeux dans le miens : son regard noir a soudainement disparu, pour laisser la place à un regard perdu, rempli de désolation, de détresse, et de chagrin ; ses yeux, ses narines ont cette vibration conjointe comme lorsqu’on se fait violence pour ne pas céder à l’émotion.
Ce que je vois à cet instant, ce n’est plus le connard qui vient de me balancer plein d’horreurs et son poing dans la figure, mais un garçon très malheureux ; pendant un instant, je me prends à rêver qu’il soit sur le point de me lancer un : « Je suis désolé », capable de soigner toutes mes blessures.
Il n’en est rien : Jérém finit pas détourner le regard et disparaît dans l’entrebâillement de la porte.
Oui, son regard était plein de tristesse ; et, au plus profond de moi, je ressens la ferme impression que Jérém a détourné le regard juste avant qu’ils ne soient pleins de larmes aussi.
Oui, c’est triste de se faire aussi mal l’un l’autre ; et de se rater de cette façon.
La serrure vient tout juste de claquer un dernière fois derrière le garçon que j’aime plus que moi-même ; je sens le désespoir m’envahir ; je ne peux me retenir, je fonds en larmes.
« Nico ! ».
C’est à cet instant précis que j’ai vu dans le regard de maman qu’elle avait tout compris, sans besoin d’un mot d’explication. Dans mes larmes, maman a su à quel point j’étais amoureux d’un putain de beau gosse qui me rendait terriblement malheureux.
« S’il te plaît, maman… laisse-moi seul… je vais nettoyer… je viendrai te parler plus tard… ».
« Tu veux pas que je t’amène voir un toubib ? ».
« Non, maman, ça va aller, c’est rien, vraiment… » je tente de minimiser, en étant rassuré moi-même par le fait que mon nez ne saigne pas trop.
« Comme tu voudras, Nico, je serai dans la cuisine… ».
Je vais dans le cellier chercher un seau et une serpillère ; je reviens nettoyer les dernières traces du passage de Jérém chez moi ; à chaque tâche effacée, je me demande pourquoi on en est arrivés là, comment j’en suis arrivé à frapper le garçon que j’ai envie d’aimer plus que tout au monde.
Je sais que je ne le reverrai plus jamais. Je nettoie et je pleure, en pensant à la solitude terrifiante de ma vie sans lui.
La douche me fait du bien : mais je suis toujours aussi sonné, et mon nez me fait mal. Ça ne saigne plus. L’eau chaude a détendu mes nerfs, emporté mes larmes, je sens une fatigue immense me gagner, je me sens lessivé.
Il est 19h20 lorsque je redescends : il faut que je me dépêche d’aller voir maman, papa va rentrer d’un moment à l’autre.
Lorsque j’arrive dans la cuisine, elle est en train de préparer une grande salade.
« Ça va, mon Nico ? ».
« Oui, ça va… mieux… » je tente de la rassurer, en prenant sur moi pour contenir mon émotion et ne pas laisser mes larmes jaillir à nouveau.
J’attrape un bocal et je commence à mélanger huile, vinaigre, sel et moutarde.
« C’est qui ce garçon ? ».
« C’est un camarade du lycée… ».
« Pourquoi vous vous êtes disputés ? ».
« C’était juste pour une bêtise… ».
« Vous vous êtes battus, quand-même ! ».
« C’est rien je te dis… ».
« T’avais l’air vachement remué, mon Nico… et ton camarade aussi… ».
Une partie de moi a envie de tout raconter à maman, de lui dire que j’aime les garçons depuis toujours, que j’aime CE garçon plus que tout au monde, à part elle… oui, une partie de moi n’a qu’une seule envie, celle de me laisser aller à pleurer dans ses bras, de la laisser me réconforter.
Mais la blessure est si profonde, si vive, si brûlante, que je ne me sens pas la force de la remuer, même pas pour tenter de la soigner.
« Maman… » je me lance, pour tenter de la rassurer, pour gagner du temps, sans aucune idée de comment je vais continuer ma phrase.
Heureusement, maman vient à mon secours :« Tu sais Nico… ne te force pas… » fait-elle en posant son couteau et en attrapant ma main : elle la serre avec force et douceur, tout en posant sur moi ce regard plein d’affection et de tendresse que seule une maman sait composer ; puis, elle continue : « si tu n’as pas envie d’en parler, c’est pas grave ; tu m’en parleras plus tard, quand tu t’en sentiras capable… demain, après demain, ou même quand tu seras à Bordeaux… quand tu seras là-bas, dans ta petite chambre, tu sais que tu pourras m’appeler quand tu voudras, à n’importe quelle heure, je serai toujours là pour toi, mon Nico… ».
Je sanglote. Je sens maman très émue aussi.
« Maman… ».
« Mais il y a une chose qu’il faut que tu saches… je t’aimerai toujours, quoi que tu fasses de ta vie, quoi que ce soient tes choix… enfin, des choix… façon de dire… je t’aimerai toujours, et rien ne pourra jamais changer cela… tu sais, Nico, tout ce qui m’intéresse, c’est que tu sois heureux, que tu trouves ta part de bonheur quel qu’il soit le bonheur que tu recherches… ».
Elle pose ma main sur ma nuque et me caresse les cheveux, comme quand j’étais enfant, pour me réconforter ; je pleure à chaudes larmes.
« Désolé, maman… ».
« Pleure, si ça te fait du bien… ».
« Ce garçon… ce garçon… » je tente de lui parler de mon chagrin, de cet amour fou né sur les bancs du lycée : mais les mots restent bloqués au fond de ma gorge.
« Ce garçon est vraiment un très beau garçon… » résume maman « mais j’ai l’impression que ce n'est pas lui qui va te rendre heureux… ».
« De toute façon, je ne le reverrai plus jamais… ».
« Mon Nico… ».
« Maman… promets-moi… ».
« Oui, Nico ? ».
« Ne dis rien à papa, s'il te plaît… ».
« Je ne lui dirai rien t'inquiète… un jour tu lui diras toi-même, quand tu seras prêt à le faire… ».
« Merci, maman… ».
« Dis donc, il ne t’a pas raté ce petit con… » elle s’exclame, en se penchant pour regarder les dégâts de plus prés.
« A côté du nez, sous l’œil, tu vas avoir un joli cocard, mon Nico… ça fait mal ? » elle continue.
« Oui… ».
« Dans le placard de la salle de bain, il doit y avoir une pommade pour soigner les hématomes… ».
Dommage qu’il en existe pas une pour soigner les cœurs brisés.
« Merci maman… ».
« C’est lui qui t’a frappé en premier ? ».
« Non, c’est moi… ».
« Nico ! ».
« Et je le regrette vraiment… même s’il l’a bien cherché ! ».
« En tout cas, toi non plus, tu ne l’as pas raté ! ».
La porte d’entrée vient de s’ouvrir et de se refermer. Papa est rentré. Je m’essuie les yeux et maman aussi.
« Bonsoir ! » fait papa « qu’est-ce que t’as fait au nez, Nico ? ».
« Bonsoir ! » fait maman « ton fils s’est pris la porte de la salle de bain sur le nez en sortant de la douche… ».
« Toujours aussi maladroit… » fait papa distraitement « j’ai le temps de prendre ma douche avant de manger ? ».
4h18, je ne dors toujours pas. J’essaie de ne pas penser à demain, au nouveau jour qui viendra, un jour inutile, odieux, car il ne portera pas avec lui l’espoir de revoir Jérém.
Les souvenirs et les larmes se mélangent dans le silence de la nuit.
Imaginer ma vie sans Jérém, ça me parait un aperçu de l’enfer.
La nuit avance et la radio continue de débiter des chansons que je n’écoute pas.
Puis, soudainement, un texte accroche mon attention, parle à ma tristesse, à ma solitude, à mon désespoir.
Celui qui n'a jamais été seul/Au moins une fois dans sa vieSeul au fond de son lit/Seul au bout de la nuitCelui qui n'a jamais été seul/Au moins une fois dans sa viePeut-il seulement aimer/Peut-il aimer jamais
L’épisode complet sur jerem-nico.com.
Il est 16h46 lorsque la sonnerie de la porte d’entrée retentit dans la maison.
Je vais ouvrir et l’image du bogoss transperce ma rétine, mon cerveau, mon cœur, mes entrailles ; et je ressens, tout à la fois, un nœud dans la gorge, une brûlure dans le ventre, un choc dans la tête comme si on m’avait assené un coup en pleine figure ; j’ai envie de hurler, de pleurer, de me jeter sur lui direct.
Le bogoss est là, devant moi, ses cheveux bruns coupés très courts autour de tête, faisant raccord avec sa barbe de quelques jours ; sur le haut du crâne, son brushing est relevé et fixé au gel – mais pas figé – en une sorte de crête partant légèrement sur un côté. C’est beau, c’est sexy, c’est « petit con » tout craché.
Sa tenue du jour comporte une chemisette couleur bleu pétrole, teinte unie ; le premier bouton défait, mon regard tombe direct sur son petit grain de beauté, si mignon, si sexy ; les manchettes enveloppent parfaitement ses biceps et s’arrêtent juste en dessus de ses deux tatouages ; alors que la coupe, visiblement conçue dans le but précis de redessiner ses épaules et ses pecs, retombe à hauteur des poches d’un jeans assez clair, taillé dans un tissu qui a l’air très doux.
« Salut » il finit par me lancer « tu me files ma chaînette ? ».
Le ton de sa voix est distant, le regard fuyant.
« Tu veux pas rentrer un moment ? »« Non, donne la chaînette, je dois y aller… ».
« Et s’il te plaît ? » je cherche à gagner du temps.
« S’il te plait ! » fait-il sur un ton agacé.
« Rentre, Jérém… ».
« Je suis pressé… ».
« Allez, juste 5 minutes… ».
« Je te dis que je dois y aller, je suis juste passé récupérer ma chaîne… ».
« Viens, rentre… » je lui répète, tout en attrapant son avant-bras, simple contact qui a l’effet d’une décharge électrique « rentre juste un moment… je vais te la donner ta chaîne… ».
Jérém oppose une résistance.
« S’il te plaît… » j’insiste.
Le bogoss finit par se laisser faire. Il avance, il franchit le seuil de la maison ; sur son passage, mes narines sont percutées par le coup de fouet d’une fragrance fraîche et boisée inconnue jusque-là.
Je me retiens de lui sauter dessus sur le champ et je referme la porte derrière nous.
« Bon, tu me la donnes, maintenant ? ».
J’attrape la chaînette dans le col de mon t-shirt et je tente de défaire la fermeture ; j’ai les doigts qui tremblent, j’ai du mal à y parvenir ; je capte le regard de mon bobrun : il a l’air étonné que je la porte. Peut-être touché aussi.
J’arrive enfin à ouvrir le faux maillon, je tire par un bout et je sens les mailles glisser une dernière fois sur ma peau ; je rassemble la chaînette dans ma main et la lui tends.
Je ressens un frisson intense rien qu’au contact du bout de ses doigts venant chercher l’objet dans le creux de ma main.
Le bogoss la passe aussitôt autour de son cou ; lorsqu’il relève la tête, les mailles reprennent leur place autour de son cou puissant, retombant sur le deuxième bouton de la chemisette ; définitivement, cette chaînette de mec fait bien plus d’effet sur lui que sur moi.
Le bogoss fait déjà demi-tour pour repartir.
« Tu veux pas rester un peu plus ? » je tente de le retenir.
« Non ! ».
Sa réponse est sèche.
Jérém attrape la poignée de la porte, il se prépare à l’ouvrir. Je m’appuie dessus avec mon dos pour l’en empêcher.
« Qu’est-ce que tu fais ? » il me lance, toujours sans me regarder.
« Qu’est ce qui ne va pas, Jérém ? ».
« Tout va très bien ! ».
« Je te trouve bizarre… ».
« Ne me casse pas les couilles, Nico ! ».
« Mais regarde-moi, putain ! » je finis par lui lancer. Je n’en peux plus de son regard qui me fuit.
« Sors-toi de là, laisse-moi partir ! » fait Jérém en forçant sur la poignée.
« Attends un peu, Jérém ! ».
« Pour quoi faire ? ».
« Pourquoi tu ne passes plus à la pause ? ».
« Je n’ai pas le temps ».
« C’est des conneries, t’avais toujours le temps la semaine dernière… ».
« Alors je n’ai plus le temps… ».
« Un jour tu m’as dit qu’il y a toujours le temps pour une pipe… ».
« Pas aujourd’hui… ».
« Quand, alors ? ».
« Je ne sais pas, tu m’emmerdes ! ».
« Rien qu’un câlin me suffirait… ».
« Arrête, Nico, vraiment ! » fait-il, de plus en plus irrité.
« Tu ne te souviens pas comment c’est bon… » je lui chuchote, tout en approchant le nez du creux de son cou pour en capter les arômes boisés, alors que mes lèvres frémissent déjà en rêvant de se poser sur sa peau, alors que mes mains frôlent déjà le Denim tout doux de son jeans à hauteur de sa braguette.
Jérém tente de me repousser. Je reviens à la charge, passe ma main sur sa chemisette à hauteur de ses pecs : je le sens frissonner ; je caresse sa bosse : je sens la bête grossir sous le tissu doux et souple.
« Ne me dis pas que tu n’en as pas envie… ».
Je connais mon bobrun : sa déglutition nerveuse et sa respiration profonde traduisent son excitation montante.
Le bogoss semble se laisser faire. Je prends confiance, je colle ma braguette contre la sienne, je frotte ma bosse contre la sienne ; j’envoie mes doigts à l’assaut du deuxième bouton de la chemisette, impatient de les défaire.
Je n’en aurai pas le loisir : ses mains repoussent les miennes, avant de me repousser tout court, m’obligeant à me décoller de lui.
Le regard toujours fuyant, il commence à défaire les boutons, l’un après l’autre, lentement : je le regarde faire, d’abord déçu de ne pas pouvoir le faire moi-même ; puis, très vite, je me prends à observer le naturel, sa simple beauté de ses gestes avec une sorte d’enchantement ; je suis envouté par l’harmonie de ses mouvements, mélange de puissance et de nonchalance, une grâce éminemment masculine.
Mais comment est-ce possible de dégager autant de sexytude ?
Et lorsque le bogoss a ce geste inouï – il défait sa ceinture, avant d’ouvrir le premier bouton de sa braguette, sans aller plus loin, comme une injonction à aller chercher ce à quoi je ne peux résister – j’ai tout simplement envie d’hurler.
« Viens, on monte… ».
Jérém semble réticent à ma proposition.
« Allez, viens… on sera plus tranquilles là-haut… » je tente de le rassurer, tout en saisissant un bout de l’élastique de son boxer, en frôlant de mes doigts la peau douce et ferme de ses abdos chauds. Je brûle de désir.
Le bogoss me défie du regard mais finit par me suivre.
Je referme la porte de ma chambre et, très vite, je suis à genoux devant lui, en train de défaire sa braguette au tissu si doux, en train de caresser le boxer bleu intense et de provoquer la bête tapie à l’intérieur. Tout aussi vite, son jeans et son boxer finissent sur le carrelage. Alors que le maillot blanc et rouge atterrit en vrac sur mon bureau.
« J’ai envie de fumer… ».
« Vas-y, fais toi plaisir… » j’ai envie de le mettre à l’aise, alors que j’ai horreur de l’odeur de la fumée de cigarette dans ma chambre.
Je me déshabille pendant qu’il allume sa cigarette et je commence à pomper avidement cette belle queue tendue.
Les épaules appuyées au mur, la chemisette ouverte sur son torse dessiné, le bassin bien en avant, le bogoss me laisse le sucer, tout en fumant sa clope ; il se laisse sucer en silence, un silence cadencé par le bruit de ses taffes et de ses expirations.
Le contact de ses doigts sur mes tétons me manque. Non seulement pour le plaisir et l’excitation que ce contact me procure, mais aussi et surtout pour le changement que cela semble illustrer dans son attitude, preuve supplémentaire du fait que notre complicité sensuelle a bel et bien disparu. J’ai presque l’impression que cette pipe, il ne l’apprécie pas vraiment ; j’ai comme la désagréable impression de lui forcer la main.
Dans un geste presque désespéré, j’attrape sa main libre, je la porte à mes tétons, en espérant qu’elle retrouve le plaisir de me faire plaisir.
Elle s’y attarde un très court instant, sans entrain, et elle repart aussi vite ; elle atterrit sur ma nuque, et elle s’emploie aussitôt à impulser des mouvements désordonnés, là aussi sans entrain.
Mais il y a un autre truc qui me chiffonne, en plus de tout ça : c’est un petit goût que ma langue a décelé dès le premier contact avec son gland : c’est un goût que je connais trop bien pour ne pas le reconnaître : c’est le goût de sa queue… après une première jouissance.
Bien sûr, ça fait plusieurs jours que nous n’avons pas couché ensemble : mon bobrun, habitué à jouir plusieurs fois dans l’après-midi, n’allait pas faire disette pendant tout ce temps ; mais j’ai du mal à l’imaginer en train de se branler, alors que tant de regards se tournent sur son passage… Il arrive d’où à cette heure si inhabituelle ? Avec qui il a passé le plus clair de sa pause ? Avec qui il a joui, putain ?
Soudainement, l’idée que mon bobrun puisse avoir pris du plaisir avec quelqu’un d’autre que moi m’apparaît insupportable, et déclenche en moi une violente décharge de jalousie. Tellement violente qu’elle me coupe toute envie ; tellement violente que j’arrête de le sucer : tellement violente que je dégage ma nuque de la prise de sa main et je plante mon regard dans le sien, en quête d’une réponse à une question que je n’ose pas poser.
« Y a un problème ? » fait le bogoss, une étincelle de défi dans son regard, avant de me sommer : « suce, sinon je me tire ! ».
Alors, je le suce. Je le suce malgré les questions qui assaillent mon esprit et que sa réaction de petit con n’a fait qu’attiser ; je suce alors que sa main se pose désormais lourdement sur ma nuque pour imprimer un puissant mouvement de va-et-vient ; je le suce, alors que je n’en ai plus vraiment envie.
Je suis obsédé par cet arrière-goût qui disparaît au gré de ma pipe, mais qui persiste dans mon nez, et dans mon esprit.
Ses coups de reins se font de plus en plus puissants, de plus en plus débordants, de plus en plus étouffants.
« Je vais jouir et tu vas tout avaler… » fait-il en sortant enfin de son silence.
C’est au mot près ce qu’il m’avait dit, au même moment, dans la même position, dans la même circonstance, le jour de notre toute première révision.
Je suis percuté, assommé par l’inquiétante sensation d’une sorte de boucle qui se referme sur notre relation, comme si nous venions de faire une révolution complète qui nous aurait ramenés au point de départ ; comme si ce clin d’œil, volontaire ou pas, au tout début de notre relation, était un présage de la fin.
Pourtant, si les mots sont les mêmes, le ton sur lesquels ils sont balancés change : ainsi, sa totale assurance du premier jour semble désormais replacée par une sorte de mélancolie, que son attitude de macho d’aujourd’hui n’arrive pas complètement à masquer.
Un instant plus tard, il jouit bien au fond de ma gorge. Sa semence est chaude, bonne, délicieuse. Pourtant, elle a un goût amer.
Très vite, il se retire d’entre mes lèvres, il s’allonge sur le lit, en silence. Il a l’air fatigué.
Je m’allonge à côté de lui, dans l’espoir fou qu’il me serre dans ses bras comme il l’a fait parfois la semaine dernière. Mais le bogoss ne bouge pas un orteil.
Le silence devient vite pesant ; je plonge un instant, j’émerge en sursaut.
Jérém s’est déjà levé, il est en train de fumer à la fenêtre.
Je regarde l’heure, il est 17h25.
« Tu reprends quand ? ».
« Je vais y aller… ».
« Déjà ? ».
« Oui… »Je le regarde, tout juste habillé de sa chemisette ouverte, ses jolies fesses dépassant au-dessus du tissu léger. Je ne veux pas qu’il parte : j’ai envie de lui, horriblement envie de lui.
Je dois aussi lui parler : je dois lui parler sans faute.
Mais pour l’heure, je suis happé par sa présence, pas le désir ; et tant que cette envie me brûlera de l’intérieur, je n’aurai pas l’esprit assez clair pour l’« affronter ».
Je cherche à me rassurer en me disant qu’après une nouvelle jouissance, il sera peut-être dans de meilleures dispositions, que ce sera plus facile de lui parler.
« J’ai envie de toi… » je finis par lâcher, tout simplement.
« J’ai pas le temps… » c’est sa réponse laconique.
Mon corps est une torche d’excitation embrasée. Je me tourne, je m’allonge sur le ventre, face à lui.
Le bogoss tourne légèrement le visage, la cigarette fumante entre deux doigts.
J’ai vraiment trop envie de lui ; plus qu’une envie, c’est un besoin. Et j’ai aussi besoin de me prouver qu’il a encore de la ressource, qu’il n’a pas trop baisé cet après-midi.
Ma queue est dure comme du bois, hypersensible : j’ai besoin d’avoir mon mâle en moi.
Du coin de l’œil, je capte la présence de son boxer bleu sur le sol. Je plonge pour le saisir, et je plonge mon visage dans l’intimité odorante du mâle.
Ses yeux, ses oreilles, ont tout petit un mouvement soudain, le genre de mouvement qui se produit inconsciemment lorsque certaines cordes vraiment sensibles sont sollicitées.
Preuve en est que sa main s’est glissée sur sa queue, et elle a commencé à la caresser. Je suis tellement fou de désir que j’en tremble.
« Il n’y a que toi qui me fait cet effet, Jérém… ».
Un instant plus tard, il écrase son mégot sur le rebord de la fenêtre, il avance vers le lit ; armé de son assurance de jeune mec, il passe à côté de moi, laissant derrière lui une trainée de son nouveau parfum, comme un coup de fouet olfactif ; et il disparait, dans mon dos.
Le matelas se dérobe sous mes jambes, sous l’effet du poids de son corps. Ses doigts empoignent mes fesses avec fermeté, les écartent avec un bon geste puissant de mec ; la chaleur de ses paumes me rend dingue. L’envie me consume.
Déjà, une bonne perle de salive tombe à l’aplomb de ma rondelle ; puis, son gland vise juste, très juste. Ses mains écartent encore, son bassin exerce une pression croissante, jusqu’à ce que les muscles de mon petit trou cèdent pour le laisser venir en moi.
Sa queue s’enfonce d’une seule traite. Le bogoss marque une pause au fond de moi, cette pause qui est depuis toujours sa signature virile. Sa chemisette atterrit sur le lit, juste à côté de moi.
Ses mains saisissent mes épaules, et le bogoss se sert de cet appui pour commencer à me limer.
Son bassin claque contre mes fesses, ses cuisses contre mes cuisses, ses couilles contre mes couilles, son gland bien au fond de mon ventre.
J’ai tant voulu que ça arrive ; pourtant, très vite, je me rends compte que ce qui est en train de se passer ne correspond pas du tout à mes attentes : ses mains s’agrippent de plus en plus fermement à mes épaules, et elles ne cherchent à aucun moment à aller me faire du bien auprès de mes tétons ; ses va-et-vient ont une allure comme mécanique, qui tranche rudement avec la complicité des dernières fois.
C’est une sensation rendue encore plus insupportable par son silence assourdissant, un silence souligné par les bruits de fond – sa respiration monocorde, le grouillement de la ville qui remontent de la rue, un petit couinement du lit, le rideau malmené par le Vent d’Autan.
Voilà tout un ensemble de (mauvaises) sensations qui me renvoient à l’un des pires souvenirs de ma vie, à cette baise inutile avec ce Mourad levé devant le On Off quelques temps auparavant.
Quand je pense qu’il y a seulement quelques jours je faisais l’amour, un amour intense, complice, explosif, avec ce même garçon, sur ce même lit… qu’est-ce qu’on est en train de faire, là ?
Rien de plus qu’une saillie qui a quelque chose d’incroyablement triste. Je me sens étouffer sous les coups de cette baise sans bonheur. Cette baise, c’est une erreur, une insulte au bonheur de la semaine magique.
Dans un sursaut de désespoir, je me déboite de lui, je m’arrache à la prise de ses mains, je me retourne ; fou de désir, mais avant tout de frustration, de tristesse et d’angoisse, à la recherche désespérée de notre complicité perdue, j’embrasse fébrilement son torse, ses pecs, son cou, ses lèvres.
Jérém ne réagit pas : il reste immobile, comme médusé, le regard toujours absent.
Dans un geste encore plus désespéré, je prends son visage entre mes deux mains et je le couvre de bisous ; Jérém tourne la tête, il détourne ses lèvres. Ses mains saisissent mes épaules pour m’inviter à me retourner à nouveau.
C’est avec un mélange de tristesse et de désolation que je seconde son geste, et que je le laisse revenir en moi. Ses mains reviennent agripper fermement à mes épaules, et il recommence à me pilonner de la même façon, mécaniquement, en silence.
Comme c’est triste de revenir à la baise, alors qu’on a gouté au bonheur de faire l’amour, avec le garçon qu’on aime.
Les minutes passent, sa respiration s’emballe, ses coups de reins s’enchaînent dans des séquences d’une puissance inégale ; son corps semble fatiguer dans cette course derrière un orgasme qui ne veut pas se laisser attraper.
Désormais il n’y a plus de doute, Jérém s’est déjà vidé les couilles cet après-midi.
La jalousie, l’inquiétude, la tristesse de cette baise sinistre font évaporer toute excitation de mon corps ; je n’ai plus qu’une envie, c’est qu’il arrive vite au bout de cette saillie interminable.
J’essaie de tenir bon, de prendre sur moi, en me disant qu’il ne doit plus être très loin de son orgasme : mauvaise spéculation, ses assauts n’ont pas l’air de vouloir cesser de sitôt.
« Arrête, Jérém, j’ai plus envie… » je lui lance.
« Je viens… » fait-il, tout en ralentissant ses va-et-vient.
Ses mots sont immédiatement suivis par de nombreux râles bruyants, comme de grands cris de triomphe après un effort considérable.
Ce qui ne m’empêche pas de ressentir en moi le souvenir de l’une des pires baises avec Jérém, dans une cabine des chiottes du lycée ; une baise tout aussi mécanique, aussi froide, tout aussi déplaisante sur la fin.
Lorsque ses coups de reins cessent, la prise de ses mains sur mes épaules disparaît également, et sa queue s’arrache de moi aussitôt.
Je me retourne, et Jérém est déjà assis sur le bord du lit, le boxer à la main.
Après cette baise sans âme, je ne peux pas le laisser repartir comme ça. J’ai plus que jamais besoin d’un peu de chaleur de sa part. Je m’approche de lui, je pose ma main sur son épaule, je tente un câlin.
« Arrête ! » fait-il, sur un ton très agacé, tout en se secouant avec un geste énervé.
« Jérém… ».
« Arrête, je te dis ! ».
« Mais qu’est-ce qu’il te prend ? ».
« Fiche-moi la paix ! ».
« Qu’est-ce qu’il t’arrive depuis quelques jours ? ».
« Arrête, Nico… ».
« Non, je n’arrête pas… la semaine dernière on a passé des moments de fou, c’était magique… tu étais si différent… tu étais souriant, détendu… on était si complices… pourquoi du jour au lendemain tu ne viens plus, tu ne réponds même pas à mes messages, tu m’évites, tu es froid et distant ? ».
« Ne me casse pas les couilles, Nico… ».
« Tu me manques, Jérém… ».
Le bogoss se tait, immobile, la respiration haletante. Plus je le regarde, plus j’ai l’impression qu’il n’est pas dans son assiette. C’est comme s’il voulait me dire quelque chose, et qu’il n’arrivait pas à trouver le courage de le faire ; comme si quelque chose le tracassait vraiment, comme s’il étouffait d’être dans cette pièce ; comme s’il regrettait déjà d’avoir couché avec moi, de s’être laissé faire.
C’est dur de savoir, à priori, ce qui le tracasse ; de savoir et de le voir le garder pour lui, de voir qu’il n’a pas l’intention de m’en parler, alors que je suis aussi concerné que lui ; c’est dur de savoir et de ne pas pouvoir lui en parler, parce que j’ai promis de ne pas le faire.
Je regarde son dos en V, ses épaules, ses tatouages, ses beaux cheveux bruns, ses oreilles adorables ; je regarde ce garçon que j’ai envie de couvrir de bisous et de câlins, sans pouvoir le faire.
« Est-ce que j’ai fait ou j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? » je tente d’attaquer ses remparts par un côté qui me semble moins bien gardé.
« Arrête Nico ! » fait-il en passant son boxer bleu.
« Mais putain, parle-moi, Jérém ! » je lui lance, tout en passant à mon tour mon boxer et mon t-shirt et en me glissant sur le bord du lit, juste à côté de lui.
« Je n’ai rien à te dire ! » fait-il sur un ton agacé, en se penchant pour attraper son jeans.
Le geste est rapide et brusque ; c’est lorsque le jeans atterrit sur ses genoux que quelque chose tombe de sa poche et atterrit sur le carrelage juste devant nous. Un petit bruit sec, pourtant assourdissant.
Mes yeux m’apportent une image à laquelle mon cerveau se refuse de croire. J’ai envie de hurler mais je me sens comme tétanisé. J’ai la tête qui tourne, j’ai l’impression que le ciel vient de me tomber sur la tête.
Ce n’est que lorsque Jérém se baisse pour ramasser ce qui est tombé que je trouve la force de réagir : « C’est quoi, ça ? ».
Mes mots ne sont que le reflexe de cette souffrance soudaine qui envahit mon cerveau, mon cœur, et mon corps même.
« C’est rien… ».
« Tu te fiches de moi ? »L’image de cette capote tape dans ma tête comme un Cognard ensorcelé. Je ressens un douloureux sentiment de désolation envahir mon cœur, mon cerveau, mon esprit, comme une présence de Détraqueur, me laissant dans le désespoir absolu que tout bonheur me soit interdit, à tout jamais.
Ça fait mal, ça fait trop mal ; tellement mal que je sens approcher le point au-delà duquel il m’aura fait trop souffrir pour que je puisse lui pardonner, le point à partir duquel mon amour sera tellement meurtri qu’il cassera en mille morceaux. Ce point que je vois approcher à grand pas, c’est le point de non-retour de notre relation.
« Tu… tu… tu couches ailleurs ? » je finis par l’interroger, face à son silence obstiné.
« Ça ne te regarde pas… ».
« Ta queue sentait le jus… » je me parle tout seul, sans même réagir à ses mots.
« C’est toi qui a voulu me sucer à tout prix… ».
« Tu couches ailleurs ? ».
« T’es sûr que tu veux vraiment qu’on parle de ça ? ».
« Oui, je suis sûr ! » je m’énerve.
« Puisque tu veux savoir… j’ai… une copine… » fait-il, le regard toujours loin de moi.
Sa jambe est animée par une sorte de vibration, un petit tremblement nerveux qui semble trahir son malaise.
« De quoi ? ».
« T’as bien entendu… ».
Même si ses mots sont prononcés sur un ton à l’apparence détaché, j’ai l’impression qu’il est plutôt mal dans ses baskets, même s’il ne les a pas encore passées à ses pieds.
« Tu te fiches de moi ?!?! ».
« Mais pas du tout… ».
J’ai une soudaine envie de le frapper, mais je suis tellement assommé que mes membres ne répondent même pas à ma colère.
« Depuis quand ? ».
« Ça ne te regarde pas… ».
« Mais t’es pas bien toi… je te rappelle que je te laisse me baiser sans capote… ».
« Bah, justement, tu vois, je ne prends pas de risque, je mets des capotes ! ».
« Pourquoi tu me fais ça ? ».
« Parce que j’ai envie de baiser des nanas… c’est aussi simple que ça… ».
« Sérieux, tu as une copine ? ».
« Oui, parfaitement ! ».
« Et tu l’as rencontrée où ? ».
« Au taf… ».
« Au taf ? ».
Jérém passe son jeans sans répondre à ma question.
J’ai un mal de chien. Je suis blessé, meurtri, humilié, je bouillonne de l’intérieur.
« Mais bon sang, Jérém… tu crois que ça me fait quoi de découvrir ça, alors que je viens de te laisser jouir en moi ? ».
« C’est toi qui a voulu que je te baise… ».
« Mais t’as bien pris ton pied toi aussi… tu l’as dit la dernière fois… tu n’as jamais joui aussi fort que comme avec moi… ».
« De quoi ? J’ai jamais dit ça… » il me balance, pendant qu’il chausse ses baskets.
« Si tu l’as dit ! ».
« Je ne suis pas pd, fiche-toi ça dans la tête ! »« C’est génial ce qu’il y a entre nous… ne gâche pas tout, s’il te plaît ! ».
« On a bien baisé, oui... j’ai pris mon pied, t’as pris ton pied… mais ça s’arrête là… ».
« Pas pour moi… ».
« Bah, ça devrait… » fait-il, en bouclant sa ceinture.
Sur ces mots, il s’avance vers la porte de la chambre, torse nu, avec sa chemisette à la main. Je me lève d’un bond, je me jette sur la porte pour lui empêcher de l’ouvrir.
« Qu’est-ce que tu fais ? ».
Je n’ai plus le choix, je n’ai plus le temps : je ne peux pas lui laisser passer cette porte sans lui avoir dit ce que je ressens pour lui.
« Jérém… ».
Jérém, trois syllabes qui contiennent pour moi toute la poésie de l’Univers ; Jérém, ce beau prénom qui rime si bien avec :« … je t’aime… ».
Juste trois petits mots qui s’envolent de mes lèvres ; trois mots, un monde entier.
C’est un cri du cœur qui me laisse vidé de toute énergie, la poitrine qui tape à tout rompre, la respiration coupée ; un cri qui n’a d’écho que le silence assourdissant de son destinataire, et son regard comme assommé, ébahi, figé.
« Ecoute, tu sais quoi ? » fait Jérém après une pause insupportable « on va en rester là tous les deux, ça devient trop ingérable tout ça… ».
Je sens le désespoir m’envahir comme un poison mortel, le ciel me tomber sur la tête, je n’arrive plus à respirer, ma vue se brouille, mes oreilles bourdonnent. Je ne sais même pas comment je trouve la force de le relancer : « Pourquoi tu veux tout gâcher ? ».
« On aurait dû arrêter tout ça il y a longtemps… on n’aurait même jamais dû commencer… ».
« Tu penses vraiment ce que tu dis ? ».
« Oui… et ce coup-ci, on va arrêter pour de bon ! ».
Je suis sonné, j’ai l’impression de venir de recevoir un grand coup de massue sur la tête.
« J’ai pas envie d’arrêter, moi ! ».
« Moi si ! ».
« Mais putain ! Jérém ! Si tu savais à quel point tu comptes pour moi… je n’ai jamais ressenti pour personne ce que je ressens pour toi… quand je te vois, et même quand je pense à toi, j’ai le cœur qui bat la chamade… tu es tout pour moi… j’ai besoin d’être avec toi… je n’ai besoin de personne d’autre, juste de toi… ».
Je sens mes larmes monter à grands pas.
« Ça ne peut pas finir comme ça entre nous ! » je pleure.
Jérém se tait, le regard posé sur la poignée de la porte. Ses traits sont figés, ses paupières clignent nerveusement, ses lèvres sont serrées, parcourues par un frémissement incontrôlable ; sa pomme d’Adam bondit sous l’effet d’une déglutition fiévreuse ; ses yeux se ferment lourdement, se rouvrent ; sa tête a un petit mouvement sur le côté, comme s’il voulait chercher le mien, puis il se perd à nouveau dans le vide.
J’ai l’impression de me retrouver devant un garçon qui n’est pas mon Jérém ; un garçon qui se fait violence pour être aussi méchant. C’est horrible cette barrière en verre qu’il a érigé pour m’interdire l’accès à son cœur. Et ces barbelés qu’il est en train de tirer partout autour pour me blesser et m’éloigner de lui.
« Laisse-moi partir maintenant ! » il me lance, tout bas.
« Jérém, s’il te plaît… je t’aime Jérém, je t’aime tellement, je t’aime plus que tout, je t’aime depuis le premier instant que je t’ai vu dans la cour du lycée ! ».
« Et moi, ce que j’aime, c’est juste te baiser… ».
« C’est vrai ? ».
« Puisque je te le dis… » il lâche, le regard sur ses pompes, les yeux plissés.
« Regarde-moi dans les yeux, Jérém… regarde-moi dans les yeux et redis-moi ça ! » je le mets au défi.
Et là, son visage se redresse lentement, son regard se plante dans le mien et il assène froidement :« Tu veux vraiment savoir ? ».
Je sens l’orage venir. Et qu’il va être violent.
« Il n’y a toujours eu que ton cul qui m’intéressait ! ».
Je me sens de plus en plus humilié, je sens ma colère monter en flèche.
« Ça c’est ce que tu dis pour ne pas avoir à assumer ce qui se passe entre nous… » je lui gueule dessus.
« Arrête donc de faire ton psy à deux balles ! ».
Jérém me regarde fixement dans les yeux, son regard noir est plein d’éclairs mauvais. Je sais que si je provoque encore, sa méchanceté peut être sans limites. Mais je veux en avoir le cœur net, au risque de me faire terrasser : « Tu ne me fera pas croire qu’il n’y a pas un truc spécial entre nous… ».
« Mais quel truc ? Quand est-ce que tu as vu qu’il y avait ce truc ? ».
« Tu te souviens du samedi quand tu m’as défendu de cet abruti à l’Esmé… ».
« Et donc ? ».
« Quand on est rentrés, tu m’as fait l’amour pour la première fois… ».
« Tu prends tes rêves pour des réalités ! ».
« On a passé l’une des plus belles nuits ensemble… tu m’as même demandé de rester dormir… ».
« J’avais juste envie que tu me suces encore pendant la nuit ! ».
« Ce n’est pas vrai… tu avais besoin de câlins… tu m’as donné des câlins… mais le matin tu m’as jeté comme une merde… ».
« On n’aurait jamais dû commencer ces conneries… ».
« Ce ne sont pas des conneries… tu ne vas pas me faire croire que tu n’as pas aimé tout ce qui s’est passé entre nous ! ».
« Tais-toi… tout ça c'est de ta faute ! ».
« Ma faute ? » je chauffe.
« T'aurais pas dû me proposer de réviser... tu voulais juste baiser avec moi… ».
« Je te rappelle que c’est toi qui a voulu que je te suce ce jour-là ! ».
« Tu m’as allumé… t’arrêtais pas de me mater en cours ! ».
« Bien sûr que je te kiffais, je te kiffais à mort, je te kiffais comme un fou depuis le premier jour du lycée… mais moi je n’aurais jamais osé te proposer quoi que ce soit… ».
« Tu en crevais d’envie… ».
« Alors, si tu savais que j’avais envie de coucher avec toi, pourquoi t’as répondu « oui » quand je t’ai proposé de réviser ? ».
« Parce que je voulais me payer ton cul… ».
« Donc t’es aussi pd que moi ! ».
« Arrête de me chercher ou ça va mal se finir... » fait-il, les yeux exorbités, les veines apparentes dans le cou, l’air menaçant.
« Jérém… » je tente de le raisonner « nous ne faisons rien de mal, nous sommes juste deux mecs qui se font du bien… ».
« Ferme-la, putain… je ne suis pas pd et je ne veux pas devenir pd comme toi ! Tu entends ? ».
Ses mots sont blessants, injustes, violents, gratuits.
Ses mains me dégagent de la porte de la chambre. J’ai les larmes qui me montent aux yeux en le regardant disparaître dans le couloir. Je ne peux pas le laisser partir comme ça.
Je sors de la chambre, je dévale l’escalier, et je le rattrape alors qu’il est tout proche de la porte d’entrée.
« Mais bon sang ! » je m’emporte « ça pourrait être si génial entre nous deux si seulement tu étais moins con ! Il y a un truc spécial entre nous… les chanceux c’est nous, Jérém ! ».
« Spécial ? Pourquoi ça ? T’es pas le seul mec que j’ai fait couiner… ».
« Oui, mais avec ton cousin et avec le mec du On Off, c’était pas pareil… » je tente de me rassurer.
« Si tu crois que c’est les seuls… » fait Jérém, odieux.
« De quoi ???????????? » je tombe sur la tête.
« T’as très bien compris ! ».
Lorsque je reçois ce nouveau coup de massue sur la tête, encore plus puissant que le précèdent, je sens immédiatement que quelque chose est sur le point de casser en moi.
Ça en est trop, vraiment trop. Même si je veux mon Jérém pour moi tout seul, je peux encore tolérer qu’on se fasse des plans à trois ; et même si ça me fait profondément chier, si vraiment il a envie de coucher avec des nanas, je n’ai pas de recours contre ça.
Mais le fait de savoir qu’il s’est tapé d’autres mecs à mon insu, alors que je crève d’envie de lui ; qu’il a trouvé le moyen de franchir le pas d’aller voir ailleurs, alors qu’il n’assume même pas notre relation : ça, ça me blesse à vif.
Le point de non-retour est là, devant moi.
« T’es qu’un connard ! » je lui lance, toujours incrédule, le regard défait.
« De quoi tu t’étonnes ? T’es pas le seul cul à baiser de la ville ! ».
C’est à cet instant précis que le point de non-retour, celui que j’ai vu approcher de seconde en seconde, est atteint : ce coup-ci, Jérém a vraiment dépassé les bornes ; sa méchanceté est telle, que même tout l’amour que je lui porte ne suffira pas pour lui pardonner. Oui, quelque chose vient de casser en moi. Je sens mon sang bouillir, je sens une violente envie de lui faire mal au moins autant qu’il vient de m’en faire. Je vois rouge. Et je perds les pédales.
Tout se passe en une fraction de seconde : je le charge et je le frappe au visage.
Jérém n’a rien vu venir ; attaqué par surprise, il reçoit mon droit de plein fouet.
Un filet de sang rouge vif commence à couler presque instantanément de son nez ; c’est à ce moment-là que je réalise que je viens de frapper le garçon à qui j’ai envie de faire tous les câlins du monde, jusqu’à mon dernier souffle. Moi qui ne me suis jamais battu de ma vie, il faut que je commence par Jérém. Si c’est pas malheureux, ça !
Alors que je regrette déjà mon geste, je le vois porter deux doigts sous son nez, et les retirer ensanglantés. Son regard est désormais rempli de haine.
J’ai peur de la violence de sa réaction : et c’est moins la douleur physique que je redoute, bien moins que le chagrin de voir notre histoire se terminer à coups de poings dans la figure.
« Je suis désolé, Jérém, je ne voulais pas… » je tente de le calmer.
Hélas, mes excuses n’ont aucun effet ; Jérém voit rouge, aussi rouge que moi un peu plus tôt, aussi rouge que le sang qui coule de son nez, qui éclabousse son torse et laisse des traces sur son jeans et sur le carrelage.
Je le vois charger comme un taureau, et je sais que ça va faire mal. Je suis tellement dégouté par la tournure que sont en train de prendre les choses, dégouté que ce soit par ma faute, d’avoir frappé en premier, que je n’ai même pas le réflexe de tenter de me protéger le visage : lorsque son droit à lui me percute, je ressens une douleur aigue se propager depuis le milieu de mon visage, jusqu’à l’intérieur de ma tête.
Non, je ne me suis jamais battu auparavant : je réalise à cet instant à quoi font référence les petites étoiles qu’on voit tourner autour de la tête des personnages de dessin animés lorsqu’ils prennent un coup au crane ou au visage.
C’est le goût bizarre du sang sur mes lèvres qui me fait pleinement réaliser que je viens de me faire frapper par le garçon que j’aime ; ce garçon dont le goût viril persiste dans ma bouche, le garçon qui, quelques minutes plus tôt, m’a rempli de sa semence. C’est triste à en pleurer.
« T’es vraiment qu’un gros con qui ne sait pas assumer ce qu’il ressent dans son cœur… » je lui crie en pleurant.
Sa réaction ne se fait pas attendre :« Et toi, t’es vraiment qu’une petite merde ! ».
« Dégage connard ! ».
« Oh, oui, je vais dégager, t’inquiète, mais toi aussi tu vas dégager, tu vas dégager de ma vie ! ».
Ses mots sont sans appel, et ils me rendent malade. Mais il est d’autres mots qui s’enchainent aux siens et qui vont me rendre encore plus malade.
« Qu’est-ce qui se passe ici ? » j’entends une voix familière s’écrier.
Je lève les yeux : maman vient de débarquer.
« C’est quoi tout ce sang ? » elle s’inquiète, en voyant le carrelage tâché.
« C’est rien, un petit accident, rien de grave, madame… » fait Jérém.
Maman le regarde, puis me regarde fixement, les yeux écarquillés, le regard anxieux.
Je regarde Jérém se baisser pour ramasser sa chemisette sur le carrelage et la passer très vite autour de son torse, tout en essayant de tamponner avec la main son nez qui n’arrête pas de pisser le sang.
Jérém accroche deux boutons à la va vite, et il se précipite vers la porte d’entrée. Dans mes tripes, je ressens malgré tout l’instinct d’essayer de le rattraper, une fois encore ; je sais que si je lui laisse passer cette porte, ce sera vraiment fini entre nous. Mais mon corps ne suit plus ; je suis à bout de forces, physiquement, moralement.
Jérém saisit la poignée, la fait tourner, il commence à tirer le battant ; et là, au lieu de partir comme une fusée, il marque une pause ; un instant de rien, le temps d’un regard qui en dit plus que mille mots.
Je le vois tourner la tête vers moi, planter ses yeux dans le miens : son regard noir a soudainement disparu, pour laisser la place à un regard perdu, rempli de désolation, de détresse, et de chagrin ; ses yeux, ses narines ont cette vibration conjointe comme lorsqu’on se fait violence pour ne pas céder à l’émotion.
Ce que je vois à cet instant, ce n’est plus le connard qui vient de me balancer plein d’horreurs et son poing dans la figure, mais un garçon très malheureux ; pendant un instant, je me prends à rêver qu’il soit sur le point de me lancer un : « Je suis désolé », capable de soigner toutes mes blessures.
Il n’en est rien : Jérém finit pas détourner le regard et disparaît dans l’entrebâillement de la porte.
Oui, son regard était plein de tristesse ; et, au plus profond de moi, je ressens la ferme impression que Jérém a détourné le regard juste avant qu’ils ne soient pleins de larmes aussi.
Oui, c’est triste de se faire aussi mal l’un l’autre ; et de se rater de cette façon.
La serrure vient tout juste de claquer un dernière fois derrière le garçon que j’aime plus que moi-même ; je sens le désespoir m’envahir ; je ne peux me retenir, je fonds en larmes.
« Nico ! ».
C’est à cet instant précis que j’ai vu dans le regard de maman qu’elle avait tout compris, sans besoin d’un mot d’explication. Dans mes larmes, maman a su à quel point j’étais amoureux d’un putain de beau gosse qui me rendait terriblement malheureux.
« S’il te plaît, maman… laisse-moi seul… je vais nettoyer… je viendrai te parler plus tard… ».
« Tu veux pas que je t’amène voir un toubib ? ».
« Non, maman, ça va aller, c’est rien, vraiment… » je tente de minimiser, en étant rassuré moi-même par le fait que mon nez ne saigne pas trop.
« Comme tu voudras, Nico, je serai dans la cuisine… ».
Je vais dans le cellier chercher un seau et une serpillère ; je reviens nettoyer les dernières traces du passage de Jérém chez moi ; à chaque tâche effacée, je me demande pourquoi on en est arrivés là, comment j’en suis arrivé à frapper le garçon que j’ai envie d’aimer plus que tout au monde.
Je sais que je ne le reverrai plus jamais. Je nettoie et je pleure, en pensant à la solitude terrifiante de ma vie sans lui.
La douche me fait du bien : mais je suis toujours aussi sonné, et mon nez me fait mal. Ça ne saigne plus. L’eau chaude a détendu mes nerfs, emporté mes larmes, je sens une fatigue immense me gagner, je me sens lessivé.
Il est 19h20 lorsque je redescends : il faut que je me dépêche d’aller voir maman, papa va rentrer d’un moment à l’autre.
Lorsque j’arrive dans la cuisine, elle est en train de préparer une grande salade.
« Ça va, mon Nico ? ».
« Oui, ça va… mieux… » je tente de la rassurer, en prenant sur moi pour contenir mon émotion et ne pas laisser mes larmes jaillir à nouveau.
J’attrape un bocal et je commence à mélanger huile, vinaigre, sel et moutarde.
« C’est qui ce garçon ? ».
« C’est un camarade du lycée… ».
« Pourquoi vous vous êtes disputés ? ».
« C’était juste pour une bêtise… ».
« Vous vous êtes battus, quand-même ! ».
« C’est rien je te dis… ».
« T’avais l’air vachement remué, mon Nico… et ton camarade aussi… ».
Une partie de moi a envie de tout raconter à maman, de lui dire que j’aime les garçons depuis toujours, que j’aime CE garçon plus que tout au monde, à part elle… oui, une partie de moi n’a qu’une seule envie, celle de me laisser aller à pleurer dans ses bras, de la laisser me réconforter.
Mais la blessure est si profonde, si vive, si brûlante, que je ne me sens pas la force de la remuer, même pas pour tenter de la soigner.
« Maman… » je me lance, pour tenter de la rassurer, pour gagner du temps, sans aucune idée de comment je vais continuer ma phrase.
Heureusement, maman vient à mon secours :« Tu sais Nico… ne te force pas… » fait-elle en posant son couteau et en attrapant ma main : elle la serre avec force et douceur, tout en posant sur moi ce regard plein d’affection et de tendresse que seule une maman sait composer ; puis, elle continue : « si tu n’as pas envie d’en parler, c’est pas grave ; tu m’en parleras plus tard, quand tu t’en sentiras capable… demain, après demain, ou même quand tu seras à Bordeaux… quand tu seras là-bas, dans ta petite chambre, tu sais que tu pourras m’appeler quand tu voudras, à n’importe quelle heure, je serai toujours là pour toi, mon Nico… ».
Je sanglote. Je sens maman très émue aussi.
« Maman… ».
« Mais il y a une chose qu’il faut que tu saches… je t’aimerai toujours, quoi que tu fasses de ta vie, quoi que ce soient tes choix… enfin, des choix… façon de dire… je t’aimerai toujours, et rien ne pourra jamais changer cela… tu sais, Nico, tout ce qui m’intéresse, c’est que tu sois heureux, que tu trouves ta part de bonheur quel qu’il soit le bonheur que tu recherches… ».
Elle pose ma main sur ma nuque et me caresse les cheveux, comme quand j’étais enfant, pour me réconforter ; je pleure à chaudes larmes.
« Désolé, maman… ».
« Pleure, si ça te fait du bien… ».
« Ce garçon… ce garçon… » je tente de lui parler de mon chagrin, de cet amour fou né sur les bancs du lycée : mais les mots restent bloqués au fond de ma gorge.
« Ce garçon est vraiment un très beau garçon… » résume maman « mais j’ai l’impression que ce n'est pas lui qui va te rendre heureux… ».
« De toute façon, je ne le reverrai plus jamais… ».
« Mon Nico… ».
« Maman… promets-moi… ».
« Oui, Nico ? ».
« Ne dis rien à papa, s'il te plaît… ».
« Je ne lui dirai rien t'inquiète… un jour tu lui diras toi-même, quand tu seras prêt à le faire… ».
« Merci, maman… ».
« Dis donc, il ne t’a pas raté ce petit con… » elle s’exclame, en se penchant pour regarder les dégâts de plus prés.
« A côté du nez, sous l’œil, tu vas avoir un joli cocard, mon Nico… ça fait mal ? » elle continue.
« Oui… ».
« Dans le placard de la salle de bain, il doit y avoir une pommade pour soigner les hématomes… ».
Dommage qu’il en existe pas une pour soigner les cœurs brisés.
« Merci maman… ».
« C’est lui qui t’a frappé en premier ? ».
« Non, c’est moi… ».
« Nico ! ».
« Et je le regrette vraiment… même s’il l’a bien cherché ! ».
« En tout cas, toi non plus, tu ne l’as pas raté ! ».
La porte d’entrée vient de s’ouvrir et de se refermer. Papa est rentré. Je m’essuie les yeux et maman aussi.
« Bonsoir ! » fait papa « qu’est-ce que t’as fait au nez, Nico ? ».
« Bonsoir ! » fait maman « ton fils s’est pris la porte de la salle de bain sur le nez en sortant de la douche… ».
« Toujours aussi maladroit… » fait papa distraitement « j’ai le temps de prendre ma douche avant de manger ? ».
4h18, je ne dors toujours pas. J’essaie de ne pas penser à demain, au nouveau jour qui viendra, un jour inutile, odieux, car il ne portera pas avec lui l’espoir de revoir Jérém.
Les souvenirs et les larmes se mélangent dans le silence de la nuit.
Imaginer ma vie sans Jérém, ça me parait un aperçu de l’enfer.
La nuit avance et la radio continue de débiter des chansons que je n’écoute pas.
Puis, soudainement, un texte accroche mon attention, parle à ma tristesse, à ma solitude, à mon désespoir.
Celui qui n'a jamais été seul/Au moins une fois dans sa vieSeul au fond de son lit/Seul au bout de la nuitCelui qui n'a jamais été seul/Au moins une fois dans sa viePeut-il seulement aimer/Peut-il aimer jamais
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