Boucler la boucle (première partie)

- Par l'auteur HDS Fab75du31 -
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Récit libertin : Boucler la boucle (première partie) Histoire érotique Publiée sur HDS le 12-05-2018 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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Boucler la boucle (première partie)
Jérém&Nico SAISON 1 Episode final.


Boucler la boucle (première partie)


Samedi 25 août 2001, 17 heures.

Le t-shirt noir dépassant du zip largement ouvert de son bleu de travail, la tête sous le capot d’une voiture de sport, comme toujours Thibault a l’air d’un gars bosseur, très appliqué à sa tâche.
Il est 17 heures et je sais qu’il ne va pas tarder à débaucher.
Je traîne sur le trottoir d’en face, tout en faisant mine de trifouiller mon téléphone, en attendant qu’il capte ma présence. Lorsqu’il lève enfin le nez de son taf, je lui adresse un petit coucou.
Un petit coucou qu’il me retourne, certes ; cependant, quelque chose me frappe tout de suite : le beau sourire chaleureux et bienveillant auquel il m’a habitué, ne semble pas de la partie aujourd’hui.
Un instant plus tard, il referme le capot de la voiture, raccroche les outils au tableau, se nettoie les mains dans un bout d’essuietout.
Les battements de mon cœur s’emballent lorsque je le vois marcher droit dans ma direction. Malgré l’essuietout, ses mains et les avant-bras sont noirs de cambouis, il en porte même des traces sur le visage : il est craquant.
Hélas, au fur et à mesure qu’il approche, force est de constater que non seulement son beau sourire semble être absent, mais qu’en plus, ses magnifiques yeux noisette tirant sur le vert ont l’air plutôt inquiets aujourd’hui.
« Salut Nico… » fait-il, sans tenter la bise.
« Salut Thibault… ».
« Tu vas bien ? ».
« Oui… oui… et toi… ? ».
« Ça peut aller… » fait-il ; avant d’enchaîner, sur un ton empressé, impatient, presque fiévreux : « dis-moi, Nico… tu as des nouvelles de Jéjé ? ».
Je sens les larmes monter à mes yeux en entendant le diminutif amical de ce prénom que je n’ai pas prononcé depuis deux semaines ; et, en même temps, je suis abasourdi de l’entendre dégainer pile la même question que j’ai moi-même envie de lui poser.
« Non… ça fait deux semaines que je n’en ai pas… ».
« Il fait chier… » fait Thibault, soucieux.
« Mais il n’est pas chez toi ? » je m’inquiète à mon tour.
« Ça fait plus d’une semaine que je ne l’ai pas vu… ».
« Et tu n’as aucune nouvelle depuis… une semaine ??? » j’angoisse.
« Tu m’attends deux minutes, Nico ? Je vais me laver et on va prendre un truc ensemble… ».

Thibault revient cinq minutes plus tard, habillé du même t-shirt noir qui dépassait de sa cotte ; un t-shirt plutôt bien mis en valeur par sa plastique massive (à moins que ce ne soit le contraire), surmontant un short découpé dans un jeans.
Le bomécano s’est nettoyé à la va vite, et des petites traces de cambouis persistent sur ses avant-bras puissants et au-dessus de son arcade sourcilière. Avec son regard un peu triste, si inhabituel chez lui, il est terriblement touchant.
Nous nous installons en terrasse d’un bar à proximité du garage.
« Mais il ne crèche plus chez toi ? ».
« Non… » fait-il, tout en tripotant nerveusement sa canette de soda, le regard vague.
« Mais qu’est-ce qui s’est passé ? ».
D’habitude si calme, si posé, si maîtrisé, à cet instant précis, Thibault n’a l’air pas bien du tout dans ses baskets ; une sorte de frémissement de sa personne, tout un ensemble de petits gestes nerveux (son genou qui ne cesse de sautiller), maladroits (il a failli renverser sa canette), inhabituels (il sort un paquet de cigarettes et il en allume une), semblent témoigner du fait que l’anxiété a pris la place de sa solidité légendaire.
Il est tellement touchant qu’il me donne envie de le prendre dans mes bras pour le rassurer : si seulement je le pouvais, le rassurer.
Le bomécano expire la fumée de cigarette ; puis, il prend une grande inspiration, et il raconte :
« Il a commencé à découcher le week-end d’il y a 15 jours… le vendredi soir, il m’a envoyé un sms pour me dire qu’il partait à Paris pour le week-end pour rencontrer des gens du Racing… il ne m’a pas donné plus d’explications… il est venu chercher quelques affaires pendant que j’étais au taf… sur le coup, je ne me suis pas inquiété, j’ai cru que c’était lié à ses sélections… ».
« Mais tu l’as quand même revu depuis… ».
« Il n’est revenu qu’en milieu de semaine dernière… mais il n’avait pas été à Paris… ».
« Ah bon ? Et tu sais ça comment ?
« C’est lui qui me l’a dit… il m’a dit qu’il était resté à Toulouse et qu’il avait juste besoin de prendre l’air… »
« Et il a dormi où, alors ? ».
« Ça, je ne sais pas, il n’a pas voulu me le dire non plus… et en plus il avait un gros bleu sur la figure… je me suis dit qu’il avait découché pour ne pas me montrer qu’il s’était battu… évidemment, il n’a pas voulu me dire ce qui lui était arrivé… ».
« Mais il ne t’a pas parlé de ce qui s’est passé entre nous ? ».
« Vite fait… ».
« Et qu’est-ce qu’il t’a dit ? ».
« Euh… il a été évasif… tu sais comment il est Jéjé… il m’a dit que vous étiez en froid… je ne sais plus exactement… il n’a pas voulu me dire grand-chose… ».
Au fond de moi, j’ai remarqué le malaise qui s’est glissé dans son regard lorsque je lui ai posé cette question ; au fond de moi, j’ai détecté l’empressement avec lequel il a semblé vouloir balayer ce sujet.
Pourtant, sur le moment, pressé de lui parler de ce qui s’est passé avec Jérém, je n’y ai pas prêté plus attention que ça.
« C’est avec moi qu’il s’est battu… » je lâche à brûle pourpoint.
« Avec toi ? Et c’est toi qui l’as cogné ? ».
« C’était le vendredi d’il y a deux semaines… tu sais, le premier soir qu’il a découché de chez toi… cet après-midi-là, il est venu chez moi… et il m’a largué… on s’est disputés… il a été odieux… il m’a fait sortir de mes gonds… mais je le regrette, si tu savais comment je le regrette… ».
« T’as pas à te justifier, Nico… »
« J’ai cru que tu m’en voulais de l’avoir frappé, j’ai cru que tu pensais que je n’étais pas quelqu’un de bien… ».
« Mais non, jamais de la vie, Nico… je sais que tu es quelqu’un de bien… je ne savais même pas que c’était avec toi qu’il s’était battu… après, je sais aussi à quel point Jé peut être une tête de con… ».
« Je suis soulagé qu’il n’y a pas de malaise entre nous… j’avais peur de te perdre toi aussi… j’ai cru que ton silence c’était à cause de ça… ».
« Ça faisait un moment que je voulais t’appeler… mais les derniers jours ont été intenses… le taf, la caserne… et… tout le reste… ».
« Je comprends, t’en fais pas… c’est moi qui aurais dû t’appeler… toi, tu étais occupé, alors que moi, je viens de passer deux semaines à la mer avec ma cousine… mais dis-moi… du coup il est parti à Paris pour les sélections ou pas ? ».
« Si, si… il y a été lundi dernier et il est revenu jeudi, avant-hier… ».
« Et il a été retenu ? ».
« Apparemment oui…
« Mais tu lui as parlé, alors… ».
« Pas vraiment… jeudi soir j’ai essayé de l’appeler plusieurs fois pour savoir comment s’était passé à Paris… il m’a répondu par sms à trois heures du mat, en disant juste que c’était signé et qu’il allait démarrer les entraînements lundi prochain… ».
« Et tu ne sais toujours pas où il crèche ? ».
« Je n’ai pas plus de détails… et aucune nouvelle depuis… dans deux jours il repart à Paris et je ne sais même pas si je vais le voir d’ici là… ».
« Mais qu’est ce qui s’est passé entre vous deux ? ».
Thibault marque une pause, prends une grande inspiration ; il semble hésiter, autant sur la direction à donner à sa réponse que sur le choix des mots à utiliser, comme s’il avait un poids très lourd sur le cœur ; puis, il finit par se lancer :
« La semaine dernière j’ai été contacté par le Stade Toulousain… ».
« Le Stade Toulousain ? C’est vrai ?? Félicitations ! ».

(* Toute référence à des équipes de rugby, et à leurs responsables, joueurs, collaborateurs de l’époque où se déroule ce récit doit être considérée comme étant purement fictive).

« Merci… ».
« Et alors, ça a marché ? ».
« Oui… j’ai passé les sélections cette semaine… et j’ai été recruté… ».
« Mais c’est génial ! ».
« C’est ce que je me dis aussi… mais je n’arrive pas à m’en féliciter autant que je l’aurais imaginé… ».
« Pourquoi ça ? ».
« Parce que mon recrutement a fichu un sacré coup au moral de Jéjé… et à notre amitié… ».
« Comment ça ? ».
« La proposition du Racing est une belle opportunité pour lui ; ça avait un peu calmé sa frustration de ne pas avoir été contacté par le Stade Toulousain après la fin de notre tournoi… il en rêvait, tu sais… le Stade, ça a toujours été notre équipe de cœur… et le rêve ultime, à tous les deux… on rêvait d’y jouer, ensemble, comme toujours… et maintenant que j’ai été recruté, et pas lui, cette frustration le rattrape… de plus, le ST c’est le Championnat de France… le Racing, c’est la Pro D2… on ne va même pas pouvoir jouer en tant qu’adversaires… ».
« Tu crois qu’il n’est pas heureux pour toi ? ».
« Si, quand même… il m’a félicité quand je lui ai annoncé la nouvelle… mais j’ai vite senti qu’au fond de lui, il y avait en colère… j’imagine bien ce qui doit se passer dans sa tête… il doit ressentir un sentiment d’injustice et d’échec… il doit en vouloir aux décideurs du ST… et il doit aussi m’en vouloir d’une certaine façon d’avoir accepté leur proposition… ».
« Mais pourquoi le Stade Toulousain n’a pas recruté Jérém, alors que c’est l’un des meilleurs joueurs de votre équipe ? ».
« Jéjé n’est pas l’un des meilleurs joueurs… Jéjé est de loin le meilleur joueur de notre équipe… c’est un champion… je pense que s’il a été laissé sur la touche, c’est plus à cause de son « caractère »… ».
« Comment ça ? ».
« Je ne parle pas de « mauvais caractère »… je parle de « caractère », dans le sens de dire tout haut les choses que trop de monde n’ose pas dire… ou dire trop timidement… après, bien sûr, il n’est pas champion de diplomatie… mais il a eu les couilles pour tenir tête à l’entraîneur… il n’était pas d’accord sur certaines stratégies de jeu et sur le choix de certains joueurs… et il l’a bien fait savoir… ».
« Il y a eu des accrochages ? ».
« Oui… mais le fait est qu’il avait raison… on a commencé à bien jouer à la mi saison, quand il y a eu des changements tactiques suite à plusieurs défaites… au fond, c’est pas seulement grâce à ses qualités de joueur que nous avons gagné le tournoi… mais aussi grâce à ses coups de gueule… des coups de gueule qui, au final, lui coûtent son recrutement au ST… si tu savais comment ça me fait chier pour lui… ».
« Je comprends… ».
« Quand le ST m’a contacté, j’ai de suite su que ça allait créer un gros malaise avec Jéjé… j’ai même hésité à accepter… ».
« Tu ne pouvais pas renoncer à ton rêve… tu l’aurais regretté toute ta vie… ».
« Non, bien sûr, je ne pouvais pas dire non à cette opportunité… mais, putain ! Je ne veux pas devoir choisir entre une carrière pro et mon meilleur pote ! ».
J’ai toujours vu mon pote Thibault bien dans ses bottes, plein de ressources, rassurant ; j’ai toujours vu en lui le gars pur qui il n’y a jamais de problèmes, que des solutions ; alors, de le voir si déstabilisé, ça fait mal.
« Jéjé ne va pas bien en ce moment… » il ajoute « j’ai peur qu’il fasse des conneries… j’ai peur qu’il lui arrive quelque chose… ».
Je suis interloqué par ses derniers mots ; je me dis que si le bomécano est autant angoissé au sujet de son pote, c’est qu’il a des raisons de l’être. Et je me laisse gagner à mon tour par l’inquiétude.
La cigarette rien qu’à moitié fumée écrasée dans le cendrier, ses doigts se baladent toujours nerveusement sur la canette. Après un instant de silence, lourd comme du plomb, il finit par lâcher :
« Nico… maintenant il n’y a plus que toi qui peut veiller sur lui… ».
« Mais pourquoi tu dis ça ? Vous êtes toujours amis quand même… ».
« Je ne sais plus où nous en sommes avec Jéjé… et… » s’arrête net le bomécano, l’air de plus en plus affecté par toute cette affaire, avant de continuer : « le rugby nous a rendu comme des frères, et maintenant, il nous éloigne… notre amitié en a vraiment pris un coup… je n’aurais jamais cru que ça arriverait… pourtant… il va falloir du temps pour que les choses se tassent… c’est pour ça que, pour l’instant, il n’y a plus que toi qui peut garder un œil sur lui… ».
« Qu’est-ce que je vais pouvoir faire, moi ? Il m’a largué comme une merde ! ».
« Tu lui manques, Nico… c’est aussi à cause de ça qu’il ne va pas bien… c’est beaucoup à cause de ça… ».
« Il t’en a parlé ? ».
« C’est sûr, tu lui manques… appelle-le… s’il te plaît… ça lui fera du bien… ».
« Je ne peux pas… je ne peux pas… il m’a fait trop mal, il m’a dit des choses horribles… il m’a dit de dégager de sa vie…
« Jéjé me fait penser à un animal blessé qui se débat, qui réagit par la violence contre quiconque veut l’approcher… » lâche Thibault.
Les mots de Thibault me touchent ; mais mon instinct de survie a encore le dessus :
« Si je l’appelle, je vais encore me faire jeter… de toute façon, il ne va même pas me répondre… ».
Thibault a l’air de plus en plus abattu et désarçonné. Le silence entre nous devient très vite insupportable.
« Il est grand, il sait ce qu’il fait… il ne va pas foutre en l’air son rêve… » je me surprends à tenter de rassurer mon pote Thibault, pour la toute première fois.
« Je l’espère… je l’espère… » fait le bomécano, la voix cassée par l’émotion.
Son inquiétude et son désarroi me touchent au plus haut point. Et cette petite larme que sa main s’est empressée d’essuyer avant qu’elle ne glisse sur sa joue, m’en arrache des dizaines et me vrille les tripes ; c’est bouleversant de voir un garçon comme Thibault si désemparé, laissant enfin paraître ses émotions.
Je me surprends à prendre ses mains entre les miennes, comme il l’avait fait lors de notre premier apéro, lors de mon coming out. Elles sont grandes, chaudes, puissantes.
Un contact qui, hélas, ne durera pas longtemps, car la sonnerie de son portable retentit bruyamment, et Thibault décroche en suivant.
« C’était la caserne… je dois partir en mission… » il m’annonce, en raccrochant.
« Je vais essayer de l’appeler… je te le promets… » je décide de prendre sur moi, face à la détresse de ce garçon en or.
« Merci, Nico… » fait-il en se levant de la table.
Nous nous prenons dans les bras ; et nous pleurons ensemble, en silence.
Je réalise à cet instant à quel point j’étais dans le faux dans l’interprétation de son attitude depuis deux semaines ; et à quel point j’ai été égoïste. Je me sens mal, et je m’en veux terriblement.
A aucun moment je n’ai envisagé qu’il pouvait être silencieux pour d’autres raisons que le fait d’être « déçu » par mon comportement vis-à-vis de son pote ; je pensais qu’il m’en voulait, alors qu’il ne savait même pas ce qui c’était passé ; j’ai pensé qu’il allait bien, alors qu’il était lui aussi particulièrement angoissé et déjà malheureux.
On se trompe souvent sur les intentions des gens, et rarement quelque chose se passe comme on l’avait imaginé : en tout cas, c’est souvent mon cas.
Mais comment imaginer qu’un gars comme Thibault, un mec d’habitude si bien dans ses baskets, quelqu’un qui semble si solide, sorte de pilier servant de repère à tous ceux qui ont la chance de le côtoyer : comment imaginer que SuperThibault puisse ne pas aller bien ?
Thibault est un homme, si jeune et pourtant si mûr, si solide et rassurant ; mais là, face à cette inquiétude qui le travaille, je découvre une toute autre facette de lui.
Je découvre qu’au-delà de ce physique de mec, de cette force, de cette virilité, de cette maturité, au-delà de ces bras dans lesquels on se sentirait à l’abri et en sécurité, se trouve un mec à la sensibilité à fleur de peau, comme une fragilité qui n’est en aucun cas faiblesse, juste l’expression la plus touchante de sa profonde humanité.
C’est un Thibault dont j’avais parfois imaginé l’existence, mais que là se révèle au grand jour. Et face à ça, je fonds.
Je quitte Thibault bien déterminé à tenir mon engagement : prendre des nouvelles de Jérém, coûte qui coûte.
Je marche, j’arrive au Grand Rond, je trouve un endroit tranquille, je tapote son numéro ; je l’appelle ; à la première sonnerie, mon cœur est déjà prêt à exploser.
Deuxième sonnerie : l’appeler, s’avère un exercice particulièrement difficile ; ma respiration est suspendue dans l’attente qu’il décroche ; entendre sa voix, ça va être une épreuve, tout comme « entendre » son silence.
Troisième sonnerie : je stresse, j’étouffe ; le simple fait de l’appeler, ravive ma souffrance. Pourquoi je m’inflige ça ?
Parce que si je ne tente rien, je risque de le regretter, et de souffrir encore plus longtemps après. En prenant les choses en main, en forçant le destin, je pourrai au moins me dire « j'ai essayé ». Même si ça ne marche pas.
C’est à la fin de la quatrième que ça décroche.
« Allo, bonjour ? » fait une voix… de cruche !
J’éloigne le téléphone de mon oreille, je regarde l’écran : il n’y a pas d’erreur, c’est le bon numéro.
« Allo ? Allo ? AAAAllooooo ! » j’entends se lâcher la voix de crécelle à l’autre bout des ondes.
« C’est qui ? » j’entends demander en arrière-plan par une voix de mâle. Illico, la vibration chaude et masculine de SA voix vient remuer d’infinies cordes sensibles en moi.
« C’est marqué « MonNico »… mais ça ne parle pas… c’est qui « MonNico » ? ».
« C’est personne !!! » assène-t-il, en mettant précipitamment fin à la communication.
Je glisse mon téléphone dans la poche comme un automate. Je suis sonné.
« MonNico » !!!! Ces 7 lettres résonnent à tout rompre dans ma tête et dans mon cœur. Sept lettres qui semblent tout dire, tout révéler de ce qu’éprouve Jérém, tout ce qu’il n’a jamais voulu admettre. Sept lettres qui semblent contenir toutes les réponses que j’attends depuis toujours.
Est-ce qu’il a vraiment pensé que je pouvais être son « MonNico », un Nico spécial à ses yeux, à l’instant où il a rentré ces sept lettres dans son répertoire ? Comment j’ai pu passer à côté de ça ?
De toute façon, si tant est que ça ait pu être le cas à un moment, ça a cessé de l’être après cette pipe manquée, après son recrutement au Racing, après notre dispute ; et encore plus, après le choc du recrutement de Thibault au Stade Toulousain, ce qui a dû bousculer complètement la priorité de ses soucis.
Désormais, c’est d’une nana dont il a besoin, apparemment ; une nana qui, dans ce moment de grands changements, de colère, de frustration, un moment où même son amitié avec Thibault est mise à mal, va le rassurer au moins en tant qu’hétéro ; une nana avec laquelle il venait peut-être de coucher pendant que je m’inquiétais pour lui.
Je savais que ce n’était pas une bonne idée de m’infliger le supplice d’aller vers lui.
Ce coup de fil m’a doublement blessé : car il m’a confirmé que je l’ai perdu, qu’il ne souhaite plus avoir de contact avec moi ; et aussi, que j’ai définitivement perdu le statut que j’ai peut-être eu un jour à ses yeux, sans m’en rendre vraiment compte, celui de « MonNico ».
Aujourd’hui, « MonNico », « C’est personne ». Personne. Ça calme.
J’envoie un sms au bomécano :
« Je l’ai appelé, c’est sa cruche qui a répondu, mais lui m’a raccroché au nez ».
« Je suis désolé Nico ».
Moi aussi je suis désolé que ça se termine de cette façon.
Le vent d’Autan souffle, souffle, souffle. Il souffle et il emporte mes derniers espoirs ; il souffle et il disperse mon amour.
Je vais tout faire pour t’oublier, mon Jérém : toi qui, pour ne pas être quitté, tu quittes.

Samedi 25 août 2001, 23h55.

Lorsque je pousse la porte du B Machine, je suis frappé de plein fouet par la puissance des décibels. A droite de l’entrée, un escalier s’enfonce dans le sous-sol : c’est de là que vient l’incessante vibration de la musique techno.
Mais dès qu’on avance un peu dans la salle, c’est une ambiance sonore plus apaisée qui est proposée aux clients : la magnifique « Angels » de Robbie Williams retentit dans la sono du haut.
Enveloppée par une lumière tamisée sur des tons bleutés, la salle se développe toute en longueur, bordée sur la droite par un bar presque entièrement occulté par les nombreux clients assis et débouts. Derrière le zinc, deux barmans et une barmaid s’affairent à servir tout ce beau monde.
En face, sur ma gauche, un alignement de petites tables, toutes bondées ; au fond, une porte battante semble donner accès aux toilettes.
C’est d’un pas incertain que je m’aventure dans cet espace inconnu, comme un lionceau qui, un peu méfiant, un peu craintif, pas vraiment rassuré, prendrait sur soi pour poser ses premières traces dans la poussière de la savane. Intimidé par ce terrain nouveau, j’avance lentement, sur mes gardes, tout en essayant de me familiariser avec le lieu et sa faune, une faune quasi exclusivement masculine.
Je ne sais pas si c’est à cause de mon air désorienté, ou de ma démarche un peu gauche, ou tout simplement du fait de mon statut de tête nouvelle ; j’ai l’impression d’être plongé dans une sorte de bocal, que les regards se tournent sur mon passage, et qu’on me toise de la tête aux pieds.
A vrai dire, j’ai peur qu’on me trouve ridicule. Je ressens un peu la même crainte qu’au lycée, dans les vestiaires : la crainte des quolibets : pd ! pd ! Sauf, bien évidemment, qu’à cet endroit je ne risque pas d’être traité de pd : qui pourrait donc lancer la première pierre ?!? Non, le risque c’est de faire office de papier peint ; le risque c’est que, après s’être aperçu de ma présence, personne ne la trouve intéressante. Qu’on se moque de moi parce que je ne suis pas assez branché…
Très vite je suis captivé par l’ambiance feutrée, par la déco, par la musique, par la présence de tous ces mecs ; je suis saisi par ce mélange de senteurs d’alcool, de fumée de cigarette, et de parfums et déos divers : bref, je suis happé par le son, l’image et l’arôme entêtante d’une soirée pleine de promesses.
Au fond de la salle, à côté du comptoir, un deuxième escalier s’enfonce lui aussi dans le sous-sol, tout en débitant le même boum boum techno que le premier ; ce qui me fait dire qu’il doit sans doute conduire au même endroit, c'est-à-dire une piste de danse.
Attiré par les basses puissantes, et par la curiosité de compléter la découverte du lieu, j’attaque la descente. L’escalier n’est pas illuminé, et à chaque marche la pénombre se fait un peu plus sombre ; tout comme, à chaque pas, la musique se fait un peu plus forte.
La première rampe débouche sur un palier, presque dans le noir ; j’arrive à discerner une ouverture donnant sur un espace encore plus sombre, une ouverture délimitée par d’épais rideaux faits de bandes souples de plastique translucide. Naïvement intrigué par cet endroit mystérieux, je n’aurai pourtant pas le loisir de mener bien loin mes investigations. Une priorité, une urgence indérogeable se présente à moi : une rythmique familière vibre sous mes chaussures et dans mon ventre, m’attirant irrésistiblement vers le sous-sol.
Je descends une nouvelle rampe ; marche après marche, le rythme se fait de plus en plus pressant ; jusqu’à ce que je débouche dans une grande piste de danse, aussi grande que la salle du haut, remplie de centaines de mecs serrés comme des sardines, s’agitant au rythme d’un immense tube que je ne connais que trop bien et qui commence par :

Hey Mister Dj, put a record on, I wanna dance with my baby
And when the music starts, I never wanna stop, It’s gonna drive me crazy
Music… music…
Music… makes the people came together… yeeeaaaah !
Music… mix the bourgeoisie and the rebels…

Presque un an déjà que ce titre est sorti et me voilà enchanté de découvrir qu’il tourne toujours en boîte de nuit : rien d’étonnant, il est tellement puissant, qu’il reste toujours d’actualité.
Alors je me laisse aller, je cherche à me glisser dans la piste et à me mélanger à la foule pour danser moi aussi sur ce tube phénoménal.
Je danse et je me sens bien, je danse et je me sens libre ; je danse pour essayer de m’enivrer de cette nuit, des lumières de la piste, de l’odeur du gaz de brouillard, de cette ambiance, de cet étourdissant parfum de fête. Je cherche à me mélanger, à me fondre dans la masse.
Je danse et je laisse mon regard divaguer ; je capte des regards, je surprends des regards venant à moi : c’est grisant.
La monumentale « Music » vient de se terminer, et je me laisse porter par le prochain tube ; danser me fait du bien, la puissance des décibels et le mouvement de mon corps m’aide à faire le vide, à ne plus penser au passé.
Je danse, tout en me disant à quel point j’aimerais qu’Elodie soit là avec moi, en train de danser et de déconner avec moi, comme c’était au « Fire », à Londres. Oui, là aussi j’avais été dans une boîte gay : mais c’était avec ma cousine, à une soirée Madonna ; et ce soir-là, j’avais juste envie de danser avec elles, tout en me berçant dans le bonheur d’imaginer mes retrouvailles avec mon Jérém à notre retour à Toulouse. Un bonheur qui m’est désormais interdit.
Alors je ferme les yeux pour freiner les larmes qui voudraient sortir, je pousse un immense cri silencieux pour me débarrasser de la solitude qui vient me trouver au beau milieu de cette piste bondée ; et je danse, toujours et encore, pour oublier, pour m’étourdir, pour m’épuiser, bien décidé à ne pas m’arrêter de sitôt.
C’est lorsque je rouvre les yeux, que je capte son regard fixe et insistant : le dos appuyé au mur, installé à côté de l’escalier par où je suis venu, un mec est en train de me dévisager. Il me regarde, je le regarde, il me sourit ; je le regarde toujours, en essayant de savoir pourquoi cette tête ne me parait pas inconnue.
Il me faut quelques instants avant que ça fasse « tilt » dans ma tête.
Bien sûr que sa tête ne m’est pas inconnue : oui, je connais ce mec qui est en train de me faire un petit coucou en levant son verre dans ma direction. Je quitte la piste pour aller lui dire bonjour.
« Hey, salut, comment tu vas ? » fait-il, tout pimpant, en me claquant la bise.
« Bien et toi ? ».
« Bien, bien… alors, qu’est-ce que tu deviens ? ».
« Ça va, j’ai eu mon bac, je passe bientôt mon permis, et à la rentrée, je vais aller à la fac à Bordeaux… ».
« C’est cool… et tu vois toujours mon cousin ? ».
Direct le sujet que je voulais éviter. Je savais que ce n’était pas un bon plan d’aller parler à Guillaume.
« Non, je ne le vois plus… » je coupe court.
« Ah, dommage… ».
« Tu es au courant qu’il a été recruté par un club de rugby à Paris ? » je tente de dévier le sujet.
« Non, je ne savais pas… je n’ai plus de nouvelles de lui… il va quitter Toulouse, alors ? ».
« C’est ça… » je fais, sans joie.
« Ne sois pas triste, tu trouveras d’autres mecs… t’es bogoss… » fait-il, avant d’enchaîner : « vous vous êtes revus souvent après ce soir-là ? ».
« Oui, pas mal de fois… ».
« T’en as, de la chance, toi… ».
« Mais elle est finie, la chance… il est revenu aux meufs… ».
« Tu sais… il est hétéro… parfois les hétéros font un petit détour pour aller voir des mecs… mais ils restent hétéros… et il n’y a pas de remède pour ça, hélas… ».
« Et toi, tu l’as… revu, après ce soir-là ? ».
Je ne sais pas pourquoi je me lance dans ce genre de question dont la réponse peut potentiellement faire mal.
« Non, jamais… et c’est pas faute de lui avoir proposé pourtant… ».
« Tu lui as proposé ? ».
« Oui… ça t’embête ? ».
« Un peu… je suis amoureux de lui… enfin… je l’étais… bref… de toute façon, ça n’a plus d’importance… ».
« Moi aussi je suis amoureux de lui, depuis tellement longtemps… bien avant le lycée… alors, techniquement, c’est moi qui l’ai vu en premier… alors, il est à moi… » il rigole ; avant de continuer plus sérieusement : « mais il faut croire qu’il te kiffe davantage qu’il me kiffe… ».
« Et tu avais déjà couché avec lui avant ? ».
Je ne sais toujours pas pourquoi je me lance dans ce genre de questions…
« Non… enfin… oui… je l’ai sucé quelques fois, l’année dernière… mais il n’a jamais voulu me baiser… à part la fois où tu es venu… ».
… dont la réponse peut potentiellement faire mal. Et ça fait mal.
« Mais tu m’avais dit que c’était la première fois que… ».
« Les pipes, ça compte pas… ».
« Si tu le dis… ».
Définitivement, ce n’était pas un bon plan d’aller parler à Guillaume. Parfois, il faut savoir être impoli.
Découvrir que Jérém s’est fait sucer par un mec avant moi, ça me fait mal ; à côté de ça, même le fait qu’il n’a jamais cédé aux avances de son cousin après ce soir-là, ne ressemble à mes yeux qu’à un petit lot de consolation.
Déjà qu’à la base je n’ai pas envie de parler de Jérém, j’ai de plus en plus envie de mettre fin à cette conversation qui, réplique après réplique, m’enfonce le moral. J’ai besoin de prendre l’air.
« Je vais te laisser, je vais prendre un verre à l’étage… ».
« Je t’accompagne… ».
« Je vais retrouver des potes… » je mens promptement « je ne sais pas si on va rester longtemps… ».
« Ah… ok… à un de ces quatre, alors… » fait-il, visiblement déçu.
« Oui… c’est ça… ».
Je remonte l’escalier, j’approche du comptoir et je commande mon mojito en pensant une fois de plus à Elodie, tout en savourant le soulagement de m’être débarrassé de Guillaume.
Mon répit ne sera que de courte durée : j’attends ma boisson, lorsque mon regard tombe sur un mec assis à une table avec des potes ; c’est un mec barbu, beau comme un Dieu ; nos regards se croisent, le sien semble me toiser, me caresser, me déshabiller : ce qui est plutôt flatteur, vu le spécimen.
Le fait est que ce mec non plus ne m’est pas totalement inconnu : et que là encore, je n’ai pas envie de provoquer des retrouvailles qui finiraient inévitablement par ressasser les souvenirs d’une autre nuit torride dans l’appart de la rue de la Colombette.
Je tente de détourner mon regard, mais il est déjà trop tard : du coin de l’œil, je vois le mec se lever et approcher inexorablement.
« Salut ! » fait-il, la voix chaude et charmante, en approchant sa joue de la mienne pour me faire la bise. Le contact avec sa barbe bien fournie et très douce me donne des frissons.
Frissons qui me transportent à une nuit où Jérém m’avait traîné au On Off ; le On Off où, justement, nous avions croisé la route de ce bobarbu.
Je repense au On Off et à cette maudite back room dans laquelle Jérém m’avait dégagé avant de s’éclipser avec deux mecs ; je repense à mon départ de la boîte, le bobarbu aux trousses, à ma difficulté à lui faire comprendre que je ne suis pas d’humeur à le suivre chez lui ; je repense à Jérém qui attend à l’extérieur, et qui propose à l’autre d’aller chez lui, qui me propose de me joindre à eux ; je repense au duel d’étalons pour savoir qui serait le « plus mâle » au lit ; à Jérém qui m’offre à cet inconnu, comme un lot de consolation, comme s’il s’en foutait de moi ; je repense à sa jalousie pendant que le bobarbu me baise ; à la provocation de ce dernier avant de partir ; à Jérém qui veut le cogner et qui se fait maîtriser ; je repense au bobarbu qui lui balance ses quatre vérités au sujet de son arrogance et de son manque de consideration à mon égard.
Et je repense à Jérém hors de lui après le départ de ce mec ; Jérém qui me demande pourtant de rester dormir, ce qui permettra à cette nuit magique d’exister, nuit magique où nous avons partagé, en plus du sexe, de la tendresse, des confidences, un petit début de complicité ; une nuit où je l’ai senti si proche, si humain, pour la première fois.
Pourtant, lorsque je m’étais réveillé le matin suivant, Jérém était parti. Je n’ai jamais su pourquoi.
Nuit magique, nostalgie terrible.
« Salut… » je finis par répondre au sexy Romain, tout en revenant de mes rêveries.
« Comment ça va depuis le temps ? ».
« Euh… bien… on va dire… et toi ? ».
« Ça gaze… mais dis-moi, tu es seul ici ou bien tu es venu accompagné de ton chéri ? ».
Et de deux. Il m’énerve déjà.
« C’est pas mon chéri… ».
« Ah bon, je croyais… ».
« Je suis seul… » je coupe court.
« Tu l’as laissé chez lui ? ».
« Je ne le vois plus… ».
« Tu l’as enfin largué ? T’as bien fait ! Il ne te mérite pas ce mec… ».
« C’est lui qui m’a largué ! ».
« Je pense que c’est le mieux qu’il pouvait faire… ce mec n’avait aucune considération pour toi… ».
« Arrête, tu sais pas de quoi tu parles… » je lâche, agacé.
« J’espère que ce n’est pas ce que je lui ai balancé ce nuit-là qui a pas foutu la merde… » il ricane.
« Non, au contraire, ça nous a rapprochés… quand tu es parti, j’ai passé la nuit avec lui, et ça a été la plus belle nuit que nous avons passé ensemble… ».
« Ah, c’est nouveau ça… moi qui joue les Cupidons en jouant un plan à trois… j’aurai tout entendu ! ».
« De toute façon, c’est fini… ».
« Alors, que s’est-il passé ? ».
« Je prends un joker, s’il te plaît… ».
Mon mojito arrive enfin.
« C’est si dur pour toi ? ».
« Laisse tomber, va ! ».
« Tu le kiffes vraiment, hein ? ».
« Je le kiffais… ».
« Tu le kiffes toujours… ».
« Mais je suis le seul à kiffer… ».
« Mais lui aussi il te kiffe… il était jaloux à mort de nous voir coucher ensemble… mais il n’avait pas les couilles d’assumer qu’il tient à toi plus qu’il n’ose se l’avouer… une fois de plus, ce mec ne te mérite pas… ».
« Il faut croire… ou alors c’est moi qui ne le mérite pas… ».
« Ne dis pas ça, tu es un bon mec… j’en connais pas beaucoup de mecs amoureux comme toi qui supporteraient que leur mec leur fasse ce qu’il t’a fait… inviter un mec chez lui sans te demander ton avis, baiser avec, devant toi, puis le laisser te baiser, toujours sans te demander ton avis, en faisant mine de s’en foutre… je trouve qu’il a été horrible avec toi… moi, à ta place, je lui aurais mis une torgnole… mais toi, toi tu as tenu bon… s’il ne sait pas se rendre compte de la chance qu’il a, c’est qu’il n’en vaut pas le coup, un point, c’est tout ! ».
Il ne me mérite pas, il n’en vaut pas le coup : si seulement ces arguments suffisaient à calmer ma tristesse et ce sentiment d’abandon qui me hante.
J’ai envie de pleurer en pensant à cette nuit déjà lointaine où j’ai été si bien avec Jérém.
« Tu fais quoi, après ? ».
« Je ne sais pas… rien, je crois, je vais rentrer, je suis fatigué… ».
« Moi, je vais partir… viens prendre un verre chez moi… ».
« Je ne sais pas si c’est une bonne idée… ».
« Pourquoi ça ne le serait pas ? ».
« Je ne suis pas dans mon assiette ce soir… ».
« Allez, secoue-toi, tu ne vas pas te laisser gâcher la vie par ce type qui couche avec tout ce qui bouge ! ».
« De quoi tu parles ? ».
« Quand on s’est rencontrés au On Off, j’avais eu l’impression d’avoir déjà vu ce mec… ».
« Où, ça ? ».
« Dans « le milieu »… ».
« Dans le milieu gay ??? ».
« Ouaisss… ».
« Tu te trompes… ».
« Non, je ne crois pas… je n’oublie jamais les visages, ni les corps, même habillé, d’un bomec… je m’en suis souvenu le lendemain… c’était à la Ciguë, au mois de juin dernier… un dimanche soir, je crois… et il est reparti avec un mec, un pote à moi… ».
« T’es sûr de toi ? » je me décompose.
« J’ai revu ce pote quelques temps après le plan avec vous deux et je lui en ai parlé… quand je lui ai décrit le type… il s’appelle Jérémie, c’est ça ?... et que je lui ai parlé de l’appart rue de la Colombette, il m’a dit qu’il s’était fait baiser par le même mec, au même endroit… ».
J’ai envie de vomir. Ainsi, Jérém ne m’a pas mitonné juste pour me faire du mal. Il a vraiment couché avec d’autres mecs. Lui qui ne veut pas être pd ! Quel connard, mais quel connard !
Mais pourquoi, pourquoi, pourquoi je me suis infligé ça cette nuit ? Pourquoi je ne suis pas resté dans mon lit à me branler ? Vraiment, j’avais besoin de tout sauf de connaître les exploits gays de mon…ex.
J’ai chaud, j’étouffe.
« Allez, viens prendre un verre à la maison ! ».
« Je vais retrouver des potes en bas… ».
« Comme tu voudras… ».
L’arme fatale des potes qui m’attendent marche à tous les coups.
Je traverse la salle sans trop regarder autour de moi, pressé de m’éloigner de Romain ; dans mon empressement, je ne fais pas gaffe au mec avec la chemise à petits carreaux noirs et blancs installé debout devant le comptoir, et que je le frôle involontairement au passage.
Le mojito à la main, je m’enfonce à nouveau dans le sous-sol. Le mojito est la seule raison pour laquelle je ne quitte pas illico le B Machine pour rentrer chez moi ; en descendant les marches, je me rends compte que je risque de recroiser Guillaume, chose dont je n’en ai franchement pas envie.
Deux mecs surgissent à l’improviste dans le noir, de derrière les rideaux plastique du palier ; dans leur élan, ils manquent de me faire renverser mon verre. Le premier, un petit blond, s’excuse, tout en remontant l’escalier ; le deuxième trace son chemin ; pendant une fraction de seconde, nos regards se croisent. Visage connu, physique connu, mec connu. Est-ce qu’il m’a seulement reconnu, lui ? Rien dans son attitude ne le laisse présager. Dans son regard, que de l’indifférence ; comme si j’étais transparent.
Pourtant, moi je l’ai bien reconnu ; le revoir, me replonge direct dans le mauvais souvenir d’une nuit où je me suis fait jeter par Jérém ; une nuit où, pour échapper à ma tristesse, je me suis laissé faire par ce mec qui m’a mis à la porte dès qu’il eu ce qu’il voulait.
Il fallait que Mourad soit là, lui aussi, cette nuit. Fidèle à lui-même, d’ailleurs, sortant de la backroom du B Machine en compagnie de son plan Q du soir.
Sur la piste de danse, toujours aussi bondée, la musique martèle dans ma tête en amplifiant les battements de mon cœur. Je danse et je laisse une fois de plus mon regard parcourir le paysage : tant de mecs, quelques caricatures, parfois des bogoss ; mais, surtout, tant de mecs normaux, cherchant juste à échapper à la solitude d’un samedi soir.
Tant de mecs, mais pas la force de tenter d’accrocher un regard, te tenter une approche. Il n’y a qu’un mec dont j’ai envie et ce mec m’est désormais inaccessible. Dans cette salle bondée de monde, je me sens seul comme je ne me suis jamais senti seul de ma vie.
Croiser Mourad, m’a fait penser à ce dont je n’ai pas envie. Du sexe, du pur sexe. Pourtant, au fond, je suis venu un peu pour ça. Me sentir attirant, savoir que je plais. Chercher à noyer ma détresse dans une nouvelle rencontre sensuelle. Je ne suis pas guéri de mon amour pour Jérém et je ne suis pas prêt à aimer à nouveau. Pourtant, baiser pour baiser, je ne peux pas : un autre « Mourad », non, pas ce soir, je m’en sens incapable.
J’avale rapidement ma boisson et je remonte les escaliers. Je laisse mon verre au bout du comptoir ; et alors que je m’apprête à quitter les lieux, j’entends mon nom balancé au milieu des décibels.
« Nico ! Nico ! ».
Je me retourne ; un mec me regarde et me sourit. À travers des lunettes carrées lui donnant un look étudiant-intello sexy, ses yeux marron foncé me fixent ; son regard intense, charmant et charmeur, aimante le mien ; son sourire, brûlant comme le soleil du mois d’août, m’aveugle.
Sa chemise à petits carreaux noirs et blancs, parfaitement ajustée à sa plastique, les manches retroussées jusqu’aux coudes – chemise estampillée du logo à l’effigie d’un fameux reptile – retombe sur un beau pantalon marron-orange ; à son poignet, une belle montre de mec ; ses beaux cheveux châtains souples, bouclent légèrement sur le dessus ; alors que sa barbe brune, drue et bien taillée, donne du caractère à sa mâchoire par ailleurs très virile.
Bref, dans son look élégant et décontract à la fois, le mec en jette. Car le type, il a la classe : définitivement, Martin est le genre de garçon qui attire le regard, comme un rideau blanc la lumière du soleil.

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Texte coquin : Boucler la boucle (première partie)
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