Jérém&Nico - 0401 Seul le temps apaisera la blessure.

- Par l'auteur HDS Fab75du31 -
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Récit libertin : Jérém&Nico - 0401 Seul le temps apaisera la blessure. Histoire érotique Publiée sur HDS le 03-02-2024 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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Jérém&Nico - 0401 Seul le temps apaisera la blessure.
Automne 2007.

Il y a des garçons, comme lui, dont la simple présence nous explose violemment à la figure au premier instant. Elle nous interpelle, car elle fait vibrer toutes nos cordes sensibles à l’unisson.
Il y a des yeux, comme les siens, qui nous happent, nous aspirent, nous étourdissent. Des yeux dans lesquels on se noie au premier regard. Et les siens sont bleus, fabuleusement, scandaleusement bleus.
Je ne parle pas d’un bleu azur, ni d’un bleu gris. Je veux parler d’un bleu profond, intense, déroutant, un bleu d’océan qui fascine, émeut, envoûte, remue les tripes d’une façon presque douloureuse. Un bleu qui ressemble à une promesse, celle d’une infinie douceur, celle d’un bonheur sans limites. Un bleu qui fait tout bonnement chavirer l’esprit.

Précédemment, dans Jérém&Nico :

Après des révisions pour le bac tout aussi intensément sexuelles que sentimentalement houleuses, un premier clash s’était invité entre Jérém et moi et nous avait conduits à une première, violente séparation.
Puis, des retrouvailles magiques à Campan nous avaient permis de nous dire notre amour et de l’assumer sous le regard bienveillant des cavaliers de l’ABCR.
Hélas, après cette parenthèse enchantée, la géographie s’était chargée de compliquer la relation entre mon beau brun et moi. Sa carrière professionnelle au rugby l’avait amené à jouer à Paris, tandis que mes études m’avaient fait atterrir à Bordeaux.
Mais la géographie n’était pas le seul obstacle qui s’était interposé entre nous, et certainement pas le plus insurmontable. Mon désir de nous voir régulièrement et d’avoir une vie de couple s’était vite heurté à la nécessité de discrétion du sportif professionnel. Le monde sportif n’est pas un environnement propice à assumer une attirance pour les garçons. En gros, le choix est imposé entre une carrière professionnelle et l’épanouissement personnel. Très dur à gérer quand on a vingt ans.
Cette situation a eu de lourdes répercussions sur notre relation, nous amenant à des prises de tête, à des éloignements qui ressemblaient à des ruptures, et à des jours bien sombres.
Oui, j’en ai voulu à Jérém de ne pas assumer notre relation, mais j’ai fini par m’y faire. C’était la condition nécessaire pour ne pas le perdre.
Puis, l’accident était survenu. Devant les caméras, mon beau brun avait été fauché par un joueur indélicat. Et une méchante blessure au genou avait mis en sérieux péril la suite de sa carrière.
Il s’ensuivit des mois difficiles, des mois pendant lesquels j’étais resté à ses côtés malgré sa négativité, son agressivité, et son apparente ingratitude.
Mais Jérém avait fini par surmonter cette épreuve. Il avait également réalisé à quel point je m’étais dévoué pour lui et il avait fini par m’en remercier. Il me semble que cela avait provoqué un déclic dans sa tête, un déclic qui l’avait amené à assumer davantage notre relation.
A partir de son retour sur le terrain après l’accident, Ourson et P’tit Loup avaient enfin évolué en parfaite harmonie. En témoignent nos vacances en Italie, en Islande, au Québec, en France, nos séjours chez mes parents ou dans le domaine viticole de son père.
Nous avions trouvé un rythme de croisière qui nous allait à tous les deux, et rien ne semblait pouvoir nous ravir notre bonheur. Hélas, il a suffi qu’un soir on baisse un peu notre garde, il a suffi d’un baiser échangé dans une rue de Paris, pour que tout bascule.
L’agression homophobe dont nous avons été victimes le soir de ses vingt-cinq ans a sonné le début de la fin de l’« épopée » d’Ourson et P’tit Loup. Elle a marqué la fin de notre bonheur.
Ça a été difficile de surmonter cette violence, cette injustice, cette haine gratuites et injustifiées. Et ça l’a été d’autant plus pour Jérém qui, suite à cette agression, a été outé dans le milieu sportif.
Jérém a subi la double peine, celle de se faire agresser parce qu’homo, et celle de voir sa carrière lui échapper pour cette même raison.
Oui, mon beau brun a eu beaucoup plus de mal que moi à remonter la pente. Une fois de plus, il s’est renfermé sur lui-même, et cela l’a éloigné de moi. Quand Jérém va mal, il fait le vide autour de lui. Et cette fois-ci, il allait vraiment mal.
Même plusieurs mois passés en Australie pour changer d’air, bien que riches en expériences en tout genre, n’ont pas suffi par faire revenir l’ancien Jérém, le Jérém assuré, bien dans ses baskets, confiant en l’avenir. Et amoureux.
A son retour, il m’avait invité dîner dans un resto de la Ville Rose. C’était le 23 août 2007. Puis, il m’avait proposé d’aller marcher sur les quais de la Garonne. Et il m’avait annoncé son intention de quitter le rugby professionnel. Il estimait en effet qu’il ne se sentirait plus jamais à l’aise sur un terrain ou dans un vestiaire.
Après que je lui ai opposé qu’il ne serait pas heureux en renonçant au rugby, il avait fini par m’avouer qu’il avait une opportunité de jouer en Angleterre. Mais qu’il ne souhaitait pas la saisir pour autant. Et qu’à la place, il se contenterait d’un emploi de commercial à Paris.
— Pourquoi tu ne veux pas donner suite à la proposition de l’équipe anglaise ? je l’avais alors interrogé.
— Parce que je n’en ai pas envie !
— Je vois bien que tu crèves d’envie de rejouer et de foutre le camp d’ici !
Puis, au prix d’un effort dont je ne me serais pas cru capable, je lui avais lancé :
— Si tu restes pour moi…
— Arrête, Nico ! il m’avait coupé net.
— Ecoute moi, Jérém. Si tu restes pour moi, c’est pas le bon choix. Tu vas te rendre malheureux et tu vas nous rendre malheureux.
Et là, après un silence qui m’avait paru interminable, je l’avais entendu me glisser, la voix pleine d’émotion :
— Et nous deux ?
J’avais alors repensé aux mots du pauvre M. Charles de l’hôtel à Biarritz, à son regret de ne pas avoir suivi l’amour de sa vie au bout du monde. Et je lui avais balancé, sans hésiter un seul instant :
— Emmène-moi avec toi !
— Nico… ici tu as un travail qui te plaît, tu as ta famille, tes amis. Tu ne vas pas quitter tout ça pour venir avec moi.
— Je peux le faire, il suffit que tu en aies envie.
— Je ne suis même pas certain que ça marcherait là-bas, je ne peux pas te demander de me suivre alors que je ne sais pas où je vais.
— L’Angleterre n’est pas à l’autre bout du monde, nous trouverons le moyen de nous voir, j’étais arrivé à articuler de justesse, alors que les larmes coulaient déjà sur mes joues.
Jérém m’avait pris dans ses bras, m’avait serré très fort contre lui et m’avait chuchoté, les lèvres très près de mon oreille :
— Je t’aime, Ourson. Et je crois bien que je ne t’ai jamais autant aimé qu’à cet instant.
— Ne m’oublie pas, Jérém, je lui glisse, comme une bouteille à la mer, comme une prière.
— Je ne sais pas encore si je vais accepter, je dois y réfléchir.
— Quoique tu décides, ne m’oublie pas !
— Ça, ça ne risque pas. Tu es la meilleure chose qui me soit arrivé dans la vie. Tu seras toujours avec moi ! Je ne t’oublierai jamais ! Jamais !
Et, ce disant, il avait glissé ses doigts dans l’ouverture de sa belle chemisette, il avait saisi la chaînette que je lui ai offerte pour ses vingt ans et il me l’avait montrée.
Je me souviens que pendant que nous remontions vers la place du Capitole, je sentais l’air frais de la nuit caresser ma peau. Il m’apportait un étrange frisson, une sensation de vide, de manque, de déchirement. Jérém était encore là, il marchait à côté de moi, mais j’avais l’impression qu’il était déjà loin. J’avais l’impression que j’étais en train de vivre un adieu.

Automne 2007.

Je suis sur la plage, nous sommes seuls sur la plage. Il fait beau, mais la chaleur n’est pas étouffante. Le bruit du ressac est une douce musique qui berce mon esprit. Une légère brise caresse ma peau, éveille mes sens. Tout comme le fait ce garçon, un petit dieu à la peau mate et au t-shirt blanc bien ajusté à sa plastique de rugbyman, qui vient de se glisser sur moi.
Je sens le poids de son corps sur le mien, la chaleur de sa peau contre la mienne, la puissance de sa musculature, l’intensité de sa virilité qui m’enveloppe. Je suis bouleversé par sa sexytude, sa sensualité, sa fougue. L’intensité du désir qu’il m’inspire ravage mes entrailles. J’ai envie de lui à en crever.
Il m’embrasse longuement, me laissant me consumer dans mon désir proche de la folie.
Son t-shirt finit par voler, et le bogoss par venir en moi. Je le regarde, le torse bien droit, envoyer ses coups de reins réguliers, ni trop lents ni trop rapides, juste comme il faut pour m’offrir le plus intense des plaisirs. Celui qui prend sa source entre mes fesses, embrasées par la présence de sa queue, et qui irradie dans tout mon corps.
Mais le plaisir est aussi dans mes yeux, car regarder un si beau garçon prendre son pied, en moi qui plus est, constitue une bien bonne idée du bonheur. Je suis hypnotisé par l’ondulation de ses reins, de son corps tout entier. Je suis fasciné par les expressions du plaisir qui traversent son visage. Je suis follement excité par le souffle de sa respiration, par ses ahanements qui se mélangent au va et vient des vagues.
Et je suis intrigué par son plaisir, je guette les signes annonçant son orgasme, à la fois impatient de le voir arriver, comme le plus beau et éphémère des feux d’artifices, et redoutant son arrivée, synonyme de fin de cette séance de bonheur sensuel.
Le plaisir est également dans la paume de mes mains, au bout de mes doigts, quand je cède à l’envie brûlante de tâter ses biceps, ses pecs, ses abdos.
Il est aussi sur mes lèvres, et partout ailleurs sur ma peau où le bogoss a envie de poser les siennes de temps à autre.
Il est sur ma peau, là où ses mains, ses abdos, ses pecs décident de se poser, de frôler, de caresser au gré de son excitation.
Faire l’amour avec Jérém a toujours été un feu d’artifice. Il a toujours été principalement actif, et moi passif. Nous avons parfois inversé ces rôles. Mais il est clair que nos anatomies ont été conçues pour s’emboîter de cette façon, Jérém en moi avec bonheur, et moi l’accueillant avec tout autant de bonheur.
Son orgasme finit par arriver. Ses coups de reins ralentissent, s’espacent, jusqu’à se synchroniser avec les contractions involontaires de son visage, elles-mêmes calées sur le rythme des giclées chaudes qu’il est en train de décharger en moi.
Jérém vient de jouir et…

Et je me réveille en sueur et en moiteur, seul dans mon lit, la queue raide serrée entre mes doigts. Et je ne peux que continuer de me branler pour évacuer cette trique, tout en essayant de revenir dans le rêve, tout en essayant d’imaginer très fort qu’il soit là, avec moi, en moi. Si je me concentre très fort, pendant que je me branle, j’ai l’impression que ma rondelle se souvient de son gabarit, de ses va-et-vient.
Pendant le temps de l’excitation, c’est le Jérém bon baiseur qui me manque affreusement. Son corps, sa queue, son plaisir, son jus.
Mais après avoir joui vient la tristesse, l’abattement, les larmes. Parce que, désormais, c’est P’tit Loup qui me manque, sa présence, son sourire, notre tendresse, ma moitié. A deux, on est plus forts. Seul, je me sens perdu.

Comment il me manque, ce garçon !

Septembre 2007

Et Jérém a bien fini par partir jouer en Angleterre. Je ne sais pas combien ma bénédiction a pesé dans sa décision. Je ne sais pas à quel point il était prêt à renoncer au rugby, à se rendre malheureux pour ne pas s’éloigner de moi, de nous. Je n’ai pas voulu le savoir, je n’ai pas voulu le rendre malheureux. Ça n’aurait servi à rien, je l’aurais perdu quand-même. Il n’y a rien de plus triste qu’un oiseau en cage. J’ai pris sur moi, j’ai ouvert la porte, et je l’ai invité à prendre son envol.
Alors, après un instant d’hésitation, il l’a pris. Jérém est parti pour Londres quelques jours à peine notre soirée à Toulouse.
Il ne m’a pas prévenu, on s’était tout dit au bord de la Garonne lors de ce fameux soir après son retour d’Australie. Il n’aurait servi à rien de reparler de ça, de nous redire adieu. Ça aurait surtout été trop dur.
J’ai respecté son souhait de ne pas rendre les choses encore plus difficiles. Je me suis fait violence, je ne l’ai pas appelé non plus. Ça a été dur, mais j’ai tenu bon.
Son départ, je l’ai appris dans la presse sportive.

Samedi 15 septembre 2007.

Je n’ai eu de ses nouvelles que trois semaines plus tard, le soir de mon anniversaire. Car, à ma grande surprise au vu de son silence depuis cette fameuse soirée, il ne l’a pas oublié. Son coup de fil m’émeut aux larmes, j’en ai le souffle coupé.
Jérém me parle de son installation en Angleterre, il a l’air enthousiaste, je suis heureux pour lui. Mais il me manque à en crever. Le moral remonté à bloc par ce coup de fil inattendu, je me surprends à espérer à nouveau. J’essaie d’envisager un week-end à Londres pour son anniversaire dans un mois.
Mais mes espoirs sont vite douchés, car Jérém ne semble pas très chaud à l’idée, prétextant des entraînements particulièrement intenses en vue de son premier match à venir prochainement.
J’ai l’impression de revivre les premières semaines de son installation à Paris cinq ans plus tôt, lorsqu’il était tout absorbé par sa nouvelle vie, au point de ne plus vraiment avoir de place pour moi.
— Tu me manques !
— Toi aussi tu me manques.
— Je t’aime, P’tit Loup !
— Je te rappelle dès que possible, promis.
Je note qu’Ourson ne fait plus partie de son vocabulaire. Et que les trois petits mots qui mettent un garçon complètement à nu et qui appellent les mêmes en retour, n’ont pas généré la réaction attendue.
J’essaie de m’accrocher à sa promesse pour me rappeler de ne pas me noyer dans une tristesse sans fond. Mais ça ne suffit pas. C’est quoi, c’est quand, « dès que possible » ?
Le soir de mes 24 ans, j’ai très envie de pleurer.

Octobre 2007.

Pendant des jours et des semaines j’attends son coup de fil, en vain. J’essaie aussi de l’appeler. Je tombe immanquablement sur son répondeur. Je n’ai en retour que de rares messages me répétant qu’il est très occupé et me promettant qu’il me rappellerait toujours « dès que possible ».
Mais les semaines passent, et c’est toujours silence radio. Pire que ça, début octobre, il arrête carrément de répondre à mes messages.
Je vis très mal cette période, j’ai le sentiment que je suis en train de le perdre, de perdre l’amour de ma vie, à tout jamais. Je me dis qu’il va m’oublier, que c’est fini, vraiment fini, pour de bon.
Pourquoi m’avoir appelé pour me souhaiter bon anniversaire si c’est pour me laisser tomber comme une merde juste après ?
Je dors très difficilement, au boulot je ne suis pas concentré. J’enchaîne les boulettes. Je finis par me faire rappeler à l’ordre par ma responsable.
Je suis très malheureux. La seule chose qui me donne un peu de réconfort est de savoir Jérém heureux. Enfin, j’espère qu’il est heureux. Je suis content de l’avoir poussé à saisir cette opportunité.
Pour être honnête, je suis partagé entre le bonheur de savoir qu’il a une possibilité de s'en sortir et la tristesse de contempler des milliers de bornes supplémentaires nous séparer.
Je pleure son absence à chaudes larmes. Et je finis par cesser d’envoyer des messages qui demeurent sans réponse. Ça ne sert à rien de le harceler. L’attente à chaque fois déçue m’est de plus en plus insupportable.

Mardi 16 octobre 2007.

Aujourd’hui, Jérém a 26 ans. Pour son anniversaire, je compose son numéro pour la première fois depuis des semaines. Et là, une surprise m’attend. Mais pas le genre de surprise qu’on aime recevoir.
Son numéro composé, au lieu de tomber sur la tonalité bien connue avant d’arriver éventuellement jusqu’au répondeur, je tombe direct sur une voix féminine enregistrée qui m’annonce :

« Le numéro que vous avez composé n’est pas attribué ».

Un vertige incontrôlable se saisit instantanément de mon esprit. J’ai l’impression que tout s’effondre autour de moi.
Je relance la numérotation, et je tombe à nouveau sur la pouffe enregistrée. J’appelle aussitôt Maxime pour savoir s’il a des nouvelles de son grand frère.
— Jérém ne va pas très fort en ce moment. Il a du mal à s’intégrer dans l’équipe et à s’adapter au rugby anglais. Il n’a pas encore joué et il ne sait pas quand il va jouer. Il est très remonté…
Maxime me passe également le nouveau numéro de portable de son frère, un numéro commençant par « 0044 ». Un numéro étranger, qui matérialise un peu plus encore la distance entre Jérém et moi.
Je prends une respiration profonde, je retrouve un instant de lucidité. Au fond, c’est logique, Jérém réside désormais au Royaume Uni, normal qu’il ait troqué son numéro français par un numéro anglais. Ce qui me rend triste, triste comme les pierres, c’est qu’il n’ait pas pensé à me le dire, comme s’il avait voulu marquer encore plus cette nouvelle distance entre nous. Sans le fil invisible représenté par une ligne téléphonique, il n’y a plus aucun lien entre Jérém et moi.
Je suis triste et déçu, mais je ne baisse pas les bras pour autant. Aussitôt après avoir raccroché avec le frère cadet, j’essaie d’appeler l’aîné. La tonalité anglaise, plus nerveuse et aiguë que la française, pique mes oreilles et remue mes tripes jusqu’à que le répondeur prenne le relais.

— The customer you’ve dialed is not available at the moment. Please hung up and try again.

« Le client que vous avez appelé n'est pas disponible pour le moment. Veuillez raccrocher et réessayer ».

Zut, alors, je n’ai même pas droit à la voix de Jérém, mais à celle d’une autre pouffe, une english pouffe, enregistrée.
Je réalise à quel point ça me manque d’entendre sa voix. Ça fait bien trop longtemps qu’elle n’a pas caressé mon oreille et fait vibrer mon esprit. Au cours de l’été, pendant son voyage en Australie, j’ai regardé en boucle les quelques vidéos faites avec mon appareil photo numérique au Québec, j’ai pleuré devant ces images, devant sa présence, son sourire, sa voix.
Mais depuis notre soirée à Toulouse, j’ai cessé de les regarder. J’ai cessé quand j’ai commencé à craindre et à croire qu’entre Jérém et moi ça pourrait bien être fini. Depuis notre dernière soirée à Toulouse, je retiens mon souffle, comme en apnée. Au fond de moi, je me prépare au deuil de notre amour.
A l’écoute de ce message, je suis tellement désarçonné que je n’ai même pas la présence d’esprit de laisser un message. Je raccroche.
Soudain, je repense à une chanson sortie deux ans plus tôt, et dont l’un des remix se termine justement avec ces mots :

— Please hung up and try again.

https://youtu.be/4MK8q5EJPAU?t=471

Soudain, une note positive trouve le moyen de faire surface et d’apporter un « Ray of Light » dans mon « Drowned World » actuel. Depuis quelque temps, les rumeurs sont de plus en plus insistantes sur l’arrivée d’un nouvel album en début d’année prochaine. Quelques maquettes de chansons non abouties ont même fuité sur le net.

Pour le nouvel album, il semblerait que Justin Timberlake soit de l’aventure. Madonna est toujours là, en filigrane de ma vie, comme une bonne copine. Et dans la grisaille persistante de ces jours désolants, ça me met un peu de baume au cœur.

— … and try again !

Il me faut quelques instants pour retrouver mon souffle et pour composer à nouveau le numéro. Une nouvelle fois, je tombe sur le répondeur. Et cette fois-ci, je rassemble toutes mes forces pour laisser un message :

— Hey, happy birthday, l’Anglais ! Bon anniversaire mon Jérém, j’espère que cette journée spéciale se passe pour le mieux… enfin, je veux dire, j’espère que tout se passe bien pour toi. J’aurais tellement aimé pouvoir te parler un peu ce soir. Tant pis, ce sera pour une autre fois. Rappelle-moi quand tu as un moment, rappelle-moi quand tu veux, rappelle-moi « dès que possible ». Bisous, Jérém, bisous…

Et je raccroche vite pour que mes sanglots ne soient pas enregistrés. Je raccroche en me demandant ce qu’il fait ce soir, le soir de son anniversaire. S’il est en train de le fêter, comment il le fête, avec qui il le fête. Je me demande s’il a déjà tiré son coup là-bas. J’imagine que oui, depuis bientôt deux mois qu’il est parti. Je me demande si son silence est une façon de me quitter. Je me demande s’il a rencontré quelqu’un. Je me demande si je le reverrai un jour.

Il me faudra attendre le lendemain soir pour que mon téléphone sonne enfin, sollicité par un appel commençant par +44. Soudain, mon cœur se met à taper comme s’il voulait défoncer ma cage thoracique.
— Allo… je décroche timidement.
— Hello, ça va ?
La simple vibration de sa voix me fait un effet de dingue.
— Maintenant que je t’ai enfin au téléphone, beaucoup mieux !
— Désolé, je suis très pris en ce moment.
Je n’ai pas envie de l’accabler, de lui jeter à la figure sa promesse non tenue, ce coup de fil attendu depuis un mois et jamais arrivé. Pas ce soir, car je suis tellement heureux de l’avoir enfin au bout du fil ! Cependant, je ne peux m’empêcher de me montrer un brin polémique.
— Même le soir de ton anniversaire ?
— Je suis allé en boîte avec l’équipe…
— Je m’en doutais… mais…
— Merci pour ton message ! il me lance, avec un enthousiasme qui met à mal toutes mes intentions de lui faire la morale.
— Avec plaisir. J’ai essayé sur ton ancien numéro, mais il n’est plus attribué.
— Je l’ai changé il y a quelques jours. Comment t’as eu le nouveau ?
— J’ai appelé Maxime…
— Ah oui, Maxime…
— J’aurais préféré que ce soit toi qui me le donnes.
— J’allais le faire…
— A Noël… de l’année prochaine, peut-être, je lui rétorque, sans arriver à cacher une pointe d’amertume.
— Non, avant, il lâche aussitôt, un poil agacé.
— Tu m’as trop manqué, Jérém ! je lui lance, comme une bouteille à la mer.
Une bouteille qu’il ne saisit pas. Car, sans transition, il enchaîne avec ses difficultés d’adaptation à une pratique du rugby très différente de celle à laquelle il était habitué, et patati et patata. Un enchaînement qui a tout l’air d’une diversion pour éviter de parler des sujets qui fâchent. Pour éviter de parler de nous.
Je l’écoute patiemment, tristement. J’ai l’impression qu’il me parle comme il le ferait à un pote.
J’ai l’impression que les liens qui nous liaient se distendent, que nous avons de moins en moins de sujets de conversation, de moins en moins de choses à partager. Force est d’admettre que, depuis quelque temps, si j’ai hâte de pouvoir le joindre, d’entendre sa voix, je redoute en même temps de ne pas savoir de quoi lui parler une fois qu’il sera à l’autre bout du fil. J’ai l’impression que nous redevenons peu à peu des inconnus. J’ai l’impression que de notre complicité d’antan, il ne reste plus rien. Et ça, ça m’arrache les tripes.
Le bonheur est si fragile, et il n’est jamais acquis.
Soudain, je repense à une info lue dans la presse sportive il y a quelques jours. Il semblerait qu’entre la 6ème et 7ème journée du championnat anglais, soit du 21 octobre au 17 novembre prochains, il va s’écouler un mois entier. Un mois sans la pression des matches, un mois a priori plus calme.
Evidemment, je demande à Jérém s’il a l’intention de venir en France. Il me répond que non, qu’il a besoin de ce temps pour préparer son premier match dont la date est encore inconnue, soumise à la progression de sa remise à niveau.
Evidemment, je lui propose de prendre l’avion pour passer quelques jours avec lui.
— Je me ferai tout petit, je t’attendrai sagement à la maison, je te ferai à manger…
Evidemment, j’essuie un refus. Evidemment, j’insiste. Evidemment, nous nous prenons la tête.

Vendredi 19 octobre 2007.

Trois jours après l’anniversaire de Jérém, la nouvelle édition du calendrier le plus attendu de l’année sort dans tous les points de vente habituels. Le sommet de la bogossitude rugbystique nationale s’affiche dans les kiosques à journaux, dans les bureaux de tabac, dans les libraires, dans les espaces culture des grandes surfaces.
Dans une libraire du centre-ville, je parcours machinalement les feuilles épaisses en papier glacé, je survole les mois et les mâlitudes avec l’œil avisé d’un amoureux de la grâce masculine. Je découvre une flopée de beaux mâles, et parmi eux le magnifique Ulysse, son torse et ses biceps débordant d’un splendide débardeur blanc qui ne semble demander qu’à être arraché.
Sa présence, bien que seulement en images, me réconforte. Elle m’aide pendant un instant à oublier l’absence qui me déchire. Parce qu’au fond, dans ces pages, dans ces photos, je ne cherche que Jérém.
Le soir même, j’appelle le beau blond. Je sais qu’il n’a pas plus de contact avec Jérém que moi j’en ai. J’ai tout simplement besoin de parler à un ami qui sait prêter une oreille attentive à ma détresse. Et ce soir encore, Ulysse sait me réconforter.

Novembre 2007.

Pendant ce mois sans matches, j’ai toujours autant de mal à joindre mon Jérém. Je me dis qu’il est peut-être toujours vexé à cause de notre petite prise de tête. J’en viens même à me dire que je retombe dans les travers déjà connus au début de son installation à Paris, de cette période où je n’arrivais pas à supporter la distance, où je faisais passer mes envies devant ses rêves.
Et puis, un instant plus tard, je me dis que, quand-même, en un mois il peut bien trouver deux jours pour supporter ma présence !
Je ne sais plus quoi penser, je ne sais pas où mettre le curseur entre son besoin légitime de tranquillité et mon besoin de le voir. Je ne sais plus quoi penser, comment me comporter. Jérém redevient peu à peu une forteresse imprenable.
J’essaie de continuer à croire en notre couple, à me dire qu’il ne s’agit que d’un passage à vide comme nous en avons déjà connus par le passé et que ça va revenir. J’essaie, mais je n’y arrive pas. Au fond de moi, je sais que cette fois-ci ce n’est pas comme les autres fois.
Mais ça ne m’empêche pas, par moments, de continuer à espérer. Chaque week-end je suis sur le point de prendre un avion pour Londres et de débarquer à l’improviste chez Jérém. Mais je ne sais même pas où c’est, chez Jérém. Il ne m’a jamais donné son adresse. J’ai vraiment l’impression qu’il veut me tenir à distance.

Samedi 17 novembre 2007.

Sans nouvelles de Jérém depuis un mois, j’ai appris dans la presse sportive que Jérém allait enfin jouer son premier match sur une pelouse anglaise ce samedi.
La parabole satellitaire que Papa a fait judicieusement installer quelques mois plus tôt me permet d’assister à ce match important pour sa carrière.
Avant le début de la compétition, les joueurs des deux équipes défilent au trombinoscope. Dans son maillot noir, parfaitement coupé, insoutenablement ajusté à son torse solide, le V du col ouvert sur une portion de peau mate à la pilosité délicieuse, les cheveux un peu plus longs que d’habitude, retournés vers l’arrière et fixés au gel, Jérém est beau à en pleurer.
Je retrouve enfin sa belle petite gueule, en même temps que ce signe, l’arête nasale un peu cassée, qui rappelle l'instant où il a failli se faire tuer pour me sauver la vie.
J’ai beau trouver cette petite « imperfection », ce tout petit cabossage que la vie a apporté sur son visage à la fois sexy et terriblement émouvant, elle n’en demeure pas moins le souvenir de l’instant où notre bonheur a pris fin.
Les joueurs de l’équipe des Wasps continuent de défiler. Et le dernier joueur à apparaître est lui aussi d’une beauté à couper le souffle.
Un splendide format rugbyman tout en muscles, arborant lui aussi un maillot noir parfaitement collé à un corps de jeune Dieu grec. Un Dieu grec avec de beaux cheveux blonds, avec une belle barbe blonde. Un Dieu grec qui n’est pas sans rappeler un certain Ulysse.
Mais en amont de sa plastique parfaite et d’une très très très belle Petite Gueule aux traits d’ange viril, ce qui frappe, assomme, fait vibrer chez lui, c’est son regard. Un regard d’une intensité rare, illuminé par des yeux d’un bleu fabuleux. Un bleu enveloppant, envoûtant, enivrant, ensorcelant, époustouflant.
Pendant la seconde où je croise son regard par écran interposé, je suis ébloui comme un lapin pris dans les phares d’une voiture. Et pendant les secondes qui suivent, je suis aveuglé comme après avoir fixé le soleil trop longtemps.
Le mec, un demi de mêlée, s’appelle Rodney. Rodney Williams. Et à l’écran, il est affiché qu’il aurait 29 ans.
Rodney est un coéquipier de Jérém. Un coéquipier dont il ne m’a jamais parlé. C’est vrai qu’il ne m’a pas parlé de grand-chose au sujet de sa nouvelle équipe. Mais soudain, en apprenant l’existence de ce garçon, je ne peux m’empêcher de me demander ce que Jérém en pense, de me demander s’il est aussi troublé par son regard que je l’ai été pendant une seconde, lui qui doit le côtoyer au quotidien.

Le match démarre et Jérém déboule sur le terrain. Ce match est pour lui un nouveau début dans le rugby, celui d’Outre-Manche. C’est une nouvelle chance qui lui est offerte, une chance qu’il a saisie après notre agression à Paris.
Mon P’tit Loup a l’air un peu perdu, tout comme la première fois où il avait déboulé sur un terrain de Top16 quelques années plus tôt, lors d’un match télévisé, à Paris, avec le Stade Français.
Par ailleurs, ce maillot noir et presque moulant lui va comme un gant. Qu’est-ce qu’il est beau !
— Je suis content de le voir enfin retrouver le chemin du terrain, me glisse Papa.
— Je le suis aussi, je suis très content pour lui.
— Vous avez réussi à garder contact ?
— Un peu, mais c’est compliqué.
— Tu l’as revu depuis qu’il est parti ?
— Non.
— Tu lui en veux d’être parti ?
— Non, c’est même moi qui l’ai poussé à y aller. Quand il est revenu d’Australie, il voulait arrêter le rugby.
— A cause de ce qui s’est passé à Paris ?
— Oui, il se sentait scruté et jugé, et il ne se sentait plus à l’aise.
— C’est vraiment con que la pression de la société soit si forte sur les homosexuels ! Remarque, j’étais moi aussi ce genre de con avant que tu ne me fasses grandir, mon bonhomme.
Les mots de Papa, ainsi que sa main posée sur mon épaule, me tirent les larmes.
— C’est bien qu’il ait pu redémarrer ailleurs… il enchaîne. Tu as bien fait de le pousser à poursuivre sa passion, ce garçon a le rugby dans le sang. S’il avait tout arrêté si jeune, il aurait été comme un lion en cage, et il aurait été très malheureux. Et il serait passé à côté d’une belle carrière. Je suis certain qu’il va aller loin ce petit Gersois.
— Je lui souhaite…
— Mais c’est dur pour toi…
— Très dur…
— Pourquoi tu ne vas pas le voir ?
— Parce qu’il ne veut pas !
— Vas-y quand-même !
— Et quoi encore ? Je vais débarquer à l’improviste, alors que je ne sais même pas où il habite ?
— Pourquoi pas ! Tu vas partir à sa recherche, à l’aventure. C’est romantique, non ? Tu verras qu’il sera touché par ta détermination.
— C’est de la folie !
— Il n’y a rien de tel que les folies pour nous faire nous sentir vivants, et pour nous faire nous sentir heureux. Et puis, en vieillissant, on s’aperçoit que les folies que nous nous sommes autorisées nous mettent du baume au cœur bien longtemps après les avoir commises.

Les premières actions de jeu s’enchaînent sous une pluie d’abord légère, et qui devient très vite battante. Les maillots, les cuisses et les avant-bras solides se salissent. Et les visages virils aussi.
La barrière de la langue pourrait poser problème, mais je regarde le match avec un féru de rugby qui me fait les commentaires en direct, juste d’après les images.
Pendant la première mi-temps, Jérém est plutôt effacé. Il intercepte quelques ballons, mais les joueurs de l’équipe adverse arrivent à l’intercepter sans mal. Jérém mord son frein, il a l’air frustré, agacé, inquiet. Oui, la première mi-temps est plutôt difficile pour mon beau brun.
Mais dès le début de la seconde, cela va changer. Le nouvel ailier des Wasps intercepte une passe venant de Rodney Williams. Et là, sous une pluie de plus en plus violente, comme au temps du tandem magique avec Ulysse, la redoutable machine à marquer des essais se met en route. Jérém tape un sprint de malade sur le sol détrempé, il évite coups sur coup pas moins de trois joueurs adverses avec une agilité et une dextérité spectaculaires. Dans son envolée, il projette des jets d’eau et de boue à chaque enjambée. Une poignée de secondes plus tard, et alors que les commentateurs anglais tout comme mon commentateur personnel s’emballent, le petit Français débutant dans l’équipe anglaise pose le ballon ovale au-delà de la ligne de but.
Ce sera le seul essai de Jérém pendant ce match. Un essai qui dans l’absolu n’est pas vraiment déterminant pour la victoire des Wasps, qui dominent l’adversaire Newcastle d’un bout à l’autre des deux mi-temps et finissent par s’imposer par 35 à 12. Et pourtant, un très bel essai. Un essai qui plante le décor, qui fait du bien au moral de Jérém et qui montre à son équipe et à ses dirigeants que le « Frenchie » a un sacré potentiel. Bref, avec cet essai, Jérém réalise ce qu’on appelle « une entrée fracassante ».
Après le coup de sifflet qui scelle la fin du match, les Wasps expriment la joie pour cette belle victoire par de multiples gestes d’amitié et accolades entre joueurs. L’une de ces dernières ne manque pas d’attirer tout particulièrement mon attention.
Je veux parler bien évidemment de celle entre Jérém au regard de braise et Rodney aux yeux bleus. Je la trouve particulièrement expressive, chaleureuse, affectueuse. Et longue. Ça ressemblerait presque à un câlin.
Et lorsqu’elle prend fin enfin, mon impression ne se dément pas, bien au contraire. Les deux joueurs ne se séparent pas tout de suite. Avant que les deux torses ne s’éloignent, il s’écoule un instant qui me semble interminable, pendant lequel le temps me parait comme suspendu.
Sans faire cas de la pluie battante, les deux garçons se tiennent là, pecs contre pecs, les mains de l’un solidement ancrées aux épaules de l’autre, les regards plantés l’un dans l’autre, réciproquement aimantés. Et entre leurs bouches, leurs corps, leurs virilités, il me semble déceler un frémissement, un transport, un élan retenus de justesse, comme s’ils se faisaient violence pour ne pas se rejoindre et se mélanger là, sur le champ.
Les deux jeunes mâles semblent brûler de désir l’un pour l’autre, insouciants des caméras, de leurs coéquipiers, de leurs adversaires et du public acclamant les gagnants. Comme s’ils étaient seuls au monde.
Je ne sais pas si ceux qui assistent à cette accolade voient la même chose que moi. Papa n’a rien vu, ou il n’a rien voulu voir, ou il n’a rien voulu montrer, peut-être. Mais moi, il me semble lire entre les lignes de cette démonstration de proximité virile, une évidente complicité sensuelle.
Les deux joueurs finissent par s’éloigner, après un instant qui m’a semblé interminable, en se repoussant mutuellement d’un double geste joueur accompagné d’un double sourire magnifique et terriblement complice. L’un et l’autre vont alors continuer les témoignages de liesse en allant serrer d’autres coéquipiers. Et ces nouvelles accolades ne ressemblent en rien à celle à laquelle je viens d’assister entre Jérém et Rodney.
Mais moi je n’arrive pas à m’enlever de la tête l’image de ces deux rugbymen pecs contre pecs, se fixant avec une intensité inouïe, comme s’ils se faisaient violence pour ne pas s’embrasser. Je ressens comme un vertige. Tout un tas de questions m’assaillent et je sais qu’elles ne vont pas cesser de me tourmenter.

Le soir même, j’appelle Jérém pour le féliciter pour son retour plus que réussi dans la compétition sportive. Je l’appelle parce que j’ai besoin d’entendre sa voix. Parce que j’ai besoin d’être rassuré, j’en ai un besoin urgent. Je tombe évidemment sur son répondeur à la voix d’english pouffe. Jérém doit certainement être en train de faire la fête avec son équipe pour célébrer cette belle victoire. Je ne peux m’empêcher de l’imaginer avec ce Rodney, de les imaginer assez proches, trop proches.
Je me couche envahi par l’inquiétude d’avoir définitivement perdu l’amour de ma vie. De n’avoir rien vu venir, de me l’être fait ravir par ce garçon aux yeux bleus.
Je tourne dans mon lit pendant des heures. Il me semble que dans mon dernier souvenir mon réveil indiquait 2 h 26.

Je viens de m’assoupir lorsque je suis tiré de mon sommeil encore imparfait par la sonnerie de mon portable. Je me réveille en sursaut. L’écran de mon téléphone affiche le numéro de Jérém en +44.
Je décroche et mon oreille est aussitôt assaillie par une épaisse couche de musique techno très chargée en basses mélangée à de nombreuses voix festives. Ça sent très clairement la boîte de nuit.
Sans même avoir encore échangé un seul mot avec Jérém, je suis heureux qu’il me rappelle. Et lorsque j’entends sa voix, je suis aux anges.
— Alloooooo, tu m’entends ?
— Oui, Jérém, je t’entends.
Jérém est un tantinet éméché, je l’entends à sa voix éraillée, à sa bonne humeur alcoolisée que je connais si bien. Il me demande s’il m’a réveillé, je lui réponds que oui, mais que ce n’est pas grave, il me dit qu’il n’a pas vu l’heure.
Mille questions brûlent mes lèvres, mais j’essaie de faire bonne figure, me contentant de le féliciter pour ce beau démarrage dans le championnat anglais, de l’écouter parler de sa fébrilité avant le match, de son stress et de sa frustration pendant la première mi-temps et de son soulagement d’avoir pu enfin montrer de quoi il était capable.
Oui, mille questions brûlent mes lèvres, mais je les retiens toutes. Ce n’est pas facile, j’y arrive de justesse, et au prix d’un effort important. Mais je ne veux pas qu’on se prenne la tête ce soir, et encore moins gâcher cette belle victoire, cette belle journée.
Malgré son coup de fil, j’ai horriblement envie d’éclater en sanglots. Là encore, je me retiens de justesse. Car, au fond de ma poitrine, je sens que mon cœur s’est fissuré.
Et là, j’entends une bonne voix de mec lancer tout proche de Jérém :
— Jerry, it’s late, we have to go home !
C’est nouveau, ça, « Jerry ». Mais c’est qui ce gars à la voix bien mâle qui appelle mon Jérém, « Jerry » ?
— Ok, I’m coming ! j’entends alors Jérém lui répondre aussitôt.
— C’est un pote à toi qui t’appelle Jerry ? je ne peux m’empêcher de le questionner.
— Ouais… il… il me ramène à l’appart…
Et il termine sa phrase avec une formule qui m’arrache un peu plus le cœur :
— Allez, à plus !
« A plus ». Jamais Jérém ne m’a dit au revoir avec un « A plus ». Je l’ai entendu utiliser cette formule rarement, toujours avec des potes à lui. Mais jamais encore avec moi. C’est distant et froid comme prise de congé. Tellement froid que ça me dissuade de lui lancer « Je t’aime » qui me brûle pourtant les lèvres.
Au lieu de quoi, j’arrive quand même à lui glisser :
— Il faut que je vienne te voir…
— Pour l’instant, c’est trop compliqué, on verra plus tard.
— Promis ?
— Ouais… ouais… promis…
Et pourtant, je sens que sa promesse n’en est pas une.
— Tu me manques Jérém… j’arrive à articuler, la voix cassée par les larmes.
Mais il a déjà raccroché. Et là, je sens que mon cœur est en train de se briser.

Derniers jours de novembre 2007.

Les jours suivants sont difficiles. J’essaie de m’accrocher à cette promesse que j’ai pu lui arracher, celle de nous revoir. J’essaie et j’essaie encore, sans cesse, pour tenter de faire taire mes inquiétudes et mes interrogations. En vain.
Je me passe et me repasse sans cesse cette accolade entre Jérém et Rodney aux yeux bleus. Et à chaque fois, ce que mon souvenir me montre, ce sont deux garçons qui semblent vibrer à la fois de l'écho du bonheur sensuel et de la tendresse récemment partagés et de l’anticipation de ceux à venir, et dont l'attente n'est qu'une délicieuse torture qui embrase le désir.
Et le pire dans tout ça, ce qui me ronge le plus, c’est la sensation que le plaisir n’est pas la seule chose que partagent ces deux beaux garçons. Quand j’y pense, il me semble que les regards étaient trop intenses, l’accolade trop sensuelle pour que ce ne soit qu’une histoire de jouissance des corps. Non, il me semble qu’il y a autre chose. Tout est dans ce regard qu’ils portent l’un sur l’autre. Un regard qui semble traduire une alchimie des esprits qui me donne le vertige.
Les semaines passent et la promesse de Jérém ne se concrétise pas. Pas de nouvelles depuis Londres depuis le coup de fil après son premier match avec le maillot des Wasps. Et mes questionnements deviennent chaque jour plus obsédants.

Début décembre 2007.

Début décembre, j’ai quelques jours de RTT. Je ne m’en réjouis pas. Jusqu’ici, le travail m’aidait à penser à autre chose, mais l’inactivité me plonge dans un cauchemar de cogitations en boucle H24. Je ne tiens plus en place.
Ça, c’est le carburant de ce qui va suivre.
En surfant sur Internet, j’apprends qu’entre la 7ème et la 8ème journée du championnat de rugby anglais, il y a un autre mois de pause. Chose que Jérém s’est bien gardé de m’annoncer.
Ça, c’est l’étincelle qui va faire démarrer la machine.
C’est ainsi que, sur un coup de tête, et en accord avec les suggestions de Papa, je réserve un aller-retour pour Londres. Je pars à l’aventure, sans même prévenir Jérém. Il tenterait de m’en dissuader et il y arriverait probablement. Je ne veux pas risquer de casser mon élan.
Je l’appellerai sur place, et je me dis qu’il n’osera pas me refouler. Et s’il ose, c’est qu’il n’en a plus rien à faire de moi. Et que notre histoire est foutue pour de bon. J’ai peur de ce que je vais découvrir à Londres. Mais j’ai besoin de savoir. J’ai besoin de savoir si Ourson et p’tit Loup existent encore ou s’ils se sont perdus dans le tourbillon de la vie. Rien ne sera pire que cette attente, cette ignorance, ces soupçons, ces cogitations, ces films tous plus catastrophiques les uns que les autres qui me hantent et me bouffent un peu plus chaque jour.

Mardi 11 décembre 2007.

A l’aéroport de Blagnac, je replonge dans les souvenirs de mon premier voyage à Londres, en 2001. Six ans déjà que j’ai pris mon premier avion pour aller assister à mon premier concert de Madonna accompagné par ma cousine Elodie.
Mon esprit était alors plus léger qu’aujourd’hui. Enfin, pas vraiment, car à cette époque déjà j’avais une peur panique de perdre Jérém. Mais en 2001, cette peur n’était représentée que par un danger générique. J’avais peur qu’il en ait marre de moi, qu’il me quitte pour aller voir ailleurs. Pour une nana, pour un mec, que sais-je. Mais toujours pour un(e) inconnu(e). En revanche, le danger d’aujourd’hui a un visage. Et des yeux bleus, terriblement bleus.
Aussi, en 2001, j’étais avec ma cousine qui me faisait rire et me remontait le moral. Alors que là, je suis seul, terriblement seul.
En passant la douane, j’ai l’impression d’avoir une boule de plomb au fond de la poitrine. L’heure d’attente avant l’embarquement m’épuise. Dans l’avion, j’ai du mal à respirer. Et quand nous quittons enfin le sol pour nous envoyer dans les airs, je me dis que je fais une grosse erreur. J’ai l’impression de commettre une intrusion impardonnable dans sa vie. J’ai le sentiment que je vais me ridiculiser, que je vais à la rencontre d’une humiliation cuisante.
Oui, j’ai très peur de ce que je vais découvrir à Londres. J’ai aussi très peur de la réaction de Jérém quand il va me voir débarquer comme un cheveu sur la soupe. Mais j’ai plus que tout besoin de savoir.
A la faveur d’un ciel particulièrement dégagé, la Manche défile sous mes yeux. Elle défile à toute vitesse et en même temps comme au ralenti.
Lorsque l’atterrissage s’amorce, ma peur grandit encore. Il est 18 heures, il fait déjà nuit noire. Pour arranger le tout, il pleut des cordes. J’ai l’impression d’arriver en terre hostile.

J’attends d’avoir débarqué pour l’appeler. Et ce n’est pas chose facile. Je n’ose pas. J’ai l’impression que le téléphone me brûle les doigts. Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine. Ce n’est qu’au prix d’un effort à la limite de mes capacités mentales que je lance enfin la composition du numéro. J’ai l’impression de faire un saut dans le vide.
Et alors que chaque tonalité semble espacer les battements de mon cœur et mes respirations, jusqu’à les suspendre, je tombe une nouvelle fois sur son répondeur. Je n’ai d’autre option que de lui laisser un message, comme en apnée.

— Salut, c’est moi… euhhh… écoute… je viens d’atterrir à Londres… enfin… à l’aéroport de Heathrow, je suis parti à l’arrache, j’ai envie de te voir, tu me manques trop… je sais que ça se fait pas de débarquer à l’improviste… mais rappelle-moi, s’il te plaît, rappelle moi…

Là, tout de suite, je ne sais pas quoi faire. Prendre le train pour Londres, me taper une heure de voyage, à quoi bon ? Et s’il ne me rappelle pas ? Qu’est-ce que je vais foutre à Londres, seul comme un chien ?
Ne serait-il pas plus judicieux, et moins douloureux, d’attendre un peu à l’aéroport, et s’il n’appelle pas, rentrer à Toulouse par le premier vol pour me morfondre en terre familière ?
Mais je suis incapable de renoncer. J’ai besoin de m’approcher encore de lui. Je prends le train, direction le centre-ville.
Je suis environ à mi-trajet lorsque mon téléphone sonne enfin. Et, comme prévu, je me fais incendier.

— Qu’est-ce que tu fiches à Londres ?!
— J’ai envie de te voir…
— Je suis très occupé…
— Tu as bien quelques heures à me consacrer ? Une soirée, non ? Je peux repartir demain, mais maintenant que je suis là, ne m’oblige pas à partir sans te voir…
— T’es où ?
— Dans le train, j’arrive en ville dans une demi-heure…

Jérém finit par se calmer et m’indiquer le nom d’un pub du centre-ville. Il me dit de descendre à la première gare et prendre un taxi qu’il me paiera.

Une heure plus tard, je suis assis à une petite table face à mon Jérém, dans un pub à l’ambiance feutrée.
Habillé d’une belle chemise blanche, d’une veste super bien coupée, d’un nouveau parfum et d’une nouvelle couche de maturité qui lui vont comme un gant, il est simplement à craquer. J’ai envie de le prendre dans mes bras, de le couvrir de baisers. Et j’ai follement envie de lui.
Nous parlons de choses et d’autres, notamment de banalités. Je sens qu’il y a un malaise, qu’il y a des non-dits, qu’il me cache quelque chose. Je sens que quelque chose a changé.
J’ai la tête pleine de questions que je n’ose pas poser, et Jérém a l’air de marcher sur des œufs. Sa bière descend trop vite, la mienne, pas du tout. Deux différentes façons d’exprimer notre nervosité. Ce que je retiens, c’est que notre belle complicité s’est définitivement évaporée. J’ai plus que jamais envie de pleurer.

— Qu’est-ce qui se passe ? je finis par le questionner, comme un cri du cœur, un cri libérateur de celui qui se lance dans le vide.
— De quoi ? il fait mine de s’étonner.
— Je t’ai demandé ce qui se passe… Je vois bien que tu n’es pas comme avant.
— Nico, tu débarques sans prévenir, qu’est-ce que tu veux que je te dise ?
— Je pensais que ça pouvait te faire plaisir de me voir !
— Pourquoi tu es venu à Londres ? il me lance, sans transition.
— Quelle question ! Parce que tu me manquais ! J’en déduis que je ne t’ai pas manqué un seul instant !
— C’est pas le problème !
— Et c’est quoi le problème, tu peux me l’expliquer ?
— On ne peut pas continuer comme ça…
— C’est quoi, « comme ça » ?
— Une relation à distance c’est trop compliqué, ça nous ferait du mal à tous les deux…
— Je t’ai proposé de te suivre, je te rappelle !
— Tu es bien à Toulouse !
— Pourquoi tu as arrêté de m’appeler et de répondre à mes messages ?
— Parce que…
Et là, mon Jérém s’interrompt net. Un long moment de silence, des regards fuyants, une déglutition presque douloureuse remplacent les mots difficiles qui ont tant de mal à sortir.
— Parce que… quoi ? je m’impatiente.
— Parce que je voulais qu’on tourne la page.
— Qu’on tourne la page ? Après tout ce qu’on a vécu ensemble ? Après tout le bonheur que nous avons partagé ? Mais moi je ne veux pas tourner la page !!!
— Nico !
— Dis-moi ce qui se passe, à la fin ! Je peux tout entendre !
— J’ai un coloc, il finit par lâcher sèchement.
— Un coloc ?
— Je vis en coloc avec un autre joueur de l’équipe.
Cela pourrait expliquer des choses. Il ne vit pas seul, voilà pourquoi il a du mal à m’appeler.
— Tu m’en as pas parlé…
— Je n’en ai jamais eu l’occasion…
— C’est un joueur ?
— Oui, Rod est un coéquipier.
Et là, j’ai l’impression de tomber dans un canyon sans fond.
— Rod… Rodney Williams ?
— Oui, Rod… tu le connais ?
— Rodney Williams, le mec avec des yeux bleus qui donnent le vertige ?
— Oui, il a les yeux bleus. Mais tu le connais d’où ?
— J’ai vu le match à la télé avec Papa…
— Ah…
— C’est lui ton coloc ?
— Ouais…
Oui, la présence d’un coloc explique certaines choses. Pourvu que la présence de CE coloc n’en explique pas trop d’autres.
Derrière les vitres du pub, la pluie tombe toujours aussi drue. J’ai de plus en plus envie de mélanger mes larmes à ces cordes incessantes.
— Ça veut dire que je dois me chercher un hôtel pour cette nuit ?
— Arrête, il pleut à seau. Tu peux venir à l’appart si tu veux, c’est pas loin d’ici.
— Et il y a assez de lits, je dormirai sur le canapé, il s’empresse d’ajouter, les yeux fuyants.
— Sur le canapé ?

A l’approche de l’appart, sous la pluie incessante, j’ai le souffle coupé, le cœur en fibrillation. Par moments, j’ai envie de faire demi-tour, de m’éviter, de m’épargner ce que mon intuition me fait pressentir. Mais j’ai besoin de savoir, et je sais que je n’ai aucun autre moyen d’en avoir le cœur net. Aucun autre moyen que d’aller au casse-pipe.
Jérém s’arrête devant la grande porte en bois verni d’un immeuble cossu et sonne à l’interphone.
— Who is this ? demande une voix masculine grésillante.
— It’s me, répond Jérém.
— With a friend, il s’empresse d’ajouter avec son bon accent frenchie mâtiné d’inflexions toulousaines.
Nous voilà dans le hall, puis dans l’ascenseur. La montée jusqu’au 4éme étage se fait dans un silence assourdissant. Et dans une absence de tendresse totale. J’ai envie de l’embrasser, mais je sens qu’il ne serait pas réceptif.
Les portes de la cabine s’ouvrent sur un couloir lumineux. Une porte est entrouverte, et Jérém s’y dirige d’un pas rapide. J’ai l’impression que je sais déjà ce que je vais découvrir, et que mes jambes sont désormais en coton. J’ai envie de pleurer, de crier, de partir, de savoir. De savoir.

Jérém franchit la porte de l’appart sans se retourner. Je prends une bonne inspiration, comme si je me préparais à une longue apnée et je lui emboîte le pas. L’entrée est spacieuse, bien décorée, on voit de suite que c’est un appartement de standing dans un immeuble de standing. Mais je n’ai pas le temps de trop regarder les détails, car quelque chose attire mon regard, l’aimante, le ferre, le monopolise.
Rodney rentre dans mon champ de vision, et je réalise à cette occasion qu’il est d’une taille moyenne, 1 mètre 70 au plus. Un petit format, donc, mais superbement proportionné.
Oui, Rodney rentre dans mon champ de vision, et son regard s’appareille instantanément au mien.
Je suis ébloui, foudroyé par ses yeux bleus. Pas gris bleu ou bleu clair, mais d’un bleu profond, intense, déroutant, un bleu d’océan qui t’aspire, t’étourdit, te happe, te hante. Ce garçon dégage une aura bouleversante. En vrai, ses yeux sont encore plus troublants qu’à la télé. Son regard bleu à bout portant, c’est insoutenable. Et pourtant, je me laisse happer. Je ne peux résister, je ne peux m’opposer à cette force d’attraction inéluctable.
Rodney connait bien le pouvoir inouï de son regard. Mais il a l’air d’un gentil garçon qui n’abuse pas de son charme. Tout au plus, ça l’amuse. Et c’est certainement de cet amusement que prend naissance ce petit sourire qu’il me lance, en captant mon éblouissement devant son regard. Et ce sourire, putain, ce sourire est une tempête solaire. Elle dérègle tout sur son passage.
Jérém me présente comme un ancien camarade de lycée de passage en ville et venant faire un petit coucou. Et il me présente Rodney simplement comme un coéquipier. Je sais que Jérém ment. Et j’ai l’impression que Rodney le sait aussi. Le garçon aux yeux bleus me tend la main avec un geste amical et un sourire totalement désarmant. Je voudrais pouvoir le détester, mais je n’y arrive même pas.
Quelques instants plus tard, nous nous installons autour d’un comptoir pour une sorte d’apéritif dinatoire. Rodney parle un français qui n’est pas parfait, mais il arrive quand même à se dépatouiller. Il bute parfois sur certains mots, il essaie de les expliquer quand vraiment il ne les trouve pas, il fait des détours parfois très drôles.
Ce garçon est charmant sous tout point de vue. Il est avenant, aimable, chaleureux. Et pas con du tout. Je pense qu’il a compris qui je suis pour Jérém, ou plutôt qui j’ai été pour Jérém. Mais il n’y a pas une once de malaise ni de triomphe dans son attitude, sa voix, son regard. Rodney est un être solaire et souriant. Sa gentillesse arrive à débloquer cette situation qui pourrait être par ailleurs très gênante.
Au fond de moi, je sais ce qui se passe, je sais qui est Rodney pour Jérém et qui est Jérém pour Rodney. Il n’y a pas d’effusions entre eux. Mais certains regards, certaines attitudes ne trompent pas. Les êtres qui s’aiment dégagent une sorte d’aura partagée qui finit toujours par les trahir.
Leur bonheur commun, que je soupçonne de plus en plus, me rend triste, car il me prive du mien. Mais force est de constater, en les regardant, que ces deux garçons sont particulièrement bien assortis et forment un sacré beau petit couple.

Pour la nuit, je suis installé dans une chambre d’amis que Jérém me présente comme étant la sienne. Certes, il y a ses affaires dedans. Des maillots, des t-shirts, des jeans, ses boxers, ses chaussettes, ses chaussures. Son parfum flotte dans l’air. Et pourtant, j’ai l’impression que cette pièce est davantage son dressing room que sa chambre à coucher.
Jérém, quant à lui, s’installe sur le canapé du séjour. J’apprécie la délicatesse de ne pas dormir avec Rodney. J’aimerais bien savoir ce qu’il lui a dit pour justifier sa désertion de celui que j’imagine être le lit commun. Parce que j’imagine bien qu’ils dorment, couchent, font l’amour, se câlinent, dans le même lit. Est-ce qu’il a encore enrobé la réalité en prétextant par exemple une gêne vis-à-vis d’un camarade qui n’a pas besoin de savoir pour ne pas ébruiter son « secret » ? Ou alors, est-ce qu’il a joué franc jeu et il a dit à Rodney qu’il ne veut pas blesser davantage un ex toujours amoureux ?
Dans tous les cas, je suis persuadé que Rodney a deviné ce qu’il y a eu entre Jérém et moi.

Bien évidemment, je n’arrive pas à dormir. Je n’y arrive pas parce que j’ai la tête remplie de cogitations sans avoir encore eu la moindre réponse. J’ai besoin de parler à Jérém. J’ai besoin qu’il me dise les choses en face. Je pourrais aller le rejoindre dans le séjour, essayer d’avoir une discussion avec lui. Mais je n’ai pas envie que ça se passe comme ça, avec Rodney juste à côté.
Je passe une grande partie de la nuit à imaginer le nouveau bonheur de Jérém, ce bonheur qui me prive du mien, à me demander pourquoi il m’a amené ici, pourquoi il m’impose ça. A me demander comment faire pour parler à Jérém et à l’obliger à me parler.
Peut-être que le fait de m’amener dans le lieu de vie qu’il partage avec ce garçon, et de me présenter ce garçon au passage, est sa façon à lui de me parler. Visiblement, Jérém a tourné la page.
A une heure très tardive de la nuit, je prends la résolution de rentrer à Toulouse dès le lendemain matin. Je n’ai rien à faire ici, dans cet appart, dans cette ville. Il n’y a plus rien pour moi ici. Et je finis par m’assoupir, enfin, aux aurores.

Mercredi 12 décembre 2007.

Le lendemain matin (enfin, le matin même, deux ou trois heures après mes dernières cogitation), j’émerge tout sens dessus dessous. Le réveil de la chambre indique 8h13. Le manque de sommeil provoque un épouvantable mal de crâne, j’ai la tête qui tourne, je ressens un vertige, j’ai mal au cœur. Tous mes muscles sont douloureux, j’ai l’impression qu’on m’a arraché le cœur.
Je me lève en sursaut, en me demandant si Jérém et Rodney ne sont pas déjà partis aux entraînements. Pendant un instant, je souhaite que ce soit le cas. Ça nous évitera de nouveaux malaises. Je vais partir sur le champ. Je n’ai pas la force de rester plus longtemps. Rester ne servirait à rien, à part nous rendre encore plus malheureux. Je vais laisser un mot, ou même pas. J’enverrai un message à Jérém lorsque je serai à l’aéroport, ou même pas. Tout est dit, tout est joué. Il n’y a rien à ajouter. Je n’ai pas besoin de plus de drama, ça suffit comme ça. Ici, je suis un étranger.
Il ne me reste qu’à faire le deuil de mon bonheur passé, et je crois que j’y arriverai mieux quand je serai à Toulouse. J’ai besoin de retrouver au plus vite ma ville, la maison de mes parents, mes parents, ma chambre. J’ai besoin d’utiliser mes repères comme des béquilles pour ne pas sombrer dans cet abîme de souffrance qui m’appelle avec de plus en plus d’insistance.
Je me rhabille, je saisis ma valise qui n’a pas été ouverte, je quitte ma chambre, je passe rapidement aux toilettes et à la salle de bain. Dans une panière à linge, des boxers, des t-shirts, des chaussettes, des jeans. Les affaires des deux garçons se mélangent dans cette panière, certainement à l’image de leurs corps, de leurs sentiments. Il faut que je parte au plus vite d’ici, où tout me parle du nouveau bonheur de Jérém loin de moi.
C’est en sortant des toilettes que j’entends des bruits venant de la cuisine. Moi qui voulais partir en douce, c’est raté.
Je m’avance dans le couloir et je vois Jérém derrière le comptoir de la cuisine. Il porte un t-shirt noir bien ajusté à son torse, un t-shirt qui me rappelle celui qu’il portait le premier jour du lycée. Il porte également un jeans déchiré et il est pieds nus. Son brushing est en bataille, il est super beau. Et sa beauté est encore décuplée par le fait qu’elle m’est désormais inaccessible.
— Salut, il me lance, en me voyant arriver.
— Salut.
— Tu pars déjà ? il me demande, après avoir remarqué que je tiens ma valise à la main.
— Tu as raison, ce n’était pas une bonne idée de venir ici. J’aurais dû rester à Toulouse.
— Tu veux du café ? il me demande en me montrant la cafetière encore fumante. C’est une cafetière italienne, comme celle de la petite maison dans la montagne. Jérém n’a pas relevé mes derniers mots, des mots qui appelaient implicitement des mots rassurants qui ne viennent pas. Il semble indifférent face à ma détresse, comme s’il s’en foutait, ou comme s’il voulait à tout prix éviter qu’on se prenne la tête. Ou comme s’il se sentait coupable. J’ai envie de pleurer toutes les larmes de mon corps.
— Je veux bien du café, je finis par répondre, la voix étouffée par ma tristesse.
Jérém pose un mug devant moi et le remplit, le regard fuyant.
— Rodney n’est pas là ? je le questionne.
— Non, il est parti faire son sport du matin avant de filer à l’entraînement. C’est un lève-tôt…
— Et toi, tu n’as pas entraînement ?
— Si, mais j’ai prévenu que je serai à la bourre.
— Je croyais que vous étiez partis tous les deux.
— J’attendais que tu te lèves…
Nous prenons le café assis l’un en face de l’autre, nous cachant chacun derrière notre mug pour ne pas à avoir à affronter le regard de l’autre.
— Nico, il faut que je te parle, je l’entends me glisser après un long silence pesant.
Ses mots résonnent à mes oreilles comme autant de coups de massue. Ça y est, je vais en avoir le cœur net. J’attendais ce moment, mais je suis déjà assommé par le pressentiment de ce que je vais entendre. Alors, autant abréger les souffrances.
— Tu l’aimes ? je coupe court.
Je m’étonne tout seul de ma détermination, de mon sang froid, de mon détachement, de ma force. Mais à ce stade, il n’est plus temps de faire du chichi. Un pansement est plus vite arraché d’un coup sec.
Pour toute réponse, j’essuie un autre silence, pourtant assorti d’un regard défait qui en dit long. Sa déglutition nerveuse en dit long elle aussi.
— Dis-moi, j’ai besoin de savoir. Je n’ai pas fait ce voyage pour repartir avec les mêmes questions qui m’ont conduit ici.

[D’abord, il y a eu le regard. Ce regard d’un bleu presque surnaturel. La première fois où tu l’as croisé, tu as été comme aspiré par et dans ses yeux bleus, bleus d’un bleu que tu ne croyais même pas qu’il pouvait se nicher dans les yeux d’un garçon.
Ensuite, il y a eu le sourire. Un sourire amusé par ton air bête pendant que tu t’empêtrais de plus en plus dans son regard.
Après, il y a eu quelques regards plus appuyés, et tu as commencé à te faire des films. Mais votre complicité naissante a pris le pas sur le désir naissant.
Très vite, il y a eu l’amitié. Sa présence t’a été d’un grand secours pour t’acclimater à ton arrivée, toi qui maîtrisais très mal la langue de Shakespeare. Rod t’a aidé à appréhender l’anglais, mais aussi les uses et coutumes locales. Et, surtout, le rugby d’Outre-Manche. Tu as vu dans son regard qu’il croyait en toi. Tu as toujours besoin qu’on te montre qu’on croit en toi. Tu as retrouvé dans son regard la bienveillance de Thib et l’expérience d’Uly.
Puis, un soir, tu t’es surpris à te branler en pensant à lui.
Par la suite, tu t’es branlé chaque soir en pensant à lui. Mais après la jouissance, tu retrouvais la frustration de le savoir inaccessible.
Quelque temps plus tard, il y a eu cette escapade dans une boîte gay. Tu avais envie de tirer ton coup. Et Rod était là lui aussi. Il t’avait repéré avant que tu le repères. Quand tu l’avais capté, il te souriait déjà. Tu lui as souri à ton tour. Sur un fond sonore aux basses assourdissante, il a traversé la salle, il s’est approché de toi et est venu t’embrasser, sans un mot. Ça coulait de source, comme une évidence.
Tu l’as suivi chez lui, et vous avez couché ensemble pour la première fois. Tu t’es donné à lui sans hésiter. Tu en avais tellement envie ! Sa façon de te prendre, de venir en toi, de te faire sentir à lui, t’a bouleversé. De cette première nuit, tu te souviens du frottement de sa barbe dans ton cou, de son souffle, de son assurance, de sa tendresse.
De son accent si marqué, et follement sexy lorsque, avec un choix lexical qui t’a amusé, il t’a soufflé :
« J’éjacule ».
Depuis ce premier soir, tu passes toutes tes nuits avec lui, tu couches chaque nuit avec lui. Tu es devenu accroc à lui, à son corps, à son parfum, à sa queue, au plaisir que tu partages avec lui. Mais par-dessus tout, tu es devenu accroc à l’étreinte de ses bras puissants dans lesquels tu te sens si bien, en sécurité. Et à son regard bienveillant, à sa présence rassurante dans ta vie.
Tout est allé très vite et tu t’es laissé emporter par sa passion, qui est devenue la tienne. Tu te sens désiré, et tu te sens aimé aussi.
Comme avec Nico.
Tiens, Nico, parlons-en. Tu culpabilises à fond de lui faire ça, d’être si heureux avec un autre garçon. Nico, avec qui tu as partagé tant de choses, tant de moments, Nico qui t’a tant apporté dans ta vie, et avant tout la conscience de qui tu es. Nico qui t’a aidé à te débarrasser de la honte.
A Nico, tu y penses toujours. Tu ne pourras jamais l’oublier.
Mais Rod est là, chaque jour à tes côtés. Il est aussi rugbyman comme toi, il ne te demandera jamais davantage que ce que tu peux lui donner. Vous êtes deux amants qui vivent un amour qui n’emprisonne pas, qui ne demande rien de plus qu’à partager des instants de bonheur. Tout te parait si simple avec Rod. Ça te fait un bien fou de savoir que dans ton équipe il y a un autre joueur gay, un très bon joueur.
Tu ne t’es jamais senti aussi bien dans ta peau que depuis que Rod est entré dans ta vie. Car ce garçon a su t’apporter un équilibre, une stabilité, une sérénité, une réconciliation inattendue et inespérée entre ta passion sportive et ton épanouissement sentimental et sexuel].

— C’était pas prévu, je ne l’ai vraiment pas vu venir… il souffle, la voix coupée par l’émotion.
— Tu m’as oublié, alors ?
— Non, non, non, il s’en défend vigoureusement, je ne pourrai jamais t’oublier !
— Même maintenant que tu aimes ce mec ?
— Jamais !
— Est-ce que tu es heureux avec lui ?
— Sans lui, je ne tiendrais pas le coup…
— Tu n’as jamais voulu t’installer avec moi… et maintenant, avec lui…
— Ici, c’est différent… il a su me rassurer, sur tout…
— Et pas moi…
— Tu m’as énormément apporté, Nico !
— Mais visiblement pas assez…
— Ne dis pas ça, Nico…
— Alors, Ourson et P’tit Loup, c’est fini ? je pleure.
— Nico, ne pleure pas !
— Ce qui s’est passé à Paris nous a fait beaucoup de tort, je glisse, amer.
— Sans ça, je ne serais pas parti…
— Si seulement tu m’avais permis de venir avec toi, on n’en serait pas là !
— Je ne sais pas où on en serait. De toute façon, je ne vais pas rester à Londres…
— Quoi ? Et tu vas aller où ?
— J’ai une opportunité d’aller jouer en Afrique du Sud.
— Avec Rod ?
— En réalité, c’est lui qui a l’opportunité, et il a réussi à faire en sorte que je sois moi aussi du voyage.

Mes larmes coulent sur mes joues, elles se mélangent à celles de Jérém, pendant une longue accolade. Je plonge mon visage dans son cou, et je glisse quelques derniers baisers sur sa peau.
En passant la porte de l’appart, je me retourne et j’essaie de capturer chaque détail de la dernière image de Jérém qui se présente à moi. Car je sais que c’est la dernière.
Son t-shirt enveloppant son torse, son cou, ses pecs, ses biceps solides avec une justesse éblouissante, la couleur noire faisant un pendant saisissant avec sa peau mate, ses cheveux bruns en bataille.
Ses deux tatouages, le brassard tribal et le motif végétal remontant de son épaule vers son cou.
Ce grain de beauté insoutenablement sexy dans le creux de son cou.
Son parfum, un nouveau parfum, délicieusement entêtant, peut être un cadeau de Rodney.
Soudain, je suis saisi, submergé, débordé par la remontée simultanée d’une flopée de souvenirs.
La première fois que je l’ai vu dans la cour du lycée, petit con en train de déconner avec ses potes, habillé d’un t-shirt noir et d’une casquette à l’envers.
Le lycée, le désir de chaque jour, la première fois où je l’ai vu nu, sous la douche, après le cours de sport.
Mon trajet dans les allées toulousaines, en ce jour de mai, le jour de notre première révision pour le bac.
« Je vais jouir et tu vas tout avaler »
Nos révisions très sexuelles rue de la Colombette. Le manque de tendresse.
Les retrouvailles à Campan, sous la halle cernée par une pluie battante, l’amitié instantanée avec les cavaliers. Un Jérém plus nature, qui a fait chavirer une deuxième fois mon cœur.
Ses attitudes pendant l’amour, l’expression de son visage secoué par l’orgasme, son regard amoureux, ses baisers, sa tendresse.
Le premier « je t’aime » dans la petite maison dans la montagne cernée par la neige, un 31 décembre.
Le Noël où, après une période d’éloignement, il a débarqué par surprise à Toulouse.
Nos voyages, en Italie, au Québec, en Islande.
Le séjour dans la maison au milieu des vignes, ce lieu magique où mon Jérém a grandi, et où je me suis senti graviter au-dessus de tous les Jérémies.
Et notre dernier bonheur, notre dernier baiser, dans la rue, le soir de notre agression, le soir de ses vingt-cinq ans.
Ma dernière photo mentale de Jérém s’achève avec la captation de ses beaux traits virils, de cette petite cassure sur son nez, cette cicatrice, cette marque qui rappelle le début de la fin de notre bonheur. De cette chaînette qui dépasse du col de son t-shirt, celle que je lui ai offerte pour l’anniversaire de ses vingt ans et qu’il porte toujours, malgré tout.
Et de ses yeux pleins de larmes.
Je ressens une folle envie de l’embrasser, de le remercier une fois de plus de m’avoir sauvé la vie, de le supplier de ne pas me laisser partir. Mais je n’en fais rien, car je sais que ça ne servirait à rien.
Je le serre une dernière fois dans mes bras, très fort, m’imprégner de la solidité de son torse, de son parfum, de la chaleur de son corps, de sa présence.
Alors, c’est ici que nous nous quittons pour de bon. C’est officiel, Ourson et P’tit Loup ne sont plus qu’un souvenir.

La porte se referme devant moi, et aucun mot de sa part ne vient casser la chape de plomb qui est descendue sur moi. Je reste planté là, mes doigts enroulés dans la chaînette qu’il m’avait offerte avant notre départ de Campan, la veille de son départ pour Paris, pendant un moment dont je suis incapable d’estimer la durée. Je suis figé, incrédule, abasourdi comme devant le final d’un livre ou d’un film qui ne correspond pas du tout à nos attentes. Je suis en larmes. Et au-delà de la cloison, j’ai l’impression d’entendre les siennes se mélanger aux miennes.
Au fond de moi, je sens avec une effrayante certitude que c’est bel et bien la dernière fois que je vois Jérém.

Le voyage en train vers Heathrow est un calvaire trempé de larmes. Le survol de la Manche et d’une grosse partie de la France, un autre. Les moments d’abattement, de désespoir alternent sans cesse avec d’autres dans lesquels je ressens au fond de moi un détachement qui m’étonne, qui me surprend. Je crois que je suis dans une phase de déni. Je sens que le deuil de mon amour pour Jérém va être dur, très dur, je le sais. Et que ma souffrance présente n’est qu’un avant-goût de celle qui m’attend dans les heures, les jours, les semaines, les mois à venir.
A l’atterrissage à Blagnac, je retrouve le même ciel que celui de Londres, la même grisaille de plomb, la même pluie impitoyable, la même tristesse inconsolable, les mêmes larmes incontrôlables.
En descendant de l’avion je réalise ce dont je me doutais pas mal, à savoir que m’éloigner de Londres n’a servi à rien. Ma blessure m’a suivi jusqu’à Toulouse, et je sais qu’elle va me suivre quoi que je fasse, où que j’aille, et pour un sacré bout de temps.

A l’instant où je rallume mon portable, une flopée de notification de messages s’affichent sur l’écran de mon portable. Ils viennent tous du Royaume Uni, et ils contiennent tous ces petites fautes que j’ai toujours trouvées si adorables dans ses messages.

« Desole Nico »
« Je ne voulai pas te faire souffrir »
« Tu seras plus heureux san moi »
« Vis ta vie vis tout ce que tu as a vivre »
« Tu trouvera un gars qui te rendra heureux tu le mérites »

Hélas, tous ces messages ne contiennent pas la moindre note d’espoir. Alors, je me charge de la jouer :

« Je ne t’oublierai pas. Si un jour tu reviens, je serai là. Je t’attendrai »

Et Jérém de la saper :

« Ne m’attends pas »

Ce sera son dernier message.

Décembre 2007.

Décembre avance, les jours se succèdent dans une marche inarrêtable vers Noël. Au plus profond de moi, je suis démoli, le cœur en miettes. Cet air de fête qui parcourt les rues et les allées de Toulouse m’agace, m’attriste, m’assomme.
Je dois me faire violence pour me lever et aller bosser. La reprise du travail est difficile, j’ai du mal à me concentrer, à ne pas pleurer, je ne suis vraiment pas bien. Et quand je suis à la maison, je suis tout aussi mal. En fait, je ne suis bien nulle part.
Je n’arrête pas de penser au bonheur immense que j’ai connu avec Jérém pendant quelques années et à l’injustice du fait qu’il m’ait été arrachée en quelques instants. Je n’arrête pas de penser à cette horrible nuit parisienne le soir de ses vingt-cinq ans, à cette agression qui a déclenché le sinistre effet domino qui nous a conduits jusqu’ici, loin l’un de l’autre.
Ma tête semble devoir exploser, car elle est le théâtre d’un combat qui fait rage jour et nuit, un combat qui m’empêche de dormir et de vivre.
Je crois Jérém quand il dit que son histoire avec Rodney lui est tombé dessus sans qu’il la voie venir. Moi non plus je n’ai pas vu venir l’éventualité que Jérém tombe amoureux d’un autre garçon.
J’essaie toutes les constructions mentales pour tenter de me faire une raison à propos du fait qu’il puisse être heureux sans moi, alors que nous partagions un même bonheur il y a encore un an de cela. J’essaie, j’essaie et j’essaie encore, j’essaie à m’en rendre fou. Mais ma raison bute contre le sentiment de gâchis. Elle bute contre celle de mon cœur. L’une et l’autre sont aspirées par le vertige du bonheur passé qui m’a filé entre les doigts, elles sont terrifiées par la peur de ne plus retrouver un quelconque autre bonheur après ce désastre. Et de ne connaitre qu’un avenir d’errance, voire de misère sentimentale, d’immense solitude. J’essaie de commencer mon deuil de cet amour perdu. Mais pour l’instant, le deuil est impossible.
Renoncer à Jérém, c’est impossible.

Noël 2007.

C’est, sans conteste, le pire Noël de ma vie.
— L’amour est la plus grande source de bonheur, mais peut être aussi la plus grande source de malheur. C’est la vie, mon lapin. Tu peux ne pas le croire maintenant, mais je te garantis qu’un jour tu seras à nouveau heureux.
Maman est là quand j’ai besoin de parler mais elle ne force jamais les choses, elle est très présente, mais sa présence est discrète, jamais envahissante. Elle a toujours les mots qu’il faut, elle est juste parfaite.
C’est idiot, mais le soir du réveillon, que je fête en petit comité avec Papa, Maman, Elodie et sa petite famille, j’espère en un miracle.
Pendant que je joue à la poupée avec la petite Lucie, j’espère de tout mon cœur que Jérém débarque à l’improviste, qu’il sonne à la porte, qu’il m’appelle ou qu’il m’envoie un message pour me dire qu’il est à Toulouse.
Oui, je me prends à rêver qu’il me fasse la surprise comme lors du réveillon d’il y a quelques années, qu’il vienne me chercher à nouveau, qu’on passe la nuit ensemble et que le lendemain on parte une nouvelle fois à Campan et qu’on fête le 31 là-bas, avec les cavaliers ou bien qu’une tempête de neige nous oblige à fêter seuls la venue du Nouvel An, dans la petite maison dans la montagne.
Oui, c’est idiot, car je sais qu’il ne viendra pas. Déjà, parce que je sais pertinemment que le championnat anglais ne fait pas de pause pendant la période de Noël. Et que, de toute façon, même s’il était descendu juste pour réveillonner chez son père, les portes de cette maison dans les vignes ne seraient plus ouvertes pour moi.
Je l’attends, je l’espère de tout mon cœur. Mais aucun signe ne vient de sa part. Minuit arrive, à la télé résonnent les notes de « All I want for Christmas is you » et des souvenirs de bonheur révolu remontent violemment à ma conscience. Quelques minutes après minuit, je n’arrive plus à prendre sur moi, et je m’éclipse pour aller pleurer dans ma chambre.
Un sms arrive et mon cœur fait un bond. Mais mon excitation retombe aussitôt.
C’est bien un Tommasi qui m’envoie des vœux, mais il s’agit du frère cadet.

« Joyeux Noel, Nico. Je pense toujours à toi. On reste potes, ok ? »

Mais même la démonstration d’amitié de l’adorable Maxime ne suffit pas à effacer le fait que, définitivement, ce Noël est incontestablement le plus triste de ma vie.
On m’appelle pour le gâteau, je réponds « j’arrive ». Mais les minutes passent et je n’arrive pas à essuyer mes larmes. On toque doucement à la porte de ma chambre.
— Coucou, cousin, tout va bien ?
Pour toute réponse, je suis pris par une énième crise de larmes.
Elodie s’assoit sur le lit à côté de moi, me prend dans ses bras et me glisse à l’oreille :
— Seul le temps apaisera la blessure.

Vers la fin de l’année 2017.

J’ai souvent repensé, par la suite, à ces mots de ma cousine. J’y ai repensé à chaque fois que la nostalgie me saisissait, que la tristesse m’emportait, que la mélancolie déchirait mon cœur.
Ma cousine avait raison, le temps a apaisé ma blessure. Il l’a guérie, même. Et pourtant, la cicatrice reste. Et parfois, au gré des changements de météo sentimentale et affective de ma vie, elle durcit, se contracte, redevient douloureuse.
Elle est toujours là, et je sais qu’elle ne partira pas. Je la contemple régulièrement, comme le témoin de la fin du bonheur de mes vingt ans, un bonheur dont je n’ai trouvé l’égal depuis, et dont j’ai du mal à imaginer retrouver l’égal un jour.

Les avis des lecteurs

Histoire Erotique
Merci! J'ai les larmes aux yeux. Cette histoire m'a tenu compagnie et évoqué beaucoup de souvenir très forts... J'attendais impatiemment l’épisode suivant.
Beauté et souffrance. Fin d'un amour, pas de l'Amour, qui lui ne meurt jamais, restant comme un trésor! Nous renvoyant à notre propre finitude terrestre, certes, mais l'âme, elle, vit toujours.
Notre conscience redevient élargie à l'infini, sans aucune illusion de séparation, reliée aux autres consciences dans un Tout sans limitations d'espace ni de temps.
Belle écriture, profonde humanité et sensibilité!
A n'en pas douter, là aussi, un manque, encore, celui de ne plus vous lire...peut-être!



Texte coquin : Jérém&Nico - 0401 Seul le temps apaisera la blessure.
Histoire sexe : Une rose rouge
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