Baby Blue. Chapitre I. Bunker.
Récit érotique écrit par Iovan [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 26-08-2021 dans la catégorie Entre-nous, hommes et femmes
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Baby Blue. Chapitre I. Bunker.
Baby blue.
Bunker.
J'étais revenu mettre mes pas dans nos pas, au H..., sur cette plage de Normandie qui nous avait vu grandir, vacances après vacances.
Du camping où nous étions établis, quelques centaines de mètres, qui ne faisaient qu’accroître, et aiguiser, l'impatience que nous avions à retrouver notre magnifique terrain de jeu, nous séparaient de la plage et de la dune.
Devant nos yeux d'enfants, les frères, les sœurs, les cousins, les copains, le monde s'ouvrait, riche, plein de promesses : le soleil haut dans le bleu, le vent chargé de grains de sable, qui piquaient notre peau nue, et nous faisait rire, les nuages pommelés, irisés de lumière qui nous émerveillaient, sans qu'on y accorde le moindre intérêt, étaient les garants de ce qui était devant nous , de ce qui nous attendait, confiants.
Les baignades, dans une eau que nos enthousiasmes parvenaient parfois à réchauffer, la pêche aux crevettes, aux coques, les poursuites dans les dunes et l'invention des pires tours pendables, étaient autant de richesses et de terrains d'expérience pour nos imaginations d'enfants !
C'est pourquoi, sans même y avoir réfléchi, après avoir marché sur l'estran de C... à F..., la tête pleine de souvenirs, je m’arrêtai au H... et avisant les blockhaus où nous jouions, étant mômes, je décidai de retourner les « explorer » comme nous l'avions fait, tant de fois.
Cyclopes dérisoires, leur œil étroit tourné vers un horizon, d'où il ne viendrait rien, les bunkers veillaient sur l'absence, sentinelles absurdes et impassibles.
Le temps y continuait patiemment son travail de sape, les déchaussant un peu plus, chaque hiver, au gré des tempêtes.
Le « Pluskat », ainsi que nous avions baptisé cet énorme blockhaus, lors de nos jeux guerriers, masse colossale de béton et d'acier, était soulevé, de guingois et la porte d'entrée, que nous empruntions, faisant cracher nos armes imaginaires, pendant les féroces combats, qui ensanglantèrent ce point stratégique, durant une bonne partie de nos vacances, se trouvait maintenant à deux mètres de hauteur.
Pour achever de défigurer le souvenir que j'en gardais, les parois décrépites du blockhaus, rongées d’embruns et de rouille, étaient couvertes, de tags, degré zéro de la création, motifs égotiques, imbéciles, répétés ad libitum.
J'empruntai le boyau bétonné, en chicane, presque comblé par le sable et me dirigeai vers la seconde casemate, qui se trouvait en retrait.
J'étais sur le point d'y entrer, quand, un grognement, suivi d'une série d'aboiements agressifs m'arrêta net. Une voix de femme ordonna : — Fix, arrête !
Puis, à mon adresse : — Ayez pas peur ! Maintenant, il bougera pas !
J'entrai prudemment, le chien grondant toujours sourdement ...Je vis la silhouette, accotée au mur du fond, lui donner une tape et la bête cessa immédiatement. Tout en essayant de ménager mon odorat, une odeur infecte régnait dans ce bouge, j'essayai d'adapter ma vision, à la pénombre.
Le sol était jonché de détritus, bouteilles vides, papiers gras , boîtes de bière, vêtements en charpie, et au fond de ce dépotoir, adossée au mur, au milieu d'un tas de sacs, une jeune femme, engoncée dans un informe paquet de vêtements, un énorme chien couché à ses cotés, qui, tête dressée, ne me quittait pas du regard.
J'étais déconcerté. Quelqu'un ne peut pas vivre, ne serait ce que quelques heures, dans un endroit pareil !
Avant que j'aie pu me reprendre, la question rituelle tomba : — T'aurais pas un p'tit billet ?
— Non... Non, je n'ai pas d'argent sur moi. Mais, si ça te dis, j'ai des cigarettes...
Et je sortis, écœuré par la puanteur.
Au bout d'un long moment, je la vis arriver, escortée par son molosse, marchant à pas incertains, voûtée, montrant tous les signes d'un état de faiblesse évident. Couverte d'un duvet crasseux, elle portait son uniforme de « punk à chien » , pantalons de treillis, chemise à carreaux nouée autour de la taille, rangers déglinguées...
Elle toussait beaucoup.
Elle montrait une pauvre petite gueule, amaigrie et pâle. Dans les orbites creuses, de magnifiques yeux bleus.
Cette fille ne devait pas avoir vingt-cinq ans.
Elle s'assit à côté de moi. Son chien se coucha à son côté.
—Je suis belle, hein ? Je te plais ?
Un rire désabusé...suivi d'une quinte de toux. Provocation...fierté, quand même !
— Mais, je suis sûr que tu es belle. Seulement,là, tu es bien déglinguée.
—Belle ! Tu te fous de ma gueule... rire féroce, encore.
Je lui tendis mon paquet de Gitanes.
—Je te le laisserai, tout à l'heure. Ça fait longtemps que tu es là ?
—Deux jours . Je suis arrivée avant hier — Et tu viens d'où ? Je ne veux pas t'embêter avec mes questions, si t'as pas envie de parler, on ne parle pas, ok ?
—Non, non , ça fait du bien de parler à quelqu'un. Depuis deux jours, je parle qu'à Fix , il est gentil, mais au niveau conversation, il est plutôt limité...
Elle tétait sa cigarette... Ça ne l'empêchait pas de tousser.
— De Hollande. On était à Amsterdam...Et puis...Je me suis embrouillée avec cette bande de cons...
Je laissai le sujet, pour l'instant.
— Et, toujours sans indiscrétion, tu comptes aller où ?
Elle me regarda...essaya un sourire.
— Je sais pas. Je verrai..
— Penche toi sur moi, une seconde...
Elle se regimba : — Sûrement pas !
— En tout bien, tout honneur...Je ne suis pas rassuré avec ton chien, et je voudrais toucher ton front, je suis sûr que tu as de la fièvre..., s'il te plaît.
Elle se pencha, je posai ma main sur son front . Il était brûlant de fièvre.
Ma décision était prise, maintenant, je devais convaincre.
—Tu as de la fièvre. Beaucoup. Vu d'avion, quarante. Encore une nuit dans ce trou, et tu y laisses ta peau...Écoute... Je t'héberge, le temps que tu te requinques. Je peux pas te laisser ici, dans cet état là !
—C'est ça ! Pour me baiser, hein ?
— Pauvre petite, tu as vu l'état dans lequel tu es ? Je te casserais ! Et puis, tu as Fix... !
Je la regardai, droit dans les yeux et je la vis ciller... Pour dissiper sa gêne, je lançai : —Joli nom , Fix ! Tu carbures à l'héro ?
—A tout...
Elle toussa.
Je hochai la tête.
— Écoute, petite ! Je vais retourner chercher ma voiture. Pendant ce temps, toi, tu ramasses tes affaires, je reviens te chercher d'ici deux heures. Ce soir, au lieu de croupir dans ce trou, tu auras un vrai repas, un bon lit, pour la nuit, et ton copain aura droit à une bonne grosse gamelle, je crois qu'il en a sérieusement besoin..
Elle fit semblant d'hésiter.
— Ouais... ! Ouais, d'accord, je veux bien !
Deux heures plus tard, j'étais devant le bunker, j'enlevai son paquet de sacs, et nous partîmes vers la voiture, que j'avais garée à quelques centaines de mètres, en contrebas de la dune. Elle me suivait, secouée de quintes de toux, le pas traînant. Son molosse, trottant devant elle, se retournant tous les dix mètres, pour s'assurer, inquiet, de sa présence, la bête sentait sa maîtresse en difficulté.
Nous arrivâmes à la maison, et la première chose que je fis, fut de lui faire prendre une douche, après lui avoir fait avaler une aspirine.
Pendant qu'elle se douchait, son chien montant la garde à la porte de la salle de bains, je préparai un « sugo », mis à cuire quelques pâtes, et battis trois œufs en omelette.
Je lui préparai un T-shirt, un sweater et une de mes robes de chambre. Quand, au bout d'un long moment , les cheveux mouillés, elle sortit et revint dans la cuisine, Fix toujours sur les talons, je lui tendis les vêtements .
— On va mettre du propre sur du propre, non ?
Elle repartit, lasse et agacée vers la salle de bains, où elle se changea, pour revenir fringuée comme un épouvantail, mais propre et au chaud.
— Assieds toi et mange ! Je lui servis les penne à la sauce tomate et parmesan , finis de lui faire cuire une omelette, et lui servis un verre de vin.
Au début, elle chipota dans son assiette, mais l’appétit lui vint, elle finit son repas et, en même temps qu' un soupir, j'eus droit à un compliment : — Mmmh, vachement bon !
J'avais fait décongeler deux steaks hachés, et les mélangeant à du pain et du lait , les apportai à Fix, qui se jeta dessus et nettoya la gamelle à la vitesse de l'éclair. La pauvre bête crevait de faim.
— C'est sûrement pas bon pour ce que t'as, mais je sais que t'en crève d'envie, alors on se fume une clope, et au pieu !
Je lui préparai une autre aspirine et l'amenai à sa chambre, à l 'étage, où un lit l'attendait. Fix, qui ne l'avait pas quittée d'un mètre, entra à sa suite.
Avant de refermer la porte, je lui lançai : — Dors bien ! ...Sois sage !
Elle me regarda, avec un pauvre sourire et haussa les épaules. Et alors, que je refermais la porte.
— Eh ! Merci, hein !
Elle eut une nouvelle quinte de toux.
Je redescendis l'escalier, en pensant que je ne savais même pas comment elle s'appelait.
Je repensai à notre rencontre , toute cette crasse, cette déglingue, cette dérive fiévreuse, parfumée au malaise et au milieu de tout ça, son beau regard bleu...la chanson de Dylan me traversa... « It's all over now , Baby Blue. » je croisai le doigts en souhaitant que l'avenir fasse mentir la première partie de la phrase.
J'allai me coucher en pensant, que je venais sûrement de me coller un sacré paquet d'emmerdes sur le dos...Baby blue... ça lui allait bien !
Le lendemain, je fis venir un médecin, qui diagnostiqua une congestion pulmonaire, prescrivit un traitement à base d'antibiotiques et d'anti-inflammatoires. Je lui parlai aussi de son problème d'addiction et là, il tiqua. Je dus batailler ferme, pour qu'il finisse par lui prescrire de la méthadone. Il se fit payer et ajouta avant de partir : — Il y a, aussi, une sérieuse dénutrition...
Je ne lui dis pas que ça, je m'en doutais un peu...
Je sortis immédiatement après lui, et me rendis à la pharmacie, où j'achetai le traitement.
Je fis quelques courses et rentrai retrouver ma punkette et son gardien.
Quand je poussai la porte d'entrée, Fix se mit à grogner, je hurlai : —Fix, arrête ! Ainsi que j'avais entendu sa maîtresse lui ordonner à plusieurs reprises.
A ma surprise, l'animal se détourna, et me tourna le dos, queue entre les pattes : attitude de soumission !
Ce succès inattendu, me surprit.
Si Fix était là, elle n'était pas loin. Je la trouvai dans la cuisine, assise à la table, une clope au bec, j'avais eu le tort de laisser traîner mes Gitanes sur le meuble de cuisine.
—Arrête, petite... écrase cette clope , steup' ! Tu te fais du mal.
-Ça me fait peut-être du mal, mais ça me fait plaisir ! Et puis, arrête d'être gentil , tu me fais chier !
Je gardai mon calme, — Ça peut t'agacer...Possible... ! Mais tu es chez moi. Tu ne me parles pas comme ça, petite conne ! On est d'accord ? C'est la seule fois que je le dirai !
Je posai le sac sur la table. J'avais pris la précaution de planquer la méthadone dans le garage.
— Soigne toi !
Et je sortis, ne rentrant qu' au soir. La maison empestait le hasch.
Je la trouvai au salon, étendue sur le sofa, engoncée dans mon sweater et ma robe de chambre.
L'herbe qui fait rire... ! Laisse moi rigoler ! Sa séance de fumette l'avait complètement dévastée. Du fond de son délire, un concentré de détresse... Elle dérivait . Je me suis assis à côté d'elle, elle a tendu la main vers moi ; elle la laissa retomber, ne pouvant pas aller plus loin, et détourna son visage. Ses larmes coulaient, sans un sanglot... ça pissait.
Bordel ! J'étais désemparé.
Je me levai , enfilai mon blouson. Le chien était assis, en attente. Il n'était pas sorti de la journée.
—Fix ! Allez, viens !
Nous sortîmes, tous les deux, dans la nuit, attiédie par le vent d'ouest, qui sentait l'air marin et la pluie . Il pissa un grand coup, dès que nous fûmes sortis, mais en garda sous le pied, pour lever la patte, à plusieurs reprises, couvrant les marques des autres mâles, passés avant lui.
Je marchai longtemps, essayant de me vider la tête, d'oublier le fardeau que j'avais bien voulu me coller sur le dos, et dont une partie, trottinait à côté de moi...peut-être la plus légère.
Fix avait cette manière de se mouvoir, qui me faisait penser aux grands prédateurs, une allure oblique, constamment aux aguets, qui m'aurait inquiété, si j'avais du le croiser, sur un quelconque trottoir.
Je notai qu'il me jetait, en permanence, des regards rapides, épiant le moindre signal, dans mon attitude, lui indiquant d'adapter son comportement.
J'étais confondu : toute son allure me montrait qu'il me reconnaissait en tant que dominant.
Il était plus de minuit à notre retour.
Je la trouvai, toujours allongée dans le canapé, les yeux grands ouverts, elle n'avait sûrement pas bougé.
Fix se précipita vers elle , elle tressaillit, semblant s'éveiller, tourna la tête, et tendit une main, que le chien se mit aussitôt à lécher. Elle me regarda.
—T'es rentré ! Je suis contente... Dis ! Désolée pour tout à l'heure, hein ?
Je ne répondis pas. Et partis vers la cuisine. J'appelai : — Fix ! Viens manger !
J'entendis ses griffes cliqueter sur le carrelage, il entra, et se mit à tourner en rond, impatiemment. J'ouvris une boîte et vidai la pâtée dans une assiette creuse, que je lui avais désignée comme écuelle. L'odeur le fit redoubler d'impatience.
— Fix, assis !
J'appuyai fortement sur son arrière train, sans succès.
Il me regardait, regardait l'assiette, me regardait à nouveau, ne comprenant pas ayant l'air de dire :« Alors, Vas y ! Donne la moi. Qu'est ce que tu attends ? ». Il avait une expression, intriguée, presque humaine qui me fit sourire.
Je répétai l'ordre, ainsi que le geste.Toujours sans succès, il me regardait, avec les mêmes mimiques, presque attendrissantes... Allez, on verrait demain ! Je posai l'assiette devant lui.
Je retournai au salon. J'étais allé chercher une couverture, dont je la couvris.
Tu as pris ton traitement ?
Oui.
Ce midi aussi ?
Oui. Bon ! Demain, si tu te sens la force, tu feras le tri de tes affaires .Tu me donneras celles que tu veux garder, et le reste, poubelle. On ira t'acheter d'autres fringues quand tu iras mieux.
Voyons si tu as toujours de la fièvre.
Je m'assis sur le bord du sofa, et mis la main sur son front.
Ça baisse pas beaucoup !
Avant que je ne retire ma main, elle la prit et l'embrassa. Elle me jeta son beau regard de trois quart folle.
Tu me jettes pas, hein ?
Elle tenait toujours ma main. J'ébouriffai sa coiffure de punkette.
Pas ce soir, il va pleuvoir.
Je me penchai et embrassai son front brûlant.
Évidemment, tu n'as rien mangé ce midi.
Non, j'avais pas faim...
Repose toi, prends tes médocs, je t'appellerai quand le repas sera prêt.
— Ok, pas de lézard ! Si tu n'as plus faim, stop ! Mais, tu sais, le toubib a dit que tu étais sérieusement dénutrie. Alors, dès que ça te vient... mange, petite ! Mange !
— Tiens regarde l'autre gros goinfre ! Lui, faut pas lui en promettre !
Fix tournait autour de la table, dans l'attente de pouvoir rafler quelque miette tombée.
Je pris l'assiette encore à moitié pleine, et la posai à terre , le temps de me redresser, elle était pratiquement nettoyée .
Elle regardait son chien avec un sourire attendri.
— Tu l'aimes, hein ? — Ouais...! Ouais, c'est mon copain.
Elle planta ses yeux dans les miens... Elle savait que je savais...Son beau regard me demandant, si j'avais quoi que ce soit à y redire.
— Allez, on va mettre bébé au lit ? Comment tu te sens ?
— Ça va ! Je commence à avoir mal au ventre, et dans les jambes. Mais ça, je sais ce que c'est...
Je l'accompagnai à sa chambre.
— Mets toi au lit, je redescends. Je reviens, tout à l'heure, te border et te raconter une belle histoire...Si tu es sage !
J'allai chercher le flacon de méthadone, versai les gouttes dans un verre et le lui tendis.
Tiens ! Bois .
Qu'est ce que c'est ?
— Un verre de pisse !
Elle éclata de rire... Elle aussi, elle était fine.
Méthadone. Il n'y a que moi qui y touche. C'est clair ?
Oui, papa!
— C'est ça, fais ta maline... ! J'ai une fille qui a presque ton âge.
Ça me plaisait: dans son rapport à l'autre, elle avait quitté, l'immédiateté du face à face, et se montrait capable de décalage et de retour sur elle même.
— Et, dans l'histoire, je ne sais toujours pas ton nom... — Annabelle... Toi, je sais... je l'ai vu sur le mot, que ta copine a laissé sur l'ardoise, dans la cuisine.
— Ah !... Oui, c'est un souvenir qui commence à dater. J'aurais du l'effacer depuis longtemps...
En déconnant pour cacher ma gêne, je fredonnai : « Car je suis un...sentimental... »...
Elle sourit.
— Annabelle ! C'est très joli ! J'aime beaucoup... Je trouve que ça te va bien ça te va bien. Allez, Annabelle, buona notte !
Je posai un baiser sur son front. Elle caressa mon bras, alors que je me levais. Fix, couché sur la descente de lit, me suivit du regard, alors que je sortais. Je refermai la porte.
Quelques jours passèrent, nous étions parvenus à mettre en place un modus vivendi et les choses se passaient à peu près bien. Elle se remettait de jour en jour, ne toussait presque plus. Son visage était reposé, et avait perdu cette expression tendue et angoissée, qui la défigurait. Elle récupérait la jolie petite gueule qui devait être la sienne.
Le gros souci était son problème de manque, qui la faisait énormément souffrir, tant physiquement que moralement. Je sentais parfois chez elle , une agressivité qu'elle arrivait, la plupart du temps, à maîtriser et à masquer, mais je la sentais à fleur de peau. Elle était, parfois, saisie de crises d'angoisse, qui la faisaient pleurer et je savais, alors, que je ne pouvais rien faire pour l'apaiser. Physiquement, aussi, je voyais qu'elle prenait cher, se tenant parfois le ventre à deux mains, en grimaçant, ou marchant comme une petite vieille, quand une crise la tenait. J'avais augmenté sa dose de méthadone, de quarante jour, je passai aux soixante millilitres autorisés, et même si cela la soulageait beaucoup, les trois premiers jours, furent difficiles. Elle faisait montre de courage et tenait bon. Les choses allaient, plutôt, dans le bon sens. La drogue ne l'avait, peut-être, pas encore totalement bousillée.
La maison était parfumée au hasch... Pour le moment, elle n'avait pas repiqué à la dure, mais elle devait avoir un joli stock de shit, dans lequel elle puisait régulièrement et s'organisait des séances de fumette, surtout quand je n'étais pas là. Ça m'emmerdait, mais je me faisais une patience...
Nous parlions souvent, et même si elle se montrait parfois évasive sur certains sujets, ou se fermait comme une huître, comme le jour ou j'avais tenté d'aborder le sujet de la famille, nous discutions beaucoup, surtout aux repas. Je la savais abîmée, mais je découvrais, aussi, une fille intelligente, sensible et cultivée.
Elle ne sortait pas, aussi j'emmenais souvent Fix avec moi, et des liens discrets, mais tangibles, commençaient à se tisser, entre l'animal et moi.
Au bout d'une semaine, je la sentis totalement guérie de sa congestion. Annabelle n'avait plus de fièvre, et avait remarquablement récupéré. Un régime alimentaire normal et équilibré, l'avait remise en forme, et il me semblait qu'elle ne souffrait plus, ou de façon bien moindre, de ses crises de manque, cela se voyait à son comportement, plus enjoué, et à toute une attitude, qui se montrait presque libre et détendue.
C'était une jolie fille , avec son visage mince aux traits fins que mangeait le beau regard bleu, sa coiffure de poule Cayenne, prune, très courte sur les cotés dégageait de jolies petites oreilles finement ourlées qui es faisaient ressembler à des coquillages, bardées de piercings et de boucles du plus élégant effet... Cette branleuse faisait tout pour s'enlaidir.
Elle était de taille moyenne, mince, joliment faite, la taille bien prise. Je remarquai qu'elle avait un jolie chute de reins et m'imaginais qu'elle devait avoir un beau petit cul qu'elle cachait avec les vêtements les plus déglingue qu'elle pouvait trouver. Deux petites miches de rat pointaient à peine sous son T-shirt ...Je trouvais que ça lui allait plutôt bien. Cette gamine se trimballait un refus de son image de femme qui la faisait prendre les chemins de traverse les plus escarpés... Elle venait de frôler le casse-gueule, ce qui aurait été dommage, vu qu'elle l'avait bien mignonne.
Je déconnais, et racontais des blagues, elle riait maintenant, et l'ambiance à la maison, était devenue légère, presque gaie.
Un soir, alors que nous prenions un verre devant le feu de cheminée, qui embaumait le bois de pommier, nous parlions de futilités, le chien couché à ses pieds. Je fis une blague, sur la félicité, quiète et sage, du parfait petit couple bourgeois, engourdi dans la tranquillité tiède, d'un bonheur à deux balles.
J'étais debout près de la cheminée, tisonnant le feu.
Elle était assise dans le sofa. Qu'est ce que ces quelques paroles anodines, avaient bien pu éveiller en elle... ? Elle me regarda longuement, de son beau regard bleu, sans rien dire, se leva, vint à moi, puis doucement, me laissant étonné, elle mit ses bras autour de moi, posa sa tête contre ma poitrine. Elle s'y serra...Longtemps... Je l'entourais de mes bras, perplexe, effleurant de mes lèvres, sa chevelure, m'efforçant d'y mettre la plus grande douceur. Sans même y penser, j'entamai un imperceptible mouvement lent et calme la berçant doucement. Elle faisait effort pour respirer calmement. J'essayai de réfléchir à une stratégie...et, décidai qu'il n'y en aurait pas : je voulais qu'elle continue à lâcher prise, je devais pour cela, être le premier à le faire. Nous étions tous deux, dans une attente...peut-être de l'autre, avec nos méfiances et nos soupçons.
Caressant ses épaules et son dos, les effleurant à peine, je continuais à embrasser légèrement ses cheveux, cela dura longtemps... Sa respiration s'alentissait. Aucun de nous deux ne parlait.
Nous étions sur « pause ». Un temps blanc, vide, rien, si ce n'était la crainte de faire ce qu'il ne fallait pas faire, de dire ce qu'il ne fallait pas dire... Elle leva vers moi, le bleu de son regard. Il y brillait des larmes qui ne monteraient pas.
Sans brusquerie, tenter... j' effleurai doucement sa bouche, aux lèvres sèches et fermées, . Face à face, l'un contre, l'autre...Elle fermait les yeux.
Cela commença par nos souffles.
Chaud, suave,... un mouvement lent et profond, encore en devenir, qui se faisait presque une promesse. Son souffle, sur ma bouche, qu' elle ne faisait plus effort pour maîtriser, s'était alenti et je le sentais régulier, apaisé. Je la laissai venir... désir fou, désir flou, encore trop loin. Ne rien faire. Ne rien dire.
Je l'inspirais, je le buvais. Elle approchait. Il vint un moment, où, sans que nous n'y prenions garde, nos respirations s'accordèrent. Je la respirais, elle me respirait... Un accord, une harmonie montait de nous, en nous, que je sentais une autre rencontre.
Je la sentis se lâcher sous ma main, elle montait, montait, quelque chose en elle voulait …Elle avait levé la tête, consciemment ou non, ses lèvres, d'où s'envolait son haleine, touchaient presque les miennes. Elle m'appelait... ?
J’effleurai sa bouche de la mienne, essayant de la rendre la plus douce possible... Il me fallait ne pas vouloir conquérir.
Il se passa alors, quelque chose que je n'ai jamais retrouvé.
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Bunker.
J'étais revenu mettre mes pas dans nos pas, au H..., sur cette plage de Normandie qui nous avait vu grandir, vacances après vacances.
Du camping où nous étions établis, quelques centaines de mètres, qui ne faisaient qu’accroître, et aiguiser, l'impatience que nous avions à retrouver notre magnifique terrain de jeu, nous séparaient de la plage et de la dune.
Devant nos yeux d'enfants, les frères, les sœurs, les cousins, les copains, le monde s'ouvrait, riche, plein de promesses : le soleil haut dans le bleu, le vent chargé de grains de sable, qui piquaient notre peau nue, et nous faisait rire, les nuages pommelés, irisés de lumière qui nous émerveillaient, sans qu'on y accorde le moindre intérêt, étaient les garants de ce qui était devant nous , de ce qui nous attendait, confiants.
Les baignades, dans une eau que nos enthousiasmes parvenaient parfois à réchauffer, la pêche aux crevettes, aux coques, les poursuites dans les dunes et l'invention des pires tours pendables, étaient autant de richesses et de terrains d'expérience pour nos imaginations d'enfants !
C'est pourquoi, sans même y avoir réfléchi, après avoir marché sur l'estran de C... à F..., la tête pleine de souvenirs, je m’arrêtai au H... et avisant les blockhaus où nous jouions, étant mômes, je décidai de retourner les « explorer » comme nous l'avions fait, tant de fois.
Cyclopes dérisoires, leur œil étroit tourné vers un horizon, d'où il ne viendrait rien, les bunkers veillaient sur l'absence, sentinelles absurdes et impassibles.
Le temps y continuait patiemment son travail de sape, les déchaussant un peu plus, chaque hiver, au gré des tempêtes.
Le « Pluskat », ainsi que nous avions baptisé cet énorme blockhaus, lors de nos jeux guerriers, masse colossale de béton et d'acier, était soulevé, de guingois et la porte d'entrée, que nous empruntions, faisant cracher nos armes imaginaires, pendant les féroces combats, qui ensanglantèrent ce point stratégique, durant une bonne partie de nos vacances, se trouvait maintenant à deux mètres de hauteur.
Pour achever de défigurer le souvenir que j'en gardais, les parois décrépites du blockhaus, rongées d’embruns et de rouille, étaient couvertes, de tags, degré zéro de la création, motifs égotiques, imbéciles, répétés ad libitum.
J'empruntai le boyau bétonné, en chicane, presque comblé par le sable et me dirigeai vers la seconde casemate, qui se trouvait en retrait.
J'étais sur le point d'y entrer, quand, un grognement, suivi d'une série d'aboiements agressifs m'arrêta net. Une voix de femme ordonna : — Fix, arrête !
Puis, à mon adresse : — Ayez pas peur ! Maintenant, il bougera pas !
J'entrai prudemment, le chien grondant toujours sourdement ...Je vis la silhouette, accotée au mur du fond, lui donner une tape et la bête cessa immédiatement. Tout en essayant de ménager mon odorat, une odeur infecte régnait dans ce bouge, j'essayai d'adapter ma vision, à la pénombre.
Le sol était jonché de détritus, bouteilles vides, papiers gras , boîtes de bière, vêtements en charpie, et au fond de ce dépotoir, adossée au mur, au milieu d'un tas de sacs, une jeune femme, engoncée dans un informe paquet de vêtements, un énorme chien couché à ses cotés, qui, tête dressée, ne me quittait pas du regard.
J'étais déconcerté. Quelqu'un ne peut pas vivre, ne serait ce que quelques heures, dans un endroit pareil !
Avant que j'aie pu me reprendre, la question rituelle tomba : — T'aurais pas un p'tit billet ?
— Non... Non, je n'ai pas d'argent sur moi. Mais, si ça te dis, j'ai des cigarettes...
Et je sortis, écœuré par la puanteur.
Au bout d'un long moment, je la vis arriver, escortée par son molosse, marchant à pas incertains, voûtée, montrant tous les signes d'un état de faiblesse évident. Couverte d'un duvet crasseux, elle portait son uniforme de « punk à chien » , pantalons de treillis, chemise à carreaux nouée autour de la taille, rangers déglinguées...
Elle toussait beaucoup.
Elle montrait une pauvre petite gueule, amaigrie et pâle. Dans les orbites creuses, de magnifiques yeux bleus.
Cette fille ne devait pas avoir vingt-cinq ans.
Elle s'assit à côté de moi. Son chien se coucha à son côté.
—Je suis belle, hein ? Je te plais ?
Un rire désabusé...suivi d'une quinte de toux. Provocation...fierté, quand même !
— Mais, je suis sûr que tu es belle. Seulement,là, tu es bien déglinguée.
—Belle ! Tu te fous de ma gueule... rire féroce, encore.
Je lui tendis mon paquet de Gitanes.
—Je te le laisserai, tout à l'heure. Ça fait longtemps que tu es là ?
—Deux jours . Je suis arrivée avant hier — Et tu viens d'où ? Je ne veux pas t'embêter avec mes questions, si t'as pas envie de parler, on ne parle pas, ok ?
—Non, non , ça fait du bien de parler à quelqu'un. Depuis deux jours, je parle qu'à Fix , il est gentil, mais au niveau conversation, il est plutôt limité...
Elle tétait sa cigarette... Ça ne l'empêchait pas de tousser.
— De Hollande. On était à Amsterdam...Et puis...Je me suis embrouillée avec cette bande de cons...
Je laissai le sujet, pour l'instant.
— Et, toujours sans indiscrétion, tu comptes aller où ?
Elle me regarda...essaya un sourire.
— Je sais pas. Je verrai..
— Penche toi sur moi, une seconde...
Elle se regimba : — Sûrement pas !
— En tout bien, tout honneur...Je ne suis pas rassuré avec ton chien, et je voudrais toucher ton front, je suis sûr que tu as de la fièvre..., s'il te plaît.
Elle se pencha, je posai ma main sur son front . Il était brûlant de fièvre.
Ma décision était prise, maintenant, je devais convaincre.
—Tu as de la fièvre. Beaucoup. Vu d'avion, quarante. Encore une nuit dans ce trou, et tu y laisses ta peau...Écoute... Je t'héberge, le temps que tu te requinques. Je peux pas te laisser ici, dans cet état là !
—C'est ça ! Pour me baiser, hein ?
— Pauvre petite, tu as vu l'état dans lequel tu es ? Je te casserais ! Et puis, tu as Fix... !
Je la regardai, droit dans les yeux et je la vis ciller... Pour dissiper sa gêne, je lançai : —Joli nom , Fix ! Tu carbures à l'héro ?
—A tout...
Elle toussa.
Je hochai la tête.
— Écoute, petite ! Je vais retourner chercher ma voiture. Pendant ce temps, toi, tu ramasses tes affaires, je reviens te chercher d'ici deux heures. Ce soir, au lieu de croupir dans ce trou, tu auras un vrai repas, un bon lit, pour la nuit, et ton copain aura droit à une bonne grosse gamelle, je crois qu'il en a sérieusement besoin..
Elle fit semblant d'hésiter.
— Ouais... ! Ouais, d'accord, je veux bien !
Deux heures plus tard, j'étais devant le bunker, j'enlevai son paquet de sacs, et nous partîmes vers la voiture, que j'avais garée à quelques centaines de mètres, en contrebas de la dune. Elle me suivait, secouée de quintes de toux, le pas traînant. Son molosse, trottant devant elle, se retournant tous les dix mètres, pour s'assurer, inquiet, de sa présence, la bête sentait sa maîtresse en difficulté.
Nous arrivâmes à la maison, et la première chose que je fis, fut de lui faire prendre une douche, après lui avoir fait avaler une aspirine.
Pendant qu'elle se douchait, son chien montant la garde à la porte de la salle de bains, je préparai un « sugo », mis à cuire quelques pâtes, et battis trois œufs en omelette.
Je lui préparai un T-shirt, un sweater et une de mes robes de chambre. Quand, au bout d'un long moment , les cheveux mouillés, elle sortit et revint dans la cuisine, Fix toujours sur les talons, je lui tendis les vêtements .
— On va mettre du propre sur du propre, non ?
Elle repartit, lasse et agacée vers la salle de bains, où elle se changea, pour revenir fringuée comme un épouvantail, mais propre et au chaud.
— Assieds toi et mange ! Je lui servis les penne à la sauce tomate et parmesan , finis de lui faire cuire une omelette, et lui servis un verre de vin.
Au début, elle chipota dans son assiette, mais l’appétit lui vint, elle finit son repas et, en même temps qu' un soupir, j'eus droit à un compliment : — Mmmh, vachement bon !
J'avais fait décongeler deux steaks hachés, et les mélangeant à du pain et du lait , les apportai à Fix, qui se jeta dessus et nettoya la gamelle à la vitesse de l'éclair. La pauvre bête crevait de faim.
— C'est sûrement pas bon pour ce que t'as, mais je sais que t'en crève d'envie, alors on se fume une clope, et au pieu !
Je lui préparai une autre aspirine et l'amenai à sa chambre, à l 'étage, où un lit l'attendait. Fix, qui ne l'avait pas quittée d'un mètre, entra à sa suite.
Avant de refermer la porte, je lui lançai : — Dors bien ! ...Sois sage !
Elle me regarda, avec un pauvre sourire et haussa les épaules. Et alors, que je refermais la porte.
— Eh ! Merci, hein !
Elle eut une nouvelle quinte de toux.
Je redescendis l'escalier, en pensant que je ne savais même pas comment elle s'appelait.
Je repensai à notre rencontre , toute cette crasse, cette déglingue, cette dérive fiévreuse, parfumée au malaise et au milieu de tout ça, son beau regard bleu...la chanson de Dylan me traversa... « It's all over now , Baby Blue. » je croisai le doigts en souhaitant que l'avenir fasse mentir la première partie de la phrase.
J'allai me coucher en pensant, que je venais sûrement de me coller un sacré paquet d'emmerdes sur le dos...Baby blue... ça lui allait bien !
Le lendemain, je fis venir un médecin, qui diagnostiqua une congestion pulmonaire, prescrivit un traitement à base d'antibiotiques et d'anti-inflammatoires. Je lui parlai aussi de son problème d'addiction et là, il tiqua. Je dus batailler ferme, pour qu'il finisse par lui prescrire de la méthadone. Il se fit payer et ajouta avant de partir : — Il y a, aussi, une sérieuse dénutrition...
Je ne lui dis pas que ça, je m'en doutais un peu...
Je sortis immédiatement après lui, et me rendis à la pharmacie, où j'achetai le traitement.
Je fis quelques courses et rentrai retrouver ma punkette et son gardien.
Quand je poussai la porte d'entrée, Fix se mit à grogner, je hurlai : —Fix, arrête ! Ainsi que j'avais entendu sa maîtresse lui ordonner à plusieurs reprises.
A ma surprise, l'animal se détourna, et me tourna le dos, queue entre les pattes : attitude de soumission !
Ce succès inattendu, me surprit.
Si Fix était là, elle n'était pas loin. Je la trouvai dans la cuisine, assise à la table, une clope au bec, j'avais eu le tort de laisser traîner mes Gitanes sur le meuble de cuisine.
—Arrête, petite... écrase cette clope , steup' ! Tu te fais du mal.
-Ça me fait peut-être du mal, mais ça me fait plaisir ! Et puis, arrête d'être gentil , tu me fais chier !
Je gardai mon calme, — Ça peut t'agacer...Possible... ! Mais tu es chez moi. Tu ne me parles pas comme ça, petite conne ! On est d'accord ? C'est la seule fois que je le dirai !
Je posai le sac sur la table. J'avais pris la précaution de planquer la méthadone dans le garage.
— Soigne toi !
Et je sortis, ne rentrant qu' au soir. La maison empestait le hasch.
Je la trouvai au salon, étendue sur le sofa, engoncée dans mon sweater et ma robe de chambre.
L'herbe qui fait rire... ! Laisse moi rigoler ! Sa séance de fumette l'avait complètement dévastée. Du fond de son délire, un concentré de détresse... Elle dérivait . Je me suis assis à côté d'elle, elle a tendu la main vers moi ; elle la laissa retomber, ne pouvant pas aller plus loin, et détourna son visage. Ses larmes coulaient, sans un sanglot... ça pissait.
Bordel ! J'étais désemparé.
Je me levai , enfilai mon blouson. Le chien était assis, en attente. Il n'était pas sorti de la journée.
—Fix ! Allez, viens !
Nous sortîmes, tous les deux, dans la nuit, attiédie par le vent d'ouest, qui sentait l'air marin et la pluie . Il pissa un grand coup, dès que nous fûmes sortis, mais en garda sous le pied, pour lever la patte, à plusieurs reprises, couvrant les marques des autres mâles, passés avant lui.
Je marchai longtemps, essayant de me vider la tête, d'oublier le fardeau que j'avais bien voulu me coller sur le dos, et dont une partie, trottinait à côté de moi...peut-être la plus légère.
Fix avait cette manière de se mouvoir, qui me faisait penser aux grands prédateurs, une allure oblique, constamment aux aguets, qui m'aurait inquiété, si j'avais du le croiser, sur un quelconque trottoir.
Je notai qu'il me jetait, en permanence, des regards rapides, épiant le moindre signal, dans mon attitude, lui indiquant d'adapter son comportement.
J'étais confondu : toute son allure me montrait qu'il me reconnaissait en tant que dominant.
Il était plus de minuit à notre retour.
Je la trouvai, toujours allongée dans le canapé, les yeux grands ouverts, elle n'avait sûrement pas bougé.
Fix se précipita vers elle , elle tressaillit, semblant s'éveiller, tourna la tête, et tendit une main, que le chien se mit aussitôt à lécher. Elle me regarda.
—T'es rentré ! Je suis contente... Dis ! Désolée pour tout à l'heure, hein ?
Je ne répondis pas. Et partis vers la cuisine. J'appelai : — Fix ! Viens manger !
J'entendis ses griffes cliqueter sur le carrelage, il entra, et se mit à tourner en rond, impatiemment. J'ouvris une boîte et vidai la pâtée dans une assiette creuse, que je lui avais désignée comme écuelle. L'odeur le fit redoubler d'impatience.
— Fix, assis !
J'appuyai fortement sur son arrière train, sans succès.
Il me regardait, regardait l'assiette, me regardait à nouveau, ne comprenant pas ayant l'air de dire :« Alors, Vas y ! Donne la moi. Qu'est ce que tu attends ? ». Il avait une expression, intriguée, presque humaine qui me fit sourire.
Je répétai l'ordre, ainsi que le geste.Toujours sans succès, il me regardait, avec les mêmes mimiques, presque attendrissantes... Allez, on verrait demain ! Je posai l'assiette devant lui.
Je retournai au salon. J'étais allé chercher une couverture, dont je la couvris.
Tu as pris ton traitement ?
Oui.
Ce midi aussi ?
Oui. Bon ! Demain, si tu te sens la force, tu feras le tri de tes affaires .Tu me donneras celles que tu veux garder, et le reste, poubelle. On ira t'acheter d'autres fringues quand tu iras mieux.
Voyons si tu as toujours de la fièvre.
Je m'assis sur le bord du sofa, et mis la main sur son front.
Ça baisse pas beaucoup !
Avant que je ne retire ma main, elle la prit et l'embrassa. Elle me jeta son beau regard de trois quart folle.
Tu me jettes pas, hein ?
Elle tenait toujours ma main. J'ébouriffai sa coiffure de punkette.
Pas ce soir, il va pleuvoir.
Je me penchai et embrassai son front brûlant.
Évidemment, tu n'as rien mangé ce midi.
Non, j'avais pas faim...
Repose toi, prends tes médocs, je t'appellerai quand le repas sera prêt.
— Ok, pas de lézard ! Si tu n'as plus faim, stop ! Mais, tu sais, le toubib a dit que tu étais sérieusement dénutrie. Alors, dès que ça te vient... mange, petite ! Mange !
— Tiens regarde l'autre gros goinfre ! Lui, faut pas lui en promettre !
Fix tournait autour de la table, dans l'attente de pouvoir rafler quelque miette tombée.
Je pris l'assiette encore à moitié pleine, et la posai à terre , le temps de me redresser, elle était pratiquement nettoyée .
Elle regardait son chien avec un sourire attendri.
— Tu l'aimes, hein ? — Ouais...! Ouais, c'est mon copain.
Elle planta ses yeux dans les miens... Elle savait que je savais...Son beau regard me demandant, si j'avais quoi que ce soit à y redire.
— Allez, on va mettre bébé au lit ? Comment tu te sens ?
— Ça va ! Je commence à avoir mal au ventre, et dans les jambes. Mais ça, je sais ce que c'est...
Je l'accompagnai à sa chambre.
— Mets toi au lit, je redescends. Je reviens, tout à l'heure, te border et te raconter une belle histoire...Si tu es sage !
J'allai chercher le flacon de méthadone, versai les gouttes dans un verre et le lui tendis.
Tiens ! Bois .
Qu'est ce que c'est ?
— Un verre de pisse !
Elle éclata de rire... Elle aussi, elle était fine.
Méthadone. Il n'y a que moi qui y touche. C'est clair ?
Oui, papa!
— C'est ça, fais ta maline... ! J'ai une fille qui a presque ton âge.
Ça me plaisait: dans son rapport à l'autre, elle avait quitté, l'immédiateté du face à face, et se montrait capable de décalage et de retour sur elle même.
— Et, dans l'histoire, je ne sais toujours pas ton nom... — Annabelle... Toi, je sais... je l'ai vu sur le mot, que ta copine a laissé sur l'ardoise, dans la cuisine.
— Ah !... Oui, c'est un souvenir qui commence à dater. J'aurais du l'effacer depuis longtemps...
En déconnant pour cacher ma gêne, je fredonnai : « Car je suis un...sentimental... »...
Elle sourit.
— Annabelle ! C'est très joli ! J'aime beaucoup... Je trouve que ça te va bien ça te va bien. Allez, Annabelle, buona notte !
Je posai un baiser sur son front. Elle caressa mon bras, alors que je me levais. Fix, couché sur la descente de lit, me suivit du regard, alors que je sortais. Je refermai la porte.
Quelques jours passèrent, nous étions parvenus à mettre en place un modus vivendi et les choses se passaient à peu près bien. Elle se remettait de jour en jour, ne toussait presque plus. Son visage était reposé, et avait perdu cette expression tendue et angoissée, qui la défigurait. Elle récupérait la jolie petite gueule qui devait être la sienne.
Le gros souci était son problème de manque, qui la faisait énormément souffrir, tant physiquement que moralement. Je sentais parfois chez elle , une agressivité qu'elle arrivait, la plupart du temps, à maîtriser et à masquer, mais je la sentais à fleur de peau. Elle était, parfois, saisie de crises d'angoisse, qui la faisaient pleurer et je savais, alors, que je ne pouvais rien faire pour l'apaiser. Physiquement, aussi, je voyais qu'elle prenait cher, se tenant parfois le ventre à deux mains, en grimaçant, ou marchant comme une petite vieille, quand une crise la tenait. J'avais augmenté sa dose de méthadone, de quarante jour, je passai aux soixante millilitres autorisés, et même si cela la soulageait beaucoup, les trois premiers jours, furent difficiles. Elle faisait montre de courage et tenait bon. Les choses allaient, plutôt, dans le bon sens. La drogue ne l'avait, peut-être, pas encore totalement bousillée.
La maison était parfumée au hasch... Pour le moment, elle n'avait pas repiqué à la dure, mais elle devait avoir un joli stock de shit, dans lequel elle puisait régulièrement et s'organisait des séances de fumette, surtout quand je n'étais pas là. Ça m'emmerdait, mais je me faisais une patience...
Nous parlions souvent, et même si elle se montrait parfois évasive sur certains sujets, ou se fermait comme une huître, comme le jour ou j'avais tenté d'aborder le sujet de la famille, nous discutions beaucoup, surtout aux repas. Je la savais abîmée, mais je découvrais, aussi, une fille intelligente, sensible et cultivée.
Elle ne sortait pas, aussi j'emmenais souvent Fix avec moi, et des liens discrets, mais tangibles, commençaient à se tisser, entre l'animal et moi.
Au bout d'une semaine, je la sentis totalement guérie de sa congestion. Annabelle n'avait plus de fièvre, et avait remarquablement récupéré. Un régime alimentaire normal et équilibré, l'avait remise en forme, et il me semblait qu'elle ne souffrait plus, ou de façon bien moindre, de ses crises de manque, cela se voyait à son comportement, plus enjoué, et à toute une attitude, qui se montrait presque libre et détendue.
C'était une jolie fille , avec son visage mince aux traits fins que mangeait le beau regard bleu, sa coiffure de poule Cayenne, prune, très courte sur les cotés dégageait de jolies petites oreilles finement ourlées qui es faisaient ressembler à des coquillages, bardées de piercings et de boucles du plus élégant effet... Cette branleuse faisait tout pour s'enlaidir.
Elle était de taille moyenne, mince, joliment faite, la taille bien prise. Je remarquai qu'elle avait un jolie chute de reins et m'imaginais qu'elle devait avoir un beau petit cul qu'elle cachait avec les vêtements les plus déglingue qu'elle pouvait trouver. Deux petites miches de rat pointaient à peine sous son T-shirt ...Je trouvais que ça lui allait plutôt bien. Cette gamine se trimballait un refus de son image de femme qui la faisait prendre les chemins de traverse les plus escarpés... Elle venait de frôler le casse-gueule, ce qui aurait été dommage, vu qu'elle l'avait bien mignonne.
Je déconnais, et racontais des blagues, elle riait maintenant, et l'ambiance à la maison, était devenue légère, presque gaie.
Un soir, alors que nous prenions un verre devant le feu de cheminée, qui embaumait le bois de pommier, nous parlions de futilités, le chien couché à ses pieds. Je fis une blague, sur la félicité, quiète et sage, du parfait petit couple bourgeois, engourdi dans la tranquillité tiède, d'un bonheur à deux balles.
J'étais debout près de la cheminée, tisonnant le feu.
Elle était assise dans le sofa. Qu'est ce que ces quelques paroles anodines, avaient bien pu éveiller en elle... ? Elle me regarda longuement, de son beau regard bleu, sans rien dire, se leva, vint à moi, puis doucement, me laissant étonné, elle mit ses bras autour de moi, posa sa tête contre ma poitrine. Elle s'y serra...Longtemps... Je l'entourais de mes bras, perplexe, effleurant de mes lèvres, sa chevelure, m'efforçant d'y mettre la plus grande douceur. Sans même y penser, j'entamai un imperceptible mouvement lent et calme la berçant doucement. Elle faisait effort pour respirer calmement. J'essayai de réfléchir à une stratégie...et, décidai qu'il n'y en aurait pas : je voulais qu'elle continue à lâcher prise, je devais pour cela, être le premier à le faire. Nous étions tous deux, dans une attente...peut-être de l'autre, avec nos méfiances et nos soupçons.
Caressant ses épaules et son dos, les effleurant à peine, je continuais à embrasser légèrement ses cheveux, cela dura longtemps... Sa respiration s'alentissait. Aucun de nous deux ne parlait.
Nous étions sur « pause ». Un temps blanc, vide, rien, si ce n'était la crainte de faire ce qu'il ne fallait pas faire, de dire ce qu'il ne fallait pas dire... Elle leva vers moi, le bleu de son regard. Il y brillait des larmes qui ne monteraient pas.
Sans brusquerie, tenter... j' effleurai doucement sa bouche, aux lèvres sèches et fermées, . Face à face, l'un contre, l'autre...Elle fermait les yeux.
Cela commença par nos souffles.
Chaud, suave,... un mouvement lent et profond, encore en devenir, qui se faisait presque une promesse. Son souffle, sur ma bouche, qu' elle ne faisait plus effort pour maîtriser, s'était alenti et je le sentais régulier, apaisé. Je la laissai venir... désir fou, désir flou, encore trop loin. Ne rien faire. Ne rien dire.
Je l'inspirais, je le buvais. Elle approchait. Il vint un moment, où, sans que nous n'y prenions garde, nos respirations s'accordèrent. Je la respirais, elle me respirait... Un accord, une harmonie montait de nous, en nous, que je sentais une autre rencontre.
Je la sentis se lâcher sous ma main, elle montait, montait, quelque chose en elle voulait …Elle avait levé la tête, consciemment ou non, ses lèvres, d'où s'envolait son haleine, touchaient presque les miennes. Elle m'appelait... ?
J’effleurai sa bouche de la mienne, essayant de la rendre la plus douce possible... Il me fallait ne pas vouloir conquérir.
Il se passa alors, quelque chose que je n'ai jamais retrouvé.
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