Et la rêveuse rêva que le rêve s’éveillait…
Récit érotique écrit par domindoe [→ Accès à sa fiche auteur]
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 19-01-2023 dans la catégorie A dormir debout
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Et la rêveuse rêva que le rêve s’éveillait…
Plus on monte et moins il y a de gens, plus leur accent augmente et moins on les comprend. C’est ce que l’aubergiste chez qui je logeais m’avait dit pour me dissuader de me lancer dans l’ascension du mont en une courte journée.
***
Je faisais de la randonnée en cyclotouriste et j’avais atterri là par hasard autant que par erreur. Je me situais dans une zone au bout de la civilisation, à en croire l’inconcevable mutisme de mon GPS et de toute sa cartographie numérique mondiale qui me laissaient dans l’ignorance totale de ce mont chauve et de ses alentours. Devant moi se dressait un massif aussi large qu’incontournable, aussi imposant que solitaire, debout et fier dans une lande désertique si ce n’était la présence de cette auberge qui aurait mérité une pancarte « dernière halte avant la fin du monde ».
J’avais donc fait étape dans cet établissement de la dernière chance. Une nuit de repos et quelques renseignements humains, pensais-je, compenseraient fatigue d’errance et déshérence informatique, téléphonique et satellitaire. L’accueil à l’auberge était chaleureux. Bien que la fin de saison printanière ne s’y prêtât pas particulièrement, un beau feu de bois crépitait dans une grande cheminée qui faisait face à la porte d’entrée. Je compris quelques heures plus tard le pourquoi du feu dans l’âtre : en journée, la température devenait subitement fraiche lorsqu’une masse de nuages venait à masquer le soleil ou que celui-ci dissimulait sa chaleur à l’ombre du mont bien avant le crépuscule puis que les nuits de printemps faisaient rapidement chuter cette température dans le glacial.
Je m’avançais jusqu’au comptoir lorsque, au premier craquement d’une lame du parquet, le patron sortit de je ne sais où pour me proposer un tarif exceptionnel autant que promotionnel pour un séjour longue durée. Tandis que je l’informais de mon intention de ne rester qu’une nuit pour me reposer, il me proposa, après un avertissement sur l’inhospitalité des habitants du mont, la seconde nuitée sans supplément de tarif.
— Gratuitement ? insistai-je.
— Absolument, il n’y a personne actuellement, ma femme et moi, nous ennuyons à mourir. Un peu de compagnie pour nous autant qu’une nuit de sommeil supplémentaire pour vous, nous fera à tous le plus grand bien.
L’aubergiste semblait être un homme jovial dans la cinquantaine, méditerranéen, quasiment une caricature aux joues rougeaudes, au nez rond, aux yeux pétillants, à l’accent chantant, bonhomme à l’expression truculente, mais parfois retorse. Je me sentais un peu mal à l’aise en sa présence sans savoir préciser pourquoi au-delà de cette allure madrée. Cependant j’acceptai sans plus d’hésitation, j’aurais ainsi le temps de repérer les lieux et le parcours avant de m’aventurer à escalader ce mont solitaire plutôt impressionnant.
J’eus droit à tous les égards et à la plus confortable des chambres de l’auberge. Elle était située à l’étage avec vue sur le massif qui, tel un garde inflexible, obturait mon passage, mon esprit et ma vision. Le lit était un délice de douceur reposante, je m’y allongeai et faillis m’endormir sur le champ tant par la fatigue de la randonnée que par l’invitation à s’alanguir que son matelas en laine procurait. Il n’y avait aucune source de bruit, la chambre n’avait pas de TV, ni radio ni réveil, aucune connexion internet, pas de Wi-Fi. Rien. La zone était aussi blanche que me l’avait suggéré mon GPS et dépeinte le patron. Aussi blanche que la chaux qui recouvrait les murs nus de la chambre. Le silence était absolu, tout juste distinguais-je, à grand-peine, en forçant l’oreille, une bûche craquant dans le foyer, en bas… et encore peut-être mon imagination me chuchotait-elle quelque bruit rassurant, ou bien une lame du plancher qui grinçait pour distraire le silence de ce long ennui.
J’ouvris la fenêtre. Pas un chant d’oiseau. Seul le mugissement du vent dans les branches et le bruissement de leurs feuilles éperdues. Régulier, fort et violent, dominant le tumulte et semblant faire taire les lamentations du feuillage, un claquement, sec. Puis en écho, ce mugissement, langoureux et plaintif, accompagné du bruissement des feuilles toujours affolées, se démenant pour s’arracher des entraves les enchainant aux branches jusqu’à l’automne. À nouveau, un claquement sec, le mugissement plaintif et le bruissement des feuilles sous le vent.
Hypnotisé par ce cycle continuel, je n’entendis pas l’aubergiste m’appeler.
***
Une jeune femme rousse – je lui donnais dans les vingt-cinq ans – se tenait sur le pas de la porte lorsque je me retournai. Je crus que le patron avait oublié de me parler de sa fille, mais c’était bien son épouse qui se dressait en face de moi.
— Si vous voulez bien vous joindre à nous, le repas est prêt, me dit-elle en souriant. Vous n’entendiez pas, je me suis permis de monter et de frapper, comme vous ne répondiez pas, j’ai ouvert. J’espère que vous ne m’en voulez pas ?
— Euh, hé bien, euh… non, bien sûr que non.
J’étais un peu perdu. Je mis quelques secondes à remettre mes idées en phase avec ce que je voyais. Pour remplir les blancs que je laissais, elle se présenta comme Ludmilla, mariée à l’aubergiste Jérôme depuis dix ans – ce qui bouleversait mes théories sur son âge. Elle ne m’en apprit pas plus sur son état civil, ni si j’avais bien estimé l’âge de son mari. Je sus qu’ils avaient ouvert cette auberge six ans auparavant… et nous étions arrivés à la salle à manger. L’aubergiste nous attendait.
Jérôme était le mari de Ludmilla mais se comportait en maître d’hôtel.
Tirant les chaises de sous la table, il nous invita, Ludmilla et moi, à nous installer côte à côte tandis qu’il prendrait place en face de moi. Il me servit copieusement un apéritif cocktail dont j’ignorais tout, une spécialité du pays dont je devais lui dire des nouvelles, une sorte de Gémépy, Gépény, je ne sais plus. Il y avait un ingrédient, peut-être plus, que je ne reconnus pas, en plus de la vanille, du rhum, du vin blanc ; c’était frais et sucré et c’était costaud pour le type plein de fatigue que j’étais. Les nouvelles que j’en donnais ne furent pas très fraiches. Jérôme se leva souvent pour faire le service, me laissant seul avec sa femme et le Génépy ou Gémé quelque chose que j’avais dans la tête autant que dans l’estomac et bientôt dans le foie. Et dont Ludmilla s’évertuait à entretenir le niveau dans mon verre avec un sourire ravageur. D’autant plus ravageur que ce niveau baissait dans le récipient et augmentait dans ma tête suivant l’obligeante loi des vases communicants.
Jérôme ne s’offusquait pas de trouver la main de sa femme sur la mienne lorsqu’il revenait avec un nouveau plat, pas plus qu’il ne prenait la mouche de voir son épouse me prendre par le cou pour m’embrasser et me faire découvrir le goût du plat de viande puisque j’avais choisi le poisson. Goût qu’il faut bien l’avouer était masqué par le fameux Génépi. La viande était, elle, très relevée, à moins que les lèvres de Ludmilla n’aient porté un rouge à lèvres épicé. Ou que sa langue ait pourléché ses lèvres. À vrai dire, je n’étais plus en état de juger. Le digestif n’arrangea pas les choses. Je le refusai d’un côté, mais il vint d’un autre. Je n’avais plus de place pour absorber le moindre liquide mais la fumée fut traitresse. Fumée d’herbe mystérieuse et rigolote, cela va sans dire. Je fus hissé jusqu’à ma chambre à dos d’homme ou de femme, l’un poussant, l’autre tirant, je ne sais toujours pas lequel était qui et laquelle était quoi.
Toujours est-il que le lendemain je me réveillais avec le corps nu de Ludmilla contre moi, sans aucun souvenir d’une nuit sage ou bien enflammée que cette splendide rousse eût pu passer dans mes bras. Et c’était bien cela le pire, ne rien me souvenir de cette beauté. Je profitais de son endormissement pour la contempler. Son abondante chevelure de feu tombait en cascades sur ses épaules d’une blancheur que seules les rousses savent porter avec autant de candeur et de ruse. Dans son sommeil, ses lèvres dessinaient un sourire apaisé que je souhaitais avoir pu lui apporter. Si seulement j’avais pu m’en souvenir ! Sa poitrine soulevait régulièrement deux seins parfaitement formés, lourds juste assez pour être portés haut sans risque de chute, mais lourds plus qu’assez pour peser sur un esprit chaleureux autant que dans une main vigoureuse et exciter tout amant valeureux ou amante, qui sait. Son triangle était roux, elle l’avait au naturel peu buissonneux sous un ventre plat comme une plaine fertile achevée sous la domination d’un mont pubis rebondi. Ses cuisses s’enfonçaient sous les draps et ceux-ci, autant que mes souvenirs absents, me privaient de leur perfection.
Je me levai délicatement pour ne pas réveiller l’endormie.
— Tu te lèves déjà ?
— Tu ne dormais pas ? Je la tutoyais par réflexe, pour rendre la pareille. Je ne me souvenais pas l’avoir fait auparavant. Nous avions dormi nus dans le même lit, cela devait être une raison suffisante. Je ne souvenais pas avoir fait autre chose non plus. Je ne me rappelais rien d’elle en fait, quel dépit !
— Je t’observais m’observer, dit-elle en souriant, le verdict ?
Je ris aux éclats.
— Que ne feraient pas les femmes pour se faire couvrir d’éloges !
— Se mettre nues ? ironisa-t-elle.
— D’abord ! Ce qui est le joli paradoxe d’une manière de se couvrir tout en étant complètement dévêtues…
— Tu n’as pas répondu !
— Magnifique, je te trouve magnifique, quoique mon souvenir me laisse bien des absences.
Je réalisai que j’étais aussi nu qu’elle, mais j’étais bien plus exposé.
— Je vais prendre une douche, ajoutai-je.
— Prends un bain, dit-elle d’un air mutin.
— Pas le temps, j’ai la reconnaissance d’une ascension au programme.
— Prends un bain, insista-t-elle en soulignant bain d’une moue plus intense.
J’obturai la bonde de la baignoire, réglai approximativement les robinets d’eau chaude et froide et fis couler le bain. Je sentis le corps chaud de Ludmilla se coller contre mon dos. Sa joue se posa entre mes épaules comme un oiseau de montagne sur un rocher. Une main sur ma poitrine, une main sur mon éperon, immédiatement ses seins écrasèrent mes réticences horaires.
— Mets des sels de bain, s’il te plait.
Elle soupirait si bien cette requête… je ne savais pas où se trouvaient ces épices aussi peu nécessaires au bain qu’indispensables au corps féminin, les dénicher devenait mon seul objectif pour satisfaire cette cavalière cramponnée à mon dos. Je peinais. Des douleurs dans mes mollets, soudain durs comme du béton. Je trouvai les sels, je les répandis dans le bouillon. Je testai la chaleur de l’eau du revers de la main.
— Vite, entrons, j’ai un peu froid au dos, me souffla Ludmilla à l’oreille.
Je levai une jambe lourde, je l’introduisis dans l’eau. Suivi bientôt de la seconde. Je pénétrai dans la baignoire difficilement et soudain ne sentis plus de poids sur mon dos. Je me trouvai stupide, seul debout dans la baignoire. Où était-elle passée, ma cavalière ? Comment s’était-elle évaporée ? Je ressortis de la mare et revins dans la chambre. Elle était à nouveau dans le lit, allongée assoupie entre les draps. Je ne comprenais plus rien. J’avais été un peu bruyant, elle se réveilla. À nouveau ?
— Viens te coucher, dit-elle d’une voix sensuelle de petite reine, nous allons commander le petit déjeuner.
Sans attendre, elle décrocha le téléphone intérieur et commanda deux petits déjeuners. À ma connaissance, personne d’autre que son aubergiste de mari ne pouvait répondre à cet appel, je me sentis gêné.
— Mais… le bain ? fis-je incrédule tel coq devant sauter l’âne.
— Ce n’était plus aussi amusant que je pensais, un peu trop vieille drague. J’ai préféré dormir un peu.
J’étais toujours éberlué.
— Viens me rejoindre, insista ma rousse compagne en appuyant ses épaules contre les oreillers, ses seins lourds s’agitèrent comme des appels irrésistibles. Tu ne vas pas rester en érection au milieu de la pièce, quoique ce spectacle me ravisse au plus haut point. Allez, viens !
Je me décidai, toujours incapable de comprendre ce qu’il s’était passé, toujours incapable d’imaginer ce que ce couple manigançait. Je me serrai contre Ludmilla, elle ne refusa pas la fraicheur de mon corps. Ses deux mains enfouies sous les draps s’activèrent à m’amener à la bonne température. Elle jouait avec ma verge, remarquant que le froid n’avait pas d’effet réducteur, s’amusant à dresser une bosse sous le drap comme un poteau de chapiteau. Elle disparut un instant et je sentis ses lèvres entourer mon gland. Sa langue en jouant avec le pourtour, énervant le méat. Je lui abandonnai une goutte de mon miel. Mes reins commençaient à se creuser quand on toqua à la porte de la chambre. Une boule de cheveux roux surgit hors du drap pour reprendre place à mes côtés. Au troisième toc, elle cria « Entrez ».
L’aubergiste ne parut pas surpris de trouver sa femme nue, tout au moins poitrine à l’air, dans mon lit. Au contraire, il souriait d’un air plus que satisfait.
— Bonjour, avez-vous passé une bonne nuit ? demanda-t-il sans la moindre trace d’ironie.
Je ne savais que répondre à cette question. D’une part, je ne savais pas comment avait été la nuit, et d’autre part, j’ignorais comment répondre à une telle question dans de telles circonstances.
— Très, la nuit a été très apaisante, répondit sa femme.
— Tu m’en vois ravi. Je vous ai préparé un petit déjeuner reconstituant, œufs au plat, confiture, beurre, viennoiseries diverses, miel, pain frais, brioches, thé, café, lait. Si vous avez besoin d’autre chose ou de plus, n’hésitez pas.
Il posa le plateau sur le lit. Deux supports permettaient au plateau de se tenir de manière stable comme une petite table. L’aubergiste s’assit sur une chaise dans un coin de la chambre, visiblement il attendait quelque chose. Que nous commencions et exprimions notre satisfaction peut-être ? Ludmilla beurra une tartine puis l’enduisit de confiture de groseille. Elle la porta à sa bouche mais au lieu de mordre dedans elle l’étala sur ses lèvres et tout autour de sa bouche, puis la dévora à pleines dents. Elle versa du miel sur ses seins tout en suçant l’index ayant servi de pinceau par de nombreuses plongées dans le pot.
— Lèche-moi, je suis toute dégoulinante !
Ébahi, j’hésitai un instant. Je jetai un coup d’œil au mari assis dans son coin. Il souriait béatement, aucune trace de rébellion sur son visage. J’obéis à l’injonction. Ses nichons étaient tartinés de miel, complètement sucrés. Liquide, il commençait à suinter entre ses seins, suivant toutes les courbes de la poitrine. J’aspirai, je suçai, ma langue papillonnait. Je m’attardais, peut-être un peu trop, sûrement un peu trop sur la pointe d’un mamelon que je sentais durcir. Je le mordillais alors qu’il n’avait plus que le bon goût de la chair et du lait. Ludmilla me souleva la tête en me tirant les cheveux « le miel », ordonna la voix au parfum de groseille et de beurre. L’autre mont attendait couvert de miel que j’aspire son lait et que je morde sa chair érectile. Je ne pus m’empêcher de plonger une main sous le drap pour m’enquérir de l’état de l’entrecuisse roux. Comme sa teinte, il était chaleur de feu. La rousse rejeta le drap, me saisit la verge et l’emprisonna d’une main d’acier.
— Branlons-nous ferme, me dit-elle avant que sa bouche se colle à la mienne.
Je léchais, dévorais, groseille, beurre, langue, lèvres. J’astiquais, doigtais, vulve, chatte, clito, lèvres. Je m’appliquais, consciencieux. La rousse guida ma bouche sur son sein que j’aspirai, goulu. Elle finit par pousser un petit cri, puis un second soupir, prolongé, plus intense. C’était fini, elle avait joui. Elle me repoussa, malgré mon engin dressé comme un obélisque qu’elle avait contribué à ériger en colonne de chair.
— J’ai joui, attesta-t-elle pour expliquer son geste définitif.
Je détectai un air satisfait sur le visage de son aubergiste de mari. Sa femme sauta du lit et, sans plus de forme, aussi nue que Vénus sortant du bain, quitta ma chambre aux bras de son époux, sans un mot ni un regard en arrière.
Dire que j’étais frustré n’aurait rien appris de plus…
***
Plus tard, je croisai l’aubergiste. J’étais passablement gêné bien sûr, mais plus encore remonté. Je ne dis rien de ce que j’avais sur le cœur cependant je lui fis part de mon intention de quitter l’auberge.
— Vous n’irez pas loin aujourd’hui, le vent est fort, surtout au sommet. Le mont ne vous laissera pas partir. Et quand bien même vous entameriez son ascension, vous ne l’achèveriez pas avant la nuit et je vous l’ai dit les habitants ne sont guère accueillants.
— Un peu de vent ne m’a jamais rebuté, lui répondis-je. Quant aux habitants…
— Ce n’est pas un peu de vent. Savez-vous pourquoi ce mont est chauve ? Non, bien sûr. Comment le pourriez-vous ? Il pleut souvent et pourtant l’eau tombe rarement sur son sommet. Le vent y est tel que, lorsque les bourrasques proviennent de l’Atlantique, les gouttes tombent dans la Méditerranée…
— …et ne me dites pas!… les tempêtes méditerranéennes sont telles que les pluies s’envolent jusqu’à la côte basque ! ajoutai-je sans cacher mon énervement.
— Ne me croyez pas, mais lorsque vous monterez sur votre vélo tout à l’heure vous serez vite obligé de redescendre.
— Pfff, je vais croire de telles sottises. On n’entend pas un souffle d’air. Ce que je pense plutôt c’est que vous et votre femme voulez me conserver prisonnier de vos petits jeux tordus.
L’aubergiste sourit.
— Pensez ce que vous voulez. Ce mont est un vrai gardien, impitoyable et brutal. Ma femme en est tout autant prisonnière que vous l’êtes.
Cela n’avait aucun sens, j’ouvris la porte de l’auberge. Effectivement, le vent soufflait en tempête. Marcher contre le vent impliquait de se tenir penché à quarante-cinq degrés dans la direction opposée à son souffle. Pédaler là-dedans était tout bonnement impossible, pour la simple raison qu’il était impossible de tenir sur le vélo. Je refermai la porte difficilement. Aucun bruit extérieur ne me parvenait plus. Comme si le vent s’était éteint. Un vrai délire.
— Convaincu ? me dit l’aubergiste.
Je ne répondis rien. Je ne voulais plus voir ce type et ses airs de Tartarin matamore mâtiné de souteneur heureux d’offrir sa femme, le gîte et le couvert avec pour simple rétribution de pouvoir jouer du client comme un garde-chiourme avec un prisonnier comme un vieux chat lubrique. Je devais avoir une conversation avec sa femme. Je grimpai les marches quatre à quatre. À l’étage, la porte d’une chambre était entrebâillée. J’entendis une voix que je connaissais, ou pour être exact des gémissements que je connaissais, gémissements de plaisir qui s’échappaient de cette chambre à travers sa porte entr’ouverte. Je n’aurais pas dû, mais je m’arrêtai. J’écoutai. Les gémissements ne laissaient aucun doute sur leur nature. Cette porte entr’ouverte était-elle une incitation, un appel ou bien une erreur ? Du bout du pied, comme si je voulais ne laisser aucune empreinte, pouvoir nier, plaider l’innocence, je poussai la porte délicatement, sans l’ouvrir complètement, de manière à révéler un peu la scène. La femme étendue sur le lit était bien rousse comme Ludmilla. La peau blanche comme celle Ludmilla, ses cuisses largement écartées révélaient un sexe faiblement toisonné de roux comme celui de Ludmilla. Les doigts qui pénétraient ce sexe, allaient et venaient entre ses lèvres distendues et, pour tout dire, un peu fatiguées, ressemblaient à ceux de Ludmilla. La peau me parut un peu usée, mais la distance pouvait me tromper. Le ventre n’était plus aussi plat. Les seins, plus lourds, moins fermes, s’agitaient frénétiquement sous les vibrations qu’imposait la main occupée à satisfaire la vulve. Les cheveux toujours roux, moins flamboyants, moins ondulés et plus courts encadraient un visage plus pâle, plus fatigué, aux traits relâchés.
Cette Ludmilla n’avait plus vingt-cinq ans. Depuis longtemps.
Je ne pouvais pas me tromper et pourtant. Ce n’était pas Ludmilla ou bien une autre Ludmilla ou… je ne comprenais plus. Je tirai la porte vers moi au moment où la rousse finissait par pousser un petit cri, puis un second soupir, plus intense. C’était fini, elle avait joui. Cette jouissance me rappelait trop Ludmilla. Cette femme derrière la porte, étendue sur ce lit, cette femme qui venait de se masturber et jouir comme Ludmilla, était bien Ludmilla, avec presque trente ans de plus que quelques heures auparavant.
En bas, j’entendis son mari discuter avec une femme. Je me penchai discrètement par-dessus la rambarde pour les observer. Ils étaient installés face à face dans deux fauteuils près de la grande cheminée. L’orientation des fauteuils ne me permettait pas de les distinguer. Leur discussion animée sur un ton strict et sévère, peuplée de mots savants et de références à des spécialistes de l’intellect, paraissait partie pour se prolonger. Soudain je sentis une chaleur sur mon dos, une chaleur que j’avais déjà éprouvée. Ludmilla était collée contre moi. Je n’eus pas le temps de dire un mot, ses mains me bâillonnèrent.
— Viens, suis-moi ! me chuchota-t-elle.
Je tournai la tête pour dégager ma bouche et lui faire face.
— Ça suffit comme ça, tu t’es assez joué de moi. Et puis… tu as quel âge ? soufflai-je.
— Suis-moi, tu comprendras.
Elle prit ma main droite et m’entraina à sa suite. Elle se jeta sur le lit et m’attira à elle. Elle entreprit aussitôt de me déshabiller. Il n’y avait aucun doute, la femme devant moi n’avait pas loin de cinquante ans, un peu moins peut-être, je n’étais pas expert. Les années ne lui avaient pas enlevé son attirante séduction, la proximité de son corps ne dégageait pas moins de magnétisme. Je ne veux pas m’étendre sur sa description physique plus que je ne l’ai déjà fait, au final le physique est comme le vent ce sont les effets que l’on constate.
— Je te dois des excuses. Non seulement des excuses, mais des actes de contrition.
— Des explications.
— Oui, mais plus tard. Pour l’instant, baise-moi. Baise-moi, fort. Sois sauvage ! Comment te le dire ? Laisse-toi aller, voilà c’est le mieux : laisse-toi aller.
Je ne comprenais toujours pas. Quel jeu jouait-elle ? Allait-elle me refaire les mêmes entourloupes, disparaître du bain, jouir du bout des lèvres et me repousser ? J’étais excité. Excité et en colère. Excité par ma colère. Décidé à ne pas lui faire de cadeau.
— C’est ce que je cherche, dit-elle en soufflant à mon oreille comme si elle lisait mes pensées, c’est ce que je veux, aucun cadeau. Fais-moi mal, finit-elle en serrant ses bras autour de mon cou.
Elle était en moi, c’en était trop. Elle ne pouvait vouloir régenter mes désirs. Pourtant elle en était manifestement la maîtresse des horloges. Je l’embrochai. Cet empalement lui fit projeter la tête en arrière et cambrer les reins vers mon ventre comme pour en prolonger la puissance et en intensifier la douleur. Elle se raidit. Son fourreau se resserra autour de mon membre. Ses cuisses étreignirent mes reins tandis que ses jambes s’entrelaçaient sur mes fesses. Elle se trémoussa dans une cadence de sabbat pour me signifier son rythme. Je l’avais harponnée et solidement, je ne lui laisserais rien m’imposer. Je doublais l’intensité. Elle eut un rictus et suivit la mise. Je lui en voulais toujours autant, je ne lui pardonnerais rien tant qu’elle n’aurait pas joui en souffrant.
Je trouvai un morceau d’étoffe que je lui enfournai dans la gueule pour lui éviter tout hurlement, quelle qu’en soit la raison. J’enfonçai mes doigts dans la chair suave de ses seins et les pressai avec les serres d’un oiseau de proie. Les yeux de la rousse se remplirent de larmes, je lui faisais mal mais aucun son ne mourait dans le tissu enfoncé dans sa bouche, aucun mouvement de tête ne me déniait le droit de la dépecer. J’écrasai plus fort, j’enfonçai plus profondément mes serres de rapace, je secouai la chair tendre. Les reins s’agitaient, plus fort. Les cuisses sur mes reins me serraient, plus intenses. Les jambes sur mes fesses me pressaient, plus violentes. Je la baisais. Sans ambages. Je la baisais. Sans artifices. Crument, brutalement, tel qu’elle le voulait. Je la baisais.
Elle cracha l’étoffe pour exprimer sa jouissance. S’il y eut des cris ou des hurlements, ils furent silencieux. Tout cri aurait pu sembler une rebuffade dont elle ne voulait pas exhiber la moindre peccadille. Elle ne pouvait avouer plus que ce qu’elle fit, ce n’était pas son style, elle m’agrippa plus résolument en soufflant « je jouis !!! ». Mais cette fois son mot de jouissance était ponctué d’exclamations, tant qu’il signifiait orgasme. Les yeux fermés, elle restait tendue autour de mon corps. Si elle ne m’avait avoué sa jouissance, j’aurais pu me tromper sur la nature des larmes qui suintaient de ses paupières closes et soulignaient le sourire mystérieux dessiné par ses lèvres.
Je m’arrachai d’elle. Le terme n’est pas trop fort. Une fois encore je n’avais pas éjaculé, mais cette fois j’éprouvais une sensation différente, je maîtrisais la situation, du moins je le croyais. Les dix marques profondes de mes doigts, incrustées sur les seins de Ludmilla étaient la preuve de mon contrôle. Sauf qu’elles avaient disparu. Illusion. Son corps était vierge des traces dont je pensais l’avoir marquée.
Ludmilla me saisit la queue. Aisément, car si toute marque de notre rapport précédent semblait effacée de son corps comme par enchantement, j’étais toujours dans l’érection où elle m’avait abandonné et ses humeurs intimes enrobaient toujours mon membre. Elle m’attira à elle sans ménagement, me faisant basculer sur le lit brusquement.
— Encore !
Ce seul mot, impératif, portait tout son désir. Il n’était pas pour moi. Il était en elle, prêt à exploser dans son ventre, dans sa vulve, dans son cul, dans sa gueule, peu importait la partie de son corps où elle serait investie, il lui fallait être envahie, il lui fallait jouir d’être conquise.
Encore ! La satisfaction nue, dépouillée de tout artifice. Le cri à l’inverse de merci. Le reste n’était qu’accessoire et littérature. Elle avala mon sexe comme elle aurait dévoré un morceau de barbaque. Sa langue s’activa tout autour de ma hampe pendant que ses yeux me dévoraient du regard de la mante. Elle recracha ma bite, satisfaite de sa lubricité lubrifiée.
— Prends mon cul, je suis prête, vite ! feula-t-elle en rebasculant sur ses quatre membres.
Appuyée sur ses avant-bras, front sur l'oreiller, elle dressait son cul vers moi.
Je crachai sur sa fente, ne sachant pas si cela était utile.
— Je suis prête, je t’ai dit, ça coule partout de ma chatte, dans ma raie. Défonce-moi !
Je pressai mon gland contre son anus, malgré mon désir de la pénétrer sans attendre, je ne pouvais pas être de cette violence, quelque chose me retenait. Quoi, pourquoi, comment ?
— Vas-y, qu’est-ce que tu attends ? rugit-elle.
Elle donna un brutal coup de reins vers mon ventre, mon sexe glissa sans la pénétrer.
— Impuissant, m’insulta-t-elle, appuyée sur une joue, à moitié tournée vers moi, le regard en feu.
Elle cherchait à me rendre fou de rage, à réveiller l’excitation de ma colère envers elle, à ce que je la rudoie. Elle était près de réussir, je la saisis aux hanches, enfonçai mes ongles dans ses chairs, poussai ma bite dans son cul… Je l’embrochais de fureur, j’y enfonçais toute ma rage. Elle cria de plaisir, un cri rauque de satisfaction et de victoire, un grognement plein du triomphe d’avoir obtenu ce qu’elle désirait. Elle agita son cul avec une vulgarité dont je ne l’imaginais pas capable.
Régulièrement, avec force et violence, dominant son tumulte et faisant taire ses lamentations, le claquement sec de mon ventre heurtant ses fesses rougissait sa chair pâle. En écho, elle mugissait, langoureuse et plaintive, se démenant pour s’arracher aux liens que la bienséance lui imposait et jouir sans entrave dans la plénitude de l’automne. Je n’avais plus rien à comprendre mais à la suivre d’instinct. J’étais en elle, je me sentais elle.
Cette chienne.
— Ça suffit !
L’aubergiste se tenait sur le seuil. Il y a peu encore, il assistait sans mot dire à la jouissance tout en retenue de sa femme dans mes bras, mais il ne pouvait supporter que je la sodomise dans son dos, si l’on pouvait l’exprimer ainsi.
— Ça suffit, répéta-t-il en me regardant. On était près de te guérir mais tu ne peux pas te réfréner… Tu es vraiment une possédée.
Je le regardai sans rien comprendre. S’adressait-il à moi ? Sa femme était toujours encastrée sous moi et n’arrêtait pas d’onduler pour me maintenir en elle. Mais sa tentative était vaine, je ne la désirais plus. Erreur, je la désirais toujours, mais je ne bandais plus. Je me dégageai pour faire face à l’aubergiste et m’apprêtai à l’affronter. Son regard ne cessait de papillonner, passant de mes yeux à ceux de Ludmilla sans me fixer.
L’aubergiste saisit une boite de Galantamine (1) sur la table. Il reprit sa harangue en agitant cette boite sous le nez de Ludmilla.
— Tu dois arrêter cette drogue, ces rêves lucides ! T’en tenir aux rêves éveillés, à la thérapie que nous avons mise en place. Je n’aurais pas dû te laisser faire avec ce fantasme étranger, tu ne dois plus jamais l’invoquer ! Jamais, tu m’entends ?
Je me sentais vaciller. Il semblait parler de moi, mais comme si je n’étais plus dans la pièce.
— Tu vas te rendre folle, ajouta son mari dans un soupir qui me traversa.
— J’ai besoin de me sentir vivre, cracha-t-elle en réponse. J’ai besoin de sentir la violence du désir, intensément, j’ai besoin de me sentir aussi jeune dans mon corps que je le suis encore dans ma tête et… et… j’ai besoin d’être bai… de baiser comme ça. Je n’veux pas que ça s’arrête, c’est trop bon… même en rêve, en fantasme, ça me semble tellement vrai… tellement jouissif… tellement palpable…
— Réveille-toi ! hurla Jérôme en la secouant. Réveille-toi, bon sang !
Elle chuchota une excuse : « Désolée » envers le peu qu’il restait encore de moi au fond de son regard.
***
Plus on monte et moins il y a de gens, plus leur accent augmente et moins on les comprend. C’est ce que l’aubergiste chez qui je logeais m’avait dit pour me dissuader de me lancer dans l’ascension du mont en une courte journée…
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Note:
(1) Des chercheurs ont découvert que la Galantamine, un médicament pour traiter l’Alzheimer à l’origine, augmente significativement l’apparition des rêves lucides. Un rêve lucide est un état dans lequel le rêveur peut, par exemple, contrôler l’histoire de son rêve en décidant de s’élancer dans les airs comme un superhéros. Cependant, ce médicament est connu pour avoir de nombreux autres effets secondaires très nocifs suivant les cas. Le rêve éveillé ou dirigé est une méthode psychothérapeutique élaborée par Robert Desoille dans les années 1930.
***
Je faisais de la randonnée en cyclotouriste et j’avais atterri là par hasard autant que par erreur. Je me situais dans une zone au bout de la civilisation, à en croire l’inconcevable mutisme de mon GPS et de toute sa cartographie numérique mondiale qui me laissaient dans l’ignorance totale de ce mont chauve et de ses alentours. Devant moi se dressait un massif aussi large qu’incontournable, aussi imposant que solitaire, debout et fier dans une lande désertique si ce n’était la présence de cette auberge qui aurait mérité une pancarte « dernière halte avant la fin du monde ».
J’avais donc fait étape dans cet établissement de la dernière chance. Une nuit de repos et quelques renseignements humains, pensais-je, compenseraient fatigue d’errance et déshérence informatique, téléphonique et satellitaire. L’accueil à l’auberge était chaleureux. Bien que la fin de saison printanière ne s’y prêtât pas particulièrement, un beau feu de bois crépitait dans une grande cheminée qui faisait face à la porte d’entrée. Je compris quelques heures plus tard le pourquoi du feu dans l’âtre : en journée, la température devenait subitement fraiche lorsqu’une masse de nuages venait à masquer le soleil ou que celui-ci dissimulait sa chaleur à l’ombre du mont bien avant le crépuscule puis que les nuits de printemps faisaient rapidement chuter cette température dans le glacial.
Je m’avançais jusqu’au comptoir lorsque, au premier craquement d’une lame du parquet, le patron sortit de je ne sais où pour me proposer un tarif exceptionnel autant que promotionnel pour un séjour longue durée. Tandis que je l’informais de mon intention de ne rester qu’une nuit pour me reposer, il me proposa, après un avertissement sur l’inhospitalité des habitants du mont, la seconde nuitée sans supplément de tarif.
— Gratuitement ? insistai-je.
— Absolument, il n’y a personne actuellement, ma femme et moi, nous ennuyons à mourir. Un peu de compagnie pour nous autant qu’une nuit de sommeil supplémentaire pour vous, nous fera à tous le plus grand bien.
L’aubergiste semblait être un homme jovial dans la cinquantaine, méditerranéen, quasiment une caricature aux joues rougeaudes, au nez rond, aux yeux pétillants, à l’accent chantant, bonhomme à l’expression truculente, mais parfois retorse. Je me sentais un peu mal à l’aise en sa présence sans savoir préciser pourquoi au-delà de cette allure madrée. Cependant j’acceptai sans plus d’hésitation, j’aurais ainsi le temps de repérer les lieux et le parcours avant de m’aventurer à escalader ce mont solitaire plutôt impressionnant.
J’eus droit à tous les égards et à la plus confortable des chambres de l’auberge. Elle était située à l’étage avec vue sur le massif qui, tel un garde inflexible, obturait mon passage, mon esprit et ma vision. Le lit était un délice de douceur reposante, je m’y allongeai et faillis m’endormir sur le champ tant par la fatigue de la randonnée que par l’invitation à s’alanguir que son matelas en laine procurait. Il n’y avait aucune source de bruit, la chambre n’avait pas de TV, ni radio ni réveil, aucune connexion internet, pas de Wi-Fi. Rien. La zone était aussi blanche que me l’avait suggéré mon GPS et dépeinte le patron. Aussi blanche que la chaux qui recouvrait les murs nus de la chambre. Le silence était absolu, tout juste distinguais-je, à grand-peine, en forçant l’oreille, une bûche craquant dans le foyer, en bas… et encore peut-être mon imagination me chuchotait-elle quelque bruit rassurant, ou bien une lame du plancher qui grinçait pour distraire le silence de ce long ennui.
J’ouvris la fenêtre. Pas un chant d’oiseau. Seul le mugissement du vent dans les branches et le bruissement de leurs feuilles éperdues. Régulier, fort et violent, dominant le tumulte et semblant faire taire les lamentations du feuillage, un claquement, sec. Puis en écho, ce mugissement, langoureux et plaintif, accompagné du bruissement des feuilles toujours affolées, se démenant pour s’arracher des entraves les enchainant aux branches jusqu’à l’automne. À nouveau, un claquement sec, le mugissement plaintif et le bruissement des feuilles sous le vent.
Hypnotisé par ce cycle continuel, je n’entendis pas l’aubergiste m’appeler.
***
Une jeune femme rousse – je lui donnais dans les vingt-cinq ans – se tenait sur le pas de la porte lorsque je me retournai. Je crus que le patron avait oublié de me parler de sa fille, mais c’était bien son épouse qui se dressait en face de moi.
— Si vous voulez bien vous joindre à nous, le repas est prêt, me dit-elle en souriant. Vous n’entendiez pas, je me suis permis de monter et de frapper, comme vous ne répondiez pas, j’ai ouvert. J’espère que vous ne m’en voulez pas ?
— Euh, hé bien, euh… non, bien sûr que non.
J’étais un peu perdu. Je mis quelques secondes à remettre mes idées en phase avec ce que je voyais. Pour remplir les blancs que je laissais, elle se présenta comme Ludmilla, mariée à l’aubergiste Jérôme depuis dix ans – ce qui bouleversait mes théories sur son âge. Elle ne m’en apprit pas plus sur son état civil, ni si j’avais bien estimé l’âge de son mari. Je sus qu’ils avaient ouvert cette auberge six ans auparavant… et nous étions arrivés à la salle à manger. L’aubergiste nous attendait.
Jérôme était le mari de Ludmilla mais se comportait en maître d’hôtel.
Tirant les chaises de sous la table, il nous invita, Ludmilla et moi, à nous installer côte à côte tandis qu’il prendrait place en face de moi. Il me servit copieusement un apéritif cocktail dont j’ignorais tout, une spécialité du pays dont je devais lui dire des nouvelles, une sorte de Gémépy, Gépény, je ne sais plus. Il y avait un ingrédient, peut-être plus, que je ne reconnus pas, en plus de la vanille, du rhum, du vin blanc ; c’était frais et sucré et c’était costaud pour le type plein de fatigue que j’étais. Les nouvelles que j’en donnais ne furent pas très fraiches. Jérôme se leva souvent pour faire le service, me laissant seul avec sa femme et le Génépy ou Gémé quelque chose que j’avais dans la tête autant que dans l’estomac et bientôt dans le foie. Et dont Ludmilla s’évertuait à entretenir le niveau dans mon verre avec un sourire ravageur. D’autant plus ravageur que ce niveau baissait dans le récipient et augmentait dans ma tête suivant l’obligeante loi des vases communicants.
Jérôme ne s’offusquait pas de trouver la main de sa femme sur la mienne lorsqu’il revenait avec un nouveau plat, pas plus qu’il ne prenait la mouche de voir son épouse me prendre par le cou pour m’embrasser et me faire découvrir le goût du plat de viande puisque j’avais choisi le poisson. Goût qu’il faut bien l’avouer était masqué par le fameux Génépi. La viande était, elle, très relevée, à moins que les lèvres de Ludmilla n’aient porté un rouge à lèvres épicé. Ou que sa langue ait pourléché ses lèvres. À vrai dire, je n’étais plus en état de juger. Le digestif n’arrangea pas les choses. Je le refusai d’un côté, mais il vint d’un autre. Je n’avais plus de place pour absorber le moindre liquide mais la fumée fut traitresse. Fumée d’herbe mystérieuse et rigolote, cela va sans dire. Je fus hissé jusqu’à ma chambre à dos d’homme ou de femme, l’un poussant, l’autre tirant, je ne sais toujours pas lequel était qui et laquelle était quoi.
Toujours est-il que le lendemain je me réveillais avec le corps nu de Ludmilla contre moi, sans aucun souvenir d’une nuit sage ou bien enflammée que cette splendide rousse eût pu passer dans mes bras. Et c’était bien cela le pire, ne rien me souvenir de cette beauté. Je profitais de son endormissement pour la contempler. Son abondante chevelure de feu tombait en cascades sur ses épaules d’une blancheur que seules les rousses savent porter avec autant de candeur et de ruse. Dans son sommeil, ses lèvres dessinaient un sourire apaisé que je souhaitais avoir pu lui apporter. Si seulement j’avais pu m’en souvenir ! Sa poitrine soulevait régulièrement deux seins parfaitement formés, lourds juste assez pour être portés haut sans risque de chute, mais lourds plus qu’assez pour peser sur un esprit chaleureux autant que dans une main vigoureuse et exciter tout amant valeureux ou amante, qui sait. Son triangle était roux, elle l’avait au naturel peu buissonneux sous un ventre plat comme une plaine fertile achevée sous la domination d’un mont pubis rebondi. Ses cuisses s’enfonçaient sous les draps et ceux-ci, autant que mes souvenirs absents, me privaient de leur perfection.
Je me levai délicatement pour ne pas réveiller l’endormie.
— Tu te lèves déjà ?
— Tu ne dormais pas ? Je la tutoyais par réflexe, pour rendre la pareille. Je ne me souvenais pas l’avoir fait auparavant. Nous avions dormi nus dans le même lit, cela devait être une raison suffisante. Je ne souvenais pas avoir fait autre chose non plus. Je ne me rappelais rien d’elle en fait, quel dépit !
— Je t’observais m’observer, dit-elle en souriant, le verdict ?
Je ris aux éclats.
— Que ne feraient pas les femmes pour se faire couvrir d’éloges !
— Se mettre nues ? ironisa-t-elle.
— D’abord ! Ce qui est le joli paradoxe d’une manière de se couvrir tout en étant complètement dévêtues…
— Tu n’as pas répondu !
— Magnifique, je te trouve magnifique, quoique mon souvenir me laisse bien des absences.
Je réalisai que j’étais aussi nu qu’elle, mais j’étais bien plus exposé.
— Je vais prendre une douche, ajoutai-je.
— Prends un bain, dit-elle d’un air mutin.
— Pas le temps, j’ai la reconnaissance d’une ascension au programme.
— Prends un bain, insista-t-elle en soulignant bain d’une moue plus intense.
J’obturai la bonde de la baignoire, réglai approximativement les robinets d’eau chaude et froide et fis couler le bain. Je sentis le corps chaud de Ludmilla se coller contre mon dos. Sa joue se posa entre mes épaules comme un oiseau de montagne sur un rocher. Une main sur ma poitrine, une main sur mon éperon, immédiatement ses seins écrasèrent mes réticences horaires.
— Mets des sels de bain, s’il te plait.
Elle soupirait si bien cette requête… je ne savais pas où se trouvaient ces épices aussi peu nécessaires au bain qu’indispensables au corps féminin, les dénicher devenait mon seul objectif pour satisfaire cette cavalière cramponnée à mon dos. Je peinais. Des douleurs dans mes mollets, soudain durs comme du béton. Je trouvai les sels, je les répandis dans le bouillon. Je testai la chaleur de l’eau du revers de la main.
— Vite, entrons, j’ai un peu froid au dos, me souffla Ludmilla à l’oreille.
Je levai une jambe lourde, je l’introduisis dans l’eau. Suivi bientôt de la seconde. Je pénétrai dans la baignoire difficilement et soudain ne sentis plus de poids sur mon dos. Je me trouvai stupide, seul debout dans la baignoire. Où était-elle passée, ma cavalière ? Comment s’était-elle évaporée ? Je ressortis de la mare et revins dans la chambre. Elle était à nouveau dans le lit, allongée assoupie entre les draps. Je ne comprenais plus rien. J’avais été un peu bruyant, elle se réveilla. À nouveau ?
— Viens te coucher, dit-elle d’une voix sensuelle de petite reine, nous allons commander le petit déjeuner.
Sans attendre, elle décrocha le téléphone intérieur et commanda deux petits déjeuners. À ma connaissance, personne d’autre que son aubergiste de mari ne pouvait répondre à cet appel, je me sentis gêné.
— Mais… le bain ? fis-je incrédule tel coq devant sauter l’âne.
— Ce n’était plus aussi amusant que je pensais, un peu trop vieille drague. J’ai préféré dormir un peu.
J’étais toujours éberlué.
— Viens me rejoindre, insista ma rousse compagne en appuyant ses épaules contre les oreillers, ses seins lourds s’agitèrent comme des appels irrésistibles. Tu ne vas pas rester en érection au milieu de la pièce, quoique ce spectacle me ravisse au plus haut point. Allez, viens !
Je me décidai, toujours incapable de comprendre ce qu’il s’était passé, toujours incapable d’imaginer ce que ce couple manigançait. Je me serrai contre Ludmilla, elle ne refusa pas la fraicheur de mon corps. Ses deux mains enfouies sous les draps s’activèrent à m’amener à la bonne température. Elle jouait avec ma verge, remarquant que le froid n’avait pas d’effet réducteur, s’amusant à dresser une bosse sous le drap comme un poteau de chapiteau. Elle disparut un instant et je sentis ses lèvres entourer mon gland. Sa langue en jouant avec le pourtour, énervant le méat. Je lui abandonnai une goutte de mon miel. Mes reins commençaient à se creuser quand on toqua à la porte de la chambre. Une boule de cheveux roux surgit hors du drap pour reprendre place à mes côtés. Au troisième toc, elle cria « Entrez ».
L’aubergiste ne parut pas surpris de trouver sa femme nue, tout au moins poitrine à l’air, dans mon lit. Au contraire, il souriait d’un air plus que satisfait.
— Bonjour, avez-vous passé une bonne nuit ? demanda-t-il sans la moindre trace d’ironie.
Je ne savais que répondre à cette question. D’une part, je ne savais pas comment avait été la nuit, et d’autre part, j’ignorais comment répondre à une telle question dans de telles circonstances.
— Très, la nuit a été très apaisante, répondit sa femme.
— Tu m’en vois ravi. Je vous ai préparé un petit déjeuner reconstituant, œufs au plat, confiture, beurre, viennoiseries diverses, miel, pain frais, brioches, thé, café, lait. Si vous avez besoin d’autre chose ou de plus, n’hésitez pas.
Il posa le plateau sur le lit. Deux supports permettaient au plateau de se tenir de manière stable comme une petite table. L’aubergiste s’assit sur une chaise dans un coin de la chambre, visiblement il attendait quelque chose. Que nous commencions et exprimions notre satisfaction peut-être ? Ludmilla beurra une tartine puis l’enduisit de confiture de groseille. Elle la porta à sa bouche mais au lieu de mordre dedans elle l’étala sur ses lèvres et tout autour de sa bouche, puis la dévora à pleines dents. Elle versa du miel sur ses seins tout en suçant l’index ayant servi de pinceau par de nombreuses plongées dans le pot.
— Lèche-moi, je suis toute dégoulinante !
Ébahi, j’hésitai un instant. Je jetai un coup d’œil au mari assis dans son coin. Il souriait béatement, aucune trace de rébellion sur son visage. J’obéis à l’injonction. Ses nichons étaient tartinés de miel, complètement sucrés. Liquide, il commençait à suinter entre ses seins, suivant toutes les courbes de la poitrine. J’aspirai, je suçai, ma langue papillonnait. Je m’attardais, peut-être un peu trop, sûrement un peu trop sur la pointe d’un mamelon que je sentais durcir. Je le mordillais alors qu’il n’avait plus que le bon goût de la chair et du lait. Ludmilla me souleva la tête en me tirant les cheveux « le miel », ordonna la voix au parfum de groseille et de beurre. L’autre mont attendait couvert de miel que j’aspire son lait et que je morde sa chair érectile. Je ne pus m’empêcher de plonger une main sous le drap pour m’enquérir de l’état de l’entrecuisse roux. Comme sa teinte, il était chaleur de feu. La rousse rejeta le drap, me saisit la verge et l’emprisonna d’une main d’acier.
— Branlons-nous ferme, me dit-elle avant que sa bouche se colle à la mienne.
Je léchais, dévorais, groseille, beurre, langue, lèvres. J’astiquais, doigtais, vulve, chatte, clito, lèvres. Je m’appliquais, consciencieux. La rousse guida ma bouche sur son sein que j’aspirai, goulu. Elle finit par pousser un petit cri, puis un second soupir, prolongé, plus intense. C’était fini, elle avait joui. Elle me repoussa, malgré mon engin dressé comme un obélisque qu’elle avait contribué à ériger en colonne de chair.
— J’ai joui, attesta-t-elle pour expliquer son geste définitif.
Je détectai un air satisfait sur le visage de son aubergiste de mari. Sa femme sauta du lit et, sans plus de forme, aussi nue que Vénus sortant du bain, quitta ma chambre aux bras de son époux, sans un mot ni un regard en arrière.
Dire que j’étais frustré n’aurait rien appris de plus…
***
Plus tard, je croisai l’aubergiste. J’étais passablement gêné bien sûr, mais plus encore remonté. Je ne dis rien de ce que j’avais sur le cœur cependant je lui fis part de mon intention de quitter l’auberge.
— Vous n’irez pas loin aujourd’hui, le vent est fort, surtout au sommet. Le mont ne vous laissera pas partir. Et quand bien même vous entameriez son ascension, vous ne l’achèveriez pas avant la nuit et je vous l’ai dit les habitants ne sont guère accueillants.
— Un peu de vent ne m’a jamais rebuté, lui répondis-je. Quant aux habitants…
— Ce n’est pas un peu de vent. Savez-vous pourquoi ce mont est chauve ? Non, bien sûr. Comment le pourriez-vous ? Il pleut souvent et pourtant l’eau tombe rarement sur son sommet. Le vent y est tel que, lorsque les bourrasques proviennent de l’Atlantique, les gouttes tombent dans la Méditerranée…
— …et ne me dites pas!… les tempêtes méditerranéennes sont telles que les pluies s’envolent jusqu’à la côte basque ! ajoutai-je sans cacher mon énervement.
— Ne me croyez pas, mais lorsque vous monterez sur votre vélo tout à l’heure vous serez vite obligé de redescendre.
— Pfff, je vais croire de telles sottises. On n’entend pas un souffle d’air. Ce que je pense plutôt c’est que vous et votre femme voulez me conserver prisonnier de vos petits jeux tordus.
L’aubergiste sourit.
— Pensez ce que vous voulez. Ce mont est un vrai gardien, impitoyable et brutal. Ma femme en est tout autant prisonnière que vous l’êtes.
Cela n’avait aucun sens, j’ouvris la porte de l’auberge. Effectivement, le vent soufflait en tempête. Marcher contre le vent impliquait de se tenir penché à quarante-cinq degrés dans la direction opposée à son souffle. Pédaler là-dedans était tout bonnement impossible, pour la simple raison qu’il était impossible de tenir sur le vélo. Je refermai la porte difficilement. Aucun bruit extérieur ne me parvenait plus. Comme si le vent s’était éteint. Un vrai délire.
— Convaincu ? me dit l’aubergiste.
Je ne répondis rien. Je ne voulais plus voir ce type et ses airs de Tartarin matamore mâtiné de souteneur heureux d’offrir sa femme, le gîte et le couvert avec pour simple rétribution de pouvoir jouer du client comme un garde-chiourme avec un prisonnier comme un vieux chat lubrique. Je devais avoir une conversation avec sa femme. Je grimpai les marches quatre à quatre. À l’étage, la porte d’une chambre était entrebâillée. J’entendis une voix que je connaissais, ou pour être exact des gémissements que je connaissais, gémissements de plaisir qui s’échappaient de cette chambre à travers sa porte entr’ouverte. Je n’aurais pas dû, mais je m’arrêtai. J’écoutai. Les gémissements ne laissaient aucun doute sur leur nature. Cette porte entr’ouverte était-elle une incitation, un appel ou bien une erreur ? Du bout du pied, comme si je voulais ne laisser aucune empreinte, pouvoir nier, plaider l’innocence, je poussai la porte délicatement, sans l’ouvrir complètement, de manière à révéler un peu la scène. La femme étendue sur le lit était bien rousse comme Ludmilla. La peau blanche comme celle Ludmilla, ses cuisses largement écartées révélaient un sexe faiblement toisonné de roux comme celui de Ludmilla. Les doigts qui pénétraient ce sexe, allaient et venaient entre ses lèvres distendues et, pour tout dire, un peu fatiguées, ressemblaient à ceux de Ludmilla. La peau me parut un peu usée, mais la distance pouvait me tromper. Le ventre n’était plus aussi plat. Les seins, plus lourds, moins fermes, s’agitaient frénétiquement sous les vibrations qu’imposait la main occupée à satisfaire la vulve. Les cheveux toujours roux, moins flamboyants, moins ondulés et plus courts encadraient un visage plus pâle, plus fatigué, aux traits relâchés.
Cette Ludmilla n’avait plus vingt-cinq ans. Depuis longtemps.
Je ne pouvais pas me tromper et pourtant. Ce n’était pas Ludmilla ou bien une autre Ludmilla ou… je ne comprenais plus. Je tirai la porte vers moi au moment où la rousse finissait par pousser un petit cri, puis un second soupir, plus intense. C’était fini, elle avait joui. Cette jouissance me rappelait trop Ludmilla. Cette femme derrière la porte, étendue sur ce lit, cette femme qui venait de se masturber et jouir comme Ludmilla, était bien Ludmilla, avec presque trente ans de plus que quelques heures auparavant.
En bas, j’entendis son mari discuter avec une femme. Je me penchai discrètement par-dessus la rambarde pour les observer. Ils étaient installés face à face dans deux fauteuils près de la grande cheminée. L’orientation des fauteuils ne me permettait pas de les distinguer. Leur discussion animée sur un ton strict et sévère, peuplée de mots savants et de références à des spécialistes de l’intellect, paraissait partie pour se prolonger. Soudain je sentis une chaleur sur mon dos, une chaleur que j’avais déjà éprouvée. Ludmilla était collée contre moi. Je n’eus pas le temps de dire un mot, ses mains me bâillonnèrent.
— Viens, suis-moi ! me chuchota-t-elle.
Je tournai la tête pour dégager ma bouche et lui faire face.
— Ça suffit comme ça, tu t’es assez joué de moi. Et puis… tu as quel âge ? soufflai-je.
— Suis-moi, tu comprendras.
Elle prit ma main droite et m’entraina à sa suite. Elle se jeta sur le lit et m’attira à elle. Elle entreprit aussitôt de me déshabiller. Il n’y avait aucun doute, la femme devant moi n’avait pas loin de cinquante ans, un peu moins peut-être, je n’étais pas expert. Les années ne lui avaient pas enlevé son attirante séduction, la proximité de son corps ne dégageait pas moins de magnétisme. Je ne veux pas m’étendre sur sa description physique plus que je ne l’ai déjà fait, au final le physique est comme le vent ce sont les effets que l’on constate.
— Je te dois des excuses. Non seulement des excuses, mais des actes de contrition.
— Des explications.
— Oui, mais plus tard. Pour l’instant, baise-moi. Baise-moi, fort. Sois sauvage ! Comment te le dire ? Laisse-toi aller, voilà c’est le mieux : laisse-toi aller.
Je ne comprenais toujours pas. Quel jeu jouait-elle ? Allait-elle me refaire les mêmes entourloupes, disparaître du bain, jouir du bout des lèvres et me repousser ? J’étais excité. Excité et en colère. Excité par ma colère. Décidé à ne pas lui faire de cadeau.
— C’est ce que je cherche, dit-elle en soufflant à mon oreille comme si elle lisait mes pensées, c’est ce que je veux, aucun cadeau. Fais-moi mal, finit-elle en serrant ses bras autour de mon cou.
Elle était en moi, c’en était trop. Elle ne pouvait vouloir régenter mes désirs. Pourtant elle en était manifestement la maîtresse des horloges. Je l’embrochai. Cet empalement lui fit projeter la tête en arrière et cambrer les reins vers mon ventre comme pour en prolonger la puissance et en intensifier la douleur. Elle se raidit. Son fourreau se resserra autour de mon membre. Ses cuisses étreignirent mes reins tandis que ses jambes s’entrelaçaient sur mes fesses. Elle se trémoussa dans une cadence de sabbat pour me signifier son rythme. Je l’avais harponnée et solidement, je ne lui laisserais rien m’imposer. Je doublais l’intensité. Elle eut un rictus et suivit la mise. Je lui en voulais toujours autant, je ne lui pardonnerais rien tant qu’elle n’aurait pas joui en souffrant.
Je trouvai un morceau d’étoffe que je lui enfournai dans la gueule pour lui éviter tout hurlement, quelle qu’en soit la raison. J’enfonçai mes doigts dans la chair suave de ses seins et les pressai avec les serres d’un oiseau de proie. Les yeux de la rousse se remplirent de larmes, je lui faisais mal mais aucun son ne mourait dans le tissu enfoncé dans sa bouche, aucun mouvement de tête ne me déniait le droit de la dépecer. J’écrasai plus fort, j’enfonçai plus profondément mes serres de rapace, je secouai la chair tendre. Les reins s’agitaient, plus fort. Les cuisses sur mes reins me serraient, plus intenses. Les jambes sur mes fesses me pressaient, plus violentes. Je la baisais. Sans ambages. Je la baisais. Sans artifices. Crument, brutalement, tel qu’elle le voulait. Je la baisais.
Elle cracha l’étoffe pour exprimer sa jouissance. S’il y eut des cris ou des hurlements, ils furent silencieux. Tout cri aurait pu sembler une rebuffade dont elle ne voulait pas exhiber la moindre peccadille. Elle ne pouvait avouer plus que ce qu’elle fit, ce n’était pas son style, elle m’agrippa plus résolument en soufflant « je jouis !!! ». Mais cette fois son mot de jouissance était ponctué d’exclamations, tant qu’il signifiait orgasme. Les yeux fermés, elle restait tendue autour de mon corps. Si elle ne m’avait avoué sa jouissance, j’aurais pu me tromper sur la nature des larmes qui suintaient de ses paupières closes et soulignaient le sourire mystérieux dessiné par ses lèvres.
Je m’arrachai d’elle. Le terme n’est pas trop fort. Une fois encore je n’avais pas éjaculé, mais cette fois j’éprouvais une sensation différente, je maîtrisais la situation, du moins je le croyais. Les dix marques profondes de mes doigts, incrustées sur les seins de Ludmilla étaient la preuve de mon contrôle. Sauf qu’elles avaient disparu. Illusion. Son corps était vierge des traces dont je pensais l’avoir marquée.
Ludmilla me saisit la queue. Aisément, car si toute marque de notre rapport précédent semblait effacée de son corps comme par enchantement, j’étais toujours dans l’érection où elle m’avait abandonné et ses humeurs intimes enrobaient toujours mon membre. Elle m’attira à elle sans ménagement, me faisant basculer sur le lit brusquement.
— Encore !
Ce seul mot, impératif, portait tout son désir. Il n’était pas pour moi. Il était en elle, prêt à exploser dans son ventre, dans sa vulve, dans son cul, dans sa gueule, peu importait la partie de son corps où elle serait investie, il lui fallait être envahie, il lui fallait jouir d’être conquise.
Encore ! La satisfaction nue, dépouillée de tout artifice. Le cri à l’inverse de merci. Le reste n’était qu’accessoire et littérature. Elle avala mon sexe comme elle aurait dévoré un morceau de barbaque. Sa langue s’activa tout autour de ma hampe pendant que ses yeux me dévoraient du regard de la mante. Elle recracha ma bite, satisfaite de sa lubricité lubrifiée.
— Prends mon cul, je suis prête, vite ! feula-t-elle en rebasculant sur ses quatre membres.
Appuyée sur ses avant-bras, front sur l'oreiller, elle dressait son cul vers moi.
Je crachai sur sa fente, ne sachant pas si cela était utile.
— Je suis prête, je t’ai dit, ça coule partout de ma chatte, dans ma raie. Défonce-moi !
Je pressai mon gland contre son anus, malgré mon désir de la pénétrer sans attendre, je ne pouvais pas être de cette violence, quelque chose me retenait. Quoi, pourquoi, comment ?
— Vas-y, qu’est-ce que tu attends ? rugit-elle.
Elle donna un brutal coup de reins vers mon ventre, mon sexe glissa sans la pénétrer.
— Impuissant, m’insulta-t-elle, appuyée sur une joue, à moitié tournée vers moi, le regard en feu.
Elle cherchait à me rendre fou de rage, à réveiller l’excitation de ma colère envers elle, à ce que je la rudoie. Elle était près de réussir, je la saisis aux hanches, enfonçai mes ongles dans ses chairs, poussai ma bite dans son cul… Je l’embrochais de fureur, j’y enfonçais toute ma rage. Elle cria de plaisir, un cri rauque de satisfaction et de victoire, un grognement plein du triomphe d’avoir obtenu ce qu’elle désirait. Elle agita son cul avec une vulgarité dont je ne l’imaginais pas capable.
Régulièrement, avec force et violence, dominant son tumulte et faisant taire ses lamentations, le claquement sec de mon ventre heurtant ses fesses rougissait sa chair pâle. En écho, elle mugissait, langoureuse et plaintive, se démenant pour s’arracher aux liens que la bienséance lui imposait et jouir sans entrave dans la plénitude de l’automne. Je n’avais plus rien à comprendre mais à la suivre d’instinct. J’étais en elle, je me sentais elle.
Cette chienne.
— Ça suffit !
L’aubergiste se tenait sur le seuil. Il y a peu encore, il assistait sans mot dire à la jouissance tout en retenue de sa femme dans mes bras, mais il ne pouvait supporter que je la sodomise dans son dos, si l’on pouvait l’exprimer ainsi.
— Ça suffit, répéta-t-il en me regardant. On était près de te guérir mais tu ne peux pas te réfréner… Tu es vraiment une possédée.
Je le regardai sans rien comprendre. S’adressait-il à moi ? Sa femme était toujours encastrée sous moi et n’arrêtait pas d’onduler pour me maintenir en elle. Mais sa tentative était vaine, je ne la désirais plus. Erreur, je la désirais toujours, mais je ne bandais plus. Je me dégageai pour faire face à l’aubergiste et m’apprêtai à l’affronter. Son regard ne cessait de papillonner, passant de mes yeux à ceux de Ludmilla sans me fixer.
L’aubergiste saisit une boite de Galantamine (1) sur la table. Il reprit sa harangue en agitant cette boite sous le nez de Ludmilla.
— Tu dois arrêter cette drogue, ces rêves lucides ! T’en tenir aux rêves éveillés, à la thérapie que nous avons mise en place. Je n’aurais pas dû te laisser faire avec ce fantasme étranger, tu ne dois plus jamais l’invoquer ! Jamais, tu m’entends ?
Je me sentais vaciller. Il semblait parler de moi, mais comme si je n’étais plus dans la pièce.
— Tu vas te rendre folle, ajouta son mari dans un soupir qui me traversa.
— J’ai besoin de me sentir vivre, cracha-t-elle en réponse. J’ai besoin de sentir la violence du désir, intensément, j’ai besoin de me sentir aussi jeune dans mon corps que je le suis encore dans ma tête et… et… j’ai besoin d’être bai… de baiser comme ça. Je n’veux pas que ça s’arrête, c’est trop bon… même en rêve, en fantasme, ça me semble tellement vrai… tellement jouissif… tellement palpable…
— Réveille-toi ! hurla Jérôme en la secouant. Réveille-toi, bon sang !
Elle chuchota une excuse : « Désolée » envers le peu qu’il restait encore de moi au fond de son regard.
***
Plus on monte et moins il y a de gens, plus leur accent augmente et moins on les comprend. C’est ce que l’aubergiste chez qui je logeais m’avait dit pour me dissuader de me lancer dans l’ascension du mont en une courte journée…
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Note:
(1) Des chercheurs ont découvert que la Galantamine, un médicament pour traiter l’Alzheimer à l’origine, augmente significativement l’apparition des rêves lucides. Un rêve lucide est un état dans lequel le rêveur peut, par exemple, contrôler l’histoire de son rêve en décidant de s’élancer dans les airs comme un superhéros. Cependant, ce médicament est connu pour avoir de nombreux autres effets secondaires très nocifs suivant les cas. Le rêve éveillé ou dirigé est une méthode psychothérapeutique élaborée par Robert Desoille dans les années 1930.
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