20 euros - histoire érotique

(Feat. Serge Lama)
Je m'en vais voir les p'tites femmes de Pigalle
C'est mon péché, ma drogue, mon gardénal

J'ai d'abord fait mine de ne pas comprendre de quoi il me parlait. Une autre l'aurait sans doute insulté, ou snobé, évitant de croiser son regard. Moi, j'ai hésité entre l'éclat de rire de la bonne blague, l'incrédulité, et même la compassion.
Dire non, presque gentiment. Lui exprimer un refus poli et souriant, genre je ne suis pas la femme de la situation, mais je peux comprendre votre frustration...

Sébastien m'avait donné rendez-vous à Pigalle, devant ce célèbre sauna aux tarifs insensés pour les hommes seuls. Il paierait l'entrée "couple", et pourrait s'amuser à séduire les nombreuses femmes qui viennent profiter de leur entrée "gratuite", et des softs à volonté. Non sans m'avoir d'abord léchée copieusement partout (c'est là son principal atout, avec, en sus, un très joli physique et une bonne humeur contagieuse).
Arrivée avant lui, je me plaçais à quelques mètres de l'établissement pour l'attendre discrètement, pour éviter de montrer à tous que j'étais ici en mode "prête-à-baiser". À cette heure de l'après-midi, des familles se promènent dans la contre-allée, face au Sexodrome...
Il faisait froid. Gants, écharpe, manteau épais, gros sac à l'épaule pour ma virée parisienne, nez rougi, je me demandais si le beau Sébastien reconnaitrait la femme corsetée, juchée sur des talons insensés, qui l'avait guidé dans sa perversion, lors d'une soirée orgiaque, quelques semaines plus tôt...
Je ne vis pas avancer vers moi ce jeune homme maigre, qui, arrivé à mon niveau, m'adressa immédiatement la parole, me demandant si je parlais anglais. J'ai d'abord pensé qu'il voulait un renseignement, ou tenter de me soutirer une pièce. Mais, c'est lui qui allait me proposer un petit billet...
En anglais donc, il me dit avoir 30 ans, être pakistanais, ce qui pouvait d'ailleurs se voir d'emblée car il portait le traditionnel qamis, longue tunique assortie à un pantalon léger, sous un anorak très loin d'être assez épais pour le froid parisien. Je ne suis pas quelqu'un qui rembarre sans savoir, ou qui détourne les yeux, alors je l'ai écouté. Et même s'il parlait vite, j'ai bien compris.
Il m'a dit que j'étais une belle femme et qu'il aimerait me lécher, dans les wc en face, en me désignant les sanisettes JCDecaux, qu'il me proposait 20 euros en échange de ce service. Je pense avoir souri par compassion, parce que je me suis dit que ça ne devait pas être facile d'oser demander ça. Pour être certain de s'être bien fait comprendre, il a sorti son billet de sa poche intérieure, qui paraissait n'en contenir qu'un, préparé pour l'occasion. Puis, pour préciser clairement sa demande, il a désigné mon entrejambe et fait, avec sa langue, le geste de lécher...
J'avais très bien compris, et refusais poliment, plutôt qu'en le rabrouant pour l'énormité de sa requête. Tout en le prévenant que j'attendais un ami, comme pour m'excuser d'être là à faire le pied de grue. Et non sans lui conseiller de trouver une professionnelle (quoique pour 20 euros, je savais qu'il n'obtiendrait pas grand chose...).

En même temps, j'étais chatouillée par l'image lubrique instantanée qui s'affichait dans mon esprit: j'ai lu que la porte de ces sanisettes s'ouvrent automatiquement après un certain temps de fermeture, évitant de s'y installer trop longtemps au chaud. Je l'imaginais donc s'ouvrant, à la vue des flâneurs, sur un duo bizarroïde, ce jeune homme maigre à genoux dans sa tenue venue de loin, visage coincé entre les cuisses d'une femme à la tignasse grise Mamie Nova, une femme à qui l'on donnerait le bon dieu sans confession...

Sébastien a surgi, look d'ado en pantalon délavé très très déchiré, et le Pakistanais a prestement rangé son billet, comme si cet argent le désignait comme malfaiteur, et fui, avec l'air étonné de la réalité de mon excuse. Mon ami est en effet à peine plus âgé que lui...

Le soir, chez l'amant de longue date qui m'accueillait, mon reflet dans son miroir s'est fait questionnant sur mon "capital érotique": étais-je réellement encore appétissante, ou bien cet homme m'avait-il vue comme une brave dame possiblement altruiste sexuellement ?
Ou peut-être, plus simplement, s'était-il fait un film sur les "P'tites femmes de Pigalle"...
Et, en effet, la p'tite dame sur le trottoir, à l'air frigorifiée sous son chignon gris, s'en allait bien faire la putain sous le corps d'un gamin, qui, lui aussi, venait de très très loin...