T'as vu ? Sans les mains (10)

- Par l'auteur HDS lelivredejeremie -
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Récit libertin : T'as vu ? Sans les mains (10) Histoire érotique Publiée sur HDS le 16-10-2023 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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T'as vu ? Sans les mains (10)
***** 19 *****

Nicolas, il y a quinze jours

Comme je l’avais imaginé, et peut-être un peu espéré, debout au milieu de ma chambre, Nicolas a un sourire enfantin en fixant, sur le mur, le poster que les voisins, Foster parents de l’Ukrainien à dix doigts et au zizi non-phosphorescent… Bref, une affiche que Manu et sa femme m’ont offerte, trois photos, un renard à l’affut les pattes dans la neige, le même en plein bond, puis enfoncé jusqu’au garrot dans la couche blanche, les mâchoires supposément serrées sur une proie quelconque…

- J’adore, a-t-il murmuré.
- En vrai, ils sont encore plus beaux, j’ai dit, calé sur ma chaise de bureau.

Il a examiné un moment ma mini-bibliothèque ‘Less Than Zero, Le Portrait de Dorian Gray… Oh ! Kafka sur le Rivage, c’est beau’’ puis il s’est assis sur mon lit, m’a fixé quelques instants, puis a murmuré ‘’Tu vas rester là ?’’

- Ben, j’ai pensé… C’est bête, ne te moque pas, s’il te plait… Comme tu hésitais à venir, sur le chemin, j’ai réfléchi à l’endroit où me poser qui ferait le moins… prédateur, quoi.
- Je sais que j’ai hésité, je suis désolé, je pense que je peux te faire confiance, et… Jérémie, vraiment, viens ici, s’il te plait, a-t-il dit en tapotant ma couette… ‘’On peut parler ? Je pense savoir ce que tu voudrais, mais je ne suis pas trop du boyfriend material, tu sais. C’est juste que…’’
- C’est juste que quoi ? ai-je demandé en me posant à côté de lui.
- C’est toi qui vas trouver ça bête, la simple référence à la cité U m’a un peu angoissé, et c’est ridicule, mais il y a un contexte, qui fait que je préfère un kot pourri à l’autre bout de la ville et deux heures de bus par jour. Ici, je… je ne pourrais juste pas.
- …
- J’ai passé ma première année à l’UMons, avant de faire une passerelle vers ici, j’aurais jamais pu rester là…
- Continue… ai-je soufflé discrètement…
- Tu m’as dit, pour ton ex toxique, puis l’autre, pas trop…
- Pas méchant, juste un peu décevant à la fin, mais c’est passé, pardonné et oublié.
- J’aimerais pouvoir un jour dire ça… Je veux dire, oublier, parce que là…
- …
- A une soirée d’insertion, j’ai rencontré Joachim, il était en résidence universitaire… a-t-il murmuré ‘’Un peu pour ça que j’ai légèrement flippé quand tu as dit… Doctorant en biologie et assistant d’un prof, il m’a directement plu... J’avais sauté une année en secondaires, j’avais dix-sept ans en entrant à la fac, et je sais que je fais encore gamin maintenant, mais là, j’en paraissais quinze et lui… apparemment c’est ce qui lui plaisait… J’en ai parlé avec la psy, et c’est toujours pas clair, mais pour moi, c’était entre la fascination, puis la fierté d’être remarqué… Elle… elle parlait de domination malsaine, d’influence inappropriée… et de ce qu’elle disait, même à vingt-neuf ans, c’était limite un pédo’’, a-t-il soufflé timidement, ‘’J’ai accepté plein de trucs, trop, genre l’accompagner dans une boîte trop glauque, pour ça que je ne veux plus jamais fréquenter ce milieu, jamais ! Ensuite il a voulu me prêter à d’autres mecs, mais j’aurais jamais pu… C’était toujours pire, et au final, il m’a…’’

(…)

- Nicolas, ce mec t’a juste… j’arrive même pas à le dire, mais… forcé. Puis abusé, manipulé, je… je ne trouve pas les mots, mais c’est dégueulasse.
- Un peu de ma faute, je suppose… Je ne disais rien, puis je pensais que je ne montrais rien… Mes parents ont mis des mois à réaliser qu’il y avait un blème, et je ne leur en veux pas ! Comment auraient-ils pu… Après, déjà le temps d’assimiler que je suis gay, pas facile pour eux… Puis des mois de séances avec la psy… Pour alors, juridiquement, c’était ma parole contre la sienne, puis j’étais majeur, du moins pour ça… Mais il y avait apparemment déjà eu des trucs douteux, l’université l’a mis en disponibilité, sa carrière académique était foutue, il a dû démissionner. Et moi, ben, malgré tout, j’ai quand même pu valider la majorité de mes crédits.
- …
- Tu ne dis rien ? Genre, ‘t’aurais dû blablabla…’ ?
- Je dirais quoi, Nicolas ? Je n’arrive même pas à imaginer ce que c’est, alors… juger ?
- Tu vois, tu prends des points, là. Même Lucrezia, quand je le lui ai dit, elle est partie dans les tours, sauf que ça sert à rien, ça n’aide pas… Mais toi…

Je l’ai regardé du coin de l’œil, pour ne pas l’agresser, en me disant que dans la situation, un regard trop appuyé serait peut-être perçu comme étant chargé d’accusations, ou de reproches, et que c’est la dernière chose dont il avait besoin.

- Je recommence… lentement… à faire confiance, mais j’ai besoin d’assurance et de… de franchise, tu vois ?

Driiiiing ! Nouvelle sonnette dans ma tête. L’honnêteté, que j’avais demandée à Leo, et que, faute de grand-chose d’autre, il m’avait tout de même accordée. Cruellement. Au prix de notre séparation, mais bon, honorablement, on dira… Ça fait partie des choses sur lesquelles je ne transigerai jamais, et là, même si ce n’avait pas été dans ma nature, elle lui aurait de toute manière été acquise.

- Mon premier copain… temporairement permanent, je me dis parfois qu’il pourrait finir comme le connard de l’UMons, mais numéro deux a tout de même toujours été franc avec moi, je lui en ai voulu de l’être un peu trop, puis je l’en ai remercié, et c’est encore plus devenu un principe, je le serai toujours !
- Oh ! Tant de conviction, c’est rassurant.
- La conviction, c’est auto-proclamé, mais non, je parle de certitude, là ! Je ne te fer…
- Chuuut ! a-t-il murmuré en posant un doigt sur mes lèvres ‘’Je crois que je sais…’’

Je me suis perdu un instant dans son regard confiant, que je ne lui avais encore que trop rarement connu, et qu’il n’avait probablement que rarement affiché depuis longtemps…

- Bon, on n’est pas là pour pleurnicher, a-t-il dit avec un sourire qu’il voulait vaillant ‘’J’ai eu un truc moche, toi aussi, mais il y a plus malheureux que nous, puis mieux aussi… Ton numéro deux, il était comment ? ‘’

Nicolas a vu un bout de la dernière vidéo, aussi. Il ne fera jamais le lien avant que je lui avoue… mais bon, pas tout de suite…

J’ai juste raconté ma mise en scène un peu théâtrale pour benner Thomas, ça l’a fait sourire, puis le premier soir avec Leo, la cata, il a grimacé, ensuite le lendemain, bien mieux, et là, il a souri… Son assurance de façade, qui cachait pourtant des petites fêlures… Puis l’évolution de son comportement, n’était que le personnage qu’il s’était construit pour moi se craquelait lentement, et qu’il redevenait juste le vrai Leo…

- Il t’a laissé lui faire l’amour, alors ?
- A demi-mots, il l’a proposé, oui, pourquoi, c’est si bizarre ?
- Je sais pas, Joachim n’aurait jamais… ‘fin bon, comme tu parlais de lui, Leo avait l’air plutôt macho, sauf que peut-être pas… Je suis un peu jaloux de ce que tu as eu…
- Nicolas, tu es un garçon si fantastique, intéressant, gentil, si… beau… Plein de mecs te le proposeront.
- Non, mais le truc, c’est que je veux pas plein de mecs, tu vois…
- Alors, juste un, le bon, ton Mister Right.

Il s’est légèrement redressé, son visage aux traits fin arborant une conviction inattendue, et m’a fixé de son regard d’un bleu étrange, plus vif que d’habitude.

- Tu ne fais pas trop dans le non-verbal, on dirait, toi… Ce que je veux dire… Et c’est pas facile pour moi… On est en M1 à l’unif, tu as déjà eu quelques copains, pas trop, c’est étrangement rassurant... Puis tu as l’approbation de Lucrezia, c’est pas rien ! Et tu me parles de mon… hypothétique… futur… ‘Mister Right’ ? Je suis devenu très prudent mais je ne vais pas attendre d’avoir trente ans pour avoir un copain. Pourquoi tu crois que je serais ici, si tu ne me plaisais pas ? Ou alors … c’est moi qui ne suis vraiment pas ton genre, et je te plais pas du tout…
- Oh mais si ! Si, t’imagines même pas…
- Alors, c’est… Oh, Jérémie, je me suis mal exprimé, je voulais dire… Il s’est passé ce que j’ai vécu, c’était moi avant, mais je voudrais être moi tout court, puis vivre… tout court. Alors, on recommence ? ‘’Salut, moi c’est Nicolas, je suis gay, j’aime les… j’aime certains garçons’’.

J’ai hésité un instant, puis bon, il faudrait bien avancer un jour, et quitte à me cramer sur un geste trop audacieux, foutu pour foutu… J’ai pris sa main et l’ai posée sur ma cuisse, juste à côté de ma semi-érection, qu’à son regard étonné, il n’avait même pas remarquée… Retour du sourire.

Par approches lentes, par petits gestes discrets, je finirais par lui rendre le goût des contacts, et par gagner de l’intimité. Il faudrait du temps, mais j’en aurais toujours pour lui.

Il n’a pas voulu aller plus loin que des baisers, légers puis de plus en plus profonds et diablement excitants.

Je n’ai pas osé plus. Son corps tiède contre le mien, sa bouche timide puis accueillante, ses mains curieuses qui couraient sur mon corps, les miennes qui découvraient timidement le sien, en évitant les zones sensibles…

Nous sommes repartis en cours, saturés de ces premiers contacts, et dans mon cas du moins, suffisamment rassasié de son corps.

***** 20 *****

Thomas, il y a 10 jours

Cinq fois que je lis l’intitulé du cours sur le syllabus de ‘Systèmes d'avertissement précoces et sécurité alimentaire’, en me demandant qui dans le monde applique réellement ces notions, si un con a bouffé un pangolin dans une ville paumée de Chine, et si 30% des Américains vont claquer du diabète ou d’obésité morbide, sinon de la grippe de Trump vu que tout est lié. Encore un effet-papillon plutôt perturbant… Il faudrait vraiment que j’ouvre l’opus et que je commence à m’imprégner de ces foutus principes de précaution alimentaire, qu’entre bouffeurs de viande rouge et vegans, tout le monde semble ignorer, quel intérêt ?

N’importe quoi semble m’en empêcher, le poster du renard qui a fait tomber les premières barrières de Nicolas, ma housse de couette constellée de représentations de la souris jaune électrique où il était posé il y a quelques jours et où je l’ai embrassé pour la première fois…

Le n’importe quoi définitif et insistant a été la sonnerie de mon portable, et l’affichage d’un nom que je ne me souvenais même pas avoir encodé dans mes contacts.

- Jey ? C’est Eddy…Eddy du Guépard, tu vois ?
- Eddy, oui, je vois, ça s’affiche.
- C’est Thomas… Tom… Il est vraiment arrangé, mort-saoul… même pire, et c’est pas le genre ici mais… comme si on avait tapé une crasse dans son verre.
- Je veux pas paraître cruel, Eddy, mais en quoi c’est mon blème ?
- Je sais… ‘fin j’imagine juste, je sais pas, non, mais… Il est mal, vraiment mal, il pleure, il crie ton prénom, là…
- Tu penses un peu le nombre de mecs qu’il a connu, un prénom, ça veut juste rien dire.
- Joue pas au con, Jérémi-EUH ! Il le prononce clairement, je dis ça, je dis rien. Sérieux, gamin, Bobby lui a confisqué ses clés, il se tuerait, là ! Puis il est roulé en boule sur la terrasse, il ne veut personne, il ne bougera pas si tu ne te pointes pas.
- Il est vingt et une heure ! Il n’y a pas quelqu’un d’autre ?
- Depuis que tu n’es plus venu, je dois te dire, Tom s’est un peu cramé avec tout le monde, sa faute entièrement, mais bon...
- Ben il y a toi qui te tracasses, déjà.
- Mais j’ai pas le permis…

Bretelles de merle ! C’est le mec qui aurait pu me dégoûter des mecs, alors pourquoi je ressens ce truc de… pas de culpabilité, mais de… responsabilité, ça me tue ! Je vais pas le sauver toute sa vie, non plus ! Non, mais peut-être cette fois, la dernière, je promets. Et puis flûte, je pourrai en profiter pour dire à ses parents tout ce qu’il est, le mauvais… Qu’ils réalisent, et qu’ils le gèrent enfin un peu efficacement.

- OK, je viens, mais je suis en bus, donne-moi trente minutes, surveillez-le…

Sur le trajet, j’ai essayé de construire une tactique d’extraction. Oh ! Un bien grand mot pour les idées qui se bousculaient dans ma tête… un plan bancal, pour sauver Tom temporairement. Puis idéalement, moi, à plus long terme, et surtout définitivement.

Je l’ai trouvé comme Eddy l’avait annoncé, sur la terrasse du bar, en position PLS, l’entrejambe de son jeans bien trop trempée pour douter très longtemps de l’origine de la tache. Mon dégoût passager a vite fait place à une étrange compassion pour le garçon dont j’avais conclu qu’il ne s’aimait pas assez que pour aimer sincèrement quelqu’un d’autre…

- Thomas… Tom, ai-je corrigé ‘’C’est moi, je… Je te ramène chez toi, ok ?’’

Bobby m’a rendu son trousseau de clés sans un mot, avec peut-être un regard de reconnaissance pour ce que, peut-être, plus personne dans le café n’aurait encore la compassion de faire pour Tom, et ça m’a attristé, le petit prince était désormais exilé…

J’ai pressé plusieurs fois le déverrouillage jusqu’à repérer sa voiture et l’y ai traîné. Sitôt assis et ceinturé, il a eu un sourire idiot et a glissé ‘’Tu te sss-souf-viens, la première fff-fois où je t’ai sss-usss…’’

- Ouais, et ça n’aurait jamais dû arriver.
- C’étt-tait b-bon
- Non, c’était pas bon, Tom. Tu m’as… ‘fin… On s’est fait du mal, ai-je concédé, ‘’mais on va vraiment passer à autre chose, là’’

(***)

La collection de nains de jardin qui montent toujours la garde… la porte bleue qu’il avait trop de fois claquée avant de me tirer vers sa chambre… La sonnette que j’ai réussi à presser…

- Oooh, Thomas, dans quel état es-tu ?
- J’ai ramm-ma-mené Jérémie, j’sais, tu l’aimes bien… p-plus que moi… maman chérie.

Elle a dû retenir son mari de le baffer sur place.

(***)

Dans la voiture, j’ai encore proposé à la maman de Tom de me déposer en ville, je me débrouillerais bien.

- Bien sûr que non. Dirige-moi vers la résidence universitaire, je te dois bien cela, après ce que tu as fait pour Thomas.
- Ben, la nationale, puis direction B***, et là je vous dirai… Mais je n’ai rien fait de spécial, je… On ne se voit plus depuis trois mois, vous savez, mais le truc, c’est que là, Thomas n’a vraiment plus personne, alors on m’a appelé, et c’est tout…
- Et c’est beaucoup, tu veux dire ! Comment en est-il arrivé là ?

Pouvais-je lui dire le vrai Thomas que je connaissais ? Celui à la sexualité égoïste et abusive, aux fétiches tordus difficilement avouables, que j’avais parfois refusés, mais dont j’avais malgré moi été trop souvent complice ? Celui aux remarques qui vont d’avilissantes à cruelles ?

- Ça ne va pas vous plaire, mais…

J’ai simplement parlé, avec autant de diplomatie - puis aussi peu de détails - que possible, de l’alternance entre sa manipulation malsaine et son indifférence, ses sautes d’humeur déstabilisantes, oscillant entre harcèlement obsessionnel et mépris froid… avant de murmurer sobrement ‘’Je ne suis pas psy, mais il a un profond problème relationnel. Puis, sans vouloir charger, l’alcool n’aide pas… Je pense que Thomas a vraiment besoin d’aide, vous savez, et je sais que vous faites de votre mieux, mais voilà, quoi… Ça nous dépasse tous, là. Moi, je… je ne peux plus… je ne veux plus, désolé. Alors dites-lui… s’il vous plait, faites-lui comprendre qu’il doit me laisser tranquille, qu’il efface mon numéro de portable, qu’il…’’
- J’y veillerai.

(***)

Deux jours plus tard, j’ai reçu un texto de sa mère

<< Merci encore, Jérémie, pour tout ! J’ai entièrement vidé son répertoire tél, autant pour toi, que pour le protéger, lui, d’influences néfastes. Thomas est à l’hôpital de C***, salle 21, il va avoir l’aide requise. >>

Ce n’était pas une indication pour les visites, juste l’information, froide et clinique, que Tom avait été admis dans un service tristement connu pour être dédié aux addictions… A terme, il pourrait peut-être avancer dans sa vie. En tout cas, moi, j’en avais bien l’intention, puis d’en consacrer une bonne partie à aider un petit bonhomme un peu cassé à recommencer à profiter de la sienne.

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