ALICE ET FRED 2-Quand on touche le fond

- Par l'auteur HDS Laetitia sapho -
Auteur femme.
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Récit libertin : ALICE ET FRED  2-Quand on touche le fond Histoire érotique Publiée sur HDS le 02-02-2021 dans la catégorie Entre-nous, hommes et femmes
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ALICE ET FRED 2-Quand on touche le fond
Six mois que ça durait. Alice s’était enfoncée dans la déprime, puis dans la dépression.


La honte, voire le dégoût d’elle-même ne l’avait pas lâchée. Elle avait l’impression qu’on la regardait comme une pestiférée, que tout le monde savait ce qu’elle avait fait, qu’on la montrait du doigt, parce que c’était inscrit sur son front en lettres majuscules. Souvent dans la rue elle se retournait pour regarder les gens qu’elle venait de croiser, pour voir s’ils ne la dévisageaient pas sur son passage. Dans une petite ville de province, tout se sait, se disait-elle. Même si elle n’avait jamais pris quelqu’un sur le fait, elle était sûre qu’on parlait dans son dos. Chez les commerçants, elle faisait profil bas, elle payait et partait. De toute façon, elle ne sortait quasiment plus. Pour l’indispensable, rien de plus. Elle privilégiait l’hypermarché de la ville voisine.


Elle était seule. Les amis qu’ils avaient eus en commun avec Fred, elle ne les voyait plus. D’ailleurs, aucun ne l’avait appelée depuis, c’est bien la preuve qu’ils ne voulaient plus la voir.


Même Sonia sa meilleure amie avait coupé les ponts.


Elle ne travaillait plus depuis six mois, elle était en arrêt de travail.


Sophie sa sœur, ne voulait plus lui parler. Sa petite sœur, pour qui elle avait toujours été un modèle. Sophie avait 9 ans de moins qu’elle. Elles avaient perdu leur mère jeunes, Sophie était une enfant, Alice une adolescente. Elle avait endossé le rôle de mère pour elle. Même si on ne remplace jamais une mère, elle avait fait de son mieux. Elles étaient restées très proches toutes les deux lorsqu’elles étaient devenues adultes, fusionnelles même. Ça, c’était jusqu’à cette malheureuse journée.


Son père, elle le voyait toujours. C’est la seule personne à laquelle elle rendait encore visite de temps en temps. Il faisait des efforts pour faire bonne figure, mais Alice voyait bien qu’il n’y avait plus cette étincelle dans son œil lorsqu’elle était avec lui. Quelque chose était cassé.


Elle aurait pu partir, quitter la ville, la région. Mais non, au cas où Fred revenait, elle devait rester là.
Au début, elle avait essayé de se battre. De se débattre surtout.


Elle avait essayé de retrouver Fred. Elle avait cherché sur internet, un peu au hasard, ne sachant pas quoi ni où chercher. Elle était allée à la police, ils lui avaient gentiment dit que son mari était majeur et qu’a priori, quitter le foyer conjugal n’était pas un délit, donc aucune raison de le rechercher.


Ses investigations étaient vite devenues des impasses.
Le chagrin, la fatigue, le découragement l’avaient gagnée doucement. Le cercle infernal, les pleurs, les nuits sans sommeil, la déprime, la dépression.


Les psychiatres qu’elle consultait ne faisaient que lui augmenter ses doses d’antidépresseurs et de somnifères. Au moins, elle s’écroulait régulièrement vers deux ou trois heures du matin, sur le canapé, avec son plateau-repas devant elle, la télé qui marchait dans le vide.


Six mois… Elle avait eu envie d’en finir le jour où tout s’était passé. Le tube de somnifère était vide. Quel dommage ! Depuis plusieurs semaines, ce genre de pensées lui revenait de plus en plus régulièrement.




11 mai, 20 heures :

C’était un rituel, tous les jours à 20 heures, Alice composait le numéro de téléphone de Fred. Elle savait depuis longtemps que ça ne décrocherait pas. Comme hier, comme avant-hier, elle aurait le fameux message qui lui annonçait que le numéro qu’elle avait composé ne…

Elle appelait quand même, au cas où. Comme tous les soirs donc elle compose le numéro. Rien ! Elle repose le téléphone, lasse.


Aujourd’hui c’était leur anniversaire de mariage. Sa décision, elle la prit en trente secondes.


Elle qui d’habitude ne faisait plus que se traîner à travers la maison, se leva d’une manière décidée. Elle alla chercher la bouteille de whisky, celle de Fred, s’en servit un plein verre à ras bord.
Elle vida les tubes de comprimés sur la table basse : antidépresseurs, gélules roses, il y en a 18, elle les compta et les aligna sur une ligne bien droite. Somnifères, gélules blanches : il y en a 21. Pas très symétrique tout ça. Tant pis, peu importe.


Elle n’avait plus envie, plus la force de continuer.


Elle prit une première poignée de comprimés dans sa main, des roses et des blancs. Elle porta le verre à ses lèvres, en but une rasade. Ça lui arracha la bouche, la fit tousser. Elle en recracha la majeure partie. Ça eut le mérite de lui mettre les idées en place.


En toussant, elle eut comme un flash. Quand on coule et qu’on touche le fond, il y a deux solutions. Soit on se couche et on reste au fond, soit on pousse fort avec les pieds et on remonte. Elle balaya d’un revers de la main, l’ensemble des gélules.


Elle allait tout faire pour remonter. Elle allait appuyer fort avec ses pieds sur le fond. Elle voulait reprendre sa respiration, arrêter cette lente asphyxie. Pour ça, il n’y avait qu’une solution. Le retrouver. Retrouver Fred, où qu’il soit.


Oui, mais comment ? Elle avait essayé, n’explorant que des impasses.


Un professionnel, bien sûr ! Un détective privé. Eux sauraient où et comment chercher. On laisse toujours des traces, on ne peut pas disparaître comme ça.


Sur internet, il y avait des dizaines de cabinets de détectives. Lequel choisir, lesquels étaient sérieux, lesquels étaient des charlatans et essaieraient de l’arnaquer ? Une femme éplorée, ça pouvait constituer une proie facile pour ce genre de types.
Auprès de qui prendre conseil ? Elle ne fréquentait plus personne. Toujours en explorant la toile, elle tomba sur un site, où un homme témoignait qu’un détective avait résolu son problème, qu’il avait été efficace, honnête.


Ne trouvant rien de mieux, elle se décida pour lui. Le cabinet était à Paris. Ce n’était pas la porte à côté, mais elle irait à Paris voir ce détective. Dès demain.


Pour la première fois depuis longtemps, Alice se coucha dans son lit et ne s’écroula pas sur le canapé.


Le lendemain, elle appela pour voir si le détective exerçait toujours. Elle eut un homme en ligne, qui lui donna rendez-vous pour le jour suivant.


Elle arriva devant l’immeuble du détective : 11 avenue Ledru-Rollin. La plaque annonçait « cabinet JV ».
Un homme âgé d’une trentaine d’années lui ouvrit. Pas vraiment l’image qu’elle se faisait d’un détective. JV, Jérôme Vasseur, elle l’apprendrait après, ressemblait à Harry Potter en plus âgé. Elle s’attendait plutôt à un Philip Marlowe, un homme au regard clair et usé, fumant des cigarettes brunes sans filtres, le chapeau et le trench-coat accroché à un porte-manteau perroquet, un bureau encombré, une bouteille de bourbon vide dans la corbeille à papier. Non, elle avait devant elle, un Harry Potter derrière un bureau en verre fumé, impeccablement rangé.


Il l’écouta attentivement raconter toute l’histoire, expliquant ses recherches, ne l’interrompant que pour poser quelques questions. Il prenait des notes de temps en temps sur un bloc à petits carreaux, d’une écriture régulière :

— Bien, si votre mari n’a pas quitté le pays, on va le retrouver. Par contre s’il n’est plus en France, là… Rassurez-vous, il y a de fortes chances qu’il soit toujours sur le territoire. Par contre mes honoraires seront de 1000 euros pour une semaine de travail, plus les frais.
— Je paierai.
— Bon, maintenant, il faut trouver l’angle d’attaque. Ce qui va nous permettre de retrouver sa trace. Laissez-moi quelques heures de réflexion, je vous rappelle en fin d’après-midi. Vous restez à Paris ?
— Je vais prendre une chambre d’hôtel.
— Je vous rappelle rapidement.


Jérôme lui inspirait confiance. D’abord elle aurait aimé un détective plus âgé, ayant plus d’expérience, mais leur entretien l’avait rassurée, les questions étaient pertinentes, posées sur un ton rassurant et doux.
Et puis il lui redonnait de l’espoir.


À 17 heures, son portable sonna. C’était le détective :

— Je pense avoir trouvé l’angle d’attaque. Vous m’avez bien dit que votre mari était parti avec sa voiture ?
— Oui, c’est exact.
— La voiture, voilà ce qui peut nous permettre de retrouver sa trace.
— Comment ça ?
— Une voiture, ça porte une immatriculation. On va le pister avec ça. Une voiture, ça se vend. Ou bien quand on change de département, on peut changer sa carte grise. On peut attraper des PV. Ça laisse des traces. Je connais quelqu’un au service des cartes grises, qui, disons… me doit un petit service. Si on rajoute quelques euros, mettons… 200 ou 300, on pourrait obtenir des renseignements— Je ne le connais pas ce numéro.
— Rentrez chez vous et cherchez au cas où vous auriez une facture de garage par exemple, le numéro des plaques sera dessus. Rappelez-moi dès que vous aurez trouvé.


Alice avait quitté Paris et était rentrée chez elle. En fouillant, elle trouva une ancienne facture de révision de la voiture de Fred. Comme lui avait dit Jérôme, le numéro d’immatriculation de la voiture figurait bien dessus. Elle le rappela fébrilement. Il nota le numéro et promit de la tenir au courant dès qu’il y aurait du neuf.


Alice, pour la première fois depuis longtemps, ressentait un certain soulagement. Elle ne voulait surtout pas s’enflammer, mais il y a avait un début de piste, un début d’espoir.


Elle est restée assise sur le canapé jusqu’à tard dans la soirée, son portable à portée de main sur la table basse, prête à prendre l’appel du détective. Elle ne risquait pas d’être dérangée par une autre communication. Personne ne l’appelait plus jamais. Si quelqu’un appelait, elle ne répondrait pas de toute façon. Il fallait laisser la ligne libre. Et si Fred… Elle répondrait, mais mettrait rapidement fin à l’appel, si c’était un importun. Sa seule digression fut son appel quotidien à Fred à 20 heures. Comme d’habitude, elle s’attendait à l’éternel message.


Ce soir-là, ça décrocha. Une voix masculine répondit :

— Oui ?
— Fred ? dit-elle d’une voix mal assurée.
— Euh, non.
— Il… Il est là ?
— Non, vous devez faire erreur.


Impossible. Elle connaissait le numéro par cœur. Ses doigts couraient sur la vitre de l’écran pour le composer. Instinctivement. Elle n’allait même pas le chercher dans son répertoire. C’était devenu un rituel, elle le composait systématiquement du bout de ses doigts. Une manie, un TOC. Elle se disait que si elle ne le composait pas, ça ne répondrait pas. Ça l’inquiétait bien un peu, mais c’était le rituel.


Tout comme quand elle allait en ville, elle prenait toujours le même chemin, celui avec lequel ils passaient quand Fred conduisait. Il était un peu plus long, mais Fred passait toujours par là. C’était un sujet récurrent entre eux. Elle lui disait à chaque fois que par l’autre côté c’était plus court. Il disait que oui, mais puisqu’il y avait des feux de l’autre côté et pas par ici, on allait plus vite. Une private joke en quelque sorte.
Une fois, quand la rue fut barrée pour des travaux, elle ne put pas passer par le chemin de Fred. Elle fut obligée de se garer, une crise de larmes l’avait prise. Elle fit demi-tour et n’alla pas en ville tant que la rue ne fut pas à nouveau ouverte.


Devenait-elle folle ? Si les TOC l’envahissaient, jusqu’où allait-elle sombrer ? Est-ce que ça allait accélérer sa chute ? Qu’importe finalement… Quand on touche le fond, on n’est pas obligé de taper fort avec les pieds, pour remonter. On peut aussi creuser pour tomber encore plus bas.


— Non, j’ai composé le bon numéro. Celui de Fred.
— Il m’a été attribué ce matin seulement. Ça doit être l’ancien numéro du Fred que vous connaissez. Ce n’est pas moi !
— Je vous prie de m’excuser.
— Y’a pas de mal !


Elle s’en doutait depuis longtemps, Fred avait changé de numéro. Depuis le début. Encore une voie de garage. Une de plus. Un espoir, presque inexistant, mais un espoir de moins.


Comment allait-elle faire, sans son rituel quotidien de 20 heures ? Là c’était foutu c’est sûr. Ça ne marcherait jamais. Appeler Fred à 20 heures, maintenait l’espoir. Tant qu’elle pouvait le faire, ça laissait une porte entrouverte.


— T’es en train de devenir dingue. Tu perds vraiment pied ma pauvre fille !


Jérôme ne rappela pas de la soirée. À 5 heures 30, alors qu’elle n’avait pas trouvé le sommeil, elle s’est levé, à, prit le téléphone sur la table de nuit et a été le poser sur la table de salon, pour attendre sur le canapé.
Elle a essayé de téléphoner à Jérôme. Elle tombait sur sa messagerie. Elle y laissa deux messages. Elle s’apprêtait à rappeler, quand elle se dit que c’était inutile. Elle n’allait pas le harceler.


Il avait promis de rappeler dès qu’il y aurait du neuf. Peut-être qu’il lui fallait des délais. Peut-être qu’il avait d’autres affaires à gérer. De la patience ! Ce n’était pas nécessairement mauvais signe.


Elle se creusait la tête pour trouver quelque chose qui maintiendrait son espoir. Un geste quotidien qu’elle associerait à l’action de Jérôme. Ce geste, elle en était sûre serait positif et… peut-être si elle faisait une action en répétant les mêmes gestes toujours dans le même ordre. Cela permettrait d’apporter une onde positive. Par exemple, si en s’habillant, elle mettait d’abord le haut, puis…

— D’accord, la folie est là… Tant mieux ! Si je perds la raison, je perdrais peut-être la mémoire aussi, se dit-elle en passant d’abord son pull avant de mettre son jean. Puis d’abord sa ballerine gauche, puis la droite.


Le détective ne rappela qu’en fin de journée seulement.


— J’ai retrouvé la trace de la voiture— C’est vrai ?
— Oui, votre mari l’a vendue un mois après son départ.
— Et ? Ça nous donne quoi ?
— Un lieu, la voiture a été vendue à Paris. J’ai l’adresse de l’acheteur. Je l’ai appelé cet après-midi. Il a conservé des documents remis par votre mari. Notamment une facture de révision, juste avant la vente.
— Et ? dit Alice pleine d’espoir— Et il y a une adresse dessus, 30 rue du Chemin Vert.
— Vous l’avez retrouvé alors !
— Ne vous emballez pas. Je me suis rendu à cette adresse. Votre mari n’y est plus.
— Je me disais que c’était trop beau.
— Attendez, je n’ai pas terminé. J’ai interrogé les voisins. Une vieille dame qui habite à l’étage en dessous, une commère sûrement, qui m’a dit se souvenir parfaitement de votre mari. Il a déménagé il y a quatre mois. Il a dit à cette voisine qu’il partait à La Rochelle.
— La Rochelle ? Mais c’est à l’autre bout du pays ? Qu’est-ce qu’il fait là-bas ?
— Ça je ne sais pas Alice. Mais je continue de suivre la piste. Ça se réchauffe.
— Vous êtes sûr ?!
— On sait qu’il est resté deux mois à Paris après son départ. Il a vendu sa voiture et il est parti à La Rochelle.
— Si seulement…— Je vous tiens au courant, dès que j’ai autre chose. Gardez espoir.


Le cœur d’Alice battait la chamade. Jérôme avait raison. Elle venait en cinq minutes d’en apprendre plus sur le parcours de Fred qu’en six mois. La Rochelle, ce n’était pas une si grande ville que ça. Elle allait y aller, sillonner la ville, elle tomberait peut-être sur lui…

On ne s’emballe pas. Jérôme allait peut-être trouver son adresse.


Ce soir-là, Alice s’endormit rapidement, malgré l’énervement. La nuit précédente sans sommeil eut raison d’elle.


Le détective la rappela le lendemain :

— Écoutez, j’ai fouillé dans les fichiers auxquels on peut accéder facilement, je n’ai pas trouvé trace de votre mari. J’ai rappelé mon ami aux cartes grises, au cas où il aurait racheté une autre voiture. Il ne l’a pas fait. Ça aurait permis de connaître sa nouvelle adresse.
— C’est foutu encore.
— Pas forcement, je vais tenter le tout pour le tout. Je vous rappelle dans une heure.


Cinquante minutes plus tard, Jérôme rappelait :

— Je ne veux pas vous donner de faux espoirs, mais je vais à La Rochelle. Je vous tiens au courant demain dans la matinée.
— Dites-m’en plus, par pitié.
— Non, non, gardez espoir, je tiens une piste. Une sérieuse.


Il n’en dit pas plus. Alice était condamnée à patienter. Une journée de plus ou de moins, qu’importe. Il lui semblait qu’elle n’avait jamais été aussi près du but. Jérôme semblait vraiment avoir trouvé quelque chose.


Le lendemain, le téléphone sonna. Jérôme :

— J’ai son adresse ! Je m’y suis rendu. J’ai sonné chez lui. Je fais comme si je m’étais trompé d’étage. Il a ouvert. C’est bien lui. Je l’ai reconnu avec la photo que vous m’avez donnée. Plus de doutes !


Alice pleurait à chaudes larmes. Elle ne pouvait prononcer la moindre phrase distinctement. À part des « Merci » et des « Enfin ».


Jérôme lui raconta comment il avait procédé. Il avait tenté le tout pour le tout. Un truc qui ne marchait pas souvent. Après, il faut toujours une part de chance dans une enquête. Il s’était fait passer pour un médecin de l’hôpital Sainte Anne à Paris et avait appelé l’hôpital de La Rochelle. Les urgences psychiatriques venaient de recevoir un patient en pleine crise. Ils avaient son identité, la ville où il habitait, pas son adresse exacte. Ils souhaitaient joindre la famille pour prévenir.
L’interlocuteur de l’hôpital de La Rochelle avait d’abord refusé de répondre, argumentant avec le secret médical. Je suis moi-même médecin avait rétorqué Jérôme :

— Oui, mais je n’ai pas la certitude que vous êtes celui que vous prétendez être.
— Certes ! Je comprends vos réticences, mais si je vous appelle c’est qu’on n’a pas vraiment d’autres solutions.
— Faites un courrier, on vous répondra.
— Écoutez mon vieux, on est entre confrères. Vous savez comme moi que c’est compliqué. Les méandres administratifs, les budgets, la charge de travail trop importante, les sous-effectifs chroniques, vous connaissez aussi bien que moi. Il faut absolument qu’on trouve une solution pour ce patient. On ne sait plus quoi en faire. Il va finir interné, loin de sa famille.
— Je sais, mais vous connaissez les procédures.
— Regardez au moins, si vous avez quelque chose.
— D’accord, ça je peux le faire.
— Merci mon vieux.
— Oui, votre type on le connaît.
— Ah, vous voyez bien que je n’invente pas !
— Il s’est présenté chez nous aux urgences il y a deux mois. Entorse bénigne. On l’a bandé, on lui a donné des antidouleurs et c’est tout.
— Je vous propose quelque chose. Et si vous me rappeliez, vous pourriez vous assurer que je suis bien celui que je prétends être et vous pourriez me donner son adresse, sans qu’on perde des semaines en faisant un courrier.
— Allez d’accord, je vous rappelle, mais ça reste entre nous.
— Promis ! Je suis le Docteur Marchand, Philippe Marchand à Sainte-Anne, urgences psychiatriques. Voilà mon numéro, vous tomberez directement sur mon secrétariat.


Jérôme avait tout prévu. Il avait fait appel à une amie qui allait se faire passer pour sa secrétaire et qui lui passerait le prétendu docteur Marchand sur l’autre poste du bureau :

— Hôpital Sainte-Anne, secrétariat du docteur Marchand bonjour ! Oui ! Ne quittez pas, je vous le passe ! Docteur c’est pour vous, La Rochelle



Un petit immeuble en briques rouges de quelques étages, c’était là. Un digicode, mais la porte cochère était ouverte. Son nom sur la boîte aux lettres, 1er étage droite.


Alice est montée, et a sonné. Personne. Il était encore tôt. Elle est redescendue pour aller s’installer dans le bar juste en face. Elle a fait durer son café. Le patron du bar la regardait d’un sale œil.


18 h 30, le voilà, c’est lui. Il n’a pas changé. Toujours la même silhouette, la même allure. Alice eut envie de sortir et de courir vers lui, mais ses jambes ne répondaient plus, elle restait pétrifiée assise à sa table, incapable de bouger. Elle serrait fort le bord de la table. Elle ne pouvait pas le quitter des yeux. Il est passé devant la vitrine du bar, sans la voir, il a traversé la rue et il est entré dans l’immeuble.


Au bout de quelques minutes, elle a enfin pu se lever.
Tous ces efforts pour le retrouver, elle n’allait pas rentrer chez elle. Pas maintenant.


Il fallait qu’elle le voie, qu’elle lui parle, qu’elle lui dise… Qu’elle lui dise quoi ? À vrai dire, Alice avait préparé son discours pendant ces six mois. Elle le connaissait par cœur, chaque phrase, chaque mot. Elle les avait répétés à haute voix, seule dans son lit, toutes les nuits. Là maintenant, tout ça lui semblait bien creux. C’était du vent, du vide. Le fait est qu’elle n’avait rien de nouveau à lui dire, hormis qu’elle l’aimait et que la vie sans lui c’était impossible.


Il faut qu’elle lui dise, juste ça. Après, il fera ce qu’il voudra, mais au moins, il doit savoir ça.


Un peu requinquée, Alice put se lever, sortir du bar pour se diriger vers l’immeuble.


Elle passa au moins cinq minutes devant la porte, tendant son bras pour sonner, le rebaissant sans le faire. À un moment, elle faillit même faire demi-tour. Ses lèvres, son visage, ses membres tremblaient. Elle sonna enfin, en fermant les yeux et en baissant la tête.


La porte s’ouvrit. Elle releva la tête. Il était là devant elle. Elle faillit lui sauter au cou. Elle se retint. Par contre les sanglots l’envahirent. Elle pleurait à chaudes larmes.


Il la regardait, le visage fermé.


— C’est toi, dit-il enfin au bout de quelques secondes, d’une voix blanche.
— Oui, lui répondit-elle entre deux sanglots.
— Entre.


L’appartement était petit, une chambre au fond, une cuisine sur la gauche, un séjour avec juste un canapé, un fauteuil, une table basse, une télé.


— Assieds-toi, lui dit-il en désignant le fauteuil.


Il s’installa en face sur le canapé.


— Merci, peut-être que je te dérange, peut être que tu attends quelqu’un, lui dit-elle, prise d’un doute.
— Non, personne.


Alice n’arrivait pas à se lancer. Ses larmes se calmaient.


Elle prit sa respiration et elle sortit tout en bloc.
Elle lui raconta tout depuis le début, ce qu’elle avait fait, le dégoût que ses actes lui avaient procuré aussitôt après, dégoût qui n’avait pas faibli depuis six mois. Elle lui dit que ses regrets ce n’était rien à côté de ce qu’il avait vécu à cause d’elle. Elle lui dit qu’elle n’avait aucune excuse. Elle lui dit qu’elle l’aimait à chaque phrase. Que sans lui, sa vie n’était rien. Oh bien sûr, elle aurait dû y penser avant. Impardonnable, elle l’était. Elle l’aimait.


— Voilà, dit-elle après son laïus, un sanglot lui revenant dans la voix. Mon vœu le plus cher est de te récupérer. Je conçois que tu m’en veuilles encore et que tu me rejettes à nouveau. Mais au moins, je voulais te le dire en face et te voir une dernière fois, si c’est ton choix.


Elle ne rajouta pas que s’il la repoussait, elle irait directement se jeter d’un pont en sortant. Ça, elle le garda pour elle.


Fred gardait le silence, le regard fixé sur elle. Son visage ne laissait rien paraître de ses sentiments.


Alice vit que c’était terminé. Elle se leva en disant :

— Je vais y aller. Au revoir, Fred, merci de m’avoir écoutée.
— Non attends, lui dit-il, comme s’il émergeait d’un rêve.


Il lui raconta aussi tout. Ses doutes, sa colère, son envie d’aller casser la gueule au type, d’aller lui mettre une paire de gifles à elle au restaurant, son effondrement, sa tentative de suicide. Il parla de la colère qui revint à son réveil dans la nuit à l’hôpital. Une colère différente, plus froide, quand il décida de ne jamais la revoir. Il lui raconta son changement de vie, de ville, de boulot. Bien sûr, les choses s’étaient tassées depuis. La colère envolée. Mais il ne s’était pas résolu à faire machine arrière. Son foutu ego, son orgueil. Et puis les doutes bien sûr. Y en avait-il eu d’autres avant ? Et après ? Et puis il avait peur qu’elle soit installée avec l’autre type après son départ. Il lui avoua qu’un week-end, il était rentré, était venu devant la maison, n’avait pas sonné. Les volets étaient fermés, mais la voiture d’Alice était là. Il avait fait demi-tour. Il était revenu le lendemain, la voiture n’était plus là. Elle devait être absente. Il aurait pu rentrer. Il avait vérifié et le double des clés se trouvait toujours caché dans l’appentis du jardin. Il ne l’avait pas fait. Il était revenu ici.
Il lui dit enfin, qu’il n’y avait pas eu un jour, pas une nuit, pas une heure où il n’avait pas pensé à elle.


Alice sanglotait. Une larme coula aussi sur la joue de Fred. Il lui dit :

— Viens t’asseoir à côté à de moi.


Elle le rejoignit sur le canapé. Se serra contre lui. Il passa son bras autour de ses épaules. Elle posa son visage sur son épaule à lui. Le toucher, le sentir, le respirer… Enfin !


Ils restèrent un très long moment ensemble assis, sans rien dire. Les derniers sanglots et reniflements d’Alice cessèrent. La nuit était tombée. Ils restaient toujours là, serrés dans la pénombre.


Puis Fred reprit la parole :

— Tu sais, je t’ai pardonné, presque complètement jusqu’à tout à l’heure. Complètement maintenant. Après, je n’ai pas oublié. Ça, c’est impossible.
— Mais je ne veux pas que tu oublies ! Moi non plus je n’oublierai jamais ! Je veux que ça reste ancré dans ton esprit. Que tu puisses te rendre compte que tu as récupéré ta femme qui t’aime. Ce maudit samedi doit rester gravé dans notre esprit. Je veux que tu saches que tout ça n’aura duré que quelques heures. Qu’avant, je t’aimais, qu’après je crevais d’amour pour toi et que même pendant que je faisais… ça, je t’ai aimé. N’oublie jamais, mon chéri.


Leurs lèvres se rapprochèrent et ils échangèrent un baiser.


— Viens, lui dit-il en la prenant pas la main et en l’entraînant vers la chambre.


Ils s’embrassaient debout devant le lit. Elle sur la pointe des pieds lui tenait le visage à deux mains… Ils se redécouvraient. Ils voulaient le faire durer, ce baiser, en savourer chaque seconde.


Elle, plus personne n’avait touché son corps depuis six mois. Il lui était arrivé de se caresser seule la nuit dans son lit. Ça finissait systématiquement par de mauvais orgasmes.


Lui, un soir, il avait rencontré une femme dans un bar, une femme cassée par la vie aussi. Il était allé chez elle. Ça n’avait pas été terrible. C’était la seule fois, le reste du temps, c’était les plaisirs solitaires. À ces occasions-là, c’était toujours Alice qui occupait ses pensées.


Progressivement, leurs mains descendirent sur le corps de l’autre. Il n’était pas question d’arrêter le baiser, juste de toucher l’autre. Fred sentait la peau d’Alice frissonner au contact de ses doigts. Il sentait sa femme vibrer sous ses caresses. « Sa femme » ! Il avait dit « Sa femme ». Elle était redevenue « Sa femme » après ces longs mois de séparation. « Sa femme ! » Il avait envie de le crier :

— SA FEMME !


Les vêtements tombèrent les uns après les autres. Tout se faisait doucement. Ils retrouvaient les gestes d’avant, qu’ils faisaient machinalement, instinctivement. Il mesurait pleinement le plaisir de serrer sa femme dans ses bras, de la déshabiller, de l’embrasser. La toucher, la ressentir…

Il dévoila ses seins, les caressa, sentit le bien que ressentait Alice, à ses frémissements, à la chair de poule qui naissait sous ses doigts, aux gémissements qui venaient du fond de sa gorge, malgré le baiser qu’il n’avait toujours pas interrompu. L’entendre…

Il sépara ses lèvres de la bouche d’Alice, il se recula de quelques centimètres pour la découvrir. La voir…

Il se rapprocha à nouveau d’elle, fourra son visage dans ses cheveux, s’imprégna de ses odeurs. Odeurs qu’il connaissait par cœur, toujours le même shampoing, le même parfum sur sa peau qu’elle utilisait depuis des années. Odeurs qu’il avait oubliées, qui lui revenaient. La sentir, la respirer…

Il écarta les cheveux blonds d’Alice, sa bouche chercha un cou, une épaule à embrasser, retrouver chaque petit grain de beauté dont il connaissait l’emplacement exact. La goûter…

Elle le serrait fort de ses deux bras, la tête rejetée en arrière, profitant de chaque pression des lèvres ou des doigts de son mari sur elle.


— Viens sur le lit, lui dit-il enfin en la relâchant, un peu malheureux, toutefois, d’avoir eu à interrompre cet instant hors du temps.


Il l’allongea sur le dos, écrasa du bout d’un doigt, la larme qui coulait sur la joue d’Alice.


— Ne pleure plus, on s’est retrouvés.
— C’est les plus belles des larmes, des larmes de joie.


Ils se caressèrent longtemps, ne négligeant aucune partie de leur corps. Toujours ce besoin de se redécouvrir, de se remémorer, de raviver, de faire revivre.


Fred enleva la culotte d’Alice, fut étonné de sentir sous ses doigts une importante toison.


— Oui, je sais, je me suis un peu négligé la foufoune ces derniers temps, mais promis, rapidement je me refais le petit ticket de métro que tu aimais tant.


Ils rirent de concert. C’était la première fois qu’ils riaient ensemble depuis plus de six mois. Qu’ils riaient tout court même. Ils avaient oublié les bienfaits du rire, de la joie. Ils retrouvaient ces sentiments simples. Ils étaient à nouveau bien. Ensemble. À l’unisson.


Alice avait pris le sexe de son mari en main :

— Toi, par contre, toujours aussi… Comment dire… hmmmpff, dit-elle, juste avant de l’engloutir.


Les préliminaires furent brefs. Ils avaient tellement envie, elle de le sentir en elle, lui de se sentir en elle.
Le coït fut bref également. Ils avaient été tellement sevrés du corps de l’autre, l’excitation était telle, que l’orgasme vint vite. Elle d’abord, lui rapidement après.
Ils s’écroulèrent sur le lit l’un à côté de l’autre, à profiter de ce moment magique qui suit la jouissance. Ce relâchement des corps. La quiétude qui envahit l’esprit. Ils redécouvraient doucement leur environnement, l’appréhendaient.


Qu’elle est belle dans ces moments-là, se dit-il. Une femme au moment de l’orgasme, est belle. Une femme après l’orgasme est magnifique.


Ils refirent l’amour rapidement.


Épuisés, repus, ils savouraient. Fred dit à Alice :

— Tu sais ce qu’on va faire demain ?
— Non.
— On rentre à la maison !


Elle l’embrassa :

— Oui mon amour, reprendre une vie normale.
— Reprendre là où on s’est arrêtés.
— Refermer une parenthèse désagréable.
— Revivre.
— Vivre.
— Et on emmerde ceux qui nous regarderont de travers !


Alice poursuivit :

— Je t’ai retrouvé toi, je veux aussi retrouver ma sœur.
— Nous irons la voir ensemble.
— Tu sais ce qu’on va faire après demain mon chéri ?
— Non.
— On va s’occuper de ce dossier d’adoption.
— J’aimerais bien une petite fille.

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Texte coquin : ALICE ET FRED  2-Quand on touche le fond
Histoire sexe : Une rose rouge
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