JENNY & BELLA ou L'initiation d'une Geek - Chapitre VI

Récit érotique écrit par Miss_Sexcret [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur femme.
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JENNY & BELLA ou L'initiation d'une Geek - Chapitre VI
SHOOTING PHOTO
Après Bruno, je me sentais différente… plus sûre de mes gestes, mais pas encore de moi.
J’avais envie d’en parler à Bella, de lui dire que j’avais franchi un cap, mais chaque fois que je la voyais, les mots restaient coincés.
Elle, bien sûr, l’a senti. Un soir, alors qu’on traînait sur son canapé, elle m’a observée un long moment avant de lâcher, comme si elle venait de trouver la clé :
Bella m’a dit ça comme on jette une idée en l’air en plissant les yeux, sans me regarder vraiment, comme si elle cherchait une bague perdue dans la poussière sous le canapé. « Tu sais ce qu’il te faudrait ? Une vraie séance photo sexy… Juste pour toi. » J’ai ri, un peu sèchement, par réflexe. Je ne suis pas photogénique, j’ai dit. Mes joues rougissent, mes bras sont… enfin tu sais. Elle s’est redressée, a planté l’élastique de ses cheveux entre ses dents, m’a regardée comme on évalue une évidence.
— Tu me fais confiance, oui ou non ?
— Oui, j’ai répondu trop vite.
— Alors laisse-moi te montrer.
Chez elle, la lumière est différente. Elle a ces grandes fenêtres qui donnent sur les platanes; le soleil n’entre pas en plein, il s’étire, se casse en rubans pâles sur le parquet. L’appartement sent la lessive et un peu le café. Il y a des livres partout, et des talons éparpillés qui font penser à des carcasses d’animaux élégants. Elle a poussé un tabouret du pied, a tiré les rideaux d’un geste qui m’a semblé presque cérémoniel.
— On commence soft. Promis.
Elle a ouvert son dressing comme si elle m’invitait dans une grotte secrète. Tout tenait, miraculeusement, par empilements précis : robes lisses qui coulent entre les doigts, jupes en jean qui grincent un peu, chemisiers trop sages pour être honnêtes, hauts courts, vestes qui sentent le dehors. Elle sortait, essayait contre moi, fronçait le nez, reposait, reprenait autre chose. J’étais un mannequin hésitant, un porte-manteau vivant qui disait oui de la tête, non avec les épaules, incapable de formuler ce que je voulais.
— Look un, a-t-elle décidé. Jean slim, top blanc moulant, sans soutien-gorge. Tu vas comprendre.
Elle a plongé sans délicatesse feinte dans mon t-shirt pour vérifier. Sa main a glissé si naturellement sous l’étoffe que je n’ai pas su si j’avais rêvé. Ma peau s’est hérissée pourtant. Elle n’a rien commenté, juste un petit « mmh ». J’ai enfilé le jean; il m’allait mieux que je ne l’aurais cru. Le top collait à mes seins, captait la lumière, dessinait mes pointes avec une insolence tranquille. Bella a souri avec une satisfaction déraisonnable.
— Look deux : mini-jupe en jean, chemise nouée. Si tu te sens.
— On verra après, j’ai dit.
Elle a accepté d’un hochement de tête. Elle m’a assise sur un tabouret dans la cuisine, a sorti une trousse. Pas de transformation radicale : un peu de crayon pour épaissir le regard, un nuage de mascara, du baume teinté sur la bouche. Ses doigts tenaient mon visage. Elle soufflait parfois sur mes cils pour faire sécher, de tout près. J’avais la bouche entrouverte, ridicule, et elle a ri.
— Regarde-moi. Voilà. Parfait.
Elle a pris son appareil. Quand Bella tient un appareil photo, elle change. Il y a chez elle un sérieux tendre, une maîtrise amusée. Elle devient tableau de bord : cadrage, lumière, le pas à gauche qui change tout. Elle m’a placée près de la fenêtre.
— Mets ton poids sur la jambe gauche. Non, l’autre gauche. Voilà. Épaules basses. Respire. Laisse tomber les bras. Tu peux toucher la baie vitrée, si tu veux.
Le premier clic m’a fait sursauter. Le deuxième aussi. À la dixième photo, j’ai oublié de compter. Bella parlait, sa voix glissant entre ses dents, douce, confiante.
— Là… tourne le menton. Regarde par la fenêtre, pas moi. Pense à… je sais pas, au goût du café sur ta langue. Oui, comme ça. Tu ne t’es jamais vue comme ça, hein ?
Je ne me voyais pas. Je la voyais, elle, se déplacer, talons nus sur le parquet, genoux souples, comme une danseuse qui se souvient que son corps peut prendre la lumière par surprise. Elle venait, ajustait un pli du top du dos de l’ongle, tirait une mèche derrière mon oreille, me tournait très légèrement le bassin pour que le jean me sculpte. Ses doigts me frôlaient à peine, mais j’avais l’impression d’être touchée partout.
Elle a voulu des rires; j’ai ri pour de vrai quand elle m’a raconté l’histoire de ce type dans le métro qui lisait Le Rouge et le Noir à l’envers. « Véridique », a-t-elle juré. Le clic a capté quelque chose de léger. Je me suis sentie belle, soudain, à la manière d’un accident heureux. Sur le lit, sur le canapé, contre la fenêtre, le top tiré vers le haut par des gestes involontaires. À un moment, je n’ai plus pensé à rentrer mon ventre. Je l’ai laissé respirer.
— On tente la chemise nouée ? a demandé Bella, debout, en contre-jour. Sa silhouette découpée dans la lumière éteignait tout le reste.
J’ai hoché la tête. Dans la salle de bain, j’ai déboutonné la chemise que je ne pensais jamais porter. Mes doigts tremblaient de rien, d’attente. Je me suis étudiée une seconde dans le miroir : bouche un peu trop brillante, cheveux qui avaient décidé de vivre leur vie, tétons qui pointaient sans demander mon avis. Bella a frappé deux fois, poliment, sans entrer.
— Ça va ? Je peux… ?
— Oui.
Elle a fait le nœud elle-même, pas trop serré, a laissé un bout de ventre apparaître. Sa main a effleuré ma peau par inadvertance. Ou pas. Elle a reculé, a regardé, a avancé à nouveau. Elle a déplié un coin de la chemise. Sa respiration était plus courte, j’en mettrais ma main au feu. Elle s’est mordu la lèvre, l’a relâchée comme on laisse tomber un fil.
Le shooting a repris. Je me suis accoudée au plan de travail de la cuisine, jambes croisées, dos creusé juste ce qu’il faut. Elle m’a fait tourner, plier, me redresser, avec cette façon d’ordonner douce qui ne vous laisse pas la place de dire non. L’appareil claquait. Je me suis surprise à anticiper les poses, à jouer. Quand elle a dit « Laisse ton regard sur moi, pas sur l’objectif », j’ai obéi avec un plaisir qui ne m’appartenait déjà plus tout à fait.
— Pause, a-t-elle tranché. Tu bois quelque chose ?
De l’eau glacée qui a cogné dans ma gorge comme une gifle. Elle a bu aussi, appuyée contre le frigo, sa main sur la hanche, l’appareil pendu contre sa cuisse comme un animal apprivoisé. Elle m’a regardée en coin.
— On passe à la lingerie ? Si tu veux. On peut s’arrêter ici. C’est déjà… wow.
J’ai posé le verre, j’ai secoué la tête. Je voulais voir jusqu’où je pouvais aller sans me briser. Elle a souri, a disparu dans sa chambre, est revenue avec deux ensembles : noir dentelle, bretelles fines; blanc plus romantique, culotte à nœud. Elle a posé les deux sur mes paumes comme on offre un choix sérieux. J’ai choisi le noir. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être pour me sentir autre.
Je me suis changée dans la salle de bain. La culotte montait haut, fine et insolente, le soutien-gorge dessinait une poitrine plus décidée que d’habitude. J’ai suivi du doigt la bordure de dentelle, la petite étiquette qui grattait un peu. Quand je suis sortie, Bella n’a rien dit pendant quelques secondes. Son regard m’a traversée. Puis elle a plissé le nez, faux sérieux.
— On va régler les bretelles, mademoiselle.
Ses doigts sur mes épaules, puis le long de mes omoplates, fermes sans être lourds. Elle a tiré, relâché, tiré encore. « Voilà. » Elle a glissé un index sous la bretelle, l’a fait claquer doucement contre ma peau. J’ai inspiré court. Elle aussi, je crois. Elle est passée devant; ses doigts ont effleuré le haut du sein, par nécessité stricte, je suppose. Elle a baissé les yeux sur l’écran de son appareil un instant, sans l’avoir allumé. Une échappée.
Sur le lit défait, elle m’a voulu à genoux, les mains sur les cuisses, le dos droit. Puis allongée de côté, un bras replié sous la tête, l’autre main posée à la lisière de la culotte. Elle disait « parfait » sur un ton bas, presque pour elle. Elle me demandait d’écarter les cheveux, de lever le menton, de jouer avec la bretelle entre deux doigts, de croiser les chevilles. J’ai obéi comme si ça avait toujours été mon métier. Mes gestes devenaient plus lents, plus habités. Je sentais l’air sur ma peau comme une caresse qui venait de partout. La dentelle frottait légèrement au rythme de ma respiration.
— Et si on essayait un truc ? a murmuré Bella.
Elle a sorti un drap fin, presque transparent. Elle m’a demandé de le tenir contre moi, de le laisser glisser, de le rattraper du bout des doigts. Le « nu suggéré ». Je me suis mise debout, dos à la fenêtre. Le drap est tombé sur mes hanches, a épousé la courbe, s’est coincé un instant contre ma peau humide d’un peu de sueur, puis a continué. Je n’avais plus grand-chose pour me cacher, juste ce voile capricieux qui révélait plus qu’il n’occultait. Bella a reculé, a cherché l’angle, s’est redressée sur la pointe des pieds, a retenu sa respiration avec moi.
— Ne bouge pas. Parfait. Lève le bras. Un peu plus. Oui.
Le drap a glissé jusqu’au sol. J’étais nue. Je n’ai pas croisé les bras pour me couvrir comme je l’aurais imaginé. J’ai senti la fraîcheur sur mes seins, le poids léger, l’allongement de mon ventre quand j’inspirais. Bella ne parlait presque plus. Son silence était plein de choses. Elle m’a fait asseoir en tailleur, m’enrouler autour de moi-même comme si je cherchais la chaleur de ma propre peau. Elle s’est approchée très près pour écarter une mèche collée à ma clavicule. Sa main tremblait un tout petit peu. Elle l’a retirée comme si elle s’était brûlée.
— Respire, a-t-elle dit, alors qu’elle était la première à oublier de le faire.
Nu complet. Les poses ont changé de nature. Elle voulait des profils, des courbes, des plis. Elle voulait que je me tourne, que je m’ouvre, que je me ferme. Elle disait « magnifique » à voix basse et je n’étais pas sûre que ce soit pour moi ou pour ce qu’elle voyait se fabriquer entre nous. Je me sentais à la fois vulnérable et invincible, comme une équation résolue d’un coup. Elle a contourné le lit, s’est accroupie pour être à ma hauteur, presque genoux contre genoux. Son genou a effleuré le drap pendant que l’appareil claquait. Elle a avalé sa salive audiblement et a souri, coupable de rien et de tout.
— On peut s’arrêter, tu sais, m’a-t-elle dit, en remontant.
— Je ne veux pas m’arrêter.
Mes mots ont eu une gravité que je ne leur connaissais pas. Elle a hoché la tête, sérieuse, a changé d’objectif avec une lenteur méthodique. Ses doigts ont buté une seconde contre la bague de mise au point. On a entendu un bruit de scooter dans la rue, un chien aboyer. Tout semblait d’une netteté presque douloureuse.
— Alors… On va assumer complètement, d’accord ?
J’ai hoché la tête. « D’accord » ne décrivait pas exactement ce que je ressentais. C’était plutôt une barre de chaleur plantée du bas du ventre au creux de la gorge. Elle m’a demandé de bouger comme je le sentais, d’oublier l’objectif, de penser à ma peau. Je me suis allongée sur le dos, j’ai fléchi une jambe, j’ai laissé l’autre ouverte sans la poser tout à fait. J’ai posé une main sur mon ventre. L’autre est montée à ma poitrine, presque d’elle-même. Mes doigts ont trouvé mon mamelon, l’ont roulé très doucement. J’ai entre-ouvert la bouche. Je l’ai entendu inspirer.
— Continue, a dit Bella. Doucement. Comme ça.
Elle a cadré. Les clics avaient un autre rythme, plus espacés, comme si elle cherchait à s’accrocher à chaque moment. Elle a tourné autour, a pris des gros plans. Je l’entendais parfois déglutir, parfois retenir un souffle, parfois murmurer un « oui » qui n’était pas un ordre mais une approbation pleine. Je me suis caressée le ventre, j’ai laissé ma main glisser, hésiter au bord. Elle n’a rien dit. Je l’ai fait pour elle, pour moi, pour cette tension qui nous tenait là. Mes doigts ont touché mes lèvres avec caution, comme on effleure une eau qu’on ne sait pas froide ou tiède. J’ai soupiré. Elle a fait un pas très court vers moi. Son pied a grincé sur le parquet. Elle s’est immobilisée.
— Reste avec ta respiration, a-t-elle chuchoté. Regarde-moi. Là.
Je l’ai regardée. Son regard était plus sombre, plus lourd. Il sautait parfois sur sa bouche, sur ses mains, puis revenait sur mon visage. Je me suis caressée en la regardant, lente, régulière, apprenant mon propre rythme, celui qui met du temps à se souvenir de lui-même. La chaleur montait avec la pression douce de mes doigts. Je me sentais ouverte comme un fruit mûr. Le clic, le clic, le clic, espacés. Elle s’appuyait à présent légèrement sur le montant du lit, son appareil contre le visage; je voyais la ligne de sa gorge, le va-et-vient du tendon quand elle avalait. Sa main libre se crispait parfois sur le drap, s’ouvrait, se refermait.
— Tu es… tu es si belle, a-t-elle dit, comme si ça lui avait échappé.
Je ne lui ai pas répondu. J’ai laissé ma main glisser plus franchement. L’humidité m’a surprise et rassurée. J’ai fait un mouvement de bassin, très léger. Elle a failli lâcher un petit son; je l’ai vu naître dans sa gorge et mourir sur ses lèvres. Elle a baissé l’appareil, l’a relevé, comme si elle hésitait entre voir et garder. J’ai changé de position, m’asseyant à demi, une main derrière moi pour me soutenir, l’autre entre mes cuisses. Je sentais mes cheveux coller à ma nuque, un courant d’air sur ma peau moite. Elle s’est rapprochée encore, assez pour que je sente son parfum, une note de fleur tenace et propre. Son jean a frotté contre le bois du lit. Je me suis caressée en cercles, plus assurée. Mon souffle sonnait dans la pièce.
— Oui, comme ça, a dit Bella. Ralentis un peu. Savoure.
Elle parlait bas, comme si elle instruisait une chorégraphie fragile. Elle ne me touchait pas. Je savais qu’elle ne le ferait pas, pas aujourd’hui, mais son envie de le faire se voyait comme une lumière sous une porte. Elle a tendu la main, a semblé vouloir replacer une mèche, et s’est ravisée. Sa main est restée en l’air, inutile, avant de se replier contre elle. Elle a changé l’angle; je l’ai entendue murmurer « putain » sans colère, presque avec une adoration embarrassée.
J’ai glissé deux doigts en moi. Le mouvement a surpris mon corps, un arc de courant a couru jusqu’à ma bouche. J’ai laissé un gémissement — discret, mais net. Bella a fait un pas en arrière comme pour reprendre de l’air, puis un pas en avant, comme aimantée. L’appareil a repris sa pulsation. Je me suis laissée porter. Le lit craquait légèrement à mes mouvements; la fenêtre vibrait d’un passage de camion au loin; tout contribuait à m’ancrer là. J’ai accéléré, puis ralenti, puis re-accéléré, sur la voix brisée de Bella qui me disait « doucement… oui… encore… attends… maintenant ». Elle ne dirigeait plus vraiment, elle accompagnait, sa voix était un fil entre nous.
Je sentais monter la vague avec un sérieux presque douloureux. Je me suis allongée de nouveau, j’ai tiré un oreiller sous ma tête, j’ai écarté les jambes sans retenue, j’ai laissé ma main libre attraper ma poitrine. Mes doigts se sont serrés, un peu trop fort. Je voulais que ça fasse mal pour savoir que c’était réel. Bella s’est agenouillée sur le sol au bord du lit. Je l’ai sentie si proche que j’aurais pu toucher sa joue si j’avais tendu la main. Elle a communiqué quelque chose sans parler. Je l’ai entendu respirer vite, puis faire l’effort conscient de ralentir. Sa main libre, posée sur sa propre cuisse, bougeait à peine; ses doigts battaient une mesure faible, un contre-temps nerveux.
— Regarde-moi, a-t-elle répété.
Je l’ai regardée au moment où c’est venu comme une déchirure douce. Ma bouche s’est ouverte, mon dos s’est creusé, le plafond a clignoté. Je me suis retenue de crier, par pudeur, par réflexe, je ne sais pas. Un son a tout de même franchi mes lèvres, rauque, étranger. Elle a déclenché encore, une rafale brève, presque coupable, comme si elle volait quelque chose de très intime et de très autorisé. J’ai laissé ma main ralentir, j’ai senti les vagues secondaires, l’écho, les petites étincelles qui continuent comme des bulles sous la peau. J’ai fermé les yeux. J’ai entendu ses genoux craquer légèrement quand elle s’est relevée.
Silence. Juste nos respirations. Je me suis couverte d’un bras par réflexe tardif. Elle a posé l’appareil sur la table de chevet sans douceur, comme si le contact du bois pouvait calmer la chaleur de l’objet. Elle a avalé encore, un tic soudain. Elle n’a pas su où poser ses yeux pendant une seconde. Ils ont glissé sur le rideau, sur mes pieds, sur sa main. Puis elle m’a regardée pour de vrai.
— Ça va ? a-t-elle demandé, simple.
— Oui.
Ma voix était plus grave, rayée. J’ai tiré un drap sur moi, pas pour me cacher mais pour reprendre un contour. Elle s’est assise au bord du lit, à distance prudente. Sa cuisse effleurait à peine le drap qui me couvrait. Elle a tendu la main vers l’appareil, l’a reprise comme une habitude rassurante. Elle a fait défiler les photos sur l’écran, m’a montré. Les premières étaient sages, presque souriantes. Celles en lingerie avaient quelque chose de publicité abandonnée. Puis le nu. Puis… les dernières. Je me suis vue, la bouche ouverte, les yeux à moitié fermés, un fil de cheveux collé à la tempe. Je me suis trouvée… belle. Et belle n’était pas le mot exact; c’était plutôt « juste ». Je me reconnaissais comme on se reconnaît par surprise dans une vitrine.
— Tu es… wow, a fait Bella, incapable d’autre chose.
J’ai souri. Mes joues brûlaient et pourtant tout me semblait frais. Elle faisait défiler, revenait en arrière sur un détail, zoomait sur un grain de peau; son ongle a cliqueté sur l’écran. Sa main tremblait légèrement. Elle s’est arrêtée sur une image : moi, à demi assise, ma main entre mes cuisses, mon regard planté dans le sien hors-champ. On y voyait son reflet minuscule dans une vis de l’objectif, ridicule et précis. Elle a approché l’écran de son visage comme si elle voulait entrer dedans. Puis elle l’a éloigné. J’ai vu sa gorge avaler.
— Je… je n’avais pas prévu d’aller aussi loin, a-t-elle avoué, un rire court qui trahissait autre chose.
— Moi non plus.
On est restées là. À peu près quinze secondes ou dix minutes, je ne sais pas. Elle a posé l’appareil, a massé ses doigts comme si tenir la machine l’avait crispée. Elle a regardé mes mains, mes bras, le drap qui coulait. Son regard s’est attardé une seconde sur ma bouche. J’ai senti son envie comme une électricité dans l’air. Elle ne m’a pas touchée. Sa main a glissé contre sa propre cuisse, a remonté d’un centimètre, s’est immobilisée. Elle a respiré par le nez, contrôlée. Ses lèvres se sont entrouvertes et refermées, comme si elle mâchait un mot qu’elle avait décidé de ne pas prononcer.
— Tu veux voir encore ? a-t-elle proposé, professionnelle revenue comme un manteau sur ses épaules.
— Oui.
Elle a repris l’appareil, a trié à une vitesse folle, identifiant les angles, les accidents, les reflets. Elle s’auto-corrigeait à voix basse, murmurait « trop haut », « parfait », « bord de cadre », « oh celui-là ». Je l’écoutais et son jargon me devenait tendre. Par instants, son souffle se coupait d’un cran, et je savais exactement sur quelle photo elle était. Elle levait la tête pour me regarder, puis replongeait.
— On pourrait en tirer une petite série, a-t-elle dit. Pas pour… enfin. Pour toi. Pour nous. Pour garder. Si tu veux.
— Je veux.
Je me suis assise, j’ai rassemblé le drap autour de moi comme une toge improbable. J’avais soif et j’avais faim; je me sentais légère et lourde en même temps, vidée et pleine. Elle m’a tendu le verre d’eau, nos doigts se sont frôlés. Elle a serré un peu trop fort le pied du verre; un cliquetis a résonné. Elle a souri de travers, désarmée par ses propres gestes.
— Tu es sûre que ça va ? a-t-elle insisté.
— Ça va. Je crois que… je crois que je me vois pour la première fois.
Elle a soufflé, presque un soupir. Ses épaules se sont relâchées d’un cran. Elle a étiré ses doigts, s’est passée la main dans les cheveux; une mèche est revenue devant ses yeux, elle l’a soufflée d’un petit geste. Elle a regardé le lit, puis la fenêtre, puis moi. J’ai compris qu’elle se battait avec une envie simple, mécanique, qui n’avait rien de sale et tout de délicat : se toucher, là, tout de suite, pour faire redescendre le trop-plein. Elle ne l’a pas fait. Elle s’est levée et a commencé à ranger presque fiévreusement : l’objectif dans sa housse, le drap sur le dossier d’une chaise, l’oreiller retourné. Ses doigts allaient trop vite. Elle a tout arrêté d’un coup, s’est appuyée au mur, a fermé les yeux. Sa cage thoracique s’est soulevée. Elle est revenue vers moi plus calme.
— J’ai envie de… Elle s’est interrompue, a avalé. Non. Rien.
— Je sais, j’ai dit. Ma voix était douce, inédite.
Nos regards se sont accrochés. Il n’y avait pas de honte là-dedans, ni de promesse claire. Juste une reconnaissance. Elle est restée debout, moi assise, et dans cet écart il y avait tout ce qu’on n’avait pas fait et qu’on n’avait pas besoin de nommer. Elle a ramassé l’appareil avec un geste plus tendre.
— On ne montrera ça à personne, d’accord ? a-t-elle demandé comme si j’avais hésité.
— D’accord.
— Et si tu veux qu’on supprime… n’importe laquelle…
— Non.
Elle a hoché la tête, soulagée. Elle a lancé l’idée d’un tirage papier discret, noir et blanc, grain fin. Ses mots roulaient, pratiques, techniques, pour occuper l’espace. Mais ses mains la trahissaient toujours : le pouce qui frottait l’index, la paume qui se posait sur sa hanche, descendait, remontait. Elle maîtrisait sa respiration, mais pas ses gestes.
— Tu veux une douche ? a-t-elle proposé enfin, consciente de l’odeur de peau, du sel léger, de la moiteur.
— Oui.
Sous l’eau, j’ai repensé à la lumière sur le parquet, au cliquetis sec de l’obturateur, à la voix de Bella qui disait « respire » alors qu’elle s’oubliait elle-même. L’eau roulait sur mes cuisses, entre, sur mon ventre, sur mes seins qui semblaient soudain appartenir à quelqu’un que j’aimais bien. J’ai fermé les yeux. J’ai entendu la porte s’ouvrir d’un centimètre; sa voix est passée, neutre : « J’ai posé une serviette propre. » Puis rien. Elle refermait pour me laisser seule. J’ai souri sous l’eau.
Quand je suis sortie, elle avait remis de l’ordre. Les rideaux laissaient passer un jour qui inclinait déjà vers le soir. Elle m’attendait dans la cuisine, deux tasses de thé alignées comme un plan. Ses cheveux étaient relevés en chignon, sa nuque dégagée. Elle n’avait pas changé de vêtements mais elle aurait pu : elle semblait d’une autre densité. Elle m’a tendu une tasse, nos doigts se sont frôlés encore, plus longuement. Elle n’a pas retiré sa main tout de suite. Puis si.
— Je t’enverrai une sélection ce soir, a-t-elle dit, professionnelle récupérée.
— D’accord.
Je suis restée un moment à boire en silence, assise sur son tabouret. Elle s’occupait sans raison, alignait des cuillères, vérifiait son téléphone sans le déverrouiller. À un moment, elle a posé ses deux mains à plat sur le plan de travail et a fermé les yeux une seconde, comme on prie. J’ai eu envie de me lever, de venir derrière elle, de poser mon front entre ses omoplates, de lui dire que c’était bon, que tout allait bien, que nous pouvions rester encore dans ce fil tendu. Je ne l’ai pas fait. J’ai dit :
— Merci.
Elle a ouvert les yeux, m’a regardée, et dans son regard tout s’est simplifié.
— Merci à toi, a-t-elle répondu.
Quand je suis partie, elle m’a raccompagnée à la porte. Dans l’encadrement, la lumière du couloir a découpé son profil avec une précision chirurgicale. Elle a levé la main comme pour me toucher la joue; elle s’est ravisée et a attrapé l’embrasure à la place. Ses doigts se sont refermés sur le bois. Elle a soufflé quelque chose qui ressemblait à « à bientôt » mais qui voulait dire « je ne vais pas me caresser tant que tu n’es pas descendue les deux premiers étages ». J’ai souri sans le dire. J’ai dit « à bientôt » à mon tour, cette fois pour de vrai.
Dans la rue, l’air avait un goût de poussière dorée. Mon téléphone a vibré avant d’arriver au coin. Un message de Bella : « Ne t’inquiète pas si je tarde pour t’envoyer les photos. Je veux prendre le temps. Et… tu es magnifique, Jenny. » J’ai répondu « Prends tout le temps. Merci. » J’ai hésité, j’ai ajouté « Respire. » Un petit point de suspension est apparu, a disparu, est revenu. Pas de réponse. Je savais où elle était, à cet instant précis : adossée au mur de sa cuisine, en train de se dire qu’elle pouvait se permettre de trembler un petit peu, juste un peu, avant de reprendre le fil. Et moi, sur le trottoir, j’ai senti un sourire me prendre la bouche comme un secret propre. Je me suis regardée dans la vitrine d’une boutique fermée. Je me suis reconnue.
Après Bruno, je me sentais différente… plus sûre de mes gestes, mais pas encore de moi.
J’avais envie d’en parler à Bella, de lui dire que j’avais franchi un cap, mais chaque fois que je la voyais, les mots restaient coincés.
Elle, bien sûr, l’a senti. Un soir, alors qu’on traînait sur son canapé, elle m’a observée un long moment avant de lâcher, comme si elle venait de trouver la clé :
Bella m’a dit ça comme on jette une idée en l’air en plissant les yeux, sans me regarder vraiment, comme si elle cherchait une bague perdue dans la poussière sous le canapé. « Tu sais ce qu’il te faudrait ? Une vraie séance photo sexy… Juste pour toi. » J’ai ri, un peu sèchement, par réflexe. Je ne suis pas photogénique, j’ai dit. Mes joues rougissent, mes bras sont… enfin tu sais. Elle s’est redressée, a planté l’élastique de ses cheveux entre ses dents, m’a regardée comme on évalue une évidence.
— Tu me fais confiance, oui ou non ?
— Oui, j’ai répondu trop vite.
— Alors laisse-moi te montrer.
Chez elle, la lumière est différente. Elle a ces grandes fenêtres qui donnent sur les platanes; le soleil n’entre pas en plein, il s’étire, se casse en rubans pâles sur le parquet. L’appartement sent la lessive et un peu le café. Il y a des livres partout, et des talons éparpillés qui font penser à des carcasses d’animaux élégants. Elle a poussé un tabouret du pied, a tiré les rideaux d’un geste qui m’a semblé presque cérémoniel.
— On commence soft. Promis.
Elle a ouvert son dressing comme si elle m’invitait dans une grotte secrète. Tout tenait, miraculeusement, par empilements précis : robes lisses qui coulent entre les doigts, jupes en jean qui grincent un peu, chemisiers trop sages pour être honnêtes, hauts courts, vestes qui sentent le dehors. Elle sortait, essayait contre moi, fronçait le nez, reposait, reprenait autre chose. J’étais un mannequin hésitant, un porte-manteau vivant qui disait oui de la tête, non avec les épaules, incapable de formuler ce que je voulais.
— Look un, a-t-elle décidé. Jean slim, top blanc moulant, sans soutien-gorge. Tu vas comprendre.
Elle a plongé sans délicatesse feinte dans mon t-shirt pour vérifier. Sa main a glissé si naturellement sous l’étoffe que je n’ai pas su si j’avais rêvé. Ma peau s’est hérissée pourtant. Elle n’a rien commenté, juste un petit « mmh ». J’ai enfilé le jean; il m’allait mieux que je ne l’aurais cru. Le top collait à mes seins, captait la lumière, dessinait mes pointes avec une insolence tranquille. Bella a souri avec une satisfaction déraisonnable.
— Look deux : mini-jupe en jean, chemise nouée. Si tu te sens.
— On verra après, j’ai dit.
Elle a accepté d’un hochement de tête. Elle m’a assise sur un tabouret dans la cuisine, a sorti une trousse. Pas de transformation radicale : un peu de crayon pour épaissir le regard, un nuage de mascara, du baume teinté sur la bouche. Ses doigts tenaient mon visage. Elle soufflait parfois sur mes cils pour faire sécher, de tout près. J’avais la bouche entrouverte, ridicule, et elle a ri.
— Regarde-moi. Voilà. Parfait.
Elle a pris son appareil. Quand Bella tient un appareil photo, elle change. Il y a chez elle un sérieux tendre, une maîtrise amusée. Elle devient tableau de bord : cadrage, lumière, le pas à gauche qui change tout. Elle m’a placée près de la fenêtre.
— Mets ton poids sur la jambe gauche. Non, l’autre gauche. Voilà. Épaules basses. Respire. Laisse tomber les bras. Tu peux toucher la baie vitrée, si tu veux.
Le premier clic m’a fait sursauter. Le deuxième aussi. À la dixième photo, j’ai oublié de compter. Bella parlait, sa voix glissant entre ses dents, douce, confiante.
— Là… tourne le menton. Regarde par la fenêtre, pas moi. Pense à… je sais pas, au goût du café sur ta langue. Oui, comme ça. Tu ne t’es jamais vue comme ça, hein ?
Je ne me voyais pas. Je la voyais, elle, se déplacer, talons nus sur le parquet, genoux souples, comme une danseuse qui se souvient que son corps peut prendre la lumière par surprise. Elle venait, ajustait un pli du top du dos de l’ongle, tirait une mèche derrière mon oreille, me tournait très légèrement le bassin pour que le jean me sculpte. Ses doigts me frôlaient à peine, mais j’avais l’impression d’être touchée partout.
Elle a voulu des rires; j’ai ri pour de vrai quand elle m’a raconté l’histoire de ce type dans le métro qui lisait Le Rouge et le Noir à l’envers. « Véridique », a-t-elle juré. Le clic a capté quelque chose de léger. Je me suis sentie belle, soudain, à la manière d’un accident heureux. Sur le lit, sur le canapé, contre la fenêtre, le top tiré vers le haut par des gestes involontaires. À un moment, je n’ai plus pensé à rentrer mon ventre. Je l’ai laissé respirer.
— On tente la chemise nouée ? a demandé Bella, debout, en contre-jour. Sa silhouette découpée dans la lumière éteignait tout le reste.
J’ai hoché la tête. Dans la salle de bain, j’ai déboutonné la chemise que je ne pensais jamais porter. Mes doigts tremblaient de rien, d’attente. Je me suis étudiée une seconde dans le miroir : bouche un peu trop brillante, cheveux qui avaient décidé de vivre leur vie, tétons qui pointaient sans demander mon avis. Bella a frappé deux fois, poliment, sans entrer.
— Ça va ? Je peux… ?
— Oui.
Elle a fait le nœud elle-même, pas trop serré, a laissé un bout de ventre apparaître. Sa main a effleuré ma peau par inadvertance. Ou pas. Elle a reculé, a regardé, a avancé à nouveau. Elle a déplié un coin de la chemise. Sa respiration était plus courte, j’en mettrais ma main au feu. Elle s’est mordu la lèvre, l’a relâchée comme on laisse tomber un fil.
Le shooting a repris. Je me suis accoudée au plan de travail de la cuisine, jambes croisées, dos creusé juste ce qu’il faut. Elle m’a fait tourner, plier, me redresser, avec cette façon d’ordonner douce qui ne vous laisse pas la place de dire non. L’appareil claquait. Je me suis surprise à anticiper les poses, à jouer. Quand elle a dit « Laisse ton regard sur moi, pas sur l’objectif », j’ai obéi avec un plaisir qui ne m’appartenait déjà plus tout à fait.
— Pause, a-t-elle tranché. Tu bois quelque chose ?
De l’eau glacée qui a cogné dans ma gorge comme une gifle. Elle a bu aussi, appuyée contre le frigo, sa main sur la hanche, l’appareil pendu contre sa cuisse comme un animal apprivoisé. Elle m’a regardée en coin.
— On passe à la lingerie ? Si tu veux. On peut s’arrêter ici. C’est déjà… wow.
J’ai posé le verre, j’ai secoué la tête. Je voulais voir jusqu’où je pouvais aller sans me briser. Elle a souri, a disparu dans sa chambre, est revenue avec deux ensembles : noir dentelle, bretelles fines; blanc plus romantique, culotte à nœud. Elle a posé les deux sur mes paumes comme on offre un choix sérieux. J’ai choisi le noir. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être pour me sentir autre.
Je me suis changée dans la salle de bain. La culotte montait haut, fine et insolente, le soutien-gorge dessinait une poitrine plus décidée que d’habitude. J’ai suivi du doigt la bordure de dentelle, la petite étiquette qui grattait un peu. Quand je suis sortie, Bella n’a rien dit pendant quelques secondes. Son regard m’a traversée. Puis elle a plissé le nez, faux sérieux.
— On va régler les bretelles, mademoiselle.
Ses doigts sur mes épaules, puis le long de mes omoplates, fermes sans être lourds. Elle a tiré, relâché, tiré encore. « Voilà. » Elle a glissé un index sous la bretelle, l’a fait claquer doucement contre ma peau. J’ai inspiré court. Elle aussi, je crois. Elle est passée devant; ses doigts ont effleuré le haut du sein, par nécessité stricte, je suppose. Elle a baissé les yeux sur l’écran de son appareil un instant, sans l’avoir allumé. Une échappée.
Sur le lit défait, elle m’a voulu à genoux, les mains sur les cuisses, le dos droit. Puis allongée de côté, un bras replié sous la tête, l’autre main posée à la lisière de la culotte. Elle disait « parfait » sur un ton bas, presque pour elle. Elle me demandait d’écarter les cheveux, de lever le menton, de jouer avec la bretelle entre deux doigts, de croiser les chevilles. J’ai obéi comme si ça avait toujours été mon métier. Mes gestes devenaient plus lents, plus habités. Je sentais l’air sur ma peau comme une caresse qui venait de partout. La dentelle frottait légèrement au rythme de ma respiration.
— Et si on essayait un truc ? a murmuré Bella.
Elle a sorti un drap fin, presque transparent. Elle m’a demandé de le tenir contre moi, de le laisser glisser, de le rattraper du bout des doigts. Le « nu suggéré ». Je me suis mise debout, dos à la fenêtre. Le drap est tombé sur mes hanches, a épousé la courbe, s’est coincé un instant contre ma peau humide d’un peu de sueur, puis a continué. Je n’avais plus grand-chose pour me cacher, juste ce voile capricieux qui révélait plus qu’il n’occultait. Bella a reculé, a cherché l’angle, s’est redressée sur la pointe des pieds, a retenu sa respiration avec moi.
— Ne bouge pas. Parfait. Lève le bras. Un peu plus. Oui.
Le drap a glissé jusqu’au sol. J’étais nue. Je n’ai pas croisé les bras pour me couvrir comme je l’aurais imaginé. J’ai senti la fraîcheur sur mes seins, le poids léger, l’allongement de mon ventre quand j’inspirais. Bella ne parlait presque plus. Son silence était plein de choses. Elle m’a fait asseoir en tailleur, m’enrouler autour de moi-même comme si je cherchais la chaleur de ma propre peau. Elle s’est approchée très près pour écarter une mèche collée à ma clavicule. Sa main tremblait un tout petit peu. Elle l’a retirée comme si elle s’était brûlée.
— Respire, a-t-elle dit, alors qu’elle était la première à oublier de le faire.
Nu complet. Les poses ont changé de nature. Elle voulait des profils, des courbes, des plis. Elle voulait que je me tourne, que je m’ouvre, que je me ferme. Elle disait « magnifique » à voix basse et je n’étais pas sûre que ce soit pour moi ou pour ce qu’elle voyait se fabriquer entre nous. Je me sentais à la fois vulnérable et invincible, comme une équation résolue d’un coup. Elle a contourné le lit, s’est accroupie pour être à ma hauteur, presque genoux contre genoux. Son genou a effleuré le drap pendant que l’appareil claquait. Elle a avalé sa salive audiblement et a souri, coupable de rien et de tout.
— On peut s’arrêter, tu sais, m’a-t-elle dit, en remontant.
— Je ne veux pas m’arrêter.
Mes mots ont eu une gravité que je ne leur connaissais pas. Elle a hoché la tête, sérieuse, a changé d’objectif avec une lenteur méthodique. Ses doigts ont buté une seconde contre la bague de mise au point. On a entendu un bruit de scooter dans la rue, un chien aboyer. Tout semblait d’une netteté presque douloureuse.
— Alors… On va assumer complètement, d’accord ?
J’ai hoché la tête. « D’accord » ne décrivait pas exactement ce que je ressentais. C’était plutôt une barre de chaleur plantée du bas du ventre au creux de la gorge. Elle m’a demandé de bouger comme je le sentais, d’oublier l’objectif, de penser à ma peau. Je me suis allongée sur le dos, j’ai fléchi une jambe, j’ai laissé l’autre ouverte sans la poser tout à fait. J’ai posé une main sur mon ventre. L’autre est montée à ma poitrine, presque d’elle-même. Mes doigts ont trouvé mon mamelon, l’ont roulé très doucement. J’ai entre-ouvert la bouche. Je l’ai entendu inspirer.
— Continue, a dit Bella. Doucement. Comme ça.
Elle a cadré. Les clics avaient un autre rythme, plus espacés, comme si elle cherchait à s’accrocher à chaque moment. Elle a tourné autour, a pris des gros plans. Je l’entendais parfois déglutir, parfois retenir un souffle, parfois murmurer un « oui » qui n’était pas un ordre mais une approbation pleine. Je me suis caressée le ventre, j’ai laissé ma main glisser, hésiter au bord. Elle n’a rien dit. Je l’ai fait pour elle, pour moi, pour cette tension qui nous tenait là. Mes doigts ont touché mes lèvres avec caution, comme on effleure une eau qu’on ne sait pas froide ou tiède. J’ai soupiré. Elle a fait un pas très court vers moi. Son pied a grincé sur le parquet. Elle s’est immobilisée.
— Reste avec ta respiration, a-t-elle chuchoté. Regarde-moi. Là.
Je l’ai regardée. Son regard était plus sombre, plus lourd. Il sautait parfois sur sa bouche, sur ses mains, puis revenait sur mon visage. Je me suis caressée en la regardant, lente, régulière, apprenant mon propre rythme, celui qui met du temps à se souvenir de lui-même. La chaleur montait avec la pression douce de mes doigts. Je me sentais ouverte comme un fruit mûr. Le clic, le clic, le clic, espacés. Elle s’appuyait à présent légèrement sur le montant du lit, son appareil contre le visage; je voyais la ligne de sa gorge, le va-et-vient du tendon quand elle avalait. Sa main libre se crispait parfois sur le drap, s’ouvrait, se refermait.
— Tu es… tu es si belle, a-t-elle dit, comme si ça lui avait échappé.
Je ne lui ai pas répondu. J’ai laissé ma main glisser plus franchement. L’humidité m’a surprise et rassurée. J’ai fait un mouvement de bassin, très léger. Elle a failli lâcher un petit son; je l’ai vu naître dans sa gorge et mourir sur ses lèvres. Elle a baissé l’appareil, l’a relevé, comme si elle hésitait entre voir et garder. J’ai changé de position, m’asseyant à demi, une main derrière moi pour me soutenir, l’autre entre mes cuisses. Je sentais mes cheveux coller à ma nuque, un courant d’air sur ma peau moite. Elle s’est rapprochée encore, assez pour que je sente son parfum, une note de fleur tenace et propre. Son jean a frotté contre le bois du lit. Je me suis caressée en cercles, plus assurée. Mon souffle sonnait dans la pièce.
— Oui, comme ça, a dit Bella. Ralentis un peu. Savoure.
Elle parlait bas, comme si elle instruisait une chorégraphie fragile. Elle ne me touchait pas. Je savais qu’elle ne le ferait pas, pas aujourd’hui, mais son envie de le faire se voyait comme une lumière sous une porte. Elle a tendu la main, a semblé vouloir replacer une mèche, et s’est ravisée. Sa main est restée en l’air, inutile, avant de se replier contre elle. Elle a changé l’angle; je l’ai entendue murmurer « putain » sans colère, presque avec une adoration embarrassée.
J’ai glissé deux doigts en moi. Le mouvement a surpris mon corps, un arc de courant a couru jusqu’à ma bouche. J’ai laissé un gémissement — discret, mais net. Bella a fait un pas en arrière comme pour reprendre de l’air, puis un pas en avant, comme aimantée. L’appareil a repris sa pulsation. Je me suis laissée porter. Le lit craquait légèrement à mes mouvements; la fenêtre vibrait d’un passage de camion au loin; tout contribuait à m’ancrer là. J’ai accéléré, puis ralenti, puis re-accéléré, sur la voix brisée de Bella qui me disait « doucement… oui… encore… attends… maintenant ». Elle ne dirigeait plus vraiment, elle accompagnait, sa voix était un fil entre nous.
Je sentais monter la vague avec un sérieux presque douloureux. Je me suis allongée de nouveau, j’ai tiré un oreiller sous ma tête, j’ai écarté les jambes sans retenue, j’ai laissé ma main libre attraper ma poitrine. Mes doigts se sont serrés, un peu trop fort. Je voulais que ça fasse mal pour savoir que c’était réel. Bella s’est agenouillée sur le sol au bord du lit. Je l’ai sentie si proche que j’aurais pu toucher sa joue si j’avais tendu la main. Elle a communiqué quelque chose sans parler. Je l’ai entendu respirer vite, puis faire l’effort conscient de ralentir. Sa main libre, posée sur sa propre cuisse, bougeait à peine; ses doigts battaient une mesure faible, un contre-temps nerveux.
— Regarde-moi, a-t-elle répété.
Je l’ai regardée au moment où c’est venu comme une déchirure douce. Ma bouche s’est ouverte, mon dos s’est creusé, le plafond a clignoté. Je me suis retenue de crier, par pudeur, par réflexe, je ne sais pas. Un son a tout de même franchi mes lèvres, rauque, étranger. Elle a déclenché encore, une rafale brève, presque coupable, comme si elle volait quelque chose de très intime et de très autorisé. J’ai laissé ma main ralentir, j’ai senti les vagues secondaires, l’écho, les petites étincelles qui continuent comme des bulles sous la peau. J’ai fermé les yeux. J’ai entendu ses genoux craquer légèrement quand elle s’est relevée.
Silence. Juste nos respirations. Je me suis couverte d’un bras par réflexe tardif. Elle a posé l’appareil sur la table de chevet sans douceur, comme si le contact du bois pouvait calmer la chaleur de l’objet. Elle a avalé encore, un tic soudain. Elle n’a pas su où poser ses yeux pendant une seconde. Ils ont glissé sur le rideau, sur mes pieds, sur sa main. Puis elle m’a regardée pour de vrai.
— Ça va ? a-t-elle demandé, simple.
— Oui.
Ma voix était plus grave, rayée. J’ai tiré un drap sur moi, pas pour me cacher mais pour reprendre un contour. Elle s’est assise au bord du lit, à distance prudente. Sa cuisse effleurait à peine le drap qui me couvrait. Elle a tendu la main vers l’appareil, l’a reprise comme une habitude rassurante. Elle a fait défiler les photos sur l’écran, m’a montré. Les premières étaient sages, presque souriantes. Celles en lingerie avaient quelque chose de publicité abandonnée. Puis le nu. Puis… les dernières. Je me suis vue, la bouche ouverte, les yeux à moitié fermés, un fil de cheveux collé à la tempe. Je me suis trouvée… belle. Et belle n’était pas le mot exact; c’était plutôt « juste ». Je me reconnaissais comme on se reconnaît par surprise dans une vitrine.
— Tu es… wow, a fait Bella, incapable d’autre chose.
J’ai souri. Mes joues brûlaient et pourtant tout me semblait frais. Elle faisait défiler, revenait en arrière sur un détail, zoomait sur un grain de peau; son ongle a cliqueté sur l’écran. Sa main tremblait légèrement. Elle s’est arrêtée sur une image : moi, à demi assise, ma main entre mes cuisses, mon regard planté dans le sien hors-champ. On y voyait son reflet minuscule dans une vis de l’objectif, ridicule et précis. Elle a approché l’écran de son visage comme si elle voulait entrer dedans. Puis elle l’a éloigné. J’ai vu sa gorge avaler.
— Je… je n’avais pas prévu d’aller aussi loin, a-t-elle avoué, un rire court qui trahissait autre chose.
— Moi non plus.
On est restées là. À peu près quinze secondes ou dix minutes, je ne sais pas. Elle a posé l’appareil, a massé ses doigts comme si tenir la machine l’avait crispée. Elle a regardé mes mains, mes bras, le drap qui coulait. Son regard s’est attardé une seconde sur ma bouche. J’ai senti son envie comme une électricité dans l’air. Elle ne m’a pas touchée. Sa main a glissé contre sa propre cuisse, a remonté d’un centimètre, s’est immobilisée. Elle a respiré par le nez, contrôlée. Ses lèvres se sont entrouvertes et refermées, comme si elle mâchait un mot qu’elle avait décidé de ne pas prononcer.
— Tu veux voir encore ? a-t-elle proposé, professionnelle revenue comme un manteau sur ses épaules.
— Oui.
Elle a repris l’appareil, a trié à une vitesse folle, identifiant les angles, les accidents, les reflets. Elle s’auto-corrigeait à voix basse, murmurait « trop haut », « parfait », « bord de cadre », « oh celui-là ». Je l’écoutais et son jargon me devenait tendre. Par instants, son souffle se coupait d’un cran, et je savais exactement sur quelle photo elle était. Elle levait la tête pour me regarder, puis replongeait.
— On pourrait en tirer une petite série, a-t-elle dit. Pas pour… enfin. Pour toi. Pour nous. Pour garder. Si tu veux.
— Je veux.
Je me suis assise, j’ai rassemblé le drap autour de moi comme une toge improbable. J’avais soif et j’avais faim; je me sentais légère et lourde en même temps, vidée et pleine. Elle m’a tendu le verre d’eau, nos doigts se sont frôlés. Elle a serré un peu trop fort le pied du verre; un cliquetis a résonné. Elle a souri de travers, désarmée par ses propres gestes.
— Tu es sûre que ça va ? a-t-elle insisté.
— Ça va. Je crois que… je crois que je me vois pour la première fois.
Elle a soufflé, presque un soupir. Ses épaules se sont relâchées d’un cran. Elle a étiré ses doigts, s’est passée la main dans les cheveux; une mèche est revenue devant ses yeux, elle l’a soufflée d’un petit geste. Elle a regardé le lit, puis la fenêtre, puis moi. J’ai compris qu’elle se battait avec une envie simple, mécanique, qui n’avait rien de sale et tout de délicat : se toucher, là, tout de suite, pour faire redescendre le trop-plein. Elle ne l’a pas fait. Elle s’est levée et a commencé à ranger presque fiévreusement : l’objectif dans sa housse, le drap sur le dossier d’une chaise, l’oreiller retourné. Ses doigts allaient trop vite. Elle a tout arrêté d’un coup, s’est appuyée au mur, a fermé les yeux. Sa cage thoracique s’est soulevée. Elle est revenue vers moi plus calme.
— J’ai envie de… Elle s’est interrompue, a avalé. Non. Rien.
— Je sais, j’ai dit. Ma voix était douce, inédite.
Nos regards se sont accrochés. Il n’y avait pas de honte là-dedans, ni de promesse claire. Juste une reconnaissance. Elle est restée debout, moi assise, et dans cet écart il y avait tout ce qu’on n’avait pas fait et qu’on n’avait pas besoin de nommer. Elle a ramassé l’appareil avec un geste plus tendre.
— On ne montrera ça à personne, d’accord ? a-t-elle demandé comme si j’avais hésité.
— D’accord.
— Et si tu veux qu’on supprime… n’importe laquelle…
— Non.
Elle a hoché la tête, soulagée. Elle a lancé l’idée d’un tirage papier discret, noir et blanc, grain fin. Ses mots roulaient, pratiques, techniques, pour occuper l’espace. Mais ses mains la trahissaient toujours : le pouce qui frottait l’index, la paume qui se posait sur sa hanche, descendait, remontait. Elle maîtrisait sa respiration, mais pas ses gestes.
— Tu veux une douche ? a-t-elle proposé enfin, consciente de l’odeur de peau, du sel léger, de la moiteur.
— Oui.
Sous l’eau, j’ai repensé à la lumière sur le parquet, au cliquetis sec de l’obturateur, à la voix de Bella qui disait « respire » alors qu’elle s’oubliait elle-même. L’eau roulait sur mes cuisses, entre, sur mon ventre, sur mes seins qui semblaient soudain appartenir à quelqu’un que j’aimais bien. J’ai fermé les yeux. J’ai entendu la porte s’ouvrir d’un centimètre; sa voix est passée, neutre : « J’ai posé une serviette propre. » Puis rien. Elle refermait pour me laisser seule. J’ai souri sous l’eau.
Quand je suis sortie, elle avait remis de l’ordre. Les rideaux laissaient passer un jour qui inclinait déjà vers le soir. Elle m’attendait dans la cuisine, deux tasses de thé alignées comme un plan. Ses cheveux étaient relevés en chignon, sa nuque dégagée. Elle n’avait pas changé de vêtements mais elle aurait pu : elle semblait d’une autre densité. Elle m’a tendu une tasse, nos doigts se sont frôlés encore, plus longuement. Elle n’a pas retiré sa main tout de suite. Puis si.
— Je t’enverrai une sélection ce soir, a-t-elle dit, professionnelle récupérée.
— D’accord.
Je suis restée un moment à boire en silence, assise sur son tabouret. Elle s’occupait sans raison, alignait des cuillères, vérifiait son téléphone sans le déverrouiller. À un moment, elle a posé ses deux mains à plat sur le plan de travail et a fermé les yeux une seconde, comme on prie. J’ai eu envie de me lever, de venir derrière elle, de poser mon front entre ses omoplates, de lui dire que c’était bon, que tout allait bien, que nous pouvions rester encore dans ce fil tendu. Je ne l’ai pas fait. J’ai dit :
— Merci.
Elle a ouvert les yeux, m’a regardée, et dans son regard tout s’est simplifié.
— Merci à toi, a-t-elle répondu.
Quand je suis partie, elle m’a raccompagnée à la porte. Dans l’encadrement, la lumière du couloir a découpé son profil avec une précision chirurgicale. Elle a levé la main comme pour me toucher la joue; elle s’est ravisée et a attrapé l’embrasure à la place. Ses doigts se sont refermés sur le bois. Elle a soufflé quelque chose qui ressemblait à « à bientôt » mais qui voulait dire « je ne vais pas me caresser tant que tu n’es pas descendue les deux premiers étages ». J’ai souri sans le dire. J’ai dit « à bientôt » à mon tour, cette fois pour de vrai.
Dans la rue, l’air avait un goût de poussière dorée. Mon téléphone a vibré avant d’arriver au coin. Un message de Bella : « Ne t’inquiète pas si je tarde pour t’envoyer les photos. Je veux prendre le temps. Et… tu es magnifique, Jenny. » J’ai répondu « Prends tout le temps. Merci. » J’ai hésité, j’ai ajouté « Respire. » Un petit point de suspension est apparu, a disparu, est revenu. Pas de réponse. Je savais où elle était, à cet instant précis : adossée au mur de sa cuisine, en train de se dire qu’elle pouvait se permettre de trembler un petit peu, juste un peu, avant de reprendre le fil. Et moi, sur le trottoir, j’ai senti un sourire me prendre la bouche comme un secret propre. Je me suis regardée dans la vitrine d’une boutique fermée. Je me suis reconnue.
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1 avis des lecteurs et lectrices après lecture : Les auteurs apprécient les commentaires de leurs lecteurs
Les avis des lecteurs
La serie est incroyable il me tarde de lire la suite et de la voir passer aux choses sérieuses.
(Pourquoi les numeros ne s’enchainent pas on a loupé aucune partie ?)
(Pourquoi les numeros ne s’enchainent pas on a loupé aucune partie ?)

