Sahara - Chapitres 1 à 8

Récit érotique écrit par Karim_et_Nadia [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur couple.
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Sahara - Chapitres 1 à 8
Chapitre 1 - La Routine
Le réveil sonna à six heures précises, comme chaque matin depuis cinq ans. Karim éteignit l'alarme d'un geste machinal avant qu'elle ne réveille Nadia. Dans la pénombre de leur chambre d'Alger, il observa le profil endormi de sa femme, ses cheveux bruns étalés sur l'oreiller blanc. À vingt-sept ans, elle gardait cette beauté naturelle qui l'avait séduit lors de leurs études d'architecture. Lui, ingénieur en génie civil de huit ans son aîné, avait tout de suite su qu'elle serait sa femme.
Cinq années de mariage. Cinq années de bonheur tranquille, de projets communs, de routine bien huilée. Leur appartement de Hydra témoignait de leur réussite sociale : meubles modernes, cuisine équipée, bibliothèque remplie de leurs ouvrages techniques. Un couple modèle aux yeux de leurs familles respectives.
Karim se leva sans bruit et se dirigea vers la salle de bain. Sous la douche, il repensa à leur conversation de la veille. Le voyage à Tamanrasset était prévu pour le lendemain. Cinq jours dans le Sahara pour célébrer leur cinquième anniversaire de mariage. L'idée était de lui, évidemment. Nadia avait acquiescé avec ce sourire poli qu'elle affichait de plus en plus souvent ces derniers temps.
Il fallait être honnête : leur relation s'était installée dans une certaine routine. Le travail accaparait leurs journées, les obligations familiales leurs weekends. Leur vie intime suivait le même schéma prévisible. Le samedi soir, parfois le mercredi, toujours de la même façon. Nadia ne se plaignait pas, mais Karim sentait bien qu'elle n'était plus la jeune femme passionnée qu'il avait épousée.
Ce voyage, c'était son plan pour raviver la flamme. Loin d'Alger, loin de leurs familles, loin de tout. Juste eux deux face à l'immensité du désert. Il était certain que cela fonctionnerait.
Nadia se réveilla quand il sortit de la douche, une serviette autour de la taille.
— Déjà debout ? murmura-t-elle en s'étirant.
— Tu sais bien que j'ai ce dossier à finir avant notre départ.
Elle se redressa dans le lit, ses seins nus affleurant sous le drap. Karim sentit une pointe de désir, mais déjà son esprit était ailleurs, occupé par sa journée de travail.
— Tu es sûr pour ce voyage ? demanda-t-elle en nouant ses cheveux en chignon.
— Certaine. Tu verras, ça va nous faire du bien.
Nadia hocha la tête sans conviction et se dirigea à son tour vers la salle de bain. Karim la regarda passer, admirant ses hanches rondes, sa démarche gracieuse. Oui, ce voyage était nécessaire. Il allait reconquérir sa femme.
Pendant qu'elle se préparait, il descendit à la cuisine préparer le petit-déjeuner. Café noir pour lui, thé à la menthe pour elle. Pain grillé, confiture de figues, quelques dattes. Le même rituel depuis des années.
— Tu as pensé à prévenir tes parents ? demanda-t-il quand elle le rejoignit, vêtue de sa robe de bureau grise.
— Oui, maman n'était pas très rassurée. Tu sais comme elle est avec les voyages.
Les familles. Toujours présentes, toujours à donner leur avis. La mère de Nadia qui s'inquiétait de tout, celle de Karim qui posait sans cesse des questions sur leur projet d'enfant. La pression constante, douce mais persistante.
— On sera de retour dimanche soir, rappela Karim. Cinq jours, c'est parfait.
Nadia but son thé en silence, le regard perdu par la fenêtre. Dehors, Alger s'éveillait dans la brume matinale.
— Tu penses qu'on devrait...
Elle s'interrompit, comme si elle avait renoncé à finir sa phrase.
— Quoi ?
— Non, rien. Ce voyage va nous faire du bien, tu as raison.
Il y avait quelque chose dans sa voix, une mélancolie qu'il ne saisissait pas. Mais Karim préféra l'interpréter comme une simple fatigue. Après le voyage, tout irait mieux.
Ils partirent ensemble pour le travail, comme chaque matin. Dans la voiture, Nadia regardait défiler les rues d'Alger, silencieuse. Karim parlait du programme de leur séjour : hôtel avec vue sur les montagnes du Hoggar, excursions dans les dunes, soirées sous les étoiles.
— Tu verras, disait-il, on va redécouvrir ce qu'on avait au début.
Nadia acquiesça en souriant, mais son regard restait distant. Elle ne pouvait pas savoir, bien sûr, que ce voyage allait effectivement tout changer. Pas du tout comme Karim l'espérait.
Au moment de se séparer devant son bureau d'architecture, elle l'embrassa sur la joue.
— À ce soir, dit-elle.
— À ce soir. Demain à la même heure, on sera en route vers l'aventure.
Si seulement il avait su quelle aventure l'attendait réellement.
Chapitre 2 – L’Arrivée
L’avion amorça sa descente vers Tamanrasset dans la lumière dorée de fin d’après-midi. Par le hublot, Nadia découvrait pour la première fois l’immensité ocre du Sahara, ces étendues infinies qui semblaient défier toute notion de frontière. À côté d’elle, Karim consultait déjà son guide touristique, planifiant leurs excursions.
— Regarde, dit-il en lui montrant une photo. Demain, on peut faire l’Assekrem au coucher du soleil. Charles de Foucauld y a vécu, paraît-il.
Nadia hocha la tête distraitement. Depuis leur départ d’Alger le matin même, elle ressentait une étrange sensation, comme si ce voyage l’emmenait vers quelque chose d’imprévisible. L’air conditionné de l’avion ne parvenait pas à dissiper cette chaleur sourde qui montait en elle.
L’aéroport de Tamanrasset était petit, presque rustique comparé à celui d’Alger. Dès qu’ils sortirent de l’appareil, la chaleur sèche du désert les saisit. Quarante degrés à l’ombre, mais une chaleur différente, purifiante.
Le chauffeur qui les attendait était un homme d’une cinquantaine d’années, peau tannée par le soleil, regard tranquille. Il se présenta comme Moussa et chargea leurs bagages dans un 4x4 Toyota blanc poussiéreux.
— Première fois dans le Sud ? demanda-t-il tandis qu’ils traversaient la ville.
— Oui, répondit Karim. On vient fêter nos cinq ans de mariage.
— Ah, el mabrouk ! Le désert, ça change les gens. Vous verrez.
Nadia observait le paysage qui défilait. Tamanrasset n’avait rien à voir avec Alger. Ici, les maisons basses se fondaient dans la terre rouge, les palmiers se dressaient comme des sentinelles, et partout cette lumière particulière qui transformait les moindres détails en œuvre d’art.
Leur hôtel se situait en périphérie, au pied des montagnes du Hoggar. L’architecture respectait le style local : murs de pisé, terrasses ouvertes sur l’horizon, jardin intérieur avec bassin. Leur chambre donnait directement sur l’immensité désertique.
— C’est magnifique, murmura Nadia en découvrant la vue depuis leur terrasse.
Pour la première fois depuis longtemps, Karim la vit sourire avec spontanéité. Son plan fonctionnait déjà.
— Je t’avais dit que ça nous ferait du bien, dit-il en l’enlaçant par derrière.
Elle se laissa aller contre lui, respirant l’air pur du désert. Au loin, les montagnes prenaient des teintes violettes sous le soleil déclinant.
Le dîner fut servi sur la terrasse commune, sous un ciel qui commençait déjà à révéler ses étoiles. Quelques autres couples d’Algériens, un groupe d’Européens en voyage organisé, et le personnel de l’hôtel qui circulait avec discrétion.
Nadia remarqua immédiatement le jeune homme qui servait à leur table. Grand, élancé, la peau mate typique des Touaregs, il avait ce regard intense qu’elle n’avait jamais vu chez aucun homme de sa connaissance. Quand il posa le plat devant elle, leurs doigts se frôlèrent un instant.
— Merci, dit-elle, troublée par ce contact furtif.
— De rien, madame. Si vous avez besoin de quoi que ce soit…
Sa voix était grave, avec cet accent du Sud qui rendait chaque mot plus lent, plus caressant. Il s’appelait Amara, apprit-elle quand Karim lui demanda des conseils pour leurs excursions.
— Pour l’Assekrem, il faut partir très tôt, expliquait-il. Ou alors en fin d’après-midi pour le coucher du soleil. C’est plus romantique.
Son regard s’attarda sur Nadia quand il prononça ce dernier mot. Elle sentit ses joues s’empourprer et baissa les yeux sur son assiette.
— On ira demain soir alors, décida Karim, inconscient du trouble de sa femme.
Après le repas, ils se promenèrent dans le jardin de l’hôtel. L’air était doux maintenant, parfumé par les jasmins et les orangers. Karim était détendu, heureux de voir Nadia reprendre des couleurs.
— Tu te sens mieux, on dirait.
— Oui, c’est vrai. Cet endroit est… différent.
Différent, c’était le mot. Tout était différent ici. Les odeurs, les sons, la lumière, même sa propre perception des choses. Comme si le désert réveillait quelque chose en elle qu'elle avait toujours ignoré.
Dans leur chambre, ils firent l’amour pour la première fois depuis des semaines. Rien d’exceptionnel, le même rituel habituel, mais Nadia se surprit à imaginer autre chose. D’autres mains sur sa peau, une autre bouche contre la sienne. L’image d’Amara s’imposa malgré elle, et elle dut serrer les dents pour ne pas gémir son nom.
Karim s’endormit rapidement, satisfait de cette première journée réussie. Nadia resta éveillée longtemps, écoutant les bruits de la nuit désertique. Quelque part dans l’hôtel, elle savait qu’Amara veillait.
Le désert avait déjà commencé son œuvre. Comme l’avait dit Moussa : ça change les gens.
Elle ne savait pas encore à quel point.
# Chapitre 3 – L’Excursion
Le deuxième jour se leva dans un ciel sans nuages. Karim avait organisé une excursion à dos de chameau dans les dunes proches, suivie d’un déjeuner berbère sous une tente traditionnelle. Nadia avait accepté sans enthousiasme, mais elle se laissa surprendre par la beauté sauvage du paysage.
Amara les accompagnait comme guide. Il montait son propre chameau avec l’aisance de ceux qui ont grandi dans le désert, tandis que Karim et Nadia peinaient à trouver leur équilibre sur leurs montures. Les animaux avançaient d’un pas lent et régulier, créant une bercement hypnotique sous le soleil déjà intense.
— Attention à ne pas vous exposer trop, conseilla Amara en se rapprochant du chameau de Nadia. Le soleil du désert ne pardonne pas.
Il tira de sa sacoche une écharpe blanche qu’il lui tendit.
— Couvrez-vous les épaules et le cou.
Quand elle prit le tissu, leurs mains se touchèrent plus longuement que nécessaire. Nadia sentit une décharge électrique parcourir son bras. Amara ne détourna pas le regard, et elle y lut quelque chose qui la troubla profondément.
— Merci, murmura-t-elle.
Karim, quelques mètres devant, luttait avec les rênes de son chameau et n’avait rien remarqué.
Pendant le déjeuner sous la tente, Amara raconta les légendes du désert, les histoires de ses ancêtres nomades. Sa voix grave captivait Nadia, qui ne quittait pas ses lèvres des yeux. Karim, lui, posait des questions techniques sur la vie dans le Sahara, toujours pragmatique.
— Vous avez de la chance d’avoir épousé une femme si belle, dit soudain Amara en regardant directement Nadia.
Karim sourit, flatté.
— C’est vrai, j’ai de la chance.
— Chez nous, on dit que la beauté d’une femme est comme une oasis. Elle attire tous les voyageurs assoiffés.
Cette fois, le sous-entendu était clair. Nadia rougit violemment et détourna le regard. Karim, absorbé par son tajine, ne saisit pas la métaphore.
L’après-midi, ils rentrèrent à l’hôtel pour échapper à la chaleur écrasante. Nadia prétexta un mal de tête pour rester dans la chambre pendant que Karim descendait se baigner dans la piscine.
Seule, elle n’arrivait pas à chasser l’image d’Amara. Ses mains brunes et fortes, son regard qui semblait voir au-delà des apparences, sa façon de la déshabiller du regard. Elle se surprit à imaginer ces mains sur sa peau, et une chaleur différente de celle du désert monta en elle.
En fin d’après-midi, ils partirent pour l’Assekrem, le point culminant du Hoggar. Le 4x4 gravit les pentes rocailleuses dans un paysage lunaire d’une beauté saisissante. Amara conduisait, jetant de temps à autre des coups d’œil à Nadia dans le rétroviseur.
Au sommet, ils découvrirent l’ermitage de Charles de Foucauld et surtout un panorama à couper le souffle sur tout le massif du Hoggar. Le soleil commençait sa descente, teintant les roches de rouge et d’or.
— C’est ici que le père de Foucauld venait méditer, expliqua Amara. On dit que le désert révèle la vérité cachée au fond de chaque être.
Nadia frissonna. Quelle vérité le désert était-il en train de révéler en elle ?
Pendant que Karim photographiait le coucher de soleil, Amara s’approcha d’elle.
— Vous n’êtes pas heureuse, dit-il à voix basse.
Ce n’était pas une question. Nadia sursauta.
— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
— Vos yeux. Ils sont tristes, malgré votre sourire.
— Vous vous trompez. J’aime mon mari.
— Je ne dis pas le contraire. Mais aimer ne suffit pas toujours.
Il y eut un silence. Au loin, Karim criait d’admiration devant les couleurs du couchant.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Que vous méritez de brûler, pas seulement d’exister.
Ces mots la percutèrent comme une flèche. Brûler. Oui, c’était exactement ce qu’elle ressentait depuis qu’elle était arrivée ici. Cette envie de flammes qu’elle n’avait jamais connue avec Karim.
— Il ne faut pas dire des choses comme ça, murmura-t-elle.
— Pourquoi ? Parce que c’est interdit ? Le désert se moque de vos interdits.
Karim revenait vers eux, appareil photo à la main, rayonnant.
— Fantastique ! Ces couleurs sont incroyables. Tu as vu ça, Nadia ?
— Oui, magnifique.
Elle avait du mal à retrouver sa voix normale. Amara s’était éloigné, mais elle sentait encore sa présence comme une brûlure.
Sur le chemin du retour, tandis que Karim commentait les photos qu’il venait de prendre, Nadia fixait la nuque d’Amara. Ses cheveux noirs qui frisaient légèrement, sa peau mate, la façon dont ses mains tenaient le volant avec assurance.
« Vous méritez de brûler, pas seulement d’exister. »
Cette phrase tournait en boucle dans sa tête. Pour la première fois de sa vie, elle comprenait ce que ces mots voulaient dire.
De retour à l’hôtel, pendant le dîner, elle ne put s’empêcher de chercher Amara du regard. Il était là, servant aux autres tables, mais évitait soigneusement la leur. Était-ce par respect pour son mari ou pour préserver l’intimité de leurs échanges ?
Karim était d’excellente humeur.
— Cette journée était parfaite, dit-il. Demain, on fait quoi ? Les dunes de l’Erg Admer ?
— Comme tu veux, répondit-elle machinalement.
Ce soir-là, dans leur lit, Karim tenta de nouveau de lui faire l’amour. Mais pour la première fois de leur mariage, Nadia ne put pas feindre. Son corps refusait de répondre à ses caresses habituelles. Elle pensait à d’autres mains, à d’autres lèvres, à cette promesse de flammes qu’on lui avait murmurée.
— Tu es fatiguée ? demanda Karim, déçu.
— Un peu, oui. Cette journée m’a épuisée.
Il l’embrassa sur le front et se tourna de l’autre côté. En quelques minutes, il dormait.
Nadia resta les yeux ouverts, écoutant sa respiration régulière. Par la fenêtre ouverte, elle entendait les bruits de la nuit désertique. Quelque part dans l'hôtel, elle savait qu’Amara veillait, comme tous les gardiens de nuit.
L’envie de se lever, de sortir, de le rejoindre, montait en elle comme une fièvre. Elle serra les poings, lutta contre cette pulsion qui la terrifiait et l’excitait à la fois.
Pas encore. Pas ce soir.
Mais elle savait que cette résistance ne tiendrait plus longtemps. Le désert avait réveillé quelque chose en elle, et cette force sauvage réclamait maintenant sa liberté.
# Chapitre 4 – La Nuit Fatidique
Troisième nuit à Tamanrasset. Nadia n’arrivait pas à dormir. À côté d’elle, Karim ronflait légèrement, épuisé par leur journée dans les dunes de l’Erg Admer. Il avait bu plus que d’habitude au dîner, célébrant ce qu’il appelait déjà « notre plus beau voyage ».
Deux heures du matin. L’air était encore tiède, chargé des parfums nocturnes du désert. Par la fenêtre ouverte, Nadia entendait les bruits feutrés de la nuit : le bruissement du vent dans les palmiers, le chant lointain d’un chacal, et parfois des pas sur les dalles de la terrase.
Les mots d’Amara résonnaient encore dans sa tête : « Vous méritez de brûler, pas seulement d’exister. » Depuis qu’il les avait prononcés, elle ne pensait qu’à ça. À ce feu qu’elle sentait couver en elle et qu’elle n’avait jamais osé nourrir.
Elle se leva doucement, enfila une robe de nuit légère et sortit sur leur terrasse privée. L’air frais lui fit du bien. Au-dessus d’elle, le ciel du Sahara déployait ses milliers d’étoiles avec une intensité qu’elle n’avait jamais vue à Alger.
— Madame ne dort pas ?
La voix d’Amara la fit sursauter. Il était là, dans l’ombre du jardin, à quelques mètres de sa terrasse. En tenue de gardien de nuit, mais son regard était celui qu’elle connaissait maintenant : intense, troublant.
— Je… je n’arrive pas à dormir.
— Le désert réveille parfois ce qui dort en nous, dit-il en s’approchant.
— Vous ne devriez pas être ici.
— Et vous, vous ne devriez pas être dehors à cette heure.
Il était maintenant au pied de sa terrasse. Dans la pénombre, elle distinguait sa silhouette élancée, ses épaules larges sous la chemise blanche.
— Les vraies étoiles, ce n’est pas d’ici qu’on les voit, dit-il en reprenant ses mots de l’autre soir.
— Où alors ?
— Suivez-moi. Je vous montre.
Nadia hésita. Derrière elle, Karim dormait profondément. Devant elle, cet homme qui incarnait tout ce qu’elle n’avait jamais osé désirer l’invitait à franchir une ligne invisible.
— Il dort ? demanda Amara en désignant la chambre.
— Oui.
— Alors venez. Juste pour voir les étoiles.
Elle savait que c’était un mensonge. Ils savaient tous les deux que ce n’était pas pour les étoiles. Mais elle descendit les marches de la terrasse et le suivit.
Ils marchèrent en silence vers une petite éminence rocheuse à une cinquantaine de mètres de l’hôtel. Assez loin pour être seuls, assez près pour qu’elle puisse revenir rapidement si nécessaire. Amara étendit une couverture sur le sable encore tiède.
— Regardez, dit-il en s’allongeant.
Nadia s’allongea à côté de lui, gardant une distance prudente. Au-dessus d’eux, la voûte céleste était effectivement plus claire, plus pure qu’depuis leur terrasse.
— Vous voyez cette constellation ? dit-il en levant le bras.
Elle suivit la direction de son doigt, mais c’est sa main qu’elle regardait. Cette main brune et forte qu’elle imaginait sur sa peau depuis deux jours.
— Chez nous, on l’appelle « la femme qui cherche ». Elle erre dans le ciel, à la recherche de ce qu’elle a perdu.
— Et qu’est-ce qu’elle a perdu ?
— Sa passion. Sa vraie nature.
Nadia se tourna vers lui. Leurs visages n’étaient plus qu’à quelques centimètres. Elle pouvait sentir son souffle, voir ses lèvres dans la clarté lunaire.
— Qu’est-ce que vous cherchez, vous ? murmura-t-il.
— Je ne sais pas.
— Si, vous le savez.
Sa main effleura sa joue. Nadia ferma les yeux, submergée par une vague de désir qu’elle n’avait jamais ressentie. Pas même avec Karim le jour de leur mariage.
— Il ne faut pas, murmura-t-elle sans conviction.
— Pourquoi ?
— Mon mari…
— Votre mari dort. Et vous, vous brûlez.
Il avait raison. Elle brûlait. De partout. Cette faim qu’elle avait toujours réprimée montait en elle comme une marée.
Quand il l’embrassa, elle ne résista pas. Ses lèvres étaient chaudes, expertes, si différentes de celles de Karim. Il l’embrassait comme s’il voulait la dévorer, et elle découvrait qu’elle avait envie d’être dévorée.
Ses mains trouvèrent sa robe de nuit, la firent glisser de ses épaules. Dans la lumière stellaire, sa peau nue prenait des reflets dorés. Il la regardait comme si elle était la huitième merveille du monde.
— Vous êtes magnifique, murmura-t-il.
Personne ne lui avait jamais dit ça avec cette intensité, cette vérité brute. Karim lui disait qu’elle était belle, mais comme on complimente une épouse. Amara lui disait qu’elle était magnifique comme on révèle une évidence.
Quand il la prit, là sur le sable du désert sous les étoiles, Nadia découvrit ce que signifiait vraiment faire l’amour. Ce n’était pas les gestes mesurés et prévisibles qu’elle connaissait. C’était sauvage, primitif, absolu.
Il la possédait avec une urgence qu’elle n’avait jamais inspirée, la faisant gémir de plaisir sans qu’elle puisse se retenir. Ses mains connaissaient son corps mieux que Karim après cinq ans de mariage. Il savait exactement où la toucher, comment la caresser, à quel rythme la mener vers des sommets qu’elle n’avait jamais atteints.
Quand elle jouit sous lui, les étoiles au-dessus d’elle semblèrent exploser. Elle cria son nom dans la nuit du désert, s’agrippant à ses épaules comme à une bouée de sauvetage.
Ils restèrent enlacés quelques minutes, reprenant leur souffle. La réalité revint progressivement. Qu’avait-elle fait ? À cinquante mètres de là, son mari dormait, confiant et amoureux.
— Il faut que je rentre, murmura-t-elle.
— Je sais.
Il l’aida à remettre sa robe de nuit, effaça les traces de sable sur sa peau. Quand elle fut prête, il la prit dans ses bras une dernière fois.
— Cette nuit, vous avez été vous-même pour la première fois, dit-il contre son oreille.
C’était vrai. Terriblement vrai.
Elle retourna vers l’hôtel sur des jambes tremblantes. Dans la salle de bain, elle se regarda dans le miroir. Elle n’était plus la même femme qu’une heure plus tôt. Quelque chose avait changé dans son regard, dans sa posture. Le désert avait révélé la femme qu’elle portait en elle sans le savoir.
Quand elle se glissa dans le lit à côté de Karim, celui-ci bougea légèrement.
— Où tu étais ? marmonna-t-il dans son demi-sommeil.
— Aux toilettes.
Il se rendormit aussitôt. Nadia resta éveillée jusqu’à l’aube, revivant chaque seconde de cette nuit. Son corps gardait encore l’empreinte d’Amara, et elle savait qu’elle ne l’oublierait jamais.
Le lendemain matin, au petit-déjeuner, Karim la trouva radieuse.
— Tu as l’air en forme ! Ce voyage te fait vraiment du bien.
Si seulement il savait pourquoi elle rayonnait ainsi. Amara servait à la table voisine, évitant soigneusement leur regard. Mais quand il passa près d’elle pour débarrasser une assiette, il murmura si bas que seule elle pouvait l’entendre :
— Vous brûlez maintenant.
Oui, elle brûlait. Et ce feu-là, elle savait qu’elle ne pourrait plus jamais l’éteindre.
# Chapitre 5 – Le Retour à la Réalité
L’avion qui les ramenait vers Alger survolait maintenant la côte méditerranéenne. Fini le rouge ocre du Sahara, finies les étendues infinies. En bas, la civilisation reprenait ses droits : autoroutes, buildings, pollution. Nadia regardait par le hublot avec un sentiment de claustrophobie grandissant.
Karim, rayonnant, feuilletait leurs photos de voyage sur son téléphone.
— Regarde celle-là, au coucher de soleil sur l’Assekrem ! On va l’encadrer pour le salon.
Nadia hocha la tête machinalement. Sur cette photo, elle souriait à l’objectif tandis qu’Amara se tenait en arrière-plan. Si Karim savait ce qui s’était passé quelques heures après ce cliché…
— Ce voyage était exactement ce qu’il nous fallait, continua-t-il. Tu ne trouves pas qu’on s’est retrouvés ?
« Retrouvés. » Le mot était si ironique qu’elle faillit éclater d’un rire amer. Elle ne s’était jamais sentie aussi perdue de sa vie.
L’appartement de Hydra leur fit l’effet d’une prison après l’immensité désertique. Karim s’empressa d’allumer la climatisation et de fermer les volets pour filtrer la lumière crue d’Alger. Nadia étouffait déjà.
— On défait les valises ? proposa-t-il.
— Vas-y, moi je vais prendre une douche.
Sous l’eau froide, elle ferma les yeux et tenta de retrouver les sensations de cette nuit sous les étoiles. Les mains d’Amara sur sa peau, sa bouche qui la dévorait, cette sensation d’être enfin vivante. Mais déjà, les images s’estompaient, remplacées par la réalité grise de son quotidien.
Le premier jour de retravail fut un calvaire. Ses collègues architectes voulaient tout savoir de leur voyage. Elle raconta les excursions, les paysages, l’hôtel, en omettant soigneusement l’essentiel. Chaque mensonge lui laissait un goût amer.
— Vous avez l’air en pleine forme ! remarqua Samira, sa collègue de bureau. Ce voyage vous a fait du bien.
— Oui, on a bien profité.
Mentir était devenu si facile. Trop facile.
Les jours passaient avec une lenteur insupportable. Chaque matin, le réveil à six heures. La routine immuable : douche de Karim, petit-déjeuner, trajet en voiture avec les mêmes conversations. Le bureau, les dossiers, les clients. Le retour le soir, le dîner, la télévision, le lit.
Karim ne remarquait rien. Pour lui, tout était rentré dans l’ordre après cette parenthèse réussie. Il avait même retrouvé une ardeur nouvelle au lit, satisfait de sa stratégie de reconquête. Mais Nadia ne ressentait plus rien dans ses bras. Pire, elle devait se forcer pour ne pas le repousser.
Comment avait-elle pu se contenter de si peu pendant cinq ans ? Chaque geste de Karim lui rappelait cruellement ce qu’elle avait découvert avec Amara. La passion, la vraie. Celle qui consume et transforme.
Au bout d’une semaine, l’irritabilité la gagna. Tout l’agaçait : la façon dont Karim mastiquait, ses commentaires sur les informations télévisées, ses projets de week-end chez ses parents.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? finit-il par demander un soir où elle avait repoussé sèchement ses avances.
— Rien. Je suis fatiguée.
— Fatiguée ? Mais on vient de rentrer de vacances !
Vacances. Si seulement il savait que ces cinq jours avaient été tout sauf reposants pour elle. Qu’ils avaient bouleversé sa vie de fond en comble.
Les disputes commencèrent la deuxième semaine. Des disputes stupides, sur des broutilles. La vaisselle mal rangée, la télévision trop forte, le choix du restaurant. Nadia cherchait inconsciemment le conflit, comme si elle voulait justifier sa culpabilité par la colère.
— Je ne te reconnais plus, lui dit Karim après une énième altercation à propos du ménage. Au Sahara, tu étais si heureuse, si détendue. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Qu’est-ce qui s’est passé ? Elle avait découvert ce que signifiait être une femme. Elle avait goûté au fruit défendu et ne supportait plus la fadeur de son existence conjugale.
— Rien ne s’est passé ! explosa-t-elle. C’est juste que… que cette vie m’étouffe !
— Cette vie ? Notre vie ? Notre appartement, notre travail, nos familles ?
— Oui ! Tout ça ! Cette routine, cette prévisibilité, cette… prison !
Karim la regardait, abasourdi. Jamais elle ne lui avait parlé ainsi.
— Mais… mais qu’est-ce que tu veux de plus ? On a tout ce qu’il faut pour être heureux !
« Heureux. » Encore un mot qui avait perdu tout son sens. Comment lui expliquer qu’elle avait découvert qu’elle n’avait jamais été heureuse ? Qu’elle s’était contentée d’une pâle imitation du bonheur ?
— Je veux… je veux me sentir vivante !
— Tu n’es pas vivante avec moi ?
La question la transperça. Non, elle n’était pas vivante avec lui. Elle existait, elle fonctionnait, elle accomplissait ses devoirs d’épouse, mais elle n’était pas vivante.
— Ce n’est pas de ta faute, murmura-t-elle.
— Alors c’est quoi ? Dis-moi ce qui ne va pas ! Dis-moi ce que je dois faire pour que tu sois heureuse !
L’ironie de la situation était cruelle. Karim était prêt à tout pour la reconquérir, sans savoir qu’il l’avait déjà perdue dans ce voyage qu’il avait lui-même organisé.
Les nuits étaient pires que les jours. Allongée à côté de lui, elle repensait à Amara. À ses mains expertes, à sa bouche brûlante, à cette nuit où elle avait enfin compris ce qu’était le désir. Elle se masturbait en pensant à lui, honteuse mais incapable de résister.
Un mois après leur retour, Karim tenta une nouvelle approche.
— Et si on repartait ? proposa-t-il. Un week-end à la mer, ou même retourner dans le Sud ?
L’idée de retourner à Tamanrasset, de revoir Amara, fit battre son cœur plus vite. Mais elle savait que c’était impossible. Que ce qui s’était passé là-bas était unique, irrémédiable.
— Non, dit-elle sèchement. On ne peut pas fuir nos problèmes en voyageant.
— Mais quels problèmes ? Je ne comprends pas !
Sa frustration était palpable. Lui, l’ingénieur habitué à résoudre tous les problèmes techniques, se trouvait face à une équation qu’il ne savait pas résoudre.
— Le problème, c’est moi, dit-elle finalement.
— Toi ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
Nadia le regarda longuement. Cet homme bon, attentionné, qui l’aimait sincèrement et ne comprenait pas pourquoi tout s’effritait. Elle avait envie de tout lui dire. De se libérer de ce poids qui l’écrasait depuis des semaines.
Mais elle n’en avait pas encore la force. Pas ce soir.
— Rien. Laisse tomber.
Cette nuit-là, elle rêva d’Amara. Elle se réveilla en nage, le corps vibrant d’un désir inassouvi. À côté d’elle, Karim dormait paisiblement, ignorant que sa femme se consumait d’amour pour un autre.
Combien de temps pourrait-elle tenir avant de craquer ?
# Chapitre 6 – L’Explosion
Deux mois après leur retour de Tamanrasset, la situation était devenue intenable. Nadia ne dormait presque plus, rongeant son frein dans un lit qu’elle partageait avec un homme qu’elle n’arrivait plus à supporter. Chaque matin était un calvaire, chaque soirée une épreuve.
Ce soir-là, comme tous les vendredis, ils dînaient chez les parents de Karim. Sa mère avait préparé un couscous traditionnel, et toute la famille était réunie : ses frères, leurs épouses, les enfants qui couraient partout en criant.
— Alors, quand est-ce qu’on aura de bonnes nouvelles ? demanda la mère de Karim en servant Nadia.
La question éternelle. Celle qui revenait à chaque repas de famille depuis cinq ans.
— Des enfants, ça viendra quand Dieu le voudra, répondit Karim machinalement.
— Vous avez l’air fatigués tous les deux. Ce n’est pas bon pour faire des bébés, ça ! Il faut être heureux, détendus…
Nadia serra les dents. Si seulement cette femme savait à quel point elle était loin d’être détendue.
— Le voyage dans le Sud vous a fait du bien pourtant, continua sa belle-mère. Karim nous a dit que tu rayonnais là-bas.
« Tu rayonnais. » Encore cette expression. Si elle entendait ce mot une fois de plus, elle allait hurler.
— Maman, laisse-les tranquilles, intervint le frère aîné de Karim. Ils feront des enfants quand ils voudront.
— À vingt-sept ans, il ne faut pas trop attendre ! À son âge, moi j’avais déjà trois enfants.
Nadia posa violemment sa fourchette.
— Excusez-moi, je vais prendre l’air.
Elle sortit sur la terrasse, aspirant de grandes bouffées d’air frais. Derrière elle, les conversations reprenaient, mais elle entendait les murmures inquiets de sa belle-famille.
Karim la rejoignit quelques minutes plus tard.
— Qu’est-ce qui se passe encore ? Tu es insupportable ces derniers temps !
— Insupportable ? C’est ta mère qui est insupportable avec ses questions !
— Elle s’inquiète pour nous, c’est normal ! Et puis, elle n’a pas tort. On pourrait commencer à y penser sérieusement, aux enfants.
Nadia le regarda avec incrédulité. Des enfants ? Maintenant ? Alors qu’elle était en train de mourir à petit feu dans cette vie ?
— Tu es fou ? Des enfants avec toi ?
Les mots avaient jailli avant qu’elle puisse les retenir. Karim pâlit.
— Qu’est-ce que tu veux dire par « avec moi » ? Avec qui d’autre tu voudrais en avoir ?
Le silence s’étendit entre eux. À l’intérieur, la famille continuait de rire et de parler, ignorant le drame qui se jouait sur la terrasse.
— Réponds-moi ! Avec qui d’autre ?
— Personne, murmura-t-elle. Ce n’est pas ça.
— C’est quoi alors ? Explique-moi pourquoi ma femme me traite comme un étranger depuis deux mois ! Explique-moi pourquoi tu ne me supportes plus !
Sa voix montait, mélange de colère et de désespoir.
— Tu veux que je t’explique ? Vraiment ?
— Oui ! J’en ai assez de ces mystères, de tes humeurs, de tes silences ! On était heureux avant ce voyage, et maintenant…
— Heureux ? Tu crois qu’on était heureux ?
— Oui ! Enfin, je le croyais…
Nadia éclata d’un rire amer.
— On n’était pas heureux, Karim. On existait, c’est tout. On suivait le mouvement, comme des somnambules.
— Mais qu’est-ce que tu veux de plus ? On a tout ! Un bon travail, un bel appartement, nos familles qui nous aiment…
— Je veux ressentir quelque chose ! Je veux être vivante !
— Tu n’es pas vivante avec moi ?
Cette question, encore. Celle qui la hantait depuis des semaines.
— Non, je ne suis pas vivante avec toi.
Il recula comme si elle l’avait giflé.
— Comment tu peux dire ça ? Après cinq ans de mariage ?
— Parce que c’est la vérité ! Parce que j’ai découvert ce que ça voulait dire, être vivante !
— Quand ? Quand tu l’as découvert ?
Le piège se refermait. Elle était allée trop loin, dit trop de choses. Mais la colère, la frustration de ces deux mois d’enfer, tout remontait à la surface.
— À Tamanrasset, lâcha-t-elle.
Karim fronça les sourcils.
— À Tamanrasset ? Mais on était ensemble tout le temps !
— Pas tout le temps, non.
Il y eut un silence. Elle voyait son cerveau d’ingénieur qui analysait, qui recoupait les indices.
— Cette nuit… quand tu es sortie…
— Quelle nuit ?
— Tu sais très bien quelle nuit ! Tu t’es absentée une heure, tu as dit que tu étais aux toilettes !
Nadia ne répondit pas. Son silence valait tous les aveux.
— Avec qui ? demanda-t-il d’une voix blanche.
— Karim…
— AVEC QUI ?
Il avait crié si fort que les conversations s’interrompirent dans le salon. Nadia entendit sa belle-mère demander si tout allait bien.
— Avec le gardien, murmura-t-elle. Amara.
Le monde s’effondra autour de Karim. Elle voyait sur son visage toutes les émotions qui se succédaient : incrédulité, douleur, rage, dégoût.
— Tu… tu as couché avec ce… ce Touareg ?
— Oui.
— Pendant que je dormais ?
— Oui.
— Dans notre voyage d’anniversaire de mariage ?
— Oui.
Chaque « oui » était un coup de poignard, mais elle ne pouvait plus s’arrêter. Après deux mois de mensonges, la vérité jaillissait comme un torrent.
— Pourquoi ? Qu’est-ce que je t’ai fait ?
— Tu ne m’as rien fait. Tu n’as jamais rien fait de mal.
— Alors pourquoi ?
Comment lui expliquer ? Comment lui dire qu’Amara l’avait réveillée à elle-même, qu’il lui avait révélé une femme qu’elle ne soupçonnait pas ?
— Parce qu’avec lui, j’ai découvert ce que c’était que de brûler.
— De brûler ?
— D’avoir envie. Vraiment envie. De perdre la tête, de ne plus contrôler son corps. Tu ne comprends pas ça ?
Il la regardait comme si elle était devenue folle.
— Tu es ma femme ! Tu m’appartiens !
— Je n’appartiens à personne ! J’en ai assez d’être ta femme parfaite, ta petite épouse modèle ! J’en ai assez de faire semblant !
— Faire semblant de quoi ?
— De jouir avec toi !
Le coup de grâce. Karim vacilla, s’appuya contre la rambarde de la terrasse.
— Depuis le début ?
— Depuis le début.
Il y eut un long silence. À l’intérieur, quelqu’un avait monté le volume de la télévision, peut-être pour couvrir leur dispute.
— Je veux divorcer, dit finalement Nadia.
— Non.
— Comment ça, non ?
— Je ne te laisserai pas partir. Pas comme ça. Pas pour un coup d’un soir avec un inconnu.
— Ce n’était pas qu’un coup d’un soir ! C’était…
— C’était quoi ? Tu l’aimes ?
La question la prit au dépourvu. L’aimait-elle ? Elle ne le connaissait même pas vraiment. Mais ce qu’elle avait ressenti avec lui…
— Je ne sais pas. Mais je sais que je ne peux plus vivre avec toi.
— Si. Tu peux. On va arranger ça.
— Arranger ça ? Comment ?
Il la regardait intensément, et elle vit quelque chose de nouveau dans ses yeux. Une détermination qu’elle ne lui connaissait pas.
— Je ne sais pas encore. Mais je ne te laisserai pas partir. Je t’aime trop pour ça.
Sur ces mots, il retourna dans le salon, la laissant seule sur la terrasse. Quand ils rentrèrent chez eux ce soir-là, ils ne se parlèrent pas. Mais Nadia sentait qu’un processus irréversible venait de se mettre en marche.
Elle avait tout dit. Maintenant, il fallait assumer les conséquences.
# Chapitre 7 – La Proposition
Trois jours passèrent dans un silence de mort. Karim dormait dans le salon, Nadia dans leur chambre. Ils se croisaient le matin sans se parler, partaient travailler séparément, rentraient à des heures différentes. L’appartement était devenu un champ de bataille silencieux.
Nadia avait préparé ses valises. Elle comptait partir chez sa sœur le temps de trouver un appartement et d’organiser le divorce. Mais chaque fois qu’elle se dirigeait vers la porte, quelque chose la retenait. La peur de l’inconnu ? Ou cette petite voix qui lui soufflait que Karim n’avait pas dit son dernier mot ?
Le mercredi soir, il l’attendait dans le salon quand elle rentra du travail. Il avait les traits tirés, les yeux cernés. Visiblement, il n’avait pas mieux dormi qu’elle.
— Il faut qu’on parle, dit-il sans préambule.
— On s’est tout dit l’autre soir.
— Non. Moi, je n’ai rien dit. Je t’ai écoutée me détruire en silence, mais je n’ai rien dit.
Nadia posa son sac et s’assit en face de lui, gardant ses distances. Il avait raison : elle avait parlé, lui avait subi.
— D’accord. Parle.
Karim se passa les mains sur le visage, cherchant ses mots.
— Ces trois derniers jours, j’ai pensé à ce que tu m’as dit. Que tu n’avais jamais joui avec moi. Que tu faisais semblant depuis cinq ans.
— Karim…
— Laisse-moi finir. Au début, j’étais détruit. Humilié. En colère. J’avais envie de te traiter de putain et de claquer la porte.
Le mot la fit tressaillir, mais elle ne dit rien.
— Et puis j’ai réfléchi. Vraiment réfléchi. Et tu sais quoi ? Je me suis rendu compte que… que quand tu m’as raconté cette nuit avec lui, j’étais excité.
Nadia releva la tête, surprise.
— Quoi ?
— Tu m’as raconté que tu avais découvert ce que c’était que brûler, que perdre la tête, et… ça m’a excité. L’idée de te voir comme ça, de t’imaginer jouir vraiment pour la première fois…
Il par lait d’une voix de plus en plus basse, comme s’il avouait un péché mortel.
— Je ne comprends pas où tu veux en venir.
— Ces trois nuits, dans le salon, je n’arrêtais pas de repenser à ça. À toi avec ce Touareg. À la façon dont il t’a touchée, dont il t’a fait jouir. Et plus j’y pensais, plus ça m’excitait.
Nadia le regardait, abasourdie. C’était la dernière réaction à laquelle elle s’attendait.
— Tu es en train de me dire que mon infidélité t’excite ?
— Je sais que c’est malsain. Je sais que c’est bizarre. Mais oui, ça m’excite.
Il se leva, se mit à faire les cent pas dans le salon.
— J’ai essayé de comprendre pourquoi. Au début, je pensais que c’était de la masochisme. Que j’aimais souffrir. Mais ce n'est pas ça.
— C’est quoi alors ?
— C’est que… pour la première fois de notre mariage, tu as été vraiment toi-même. Tu as été cette femme passionnée que j’avais entrevue au début, quand on sortait ensemble. Cette femme que j’ai épousée et qui a disparu peu à peu.
Nadia ne savait que répondre. Elle ne s’attendait pas à cette analyse.
— Et maintenant ? demanda-t-elle.
Karim s’arrêta devant elle, la regardant droit dans les yeux.
— Maintenant, je te fais une proposition.
— Laquelle ?
— Reste avec moi. Mais… mais si tu as besoin de ça pour être épanouie, pour être toi-même, alors… fais-le.
— Fais quoi ?
— Prends des amants.
Le mot tomba comme une bombe dans le salon. Nadia crut avoir mal entendu.
— Qu’est-ce que tu viens de dire ?
— Tu m’as entendu. Si tu as besoin de cette passion, de ce feu que je n’arrive pas à t’apporter, alors cherche-le ailleurs. Mais reste ma femme.
— Tu es devenu fou ?
— Non. Pour la première fois depuis trois jours, je suis lucide. Je t’aime, Nadia. Je t’aime plus que ma fierté, plus que ma jalousie, plus que les conventions. Et si c’est le prix à payer pour te garder, alors je le paie.
Nadia se leva, bouleversée.
— Tu ne peux pas me demander ça !
— Pourquoi ?
— Parce que c’est… c’est de la folie ! Qu’est-ce que diraient nos familles ? Nos amis ?
— Ils n’ont pas à le savoir.
— Et toi ? Comment tu supporterais de savoir que je… que je couche avec d’autres hommes ?
Karim hésita, puis :
— En me disant que tu reviens toujours vers moi. En me disant que c’est moi que tu aimes, même si c’est avec eux que tu prends ton plaisir.
— C’est de la perversion !
— Non. C’est de l’amour. De l’amour inconditionnel.
Il s’approcha d’elle, tenta de la prendre dans ses bras. Elle recula.
— Je ne peux pas accepter ça, Karim.
— Pourquoi ?
— Parce que c’est malsain ! Parce que tu vas en souffrir ! Parce que…
— Parce que quoi ?
Elle le regarda longuement, troublée par cette proposition inattendue.
— Parce que j’ai peur de ce que ça va faire de nous.
— Ça va faire de nous un couple qui s’assume. Un couple qui refuse les mensonges.
— Et si je tombe amoureuse ?
— De qui ?
— D’un de ces… hommes.
Karim accusa le coup, mais tint bon.
— On verra à ce moment-là. Mais pour l’instant, tu es là. Tu n’es pas encore partie. Ça veut dire quelque chose, non ?
C’était vrai. Pourquoi n’était-elle pas encore partie ? Qu’est-ce qui la retenait ?
— Il y aurait des règles, continua-t-il. Des limites.
— Lesquelles ?
— Jamais à la maison. Jamais deux fois avec le même homme. Et… et tu me racontes.
— Te raconter ?
— Oui. Tout. Ce qu’ils te font, comment tu réagis, ce que tu ressens.
Nadia le regarda avec un mélange de fascination et d’effroi. Il était sérieux. Complètement sérieux.
— Tu es sûr de ce que tu dis ?
— Non. Mais je suis sûr de t’aimer. Et je préfère t’avoir à moitié plutôt que pas du tout.
Elle se dirigea vers la fenêtre, regardant la ville d’Alger qui s’étendait sous leurs pieds. Cette proposition changeait tout. Lui offrait une liberté qu’elle n’avait jamais osé imaginer. Mais à quel prix ?
— Et toi ? demanda-t-elle sans se retourner. Tu resteras fidèle pendant que moi, je…
— Je ne sais pas. On verra.
Elle se retourna vers lui.
— Si j’accepte… ce sera vraiment ce que tu veux ? Ou tu espères que je refuserai au bout de quelques fois ?
— Je ne sais pas, Nadia. Je n’ai jamais été dans cette situation. Tout ce que je sais, c’est que je ne veux pas te perdre.
Le silence s’étira entre eux. Dehors, Alger vivait sa vie normale, ignorant le bouleversement qui se jouait dans cet appartement de Hydra.
— Laisse-moi réfléchir, dit finalement Nadia.
— Combien de temps ?
— Je ne sais pas. Quelques jours.
— D’accord. Mais tu restes ici en attendant ?
Elle hocha la tête. Karim sourit pour la première fois depuis trois jours.
— On pourrait peut-être… redormir dans le même lit ?
Nadia hésita, puis :
— D’accord. Mais sans rien faire. Je ne suis pas prête.
— Je comprends.
Cette nuit-là, ils dormirent côte à côte sans se toucher, chacun perdu dans ses pensées. Karim se demandait s’il venait de sauver son mariage ou de signer son arrêt de mort. Nadia, elle, découvrait qu’un homme pouvait l’aimer au point d’accepter l’inacceptable.
Et pour la première fois depuis des semaines, elle ne rêva pas d’Amara.
# Chapitre 8 – L’Acceptation
Une semaine s’écoula dans une atmosphère étrange. Karim et Nadia avaient retrouvé une certaine normalité – ils se parlaient, mangeaient ensemble, dormaient dans le même lit – mais tout restait en suspens. La proposition flottait entre eux comme une promesse ou une menace.
Nadia observait son mari avec un regard nouveau. Cet homme qu’elle croyait connaître par cœur venait de lui révéler une facette insoupçonnée. Cette capacité à transformer sa souffrance en acceptation, sa jalousie en excitation, avait quelque chose de troublant et d’admirable à la fois.
Le dimanche soir, elle prit sa décision.
Ils venaient de dîner, regardaient un film à la télévision. Karim semblait détendu, mais elle sentait sa tension sous-jacente. Il attendait sa réponse sans oser la demander.
— J’accepte, dit-elle simplement.
Il mit quelques secondes à comprendre, puis éteignit la télévision.
— Tu es sûre ?
— Non. Mais je veux essayer.
Il hocha la tête, grave. Ils savaient tous les deux qu’ils franchissaient une ligne invisible, qu’ils entraient en territoire inconnu.
— Alors, on définit les règles clairement, dit-il de sa voix d’ingénieur habitué aux protocoles.
— D’accord.
Il prit un carnet, un stylo. Cette approche méthodique avait quelque chose de surréaliste, mais elle le rassura aussi.
— Règle numéro un : jamais à la maison.
— D’accord.
— Règle numéro deux : jamais deux fois avec le même homme.
— Pourquoi cette règle ?
— Pour éviter l’attachement. Si tu vois quelqu’un plusieurs fois, tu risques de t’attacher.
Elle acquiesça. C’était logique, à défaut d’être romantique.
— Règle numéro trois : tu me racontes tout.
— Tout, tout ?
— Tout. Où, quand, comment, ce que tu as ressenti.
— Et si ça te fait mal ?
— Tant pis. Je préfère savoir.
— Règle numéro quatre : protection systématique, continua-t-il. Je ne veux prendre aucun risque sanitaire.
— Évidemment.
— Règle numéro cinq : nos familles, nos amis, nos collègues ne doivent rien savoir. Secret absolu.
— Ça va de soi.
Il nota tout dans son carnet, appliqué comme s’il rédigeait un contrat professionnel.
— Autre chose ? demanda-t-elle.
— Si… si un jour tu veux arrêter, tu me le dis. Si moi je n’y arrive plus, je te le dis aussi.
— Et dans ce cas ?
— On verra. Soit on arrête, soit… on se sépare.
Le mot « séparation » flotta dans l’air comme une épée de Damoclès.
— D’accord, dit-elle finalement.
Karim ferma son carnet, le rangea dans un tiroir comme s’il s’agissait d’un document officiel.
— Quand est-ce que tu… commences ?
— Je ne sais pas. Il faut que je réfléchisse à comment faire. Comment rencontrer quelqu’un sans éveiller les soupçons.
— Les sites de rencontres ?
— Trop risqué. On pourrait tomber sur des connaissances.
— Les réseaux sociaux professionnels ?
— Peut-être. Ou des conférences, des salons…
Ils parlaient de tout ça avec un détachement clinique, comme s’ils organisaient des vacances. Mais Nadia sentait l’excitation monter en elle. Cette liberté qu’on lui offrait, cette possibilité de retrouver le feu qu’elle avait découvert avec Amara…
— Tu n’as pas peur ? demanda-t-elle.
— Si. J’ai très peur. Mais j’ai plus peur encore de te perdre.
Cette nuit-là, pour la première fois depuis l’aveu, ils firent l’amour. Différemment. Karim la regardait avec une intensité nouvelle, comme s’il voulait graver chaque détail dans sa mémoire. Et Nadia, pour la première fois depuis des mois, prit du plaisir avec lui. Pas le plaisir volcanique qu’elle avait connu avec Amara, mais quelque chose de tendre, de complice.
— À quoi tu penses ? murmura-t-il après.
— À nous. À ce qu’on vient de décider.
— Tu regrettes ?
— Non. Et toi ?
— Demande-moi ça dans quelques semaines.
Le mardi suivant, Nadia assista à une conférence sur l’architecture contemporaine au Maghreb. Dans l’assistance, elle repéra un homme d’une quarantaine d’années, séduisant, qui semblait s’ennuyer autant qu’elle. Leurs regards se croisèrent plusieurs fois pendant la présentation.
À la pause, il s’approcha d’elle.
— Passionnant, n’est-ce pas ? dit-il avec ironie.
— Absolument révolutionnaire, répondit-elle sur le même ton.
Il se présenta : Samir, architecte également, spécialisé dans la rénovation urbaine. Célibataire, précisa-t-il rapidement. Elle ne mentionna pas qu’elle était mariée.
Ils prirent un café ensemble après la conférence. Il était intelligent, drôle, cultivé. Et visiblement intéressé. Quand il proposa de se revoir, elle accepta.
— Jeudi soir ? Un restaurant discret que je connais ?
— D’accord.
En rentrant chez elle, elle trouva Karim qui l’attendait, fébrile.
— Alors ?
— J’ai rencontré quelqu’un.
Elle vit ses traits se crisper malgré lui.
— Raconte.
Elle lui parla de Samir, de leur conversation, de leur rendez-vous prévu. Karim l’écoutait en silence, les mâchoires serrées.
— Tu vas coucher avec lui jeudi ?
— Je ne sais pas. Peut-être. Ça dépendra de l’alchimie.
— Et si c’est le cas ?
— Je respecterai nos règles. Je te raconterai tout.
Cette nuit-là, Karim ne dormit pas. Il imaginait sa femme avec cet inconnu, et l’excitation le disputait à la jalousie. Nadia, elle, se préparait mentalement à franchir une nouvelle étape de sa métamorphose.
Le jeudi matin, elle choisit ses sous-vêtements avec soin. De la lingerie noire qu’elle n’avait jamais portée pour Karim. Quand il la vit s’habiller, il comprit que ce soir-là, son mariage allait vraiment changer.
— Tu es belle, dit-il simplement.
— Merci.
— Nadia ?
— Oui ?
— Quoi qu’il se passe ce soir… reviens-moi.
— Je reviendrai.
Sur ces mots, elle sortit de l’appartement, laissant derrière elle un homme rongé d’angoisse et d’excitation.
Le pacte était scellé. L’expérience pouvait commencer.
Le réveil sonna à six heures précises, comme chaque matin depuis cinq ans. Karim éteignit l'alarme d'un geste machinal avant qu'elle ne réveille Nadia. Dans la pénombre de leur chambre d'Alger, il observa le profil endormi de sa femme, ses cheveux bruns étalés sur l'oreiller blanc. À vingt-sept ans, elle gardait cette beauté naturelle qui l'avait séduit lors de leurs études d'architecture. Lui, ingénieur en génie civil de huit ans son aîné, avait tout de suite su qu'elle serait sa femme.
Cinq années de mariage. Cinq années de bonheur tranquille, de projets communs, de routine bien huilée. Leur appartement de Hydra témoignait de leur réussite sociale : meubles modernes, cuisine équipée, bibliothèque remplie de leurs ouvrages techniques. Un couple modèle aux yeux de leurs familles respectives.
Karim se leva sans bruit et se dirigea vers la salle de bain. Sous la douche, il repensa à leur conversation de la veille. Le voyage à Tamanrasset était prévu pour le lendemain. Cinq jours dans le Sahara pour célébrer leur cinquième anniversaire de mariage. L'idée était de lui, évidemment. Nadia avait acquiescé avec ce sourire poli qu'elle affichait de plus en plus souvent ces derniers temps.
Il fallait être honnête : leur relation s'était installée dans une certaine routine. Le travail accaparait leurs journées, les obligations familiales leurs weekends. Leur vie intime suivait le même schéma prévisible. Le samedi soir, parfois le mercredi, toujours de la même façon. Nadia ne se plaignait pas, mais Karim sentait bien qu'elle n'était plus la jeune femme passionnée qu'il avait épousée.
Ce voyage, c'était son plan pour raviver la flamme. Loin d'Alger, loin de leurs familles, loin de tout. Juste eux deux face à l'immensité du désert. Il était certain que cela fonctionnerait.
Nadia se réveilla quand il sortit de la douche, une serviette autour de la taille.
— Déjà debout ? murmura-t-elle en s'étirant.
— Tu sais bien que j'ai ce dossier à finir avant notre départ.
Elle se redressa dans le lit, ses seins nus affleurant sous le drap. Karim sentit une pointe de désir, mais déjà son esprit était ailleurs, occupé par sa journée de travail.
— Tu es sûr pour ce voyage ? demanda-t-elle en nouant ses cheveux en chignon.
— Certaine. Tu verras, ça va nous faire du bien.
Nadia hocha la tête sans conviction et se dirigea à son tour vers la salle de bain. Karim la regarda passer, admirant ses hanches rondes, sa démarche gracieuse. Oui, ce voyage était nécessaire. Il allait reconquérir sa femme.
Pendant qu'elle se préparait, il descendit à la cuisine préparer le petit-déjeuner. Café noir pour lui, thé à la menthe pour elle. Pain grillé, confiture de figues, quelques dattes. Le même rituel depuis des années.
— Tu as pensé à prévenir tes parents ? demanda-t-il quand elle le rejoignit, vêtue de sa robe de bureau grise.
— Oui, maman n'était pas très rassurée. Tu sais comme elle est avec les voyages.
Les familles. Toujours présentes, toujours à donner leur avis. La mère de Nadia qui s'inquiétait de tout, celle de Karim qui posait sans cesse des questions sur leur projet d'enfant. La pression constante, douce mais persistante.
— On sera de retour dimanche soir, rappela Karim. Cinq jours, c'est parfait.
Nadia but son thé en silence, le regard perdu par la fenêtre. Dehors, Alger s'éveillait dans la brume matinale.
— Tu penses qu'on devrait...
Elle s'interrompit, comme si elle avait renoncé à finir sa phrase.
— Quoi ?
— Non, rien. Ce voyage va nous faire du bien, tu as raison.
Il y avait quelque chose dans sa voix, une mélancolie qu'il ne saisissait pas. Mais Karim préféra l'interpréter comme une simple fatigue. Après le voyage, tout irait mieux.
Ils partirent ensemble pour le travail, comme chaque matin. Dans la voiture, Nadia regardait défiler les rues d'Alger, silencieuse. Karim parlait du programme de leur séjour : hôtel avec vue sur les montagnes du Hoggar, excursions dans les dunes, soirées sous les étoiles.
— Tu verras, disait-il, on va redécouvrir ce qu'on avait au début.
Nadia acquiesça en souriant, mais son regard restait distant. Elle ne pouvait pas savoir, bien sûr, que ce voyage allait effectivement tout changer. Pas du tout comme Karim l'espérait.
Au moment de se séparer devant son bureau d'architecture, elle l'embrassa sur la joue.
— À ce soir, dit-elle.
— À ce soir. Demain à la même heure, on sera en route vers l'aventure.
Si seulement il avait su quelle aventure l'attendait réellement.
Chapitre 2 – L’Arrivée
L’avion amorça sa descente vers Tamanrasset dans la lumière dorée de fin d’après-midi. Par le hublot, Nadia découvrait pour la première fois l’immensité ocre du Sahara, ces étendues infinies qui semblaient défier toute notion de frontière. À côté d’elle, Karim consultait déjà son guide touristique, planifiant leurs excursions.
— Regarde, dit-il en lui montrant une photo. Demain, on peut faire l’Assekrem au coucher du soleil. Charles de Foucauld y a vécu, paraît-il.
Nadia hocha la tête distraitement. Depuis leur départ d’Alger le matin même, elle ressentait une étrange sensation, comme si ce voyage l’emmenait vers quelque chose d’imprévisible. L’air conditionné de l’avion ne parvenait pas à dissiper cette chaleur sourde qui montait en elle.
L’aéroport de Tamanrasset était petit, presque rustique comparé à celui d’Alger. Dès qu’ils sortirent de l’appareil, la chaleur sèche du désert les saisit. Quarante degrés à l’ombre, mais une chaleur différente, purifiante.
Le chauffeur qui les attendait était un homme d’une cinquantaine d’années, peau tannée par le soleil, regard tranquille. Il se présenta comme Moussa et chargea leurs bagages dans un 4x4 Toyota blanc poussiéreux.
— Première fois dans le Sud ? demanda-t-il tandis qu’ils traversaient la ville.
— Oui, répondit Karim. On vient fêter nos cinq ans de mariage.
— Ah, el mabrouk ! Le désert, ça change les gens. Vous verrez.
Nadia observait le paysage qui défilait. Tamanrasset n’avait rien à voir avec Alger. Ici, les maisons basses se fondaient dans la terre rouge, les palmiers se dressaient comme des sentinelles, et partout cette lumière particulière qui transformait les moindres détails en œuvre d’art.
Leur hôtel se situait en périphérie, au pied des montagnes du Hoggar. L’architecture respectait le style local : murs de pisé, terrasses ouvertes sur l’horizon, jardin intérieur avec bassin. Leur chambre donnait directement sur l’immensité désertique.
— C’est magnifique, murmura Nadia en découvrant la vue depuis leur terrasse.
Pour la première fois depuis longtemps, Karim la vit sourire avec spontanéité. Son plan fonctionnait déjà.
— Je t’avais dit que ça nous ferait du bien, dit-il en l’enlaçant par derrière.
Elle se laissa aller contre lui, respirant l’air pur du désert. Au loin, les montagnes prenaient des teintes violettes sous le soleil déclinant.
Le dîner fut servi sur la terrasse commune, sous un ciel qui commençait déjà à révéler ses étoiles. Quelques autres couples d’Algériens, un groupe d’Européens en voyage organisé, et le personnel de l’hôtel qui circulait avec discrétion.
Nadia remarqua immédiatement le jeune homme qui servait à leur table. Grand, élancé, la peau mate typique des Touaregs, il avait ce regard intense qu’elle n’avait jamais vu chez aucun homme de sa connaissance. Quand il posa le plat devant elle, leurs doigts se frôlèrent un instant.
— Merci, dit-elle, troublée par ce contact furtif.
— De rien, madame. Si vous avez besoin de quoi que ce soit…
Sa voix était grave, avec cet accent du Sud qui rendait chaque mot plus lent, plus caressant. Il s’appelait Amara, apprit-elle quand Karim lui demanda des conseils pour leurs excursions.
— Pour l’Assekrem, il faut partir très tôt, expliquait-il. Ou alors en fin d’après-midi pour le coucher du soleil. C’est plus romantique.
Son regard s’attarda sur Nadia quand il prononça ce dernier mot. Elle sentit ses joues s’empourprer et baissa les yeux sur son assiette.
— On ira demain soir alors, décida Karim, inconscient du trouble de sa femme.
Après le repas, ils se promenèrent dans le jardin de l’hôtel. L’air était doux maintenant, parfumé par les jasmins et les orangers. Karim était détendu, heureux de voir Nadia reprendre des couleurs.
— Tu te sens mieux, on dirait.
— Oui, c’est vrai. Cet endroit est… différent.
Différent, c’était le mot. Tout était différent ici. Les odeurs, les sons, la lumière, même sa propre perception des choses. Comme si le désert réveillait quelque chose en elle qu'elle avait toujours ignoré.
Dans leur chambre, ils firent l’amour pour la première fois depuis des semaines. Rien d’exceptionnel, le même rituel habituel, mais Nadia se surprit à imaginer autre chose. D’autres mains sur sa peau, une autre bouche contre la sienne. L’image d’Amara s’imposa malgré elle, et elle dut serrer les dents pour ne pas gémir son nom.
Karim s’endormit rapidement, satisfait de cette première journée réussie. Nadia resta éveillée longtemps, écoutant les bruits de la nuit désertique. Quelque part dans l’hôtel, elle savait qu’Amara veillait.
Le désert avait déjà commencé son œuvre. Comme l’avait dit Moussa : ça change les gens.
Elle ne savait pas encore à quel point.
# Chapitre 3 – L’Excursion
Le deuxième jour se leva dans un ciel sans nuages. Karim avait organisé une excursion à dos de chameau dans les dunes proches, suivie d’un déjeuner berbère sous une tente traditionnelle. Nadia avait accepté sans enthousiasme, mais elle se laissa surprendre par la beauté sauvage du paysage.
Amara les accompagnait comme guide. Il montait son propre chameau avec l’aisance de ceux qui ont grandi dans le désert, tandis que Karim et Nadia peinaient à trouver leur équilibre sur leurs montures. Les animaux avançaient d’un pas lent et régulier, créant une bercement hypnotique sous le soleil déjà intense.
— Attention à ne pas vous exposer trop, conseilla Amara en se rapprochant du chameau de Nadia. Le soleil du désert ne pardonne pas.
Il tira de sa sacoche une écharpe blanche qu’il lui tendit.
— Couvrez-vous les épaules et le cou.
Quand elle prit le tissu, leurs mains se touchèrent plus longuement que nécessaire. Nadia sentit une décharge électrique parcourir son bras. Amara ne détourna pas le regard, et elle y lut quelque chose qui la troubla profondément.
— Merci, murmura-t-elle.
Karim, quelques mètres devant, luttait avec les rênes de son chameau et n’avait rien remarqué.
Pendant le déjeuner sous la tente, Amara raconta les légendes du désert, les histoires de ses ancêtres nomades. Sa voix grave captivait Nadia, qui ne quittait pas ses lèvres des yeux. Karim, lui, posait des questions techniques sur la vie dans le Sahara, toujours pragmatique.
— Vous avez de la chance d’avoir épousé une femme si belle, dit soudain Amara en regardant directement Nadia.
Karim sourit, flatté.
— C’est vrai, j’ai de la chance.
— Chez nous, on dit que la beauté d’une femme est comme une oasis. Elle attire tous les voyageurs assoiffés.
Cette fois, le sous-entendu était clair. Nadia rougit violemment et détourna le regard. Karim, absorbé par son tajine, ne saisit pas la métaphore.
L’après-midi, ils rentrèrent à l’hôtel pour échapper à la chaleur écrasante. Nadia prétexta un mal de tête pour rester dans la chambre pendant que Karim descendait se baigner dans la piscine.
Seule, elle n’arrivait pas à chasser l’image d’Amara. Ses mains brunes et fortes, son regard qui semblait voir au-delà des apparences, sa façon de la déshabiller du regard. Elle se surprit à imaginer ces mains sur sa peau, et une chaleur différente de celle du désert monta en elle.
En fin d’après-midi, ils partirent pour l’Assekrem, le point culminant du Hoggar. Le 4x4 gravit les pentes rocailleuses dans un paysage lunaire d’une beauté saisissante. Amara conduisait, jetant de temps à autre des coups d’œil à Nadia dans le rétroviseur.
Au sommet, ils découvrirent l’ermitage de Charles de Foucauld et surtout un panorama à couper le souffle sur tout le massif du Hoggar. Le soleil commençait sa descente, teintant les roches de rouge et d’or.
— C’est ici que le père de Foucauld venait méditer, expliqua Amara. On dit que le désert révèle la vérité cachée au fond de chaque être.
Nadia frissonna. Quelle vérité le désert était-il en train de révéler en elle ?
Pendant que Karim photographiait le coucher de soleil, Amara s’approcha d’elle.
— Vous n’êtes pas heureuse, dit-il à voix basse.
Ce n’était pas une question. Nadia sursauta.
— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
— Vos yeux. Ils sont tristes, malgré votre sourire.
— Vous vous trompez. J’aime mon mari.
— Je ne dis pas le contraire. Mais aimer ne suffit pas toujours.
Il y eut un silence. Au loin, Karim criait d’admiration devant les couleurs du couchant.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Que vous méritez de brûler, pas seulement d’exister.
Ces mots la percutèrent comme une flèche. Brûler. Oui, c’était exactement ce qu’elle ressentait depuis qu’elle était arrivée ici. Cette envie de flammes qu’elle n’avait jamais connue avec Karim.
— Il ne faut pas dire des choses comme ça, murmura-t-elle.
— Pourquoi ? Parce que c’est interdit ? Le désert se moque de vos interdits.
Karim revenait vers eux, appareil photo à la main, rayonnant.
— Fantastique ! Ces couleurs sont incroyables. Tu as vu ça, Nadia ?
— Oui, magnifique.
Elle avait du mal à retrouver sa voix normale. Amara s’était éloigné, mais elle sentait encore sa présence comme une brûlure.
Sur le chemin du retour, tandis que Karim commentait les photos qu’il venait de prendre, Nadia fixait la nuque d’Amara. Ses cheveux noirs qui frisaient légèrement, sa peau mate, la façon dont ses mains tenaient le volant avec assurance.
« Vous méritez de brûler, pas seulement d’exister. »
Cette phrase tournait en boucle dans sa tête. Pour la première fois de sa vie, elle comprenait ce que ces mots voulaient dire.
De retour à l’hôtel, pendant le dîner, elle ne put s’empêcher de chercher Amara du regard. Il était là, servant aux autres tables, mais évitait soigneusement la leur. Était-ce par respect pour son mari ou pour préserver l’intimité de leurs échanges ?
Karim était d’excellente humeur.
— Cette journée était parfaite, dit-il. Demain, on fait quoi ? Les dunes de l’Erg Admer ?
— Comme tu veux, répondit-elle machinalement.
Ce soir-là, dans leur lit, Karim tenta de nouveau de lui faire l’amour. Mais pour la première fois de leur mariage, Nadia ne put pas feindre. Son corps refusait de répondre à ses caresses habituelles. Elle pensait à d’autres mains, à d’autres lèvres, à cette promesse de flammes qu’on lui avait murmurée.
— Tu es fatiguée ? demanda Karim, déçu.
— Un peu, oui. Cette journée m’a épuisée.
Il l’embrassa sur le front et se tourna de l’autre côté. En quelques minutes, il dormait.
Nadia resta les yeux ouverts, écoutant sa respiration régulière. Par la fenêtre ouverte, elle entendait les bruits de la nuit désertique. Quelque part dans l'hôtel, elle savait qu’Amara veillait, comme tous les gardiens de nuit.
L’envie de se lever, de sortir, de le rejoindre, montait en elle comme une fièvre. Elle serra les poings, lutta contre cette pulsion qui la terrifiait et l’excitait à la fois.
Pas encore. Pas ce soir.
Mais elle savait que cette résistance ne tiendrait plus longtemps. Le désert avait réveillé quelque chose en elle, et cette force sauvage réclamait maintenant sa liberté.
# Chapitre 4 – La Nuit Fatidique
Troisième nuit à Tamanrasset. Nadia n’arrivait pas à dormir. À côté d’elle, Karim ronflait légèrement, épuisé par leur journée dans les dunes de l’Erg Admer. Il avait bu plus que d’habitude au dîner, célébrant ce qu’il appelait déjà « notre plus beau voyage ».
Deux heures du matin. L’air était encore tiède, chargé des parfums nocturnes du désert. Par la fenêtre ouverte, Nadia entendait les bruits feutrés de la nuit : le bruissement du vent dans les palmiers, le chant lointain d’un chacal, et parfois des pas sur les dalles de la terrase.
Les mots d’Amara résonnaient encore dans sa tête : « Vous méritez de brûler, pas seulement d’exister. » Depuis qu’il les avait prononcés, elle ne pensait qu’à ça. À ce feu qu’elle sentait couver en elle et qu’elle n’avait jamais osé nourrir.
Elle se leva doucement, enfila une robe de nuit légère et sortit sur leur terrasse privée. L’air frais lui fit du bien. Au-dessus d’elle, le ciel du Sahara déployait ses milliers d’étoiles avec une intensité qu’elle n’avait jamais vue à Alger.
— Madame ne dort pas ?
La voix d’Amara la fit sursauter. Il était là, dans l’ombre du jardin, à quelques mètres de sa terrasse. En tenue de gardien de nuit, mais son regard était celui qu’elle connaissait maintenant : intense, troublant.
— Je… je n’arrive pas à dormir.
— Le désert réveille parfois ce qui dort en nous, dit-il en s’approchant.
— Vous ne devriez pas être ici.
— Et vous, vous ne devriez pas être dehors à cette heure.
Il était maintenant au pied de sa terrasse. Dans la pénombre, elle distinguait sa silhouette élancée, ses épaules larges sous la chemise blanche.
— Les vraies étoiles, ce n’est pas d’ici qu’on les voit, dit-il en reprenant ses mots de l’autre soir.
— Où alors ?
— Suivez-moi. Je vous montre.
Nadia hésita. Derrière elle, Karim dormait profondément. Devant elle, cet homme qui incarnait tout ce qu’elle n’avait jamais osé désirer l’invitait à franchir une ligne invisible.
— Il dort ? demanda Amara en désignant la chambre.
— Oui.
— Alors venez. Juste pour voir les étoiles.
Elle savait que c’était un mensonge. Ils savaient tous les deux que ce n’était pas pour les étoiles. Mais elle descendit les marches de la terrasse et le suivit.
Ils marchèrent en silence vers une petite éminence rocheuse à une cinquantaine de mètres de l’hôtel. Assez loin pour être seuls, assez près pour qu’elle puisse revenir rapidement si nécessaire. Amara étendit une couverture sur le sable encore tiède.
— Regardez, dit-il en s’allongeant.
Nadia s’allongea à côté de lui, gardant une distance prudente. Au-dessus d’eux, la voûte céleste était effectivement plus claire, plus pure qu’depuis leur terrasse.
— Vous voyez cette constellation ? dit-il en levant le bras.
Elle suivit la direction de son doigt, mais c’est sa main qu’elle regardait. Cette main brune et forte qu’elle imaginait sur sa peau depuis deux jours.
— Chez nous, on l’appelle « la femme qui cherche ». Elle erre dans le ciel, à la recherche de ce qu’elle a perdu.
— Et qu’est-ce qu’elle a perdu ?
— Sa passion. Sa vraie nature.
Nadia se tourna vers lui. Leurs visages n’étaient plus qu’à quelques centimètres. Elle pouvait sentir son souffle, voir ses lèvres dans la clarté lunaire.
— Qu’est-ce que vous cherchez, vous ? murmura-t-il.
— Je ne sais pas.
— Si, vous le savez.
Sa main effleura sa joue. Nadia ferma les yeux, submergée par une vague de désir qu’elle n’avait jamais ressentie. Pas même avec Karim le jour de leur mariage.
— Il ne faut pas, murmura-t-elle sans conviction.
— Pourquoi ?
— Mon mari…
— Votre mari dort. Et vous, vous brûlez.
Il avait raison. Elle brûlait. De partout. Cette faim qu’elle avait toujours réprimée montait en elle comme une marée.
Quand il l’embrassa, elle ne résista pas. Ses lèvres étaient chaudes, expertes, si différentes de celles de Karim. Il l’embrassait comme s’il voulait la dévorer, et elle découvrait qu’elle avait envie d’être dévorée.
Ses mains trouvèrent sa robe de nuit, la firent glisser de ses épaules. Dans la lumière stellaire, sa peau nue prenait des reflets dorés. Il la regardait comme si elle était la huitième merveille du monde.
— Vous êtes magnifique, murmura-t-il.
Personne ne lui avait jamais dit ça avec cette intensité, cette vérité brute. Karim lui disait qu’elle était belle, mais comme on complimente une épouse. Amara lui disait qu’elle était magnifique comme on révèle une évidence.
Quand il la prit, là sur le sable du désert sous les étoiles, Nadia découvrit ce que signifiait vraiment faire l’amour. Ce n’était pas les gestes mesurés et prévisibles qu’elle connaissait. C’était sauvage, primitif, absolu.
Il la possédait avec une urgence qu’elle n’avait jamais inspirée, la faisant gémir de plaisir sans qu’elle puisse se retenir. Ses mains connaissaient son corps mieux que Karim après cinq ans de mariage. Il savait exactement où la toucher, comment la caresser, à quel rythme la mener vers des sommets qu’elle n’avait jamais atteints.
Quand elle jouit sous lui, les étoiles au-dessus d’elle semblèrent exploser. Elle cria son nom dans la nuit du désert, s’agrippant à ses épaules comme à une bouée de sauvetage.
Ils restèrent enlacés quelques minutes, reprenant leur souffle. La réalité revint progressivement. Qu’avait-elle fait ? À cinquante mètres de là, son mari dormait, confiant et amoureux.
— Il faut que je rentre, murmura-t-elle.
— Je sais.
Il l’aida à remettre sa robe de nuit, effaça les traces de sable sur sa peau. Quand elle fut prête, il la prit dans ses bras une dernière fois.
— Cette nuit, vous avez été vous-même pour la première fois, dit-il contre son oreille.
C’était vrai. Terriblement vrai.
Elle retourna vers l’hôtel sur des jambes tremblantes. Dans la salle de bain, elle se regarda dans le miroir. Elle n’était plus la même femme qu’une heure plus tôt. Quelque chose avait changé dans son regard, dans sa posture. Le désert avait révélé la femme qu’elle portait en elle sans le savoir.
Quand elle se glissa dans le lit à côté de Karim, celui-ci bougea légèrement.
— Où tu étais ? marmonna-t-il dans son demi-sommeil.
— Aux toilettes.
Il se rendormit aussitôt. Nadia resta éveillée jusqu’à l’aube, revivant chaque seconde de cette nuit. Son corps gardait encore l’empreinte d’Amara, et elle savait qu’elle ne l’oublierait jamais.
Le lendemain matin, au petit-déjeuner, Karim la trouva radieuse.
— Tu as l’air en forme ! Ce voyage te fait vraiment du bien.
Si seulement il savait pourquoi elle rayonnait ainsi. Amara servait à la table voisine, évitant soigneusement leur regard. Mais quand il passa près d’elle pour débarrasser une assiette, il murmura si bas que seule elle pouvait l’entendre :
— Vous brûlez maintenant.
Oui, elle brûlait. Et ce feu-là, elle savait qu’elle ne pourrait plus jamais l’éteindre.
# Chapitre 5 – Le Retour à la Réalité
L’avion qui les ramenait vers Alger survolait maintenant la côte méditerranéenne. Fini le rouge ocre du Sahara, finies les étendues infinies. En bas, la civilisation reprenait ses droits : autoroutes, buildings, pollution. Nadia regardait par le hublot avec un sentiment de claustrophobie grandissant.
Karim, rayonnant, feuilletait leurs photos de voyage sur son téléphone.
— Regarde celle-là, au coucher de soleil sur l’Assekrem ! On va l’encadrer pour le salon.
Nadia hocha la tête machinalement. Sur cette photo, elle souriait à l’objectif tandis qu’Amara se tenait en arrière-plan. Si Karim savait ce qui s’était passé quelques heures après ce cliché…
— Ce voyage était exactement ce qu’il nous fallait, continua-t-il. Tu ne trouves pas qu’on s’est retrouvés ?
« Retrouvés. » Le mot était si ironique qu’elle faillit éclater d’un rire amer. Elle ne s’était jamais sentie aussi perdue de sa vie.
L’appartement de Hydra leur fit l’effet d’une prison après l’immensité désertique. Karim s’empressa d’allumer la climatisation et de fermer les volets pour filtrer la lumière crue d’Alger. Nadia étouffait déjà.
— On défait les valises ? proposa-t-il.
— Vas-y, moi je vais prendre une douche.
Sous l’eau froide, elle ferma les yeux et tenta de retrouver les sensations de cette nuit sous les étoiles. Les mains d’Amara sur sa peau, sa bouche qui la dévorait, cette sensation d’être enfin vivante. Mais déjà, les images s’estompaient, remplacées par la réalité grise de son quotidien.
Le premier jour de retravail fut un calvaire. Ses collègues architectes voulaient tout savoir de leur voyage. Elle raconta les excursions, les paysages, l’hôtel, en omettant soigneusement l’essentiel. Chaque mensonge lui laissait un goût amer.
— Vous avez l’air en pleine forme ! remarqua Samira, sa collègue de bureau. Ce voyage vous a fait du bien.
— Oui, on a bien profité.
Mentir était devenu si facile. Trop facile.
Les jours passaient avec une lenteur insupportable. Chaque matin, le réveil à six heures. La routine immuable : douche de Karim, petit-déjeuner, trajet en voiture avec les mêmes conversations. Le bureau, les dossiers, les clients. Le retour le soir, le dîner, la télévision, le lit.
Karim ne remarquait rien. Pour lui, tout était rentré dans l’ordre après cette parenthèse réussie. Il avait même retrouvé une ardeur nouvelle au lit, satisfait de sa stratégie de reconquête. Mais Nadia ne ressentait plus rien dans ses bras. Pire, elle devait se forcer pour ne pas le repousser.
Comment avait-elle pu se contenter de si peu pendant cinq ans ? Chaque geste de Karim lui rappelait cruellement ce qu’elle avait découvert avec Amara. La passion, la vraie. Celle qui consume et transforme.
Au bout d’une semaine, l’irritabilité la gagna. Tout l’agaçait : la façon dont Karim mastiquait, ses commentaires sur les informations télévisées, ses projets de week-end chez ses parents.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? finit-il par demander un soir où elle avait repoussé sèchement ses avances.
— Rien. Je suis fatiguée.
— Fatiguée ? Mais on vient de rentrer de vacances !
Vacances. Si seulement il savait que ces cinq jours avaient été tout sauf reposants pour elle. Qu’ils avaient bouleversé sa vie de fond en comble.
Les disputes commencèrent la deuxième semaine. Des disputes stupides, sur des broutilles. La vaisselle mal rangée, la télévision trop forte, le choix du restaurant. Nadia cherchait inconsciemment le conflit, comme si elle voulait justifier sa culpabilité par la colère.
— Je ne te reconnais plus, lui dit Karim après une énième altercation à propos du ménage. Au Sahara, tu étais si heureuse, si détendue. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Qu’est-ce qui s’est passé ? Elle avait découvert ce que signifiait être une femme. Elle avait goûté au fruit défendu et ne supportait plus la fadeur de son existence conjugale.
— Rien ne s’est passé ! explosa-t-elle. C’est juste que… que cette vie m’étouffe !
— Cette vie ? Notre vie ? Notre appartement, notre travail, nos familles ?
— Oui ! Tout ça ! Cette routine, cette prévisibilité, cette… prison !
Karim la regardait, abasourdi. Jamais elle ne lui avait parlé ainsi.
— Mais… mais qu’est-ce que tu veux de plus ? On a tout ce qu’il faut pour être heureux !
« Heureux. » Encore un mot qui avait perdu tout son sens. Comment lui expliquer qu’elle avait découvert qu’elle n’avait jamais été heureuse ? Qu’elle s’était contentée d’une pâle imitation du bonheur ?
— Je veux… je veux me sentir vivante !
— Tu n’es pas vivante avec moi ?
La question la transperça. Non, elle n’était pas vivante avec lui. Elle existait, elle fonctionnait, elle accomplissait ses devoirs d’épouse, mais elle n’était pas vivante.
— Ce n’est pas de ta faute, murmura-t-elle.
— Alors c’est quoi ? Dis-moi ce qui ne va pas ! Dis-moi ce que je dois faire pour que tu sois heureuse !
L’ironie de la situation était cruelle. Karim était prêt à tout pour la reconquérir, sans savoir qu’il l’avait déjà perdue dans ce voyage qu’il avait lui-même organisé.
Les nuits étaient pires que les jours. Allongée à côté de lui, elle repensait à Amara. À ses mains expertes, à sa bouche brûlante, à cette nuit où elle avait enfin compris ce qu’était le désir. Elle se masturbait en pensant à lui, honteuse mais incapable de résister.
Un mois après leur retour, Karim tenta une nouvelle approche.
— Et si on repartait ? proposa-t-il. Un week-end à la mer, ou même retourner dans le Sud ?
L’idée de retourner à Tamanrasset, de revoir Amara, fit battre son cœur plus vite. Mais elle savait que c’était impossible. Que ce qui s’était passé là-bas était unique, irrémédiable.
— Non, dit-elle sèchement. On ne peut pas fuir nos problèmes en voyageant.
— Mais quels problèmes ? Je ne comprends pas !
Sa frustration était palpable. Lui, l’ingénieur habitué à résoudre tous les problèmes techniques, se trouvait face à une équation qu’il ne savait pas résoudre.
— Le problème, c’est moi, dit-elle finalement.
— Toi ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
Nadia le regarda longuement. Cet homme bon, attentionné, qui l’aimait sincèrement et ne comprenait pas pourquoi tout s’effritait. Elle avait envie de tout lui dire. De se libérer de ce poids qui l’écrasait depuis des semaines.
Mais elle n’en avait pas encore la force. Pas ce soir.
— Rien. Laisse tomber.
Cette nuit-là, elle rêva d’Amara. Elle se réveilla en nage, le corps vibrant d’un désir inassouvi. À côté d’elle, Karim dormait paisiblement, ignorant que sa femme se consumait d’amour pour un autre.
Combien de temps pourrait-elle tenir avant de craquer ?
# Chapitre 6 – L’Explosion
Deux mois après leur retour de Tamanrasset, la situation était devenue intenable. Nadia ne dormait presque plus, rongeant son frein dans un lit qu’elle partageait avec un homme qu’elle n’arrivait plus à supporter. Chaque matin était un calvaire, chaque soirée une épreuve.
Ce soir-là, comme tous les vendredis, ils dînaient chez les parents de Karim. Sa mère avait préparé un couscous traditionnel, et toute la famille était réunie : ses frères, leurs épouses, les enfants qui couraient partout en criant.
— Alors, quand est-ce qu’on aura de bonnes nouvelles ? demanda la mère de Karim en servant Nadia.
La question éternelle. Celle qui revenait à chaque repas de famille depuis cinq ans.
— Des enfants, ça viendra quand Dieu le voudra, répondit Karim machinalement.
— Vous avez l’air fatigués tous les deux. Ce n’est pas bon pour faire des bébés, ça ! Il faut être heureux, détendus…
Nadia serra les dents. Si seulement cette femme savait à quel point elle était loin d’être détendue.
— Le voyage dans le Sud vous a fait du bien pourtant, continua sa belle-mère. Karim nous a dit que tu rayonnais là-bas.
« Tu rayonnais. » Encore cette expression. Si elle entendait ce mot une fois de plus, elle allait hurler.
— Maman, laisse-les tranquilles, intervint le frère aîné de Karim. Ils feront des enfants quand ils voudront.
— À vingt-sept ans, il ne faut pas trop attendre ! À son âge, moi j’avais déjà trois enfants.
Nadia posa violemment sa fourchette.
— Excusez-moi, je vais prendre l’air.
Elle sortit sur la terrasse, aspirant de grandes bouffées d’air frais. Derrière elle, les conversations reprenaient, mais elle entendait les murmures inquiets de sa belle-famille.
Karim la rejoignit quelques minutes plus tard.
— Qu’est-ce qui se passe encore ? Tu es insupportable ces derniers temps !
— Insupportable ? C’est ta mère qui est insupportable avec ses questions !
— Elle s’inquiète pour nous, c’est normal ! Et puis, elle n’a pas tort. On pourrait commencer à y penser sérieusement, aux enfants.
Nadia le regarda avec incrédulité. Des enfants ? Maintenant ? Alors qu’elle était en train de mourir à petit feu dans cette vie ?
— Tu es fou ? Des enfants avec toi ?
Les mots avaient jailli avant qu’elle puisse les retenir. Karim pâlit.
— Qu’est-ce que tu veux dire par « avec moi » ? Avec qui d’autre tu voudrais en avoir ?
Le silence s’étendit entre eux. À l’intérieur, la famille continuait de rire et de parler, ignorant le drame qui se jouait sur la terrasse.
— Réponds-moi ! Avec qui d’autre ?
— Personne, murmura-t-elle. Ce n’est pas ça.
— C’est quoi alors ? Explique-moi pourquoi ma femme me traite comme un étranger depuis deux mois ! Explique-moi pourquoi tu ne me supportes plus !
Sa voix montait, mélange de colère et de désespoir.
— Tu veux que je t’explique ? Vraiment ?
— Oui ! J’en ai assez de ces mystères, de tes humeurs, de tes silences ! On était heureux avant ce voyage, et maintenant…
— Heureux ? Tu crois qu’on était heureux ?
— Oui ! Enfin, je le croyais…
Nadia éclata d’un rire amer.
— On n’était pas heureux, Karim. On existait, c’est tout. On suivait le mouvement, comme des somnambules.
— Mais qu’est-ce que tu veux de plus ? On a tout ! Un bon travail, un bel appartement, nos familles qui nous aiment…
— Je veux ressentir quelque chose ! Je veux être vivante !
— Tu n’es pas vivante avec moi ?
Cette question, encore. Celle qui la hantait depuis des semaines.
— Non, je ne suis pas vivante avec toi.
Il recula comme si elle l’avait giflé.
— Comment tu peux dire ça ? Après cinq ans de mariage ?
— Parce que c’est la vérité ! Parce que j’ai découvert ce que ça voulait dire, être vivante !
— Quand ? Quand tu l’as découvert ?
Le piège se refermait. Elle était allée trop loin, dit trop de choses. Mais la colère, la frustration de ces deux mois d’enfer, tout remontait à la surface.
— À Tamanrasset, lâcha-t-elle.
Karim fronça les sourcils.
— À Tamanrasset ? Mais on était ensemble tout le temps !
— Pas tout le temps, non.
Il y eut un silence. Elle voyait son cerveau d’ingénieur qui analysait, qui recoupait les indices.
— Cette nuit… quand tu es sortie…
— Quelle nuit ?
— Tu sais très bien quelle nuit ! Tu t’es absentée une heure, tu as dit que tu étais aux toilettes !
Nadia ne répondit pas. Son silence valait tous les aveux.
— Avec qui ? demanda-t-il d’une voix blanche.
— Karim…
— AVEC QUI ?
Il avait crié si fort que les conversations s’interrompirent dans le salon. Nadia entendit sa belle-mère demander si tout allait bien.
— Avec le gardien, murmura-t-elle. Amara.
Le monde s’effondra autour de Karim. Elle voyait sur son visage toutes les émotions qui se succédaient : incrédulité, douleur, rage, dégoût.
— Tu… tu as couché avec ce… ce Touareg ?
— Oui.
— Pendant que je dormais ?
— Oui.
— Dans notre voyage d’anniversaire de mariage ?
— Oui.
Chaque « oui » était un coup de poignard, mais elle ne pouvait plus s’arrêter. Après deux mois de mensonges, la vérité jaillissait comme un torrent.
— Pourquoi ? Qu’est-ce que je t’ai fait ?
— Tu ne m’as rien fait. Tu n’as jamais rien fait de mal.
— Alors pourquoi ?
Comment lui expliquer ? Comment lui dire qu’Amara l’avait réveillée à elle-même, qu’il lui avait révélé une femme qu’elle ne soupçonnait pas ?
— Parce qu’avec lui, j’ai découvert ce que c’était que de brûler.
— De brûler ?
— D’avoir envie. Vraiment envie. De perdre la tête, de ne plus contrôler son corps. Tu ne comprends pas ça ?
Il la regardait comme si elle était devenue folle.
— Tu es ma femme ! Tu m’appartiens !
— Je n’appartiens à personne ! J’en ai assez d’être ta femme parfaite, ta petite épouse modèle ! J’en ai assez de faire semblant !
— Faire semblant de quoi ?
— De jouir avec toi !
Le coup de grâce. Karim vacilla, s’appuya contre la rambarde de la terrasse.
— Depuis le début ?
— Depuis le début.
Il y eut un long silence. À l’intérieur, quelqu’un avait monté le volume de la télévision, peut-être pour couvrir leur dispute.
— Je veux divorcer, dit finalement Nadia.
— Non.
— Comment ça, non ?
— Je ne te laisserai pas partir. Pas comme ça. Pas pour un coup d’un soir avec un inconnu.
— Ce n’était pas qu’un coup d’un soir ! C’était…
— C’était quoi ? Tu l’aimes ?
La question la prit au dépourvu. L’aimait-elle ? Elle ne le connaissait même pas vraiment. Mais ce qu’elle avait ressenti avec lui…
— Je ne sais pas. Mais je sais que je ne peux plus vivre avec toi.
— Si. Tu peux. On va arranger ça.
— Arranger ça ? Comment ?
Il la regardait intensément, et elle vit quelque chose de nouveau dans ses yeux. Une détermination qu’elle ne lui connaissait pas.
— Je ne sais pas encore. Mais je ne te laisserai pas partir. Je t’aime trop pour ça.
Sur ces mots, il retourna dans le salon, la laissant seule sur la terrasse. Quand ils rentrèrent chez eux ce soir-là, ils ne se parlèrent pas. Mais Nadia sentait qu’un processus irréversible venait de se mettre en marche.
Elle avait tout dit. Maintenant, il fallait assumer les conséquences.
# Chapitre 7 – La Proposition
Trois jours passèrent dans un silence de mort. Karim dormait dans le salon, Nadia dans leur chambre. Ils se croisaient le matin sans se parler, partaient travailler séparément, rentraient à des heures différentes. L’appartement était devenu un champ de bataille silencieux.
Nadia avait préparé ses valises. Elle comptait partir chez sa sœur le temps de trouver un appartement et d’organiser le divorce. Mais chaque fois qu’elle se dirigeait vers la porte, quelque chose la retenait. La peur de l’inconnu ? Ou cette petite voix qui lui soufflait que Karim n’avait pas dit son dernier mot ?
Le mercredi soir, il l’attendait dans le salon quand elle rentra du travail. Il avait les traits tirés, les yeux cernés. Visiblement, il n’avait pas mieux dormi qu’elle.
— Il faut qu’on parle, dit-il sans préambule.
— On s’est tout dit l’autre soir.
— Non. Moi, je n’ai rien dit. Je t’ai écoutée me détruire en silence, mais je n’ai rien dit.
Nadia posa son sac et s’assit en face de lui, gardant ses distances. Il avait raison : elle avait parlé, lui avait subi.
— D’accord. Parle.
Karim se passa les mains sur le visage, cherchant ses mots.
— Ces trois derniers jours, j’ai pensé à ce que tu m’as dit. Que tu n’avais jamais joui avec moi. Que tu faisais semblant depuis cinq ans.
— Karim…
— Laisse-moi finir. Au début, j’étais détruit. Humilié. En colère. J’avais envie de te traiter de putain et de claquer la porte.
Le mot la fit tressaillir, mais elle ne dit rien.
— Et puis j’ai réfléchi. Vraiment réfléchi. Et tu sais quoi ? Je me suis rendu compte que… que quand tu m’as raconté cette nuit avec lui, j’étais excité.
Nadia releva la tête, surprise.
— Quoi ?
— Tu m’as raconté que tu avais découvert ce que c’était que brûler, que perdre la tête, et… ça m’a excité. L’idée de te voir comme ça, de t’imaginer jouir vraiment pour la première fois…
Il par lait d’une voix de plus en plus basse, comme s’il avouait un péché mortel.
— Je ne comprends pas où tu veux en venir.
— Ces trois nuits, dans le salon, je n’arrêtais pas de repenser à ça. À toi avec ce Touareg. À la façon dont il t’a touchée, dont il t’a fait jouir. Et plus j’y pensais, plus ça m’excitait.
Nadia le regardait, abasourdie. C’était la dernière réaction à laquelle elle s’attendait.
— Tu es en train de me dire que mon infidélité t’excite ?
— Je sais que c’est malsain. Je sais que c’est bizarre. Mais oui, ça m’excite.
Il se leva, se mit à faire les cent pas dans le salon.
— J’ai essayé de comprendre pourquoi. Au début, je pensais que c’était de la masochisme. Que j’aimais souffrir. Mais ce n'est pas ça.
— C’est quoi alors ?
— C’est que… pour la première fois de notre mariage, tu as été vraiment toi-même. Tu as été cette femme passionnée que j’avais entrevue au début, quand on sortait ensemble. Cette femme que j’ai épousée et qui a disparu peu à peu.
Nadia ne savait que répondre. Elle ne s’attendait pas à cette analyse.
— Et maintenant ? demanda-t-elle.
Karim s’arrêta devant elle, la regardant droit dans les yeux.
— Maintenant, je te fais une proposition.
— Laquelle ?
— Reste avec moi. Mais… mais si tu as besoin de ça pour être épanouie, pour être toi-même, alors… fais-le.
— Fais quoi ?
— Prends des amants.
Le mot tomba comme une bombe dans le salon. Nadia crut avoir mal entendu.
— Qu’est-ce que tu viens de dire ?
— Tu m’as entendu. Si tu as besoin de cette passion, de ce feu que je n’arrive pas à t’apporter, alors cherche-le ailleurs. Mais reste ma femme.
— Tu es devenu fou ?
— Non. Pour la première fois depuis trois jours, je suis lucide. Je t’aime, Nadia. Je t’aime plus que ma fierté, plus que ma jalousie, plus que les conventions. Et si c’est le prix à payer pour te garder, alors je le paie.
Nadia se leva, bouleversée.
— Tu ne peux pas me demander ça !
— Pourquoi ?
— Parce que c’est… c’est de la folie ! Qu’est-ce que diraient nos familles ? Nos amis ?
— Ils n’ont pas à le savoir.
— Et toi ? Comment tu supporterais de savoir que je… que je couche avec d’autres hommes ?
Karim hésita, puis :
— En me disant que tu reviens toujours vers moi. En me disant que c’est moi que tu aimes, même si c’est avec eux que tu prends ton plaisir.
— C’est de la perversion !
— Non. C’est de l’amour. De l’amour inconditionnel.
Il s’approcha d’elle, tenta de la prendre dans ses bras. Elle recula.
— Je ne peux pas accepter ça, Karim.
— Pourquoi ?
— Parce que c’est malsain ! Parce que tu vas en souffrir ! Parce que…
— Parce que quoi ?
Elle le regarda longuement, troublée par cette proposition inattendue.
— Parce que j’ai peur de ce que ça va faire de nous.
— Ça va faire de nous un couple qui s’assume. Un couple qui refuse les mensonges.
— Et si je tombe amoureuse ?
— De qui ?
— D’un de ces… hommes.
Karim accusa le coup, mais tint bon.
— On verra à ce moment-là. Mais pour l’instant, tu es là. Tu n’es pas encore partie. Ça veut dire quelque chose, non ?
C’était vrai. Pourquoi n’était-elle pas encore partie ? Qu’est-ce qui la retenait ?
— Il y aurait des règles, continua-t-il. Des limites.
— Lesquelles ?
— Jamais à la maison. Jamais deux fois avec le même homme. Et… et tu me racontes.
— Te raconter ?
— Oui. Tout. Ce qu’ils te font, comment tu réagis, ce que tu ressens.
Nadia le regarda avec un mélange de fascination et d’effroi. Il était sérieux. Complètement sérieux.
— Tu es sûr de ce que tu dis ?
— Non. Mais je suis sûr de t’aimer. Et je préfère t’avoir à moitié plutôt que pas du tout.
Elle se dirigea vers la fenêtre, regardant la ville d’Alger qui s’étendait sous leurs pieds. Cette proposition changeait tout. Lui offrait une liberté qu’elle n’avait jamais osé imaginer. Mais à quel prix ?
— Et toi ? demanda-t-elle sans se retourner. Tu resteras fidèle pendant que moi, je…
— Je ne sais pas. On verra.
Elle se retourna vers lui.
— Si j’accepte… ce sera vraiment ce que tu veux ? Ou tu espères que je refuserai au bout de quelques fois ?
— Je ne sais pas, Nadia. Je n’ai jamais été dans cette situation. Tout ce que je sais, c’est que je ne veux pas te perdre.
Le silence s’étira entre eux. Dehors, Alger vivait sa vie normale, ignorant le bouleversement qui se jouait dans cet appartement de Hydra.
— Laisse-moi réfléchir, dit finalement Nadia.
— Combien de temps ?
— Je ne sais pas. Quelques jours.
— D’accord. Mais tu restes ici en attendant ?
Elle hocha la tête. Karim sourit pour la première fois depuis trois jours.
— On pourrait peut-être… redormir dans le même lit ?
Nadia hésita, puis :
— D’accord. Mais sans rien faire. Je ne suis pas prête.
— Je comprends.
Cette nuit-là, ils dormirent côte à côte sans se toucher, chacun perdu dans ses pensées. Karim se demandait s’il venait de sauver son mariage ou de signer son arrêt de mort. Nadia, elle, découvrait qu’un homme pouvait l’aimer au point d’accepter l’inacceptable.
Et pour la première fois depuis des semaines, elle ne rêva pas d’Amara.
# Chapitre 8 – L’Acceptation
Une semaine s’écoula dans une atmosphère étrange. Karim et Nadia avaient retrouvé une certaine normalité – ils se parlaient, mangeaient ensemble, dormaient dans le même lit – mais tout restait en suspens. La proposition flottait entre eux comme une promesse ou une menace.
Nadia observait son mari avec un regard nouveau. Cet homme qu’elle croyait connaître par cœur venait de lui révéler une facette insoupçonnée. Cette capacité à transformer sa souffrance en acceptation, sa jalousie en excitation, avait quelque chose de troublant et d’admirable à la fois.
Le dimanche soir, elle prit sa décision.
Ils venaient de dîner, regardaient un film à la télévision. Karim semblait détendu, mais elle sentait sa tension sous-jacente. Il attendait sa réponse sans oser la demander.
— J’accepte, dit-elle simplement.
Il mit quelques secondes à comprendre, puis éteignit la télévision.
— Tu es sûre ?
— Non. Mais je veux essayer.
Il hocha la tête, grave. Ils savaient tous les deux qu’ils franchissaient une ligne invisible, qu’ils entraient en territoire inconnu.
— Alors, on définit les règles clairement, dit-il de sa voix d’ingénieur habitué aux protocoles.
— D’accord.
Il prit un carnet, un stylo. Cette approche méthodique avait quelque chose de surréaliste, mais elle le rassura aussi.
— Règle numéro un : jamais à la maison.
— D’accord.
— Règle numéro deux : jamais deux fois avec le même homme.
— Pourquoi cette règle ?
— Pour éviter l’attachement. Si tu vois quelqu’un plusieurs fois, tu risques de t’attacher.
Elle acquiesça. C’était logique, à défaut d’être romantique.
— Règle numéro trois : tu me racontes tout.
— Tout, tout ?
— Tout. Où, quand, comment, ce que tu as ressenti.
— Et si ça te fait mal ?
— Tant pis. Je préfère savoir.
— Règle numéro quatre : protection systématique, continua-t-il. Je ne veux prendre aucun risque sanitaire.
— Évidemment.
— Règle numéro cinq : nos familles, nos amis, nos collègues ne doivent rien savoir. Secret absolu.
— Ça va de soi.
Il nota tout dans son carnet, appliqué comme s’il rédigeait un contrat professionnel.
— Autre chose ? demanda-t-elle.
— Si… si un jour tu veux arrêter, tu me le dis. Si moi je n’y arrive plus, je te le dis aussi.
— Et dans ce cas ?
— On verra. Soit on arrête, soit… on se sépare.
Le mot « séparation » flotta dans l’air comme une épée de Damoclès.
— D’accord, dit-elle finalement.
Karim ferma son carnet, le rangea dans un tiroir comme s’il s’agissait d’un document officiel.
— Quand est-ce que tu… commences ?
— Je ne sais pas. Il faut que je réfléchisse à comment faire. Comment rencontrer quelqu’un sans éveiller les soupçons.
— Les sites de rencontres ?
— Trop risqué. On pourrait tomber sur des connaissances.
— Les réseaux sociaux professionnels ?
— Peut-être. Ou des conférences, des salons…
Ils parlaient de tout ça avec un détachement clinique, comme s’ils organisaient des vacances. Mais Nadia sentait l’excitation monter en elle. Cette liberté qu’on lui offrait, cette possibilité de retrouver le feu qu’elle avait découvert avec Amara…
— Tu n’as pas peur ? demanda-t-elle.
— Si. J’ai très peur. Mais j’ai plus peur encore de te perdre.
Cette nuit-là, pour la première fois depuis l’aveu, ils firent l’amour. Différemment. Karim la regardait avec une intensité nouvelle, comme s’il voulait graver chaque détail dans sa mémoire. Et Nadia, pour la première fois depuis des mois, prit du plaisir avec lui. Pas le plaisir volcanique qu’elle avait connu avec Amara, mais quelque chose de tendre, de complice.
— À quoi tu penses ? murmura-t-il après.
— À nous. À ce qu’on vient de décider.
— Tu regrettes ?
— Non. Et toi ?
— Demande-moi ça dans quelques semaines.
Le mardi suivant, Nadia assista à une conférence sur l’architecture contemporaine au Maghreb. Dans l’assistance, elle repéra un homme d’une quarantaine d’années, séduisant, qui semblait s’ennuyer autant qu’elle. Leurs regards se croisèrent plusieurs fois pendant la présentation.
À la pause, il s’approcha d’elle.
— Passionnant, n’est-ce pas ? dit-il avec ironie.
— Absolument révolutionnaire, répondit-elle sur le même ton.
Il se présenta : Samir, architecte également, spécialisé dans la rénovation urbaine. Célibataire, précisa-t-il rapidement. Elle ne mentionna pas qu’elle était mariée.
Ils prirent un café ensemble après la conférence. Il était intelligent, drôle, cultivé. Et visiblement intéressé. Quand il proposa de se revoir, elle accepta.
— Jeudi soir ? Un restaurant discret que je connais ?
— D’accord.
En rentrant chez elle, elle trouva Karim qui l’attendait, fébrile.
— Alors ?
— J’ai rencontré quelqu’un.
Elle vit ses traits se crisper malgré lui.
— Raconte.
Elle lui parla de Samir, de leur conversation, de leur rendez-vous prévu. Karim l’écoutait en silence, les mâchoires serrées.
— Tu vas coucher avec lui jeudi ?
— Je ne sais pas. Peut-être. Ça dépendra de l’alchimie.
— Et si c’est le cas ?
— Je respecterai nos règles. Je te raconterai tout.
Cette nuit-là, Karim ne dormit pas. Il imaginait sa femme avec cet inconnu, et l’excitation le disputait à la jalousie. Nadia, elle, se préparait mentalement à franchir une nouvelle étape de sa métamorphose.
Le jeudi matin, elle choisit ses sous-vêtements avec soin. De la lingerie noire qu’elle n’avait jamais portée pour Karim. Quand il la vit s’habiller, il comprit que ce soir-là, son mariage allait vraiment changer.
— Tu es belle, dit-il simplement.
— Merci.
— Nadia ?
— Oui ?
— Quoi qu’il se passe ce soir… reviens-moi.
— Je reviendrai.
Sur ces mots, elle sortit de l’appartement, laissant derrière elle un homme rongé d’angoisse et d’excitation.
Le pacte était scellé. L’expérience pouvait commencer.
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1 avis des lecteurs et lectrices après lecture : Les auteurs apprécient les commentaires de leurs lecteurs
Les avis des lecteurs
Situation somme toute assez "classique" dans ce genre d'exercice, mais très bien analysée et mise en relief par une narration élégante.
Curieux de lire l'évolution des relations du couple...
Curieux de lire l'évolution des relations du couple...

