Yasmine et l'équation du désir

Récit érotique écrit par Karim_et_Nadia [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur couple.
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Yasmine et l'équation du désir
Chapitre 1.
Yasmine prit une profonde inspiration, sentant l'air salin de Marseille se mêler aux effluves de café provenant du trottoir. Loin des bruyantes rues d'Alger, loin du cocon familial, elle était ici pour conquérir son rêve : décrocher ce Master MPCI (Mathématiques, Physique, Chimie, Informatique) à l'université d'Aix-Marseille.
Mais les rêves ont un coût. Le sien s'appelait un studio de 15m² dans le 3ᵉ arrondissement, aux murs blanchis à la chaux et une vue sur... un autre mur. Et pour le payer, ainsi que ses livres et ses modestes repas, les bourses ne suffiraient pas.
C'est ainsi que chaque matin, après des cours exigeants qui mettaient son brilliant esprit scientifique à l'épreuve, Yasmine enfilait un uniforme de serveuse dans un café bruyant du Vieux-Port. Ses mains, qui manipulaient avec agilité des équations différentielles le matin, portaient désormais des plateaux chargés de cafés et de croissants l'après-midi.
Ses collègues et les clients la surnommaient « la belle brunette aux yeux doux ». Ils ne voyaient souvent que cela : une jeune femme d'une beauté frappante, aux longs cheveux brun chocolat et à regard perçant et doux, pareil à celui d'une biche. Ses yeux noisette, derrière lesquels fourmillaient pourtant les lois de la thermodynamique et les mystères de l'algèbre linéaire, intriguaient et attiraient.
Mais Yasmine fuyait les compliments. Elle souriait poliment, essuyant le comptoir d'un geste vif, son esprit déjà parti sur les problèmes de mathématiques qu'elle devrait résoudre le soir, après sa shift, épuisée mais déterminée.
Elle menait une double vie : étudiante promise à un brillant avenir le jour, serveuse dévouée le soir. Une vie de sacrifices, où chaque goutte de sueur versée sur un plateau était une goutte d'eau vers l'océan de son indépendance.
Et elle savait que le plus grand défi n'était pas dans les équations, mais dans cet équilibre précaire qu'elle devait trouver entre les études et le travail, entre la fatigue et la ténacité, entre son pays d'origine et sa nouvelle vie en France.
C'était le prix de sa liberté, et elle était prête à le payer.
Chapitre 2.
Les semaines s'écoulaient, aussi harassantes que monotones. Les fins de mois devenaient un casse-tête angoissant, un problème bien plus complexe que ceux posés par ses professeurs. Le loyer de son micro-studio était une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête. Malgré les shifts prolongés au café et un nouveau job le week-end pour emballer des courses dans un supermarché, Yasmine voyait son compte bancaire fondre comme neige au soleil. Les cernes sous ses magnifiques yeux noisette s'accentuaient, trahissant une fatigue qui n'était plus seulement physique, mais aussi mentale.
Un soir, alors qu'elle triait machinalement des pièces pour compter sa maigre paye du mois, une larme de frustration coula le long de sa joue. Elle avait peur. Peur de devoir abandonner son master, peur de se retrouver à la rue, loin de sa famille.
C'est à ce moment précis que son téléphone vibra. C'était Majda, une étudiante marocaine croisée à la fac. Majda était tout ce que Yasmine n'était pas : décontractée, toujours impeccablement maquillée et habillée avec une élégance sexy qui attirait tous les regards. Elle semblait naviguer dans la vie étudiante avec une facilité déconcertante, sans jamais parler de problèmes d'argent.
« Salut Yas ! Tu fais la tête ? T'as l'air à bout sur ta photo de profil », lança Majda d'une voix enjouée.
Yasmine, vaincue par l'épuisement et l'isolement, laissa éclater sa détresse. Elle parla de ses dettes, de la peur de perdre son logement, de l'impossibilité de joindre les deux bouts.
Il y eut un silence à l'autre bout du fil. Puis la voix de Majda, devenue soudain plus sérieuse et chaleureuse, répondit : « Écoute, c'est une période de merde, mais ça va passer. Surtout, arrête de te prendre la tête toute seule. En fait, c'est un signe que tu m'appelles. »
Majda lui expliqua alors qu'elle vivait dans un T2 spacieux près de la fac, mais que sa colocataire venait de partir précipitamment. « Le loyer est trop lourd pour moi toute seule, et je déteste vivre dans un appartement vide. Tu débarques avec tes cartons, on partage le loyer et les charges, et tu souffles un peu. Qu'est-ce que t'en dis ? »
Yasmine restait sans voix. C'était une bouée de sauvetage inespérée.
« Mais... Majda, je... je ne pourrai jamais te payer la moitié d'un loyer comme le tien tout de suite », balbutia-t-elle, honteuse.
« On s'arrangera ! » coupa Majda avec un ton qui n'admettait pas de réplique. « Tu paieras ce que tu peux au début, et tu me rattraperas plus tard. L'important, c'est que tu t'en sortes et que tu puisses te concentrer sur tes études. Allez, c'est dit ! Prépare tes affaires, je passe te chercher demain. »
Raccompagnée chez elle par Majda le lendemain, Yasmine découvrit l'appartement. Ce n'était pas un studio minuscule, mais un vrai chez-soi, avec un salon, une cuisine séparée et deux chambres. La chambre qui l'attendait était simple, mais immense comparée à son ancien cagibi. Pour la première fois depuis des mois, elle sentit le poids de l'angoisse se dissiper un peu.
Alors qu'elle posait sa valise, Majda lui tendit un thé à la menthe fumant, dans un verre décoré.
« Bienvenue chez toi, Yas », dit-elle avec un large sourire. « Ici, on survit ensemble. Et on va même s'amuser, tu verras. »
Yasmine la regarda, ses yeux de biche embués de gratitude. Elle ne savait pas encore ce que lui réservait cette nouvelle vie en colocation, ni les mystères que cachait la vie apparemment facile de Majda, mais pour la première fois, elle ne se sentait plus seule. Elle avait trouvé un havre, et peut-être une amie.
Chapitre 3.
Et c'est ainsi que Yasmine comprit le secret de l'insouciance financière de Majda.
Au début, elle avait accepté l'explication vague de "bons petits boulots" et de "soutien familial". Mais les indices s'accumulaient, trop évidents pour être ignorés. Les appels téléphoniques tardifs, chuchotés dans un français hésitant, où Majda fixait des rendez-vous en donnant une adresse différente de la leur. Les billets de banque qu'elle sortait de son sac en vrac, bien plus que ce qu'un job d'étudiante ne pourrait jamais rapporter. Et ces allers-retours le soir, vêtue de tenues qui n'avaient rien à voir avec les cours à la fac – des robes courtes, des talons hauts, un maquillage appuyé qui accentuait son côté sexy et vulnérable à la fois.
Un soir, Majda rentra plus tôt que prévu, le visage fermé, les épaules voûtées par une fatigue bien différente de celle des études. Sans un mot, elle se laissa tomber sur le canapé, poussa un profond soupir et sortit une liasse de billets de son sac qu'elle jeta sur la table basse avec une sorte de dégoût.
Yasmine, qui révisait en tailleur par terre, leva les yeux de son cahier. Le silence était lourd, palpable.
« Majda... ? » commença-t-elle, hésitante.
Sa colocataire tourna vers elle un regard vide, puis une lueur amère s'y alluma. « Tu veux vraiment savoir, Yas ? Tu veux savoir comment je paye ma part du loyer sans avoir l'air de forcer ? Comment je m'offre des fringues et des restos alors que toi tu comptes tes centimes ? »
Yasmine sentit un froid lui parcourir l'échine. Elle savait, sans vouloir le savoir.
« Je vends le seul true truc qui ait de la valeur sur ce marché : mon corps », dit Majda d'une voix plate, sans fard, comme si elle énonçait une évidence météorologique. « Des hommes. Vieux, souvent seuls, parfois mariés. Ils paient pour un peu de compagnie, pour un peu d'illusion. Et moi, je pais mes factures. »
Le choc frappa Yasmine de plein fouet. La révélation était là, crue, indécente. La gratitude qu'elle éprouvait envers Majda se mua instantanément en un mélange confus de pitié, de reproche et d'une peur sourde. Elle vivait sous le même toit qu'une prostituée. L'argent qui payait une partie de son propre loyer, l'argent qui lui avait offert ce havre de paix, était cet argent-là.
« Mais... pourquoi ? Tu pourrais trouver autre chose... », murmura Yasmine, horrifiée.
« Autre chose ? » ricana Majda, sans joie. « Un taff de serveuse comme toi à se ruiner le dos pour des clopinettes ? Non merci. Ici, je gagne en une nuit ce que tu gagnes en un mois. Je contrôle. Je choisis. C'est rapide, et ça me laisse du temps pour étudier. »
Elle fixa Yasmine, son regard devenu intense. « Ne me juge pas, Yas. On fait toutes ce qu'on peut pour survivre. Toi, tu t'épuises à deux jobs, moi j'utilise ce que j'ai. On n'a pas les mêmes armes. »
Yasmine se sentit submergée. La vision de Majda, belle, sexy et insouciante, volait en éclats, remplacée par celle d'une jeune femme cynique et blessée, piégée dans un choix terrible. Le studio qu'elle chérissait tant, son refuge, lui parut soudain teinté d'une ambiguïté malsaine.
Cette révélation jetait une ombre sur leur amitié naissante et sur la sécurité si durement acquise de Yasmine. Elle devait maintenant composer avec cette vérité dérangeante : sa propre survie était indirectement liée à un commerce qui la révoltait.
Chapitre 4.
La colocation, qui devait être un havre de paix, se transforma rapidement en un nouveau champ de bataille pour Yasmine. Les murs du T2, qu'elle croyait épais, étaient en réalité poreux à tous les bruits. Et les bruits que produisait Majda étaient les plus dévastateurs.
C'était une torture programmée. Alors que Yasmine, épuisée par une journée de cours et de travail, tentait désespérément de se concentrer sur ses équations de mécanique quantique ou de chimie organique, les gémissements et les halètements de Majda commençaient à filtrer de l'autre côté du mur mitoyen. Des bruits saccadés, des rires étouffés, des litanies vulgaires ou des plaintes feintes qui se muaient en cris aigus. La tête lui tournait, non pas de jalousie, mais d'une exaspération profonde, mêlée d'un insondable malaise.
Ses nuits blanches n'étaient plus seulement dédiées aux révisions. Elles étaient désormais peuplées de cette cacophonie intime qui lui vrillait les nerfs. Elle serrait ses oreillers sur ses oreilles, augmentait le volume de ses écouteurs au point d'en avoir mal aux tympans, mais rien n'y faisait. L'image de ce qui se passait dans la chambre voisine s'imprimait malgré elle dans son esprit, rendant toute concentration impossible.
Le pire, c'était le contraste insupportable de leurs vies.
Un matin, après une nuit particulièrement agitée où elle n'avait pas fermé l'œil, Yasmine était au bord de l'implosion. Elle attendit que le dernier « client » de Majda soit parti, puis elle fit irruption dans la cuisine où sa colocataire, en peignoir, sirotait un café avec une sérénité qui mit le feu aux poudres.
« Majda, on doit parler. »
« Qu'est-ce qu'il y a ? T'as une tête horrible, tu devrais dormir plus », lança Majda sans méchanceté, juste avec son détachement habituel.
« Dormir ? DORMIR ? » s'écria Yasmine, sa voix tremblante de rage contenue et de fatigue. « Comment veux-tu que je dorme ? Comment veux-tu que j'étudie ? Que je pense ? Tes... *activités_... elles s'entendent dans tout l'appartement ! C'est tous les soirs, ou presque ! »
Majda la regarda, un sourcil levé, plus surprise par l'éclat que par le reproche.
« Oh, ça te dérange ? Désolée, je ne savais pas que tu étais si pudique. C'est juste du sexe, Yas. Du bruit. Faut te détendre. »
« Ce n'est pas une question de pudeur ! » rétorqua Yasmine, les poings serrés. « C'est une question de respect ! Ce n'est pas juste du bruit, c'est... c'est l'évidence que notre appartement est un bordel ! Je n'arrive plus à étudier, je n'arrive plus à me reposer. Je suis épuisée. »
Pour la première fois, un voile de gêne passa dans le regard de Majda. Elle posa son verre.
« Écoute, je paie ma moitié du loyer. Je fais ce que je veux chez moi. Si le bruit te dérange, mets des boules Quies. Ou alors trouve une autre solution, mais je ne vais pas arrêter de vivre pour te faire plaisir. »
Le choc était frontal. La logique de Majda était imparable et cruellement individualiste. Yasmine comprit qu'elle n'avait aucun droit sur le mode de vie de sa colocataire. Le refuge avait une porte dérobée, et c'était par là qu'entraient et sortaient les clients.
Elle recula, le cœur serré. Elle était piégée. Perdre ce toit signifiait retourner à la rue ou à la précarité absolue. Mais y rester signifiait sacrifier sa santé mentale et peut-être ses études.
Sans ajouter un mot, elle retourna dans sa chambre, ferma la porte et s'effondra sur son lit, les larmes aux yeux. Le bruit avait cessé, mais l'écho des cris de Majda résonnait encore dans sa tête, symbole criant du prix déchirant de sa survie en terre étrangère. Elle était sauvée de la rue, mais perdue dans un cauchemar éveillé.
Chapitre 5.
La tension dans l'appartement était devenue aussi épaisse et étouffante que l'air avant un orage. Yasmine sentait le danger, mais elle était trop épuisée, trop acculée pour l'ignorer. La proposition de Majda résonnait encore dans sa tête, obscène et humiliante. 2000 euros. Le prix de son corps. Le loyer de plusieurs mois. Une tentation vénéneuse qui lui soulevait le cœur.
Quelques jours plus tard, alors qu'Yasmine tentait de réviser dans le salon, la clé tourna dans la serrure. Majda entra, suivie d'un homme dans la quarantaine, élégamment vêtu mais au regard trop insistant, trop possessif. Thomas. Il sourit en apercevant Yasmine, un sourire qui ne parvenait pas à masquer une avidité dérangeante.
« Yasmine, je te présente Thomas, un... ami », dit Majda d'une voix faussement enjouée.
Yasmine se raidit, sentant son estomac se serrer. Elle fit un signe de tête bref et se leva pour regagner sa chambre, son livre serré contre sa poitrine comme un bouclier.
« Ne partez pas si vite », lança Thomas, sa voix doucereuse. « Majda m'a beaucoup parlé de vous. La brillante étudiante algérienne. »
Yasmine s'arrêta, le dos tourné. « Je dois étudier. »
« Toujours studieuse », poursuivit-il en s'approchant. Il sentait le parfum cher et le whisky. « C'est admirable. Mais il faut aussi savoir... vivre. Profiter des opportunités. »
Il était maintenant tout près d'elle. Yasmine se retourna, le visage fermé.
« Je n'ai pas le temps de "profiter", comme vous dites. »
Majda observait la scène, adossée au mur, un sourire ambigu aux lèvres, comme si elle assistait à un spectacle.
« Tout le monde a le temps pour 2000 euros, ma chère », chuchota Thomas, assez bas pour que seule Yasmine l'entende. Son regard descendit lentement le long de son corps, la déshabillant. « Une seule nuit. Rien de bien méchant. Vous pourriez vous offrir du repos. Des livres. La paix. »
Yasmine sentit une nausée monter. Ce n'était plus une proposition, c'était une prédation.
« La réponse est non. Maintenant, veuillez m'excuser. »
Elle tenta de passer, mais il bloqua subtilement son passage, une main posée sur le chambranle de la porte.
« Vous êtes sûre ? Parfois, il faut savoir saisir sa chance. Je pourrais être très généreux. Très... attentionné. »
Son ton était devenu pressant, insistant. Yasmine sentit une pointe de panique. Elle n'était plus en sécurité chez elle. Le regard de Thomas ne la quittait pas, plein d'une assurance d'homme habitué à acheter ce qu'il désire.
« Laissez-moi passer », dit-elle, la voix plus forte, teintée d'une peur qu'elle ne pouvait plus cacher.
« Thomas, arrête de la travailler, elle est timide », lança Majda depuis le salon, d'une voix qui manquait sincèrement de conviction.
Mais Thomas ignora Majda. Il se pencha encore plus près, son haleine chaude effleurant l'oreille de Yasmine.
« Réfléchissez bien. Je reviendrai. L'offre tient. Vous valez bien plus que cette vie de misère. »
Yasmine, poussée par un sursaut d'adrénaline, le repoussa avec une force qu'elle ne se savait pas. « J'ai dit NON ! » cria-t-elle, tremblante de colère et de frayeur. « Sortez de chez moi ! »
Le sourire de Thomas s'effaça, remplacé par une lueur froide et vexée. Il se redressa, ajusta sa veste.
« Comme vous voudrez. C'est votre choix. » Il se tourna vers Majda. « Je reviendrai te voir, chérie. Elle n'est pas assez mûre. »
Une fois la porte refermée sur lui, un silence lourd tomba sur l'appartement. Yasmine se tenait toujours adossée au mur, respirant difficilement.
Majda la dévisagea, un mélange d'agacement et de pitié dans le regard.
« Tu as vu comment tu t'es comportée ? Il était prêt à mettre bien plus. Tu pourrais vivre tranquille pendant des mois. Au lieu de ça, tu préfères crever à la tâche et jouer les vierges effarouchées. »
Yasmine la regarda, et pour la première fois, toute gratitude avait disparu, remplacée par un mépris glacial.
« Je ne "joue" pas. Je suis une étudiante, pas une prostituée. Et toi, tu n'es pas mon amie. Une amie ne mettrait pas l'autre en danger dans son propre chez-elle. »
Les mots tombèrent comme des couperets.
« Danger ? » ricana Majda. « Il ne t'aurait pas fait de mal, il paye pour ça ! »
« Le fait que tu ne voies même pas le problème est tout le problème, Majda », répliqua Yasmine, épuisée. « Cet appartement n'est plus un refuge. C'est une annexe de ton business. Et je ne peux plus vivre là-dedans. »
La réalité la frappa de plein fouet. Elle préférait encore la précarité et la rue à cette violation constante de son intimité et de sa dignité. Sa décision était prise. Elle devait partir.
Chapitre 6.
La tension dans l'appartement était palpable pendant plusieurs jours après l'incident avec Thomas. Yasmine évitait Majda, passant le plus clair de son temps enfermée dans sa chambre ou à la bibliothèque universitaire. L'idée de devoir déménager, de replonger dans l'incertitude financière, la hantait. Mais elle était déterminée à ne pas céder, à ne pas se laisser corrompre.
Un après-midi, alors qu'elle rangeait un dossier dans son sac pour partir travailler, on frappa doucement à sa porte. Sur le seuil se tenait, non pas Majda, mais Thomas. Yasmine recula instinctivement, son corps se raidissant.
« Mademoiselle Yasmine », commença-t-il, les mains enfouies dans les poches de son manteau chic, affichant une contrition qui semblait presque sincère. « Je tiens à m'excuser pour mon comportement l'autre jour. Il a été déplacé, irrespectueux, et je me suis montré grossier. »
Yasmine, méfiante, ne dit rien. Elle l'observa, cherchant la faille dans son discours trop poli.
« Majda m'a fait comprendre la pression que vous subissez, vos études, votre travail... », poursuivit-il. « Je me suis mal comporté comme un riche arrogant qui croit tout pouvoir acheter. C'était inexcusable. »
Il marqua une pause, lui offrant un bouquet de fleurs qu'il avait dissimulé derrière son dos – des lys blancs, élégants et chers. Yasmine les regarda sans faire un geste pour les prendre.
« Pour me faire pardonner, et pour vous prouver ma bonne foi, j'aimerais vous inviter à déjeuner. Rien de plus. Un repas entre deux personnes civilisées. Un vrai restaurant, au Vieux-Port. Une parenthèse de calme pour vous. »
L'idée était folle. Mais les mots « parenthèse de calme » résonnèrent étrangement en elle. Elle n'avait pas mangé dans un vrai restaurant depuis son arrivée en France. L'odeur de la bonne cuisine, le bruit des bateaux, l'impression d'être normale, le temps d'un repas... C'était un piège, bien sûr. Mais un piège enveloppé de soie.
« Pourquoi ? » demanda-t-elle sèchement.
« Pour l'image que je renvoie de moi-même, si vous voulez. Je déteste passer pour un goujat. Et puis, je connais des gens. Peut-être que je pourrais vous aider à trouver un vrai job, un stage. Quelque chose de plus en lien avec vos études. »
La proposition était astucieuse. Il ne proposait plus d'argent contre son corps, mais une opportunité professionnelle. Il jouait sur son désir le plus profond : réussir par elle-même.
Après un long silence, poussée par une lueur d'espoir et une curiosité malsaine, Yasmine accepta. Non pas pour lui, mais pour cette éventuelle porte de sortie. Et peut-être aussi pour prouver à Majda qu'elle pouvait obtenir son attention sans se vendre.
Le lendemain, au restaurant en terrasse sur le Vieux-Port, face aux bateaux qui tintaient, Yasmine se sentait comme une impostrice. Elle portait sa tenue la plus présentable, une simple robe qu'elle réservait aux oraux. Thomas était charmant, érudit, parlant d'art et de voyages. Il ne fit aucune allusion déplacée. Il commanda un plat délicat et un vin blanc de Cassis. Pour la première fois depuis des mois, Yasmine mangea à sa faim sans compter les centimes.
Il l'écouta parler de ses études, de l'Algérie, de ses rêves. Il avait l'air sincèrement intéressé. Pendant un instant, elle se surprit à baisser sa garde, à apprécier cette conversation d'égal à égal – ou presque.
Mais au moment du café, alors que le soleil brillait sur la mer, son regard glissa sur elle, et elle y lut la même lueur de possession qu'auparavant, masquée par la civilité. Le piège n'était pas désamorcé, il était juste plus sophistiqué.
« Vous voyez, Yasmine, on peut avoir des moments agréables sans que ce soit... transactionnel », dit-il en souriant. « Le monde est plein d'opportunités pour une jeune femme aussi intelligente et belle que vous. Il suffit parfois de savoir s'entourer des bonnes personnes. »
Yasmine comprit alors que le déjeuner n'était pas une fin, mais un commencement. Thomas ne renonçait pas. Il changeait simplement de tactique. Il voulait la séduire pour l'avoir, pas en la forçant, mais en la convainquant. Et le pire, c'est que cela fonctionnait presque. Le confort, l'attention, l'écoute étaient des armes bien plus dangereuses que la brute arrogance de leur première rencontre.
Elle le remercia froidement pour le repas et rentra à l'appartement, le cœur lourd. Elle n'était pas sortie gagnante de cette rencontre. Elle avait juste compris que le danger pouvait aussi avoir le visage souriant d'un homme qui vous offre un déjeuner au soleil.
Chapitre 7.
La tension dans la cuisine était devenue une présence tangible, un troisième colocataire encombrant et silencieux. Depuis le déjeuner avec Thomas, Yasmine évitait Majda, mais chaque bruit, chaque rire étouffé derrière la porte close de sa chambre, était une piqûre de rappel.
Un soir, alors que Majda se versait un verre de vin en fredonnant, Yasmine posa brutalement son livre sur la table.
« Majda, ça ne peut plus durer. »
Majda se retourna, un sourcil arqué, un sourire narquois aux lèvres. « Quoi donc ? Mes petits rendez-vous ? Tu vas encore faire ta pudibonde ? »
« Ce n'est pas de la pudeur, c'est du respect ! » s'écria Yasmine, à bout. « Je vis ici aussi. J'étudie, je travaille, je meurs de fatigue, et ton... ton business envahit tout. Comment veux-tu que je me concentre ? Comment veux-tu que je me sente chez moi ? »
Le sourire de Majda s'effaça. Son visage se durcit, comme si un masque tombait. « Mon business, comme tu dis, paie la moitié de ce loyer. Il me permet de vivre sans me tuer à la tâche comme toi. Tu crois que j'aime ça ? Tu crois que c'était mon rêve ? »
« Alors pourquoi ? » lança Yasmine, sincèrement perplexe. « Pourquoi faire ça si tu n'aimes pas ça ? Par paresse ? »
Le mot fit mouche. Majda ricana, un son sec et sans joie. « La paresse... C'est tellement simple de juger, hein ? » Elle avala une grande gorgée de vin. « Tu veux savoir pourquoi ? Vraiment ? »
Son regard se perdit par la fenêtre, vers les lumières de la ville. Quand elle reprit la parole, sa voix était changée, plus grave, chargée d'une douleur ancienne.
« Quand j'avais quinze ans, au Maroc, mon frère aîné... il abusait de moi. »
Yasmine retint son souffle.
« Et le pire... » continua Majda, les yeux brillants de larmes refoulées, « le pire, c'est que curieusement, au lieu de trouver ça dégueulasse, j'ai... aimé. J'ai aimé la sensation. J'ai aimé l'attention. J'ai aimé ce secret qui me rendait spéciale et sale à la fois. J'avais une honte monstre, une honte qui me rongeait, mais je ne pouvais pas m'empêcher d'aimer ça. »
Elle se tut un instant, fragile et vulnérable comme Yasmine ne l'avait jamais vue.
« Après ça, le sexe... ça n'a jamais plus été pareil. C'est devenu un outil. Un moyen de contrôle. Un moyen d'avoir du pouvoir sur les hommes, puis de l'argent. Je ne vends pas mon corps, Yasmine. Je vends l'illusion qu'ils contrôlent quelque chose. Mais c'est moi qui contrôle. Toujours. C'est moi qui décide. Comme ça, je ne suis plus la petite fille terrorisée et complice de son frère. »
Le silence qui suivit était lourd de cette révélation brutale. La colère de Yasmine s'était évanouie, remplacée par un vertige de compassion et de tristesse. Elle comprenait soudain la carapace de cynisme de Majda, son refus de la vulnérabilité.
« Majda... je... je ne savais pas. »
« Personne ne sait », chuchota Majda. « Et maintenant, tu me juges encore plus, hein ? Parce que j'ai aimé. C'est ça le plus monstrueux. »
Yasmine s'approcha et posa une main hésitante sur son bras. « Non. Je ne te juge pas. Personne ne peut comprendre ça. Personne ne peut comprendre ce que tu as traversé. »
Les deux jeunes femmes se regardèrent, et pour la première fois, sans masque. La barrière entre elles venait de tomber, révélant une blessure commune à leur humanité : la honte, la survie, et la recherche d'un semblant de contrôle sur leur vie.
« Écoute, Majda », reprit Yasmine doucement. « Je ne peux pas prétendre comprendre. Mais je peux être là. Pour parler. Pour écouter. »
Elle prit une inspiration. « En échange... je ne te demande pas d'arrêter. Je sais que tu en as besoin. Mais est-ce qu'on pourrait trouver un compromis ? Limiter les visites ? Certains soirs où tu sais que je dois réviser intensément... Est-ce que ce serait possible ? Pour qu'on puisse vivre toutes les deux ici, sans se marcher dessus. »
Majda essuya une larme furtive et hocha lentement la tête. « Je... je peux essayer. C'est vrai que parfois, je le fais aussi pour évacuer... tout ça. »
« On n'en parle plus à personne », proposa Yasmine. « C'est ton histoire. Mais ici, avec moi, tu n'as pas besoin de jouer un rôle. »
Un fragile sourire apparut sur les lèvres de Majda, le premier vrai sourire depuis longtemps. « Tu es trop gentille pour ce monde, Yas. Tu devrais être plus dure. »
« Je suis dure », sourit Yasmine. « Je tiens le coup, non ? »
Ce ne fut pas une réconciliation magique qui effaça tous les problèmes. Mais ce fut une trêve, scellée dans la confidence et la douleur. Leur colocation ne serait jamais normale, mais elle pouvait devenir un lieu où, derrière les portes closes, on n'était plus obligé de se battre seule. Une amitié fragile, née des cendres de leurs secrets les plus sombres, venait de prendre racine.
Chapitre 8.
Le poids des équations non résolues pesait lourdement sur les épaules de Yasmine alors qu'elle poussait la porte de l'appartement. La nuit était tombée sur Marseille, et elle rêvait de silence, d'un thé, et de la quiétude nécessaire pour dompter ce problème de mathématiques qui lui résistait.
Le silence, pourtant, fut le dernier son qui l'accueillit.
Un halètement rauque, un rire étouffé, un grognement lui parvinrent du salon avant même qu'elle n'ait allumé la lumière. Et dans la pénombre, coupée par la lueur bleutée de la télévision allumée sur un menu DVD, la scène se dévoila.
Majda, complètement ivre, les cheveux en bataille, était à genoux sur le canapé, le dos courbé. Deux hommes étaient penchés sur elle, nu. L'un la prenait par devant, l'autre, derrière. Le spectacle était cru, violent, surréaliste. Un bruit de chair contre chair, des odeurs de sueur, d'alcool et de sexe emplissaient la pièce.
Yasmine resta pétrifiée, son sac glissant de son épaule pour tomber lourdement sur le sol. Son cerveau, saturé de formules abstraites, refusa d'abord de traiter l'information. Puis l'horreur la submergea. Mais à sa profonde honte, une chaleur immédiate et coupable embrasa son bas-ventre. Elle était horrifiée... et excitée malgré elle.
Son regard croisa alors celui de l'homme qui prenait Majda par derrière. Dans la lueur bleutée, elle reconnut Thomas. Ses yeux, brillants d'une ivresse malsaine, la fixèrent, un sourire torve aux lèvres. Il ne s'arrêta pas, au contraire.
Yasmine se détourna, le cœur battant à tout rompre, et se rua vers sa chambre. Elle claqua la porte derrière elle, s'y adossa, respirant avec difficulté. La panique et un désir trouble se mélangeaient en elle. Les images obscènes dansaient devant ses yeux, se superposant aux intégrales et aux matrices de ses études.
Elle tenta de s'asseoir à son bureau, d'ouvrir son cahier. En vain. Son corps était en émoi, vibrant de ce qu'elle venait de voir. Honteuse, tremblante, poussée par une pulsion qu'elle ne maîtrisait plus, elle laissa glisser sa main sous son jean, puis sous sa culotte. Elle trouva son sexe gonflé, humide, sensible au moindre effleurement. Fermant les yeux, elle se mit à se caresser, essayant de calmer la tempête en elle, de chasser par le plaisir physique le chaos mental.
Ses gémissements, d'abord étouffés, devinrent plus forts, plus aigus. Elle oublia tout : les maths, la honte, le monde extérieur.
Elle n'entendit pas la porte de sa chambre s'ouvrir.
« L'intellectuelle n'est pas si prude, finalement. »
La voix de Thomas, grave et moqueuse, la figea nette. Elle ouvrit les yeux, terrifiée. Il était là, adossé au chambranle, complètement nu, la regardant avec un mélange de triomphe et de convoitise.
Yasmine tenta de rabattre son jean, de cacher son sexe luisant et offert. Trop tard.
« Non... sors... » parvint-elle à bredouiller, reculant contre son bureau.
Il ignora sa supplique et s'approcha. D'un geste rapide, il agrippa son poignet et écarta sa main qui tentait de se cacher.
« Elle mouille, l'intellectuelle », ricana-t-il, son autre main se refermant sur sa chatte, doigts écartant brutalement les lèvres.
Yasmine se débattit, mais son corps trahissait sa volonté. La peur et l'excitation se mêlaient en une sensation vertigineuse et incontrôlable.
« Arrête ! »
Mais Thomas était déjà à genoux devant elle. Avant qu'elle ne puisse réagir, il plongea son visage entre ses cuisses, sa bouche avide se refermant sur son clitoris gonflé.
Un cri lui échappa, un mélange de protestation et de jouissance immédiate. La sensation était trop forte, trop directe, trop habile. La langue de Thomas connaissait son affaire, pressant, léchant, aspirant avec une expertise cruelle. Le plaisir qu'elle avait tenté de s'administrer elle-même était décuplé, devenu assaut.
Elle tenta de repousser sa tête, ses doigts s'enfonçant dans ses cheveux, mais son corps s'arquait malgré elle, répondant à chaque mouvement de la langue qui la dévorait. La résistance qu'elle opposait faiblissait à mesure que les vagues de plaisir montaient, inexorables.
« Non... » gémit-elle à nouveau, mais ce n'était plus qu'un souffle, une plainte qui se transformait en un gémissement de jouissance.
Elle avait perdu le contrôle. Le problème de mathématiques, la dignité, la colère envers Majda... tout s'effaçait, submergé par le plaisir brut et humiliant que lui infligeait Thomas. Elle céda, les yeux révulsés, le dos cambré, abandonnée à la bouche qui faisait d'elle sa chose.
Le « non » qui s'échappait des lèvres de Yasmine était de plus en plus faible, étranglé par le souffle court et les vaguelettes de plaisir que la bouche de Thomas lui infligeait. Malgré elle, ses doigts, qui s'étaient enfoncés dans ses cheveux pour le repousser, se firent moins insistants, puis se mirent à trembler, et enfin, dans un mouvement qu'elle ne contrôlait plus, attirèrent sa tête plus profondément contre son sexe. C'était un acte de reddition totale, son corps trahissant sa conscience.
Sentant ce changement, Thomas releva la tête, un sourire de prédateur satisfait aux lèvres. Sans un mot, il la souleva avec une force qui la glaça et la transporta jusqu'à son lit. Elle était légère, sans défense, en proie à un désir qui la terrifiait et l'enivrait tout à la fois. Il la déposa sur le matelas et, avec une lenteur calculée, entreprit de la déshabiller complètement. Ses doigts agiles firent sauter le bouton de son jean, firent glisser la braguette, et l'extirpèrent de son vêtement, la laissant nue et frissonnante sous son regard.
Yasmine tenta de se recroqueviller, de cacher sa nudité, mais ses yeux étaient irrémédiablement attirés par le corps de Thomas. Il était grand, musclé, et au centre, sa bite, pleine, veinée et dressée comme un mat, se tendait vers elle avec une arrogance obscène. Il s'approcha, présentant son membre à quelques centimètres de son visage.
« Non... », murmura-t-elle une dernière fois, faiblement, en détournant la tête.
Mais Thomas ignora son refus. Il prit sa bite dans sa main et la frotta contre ses lèvres closes, imprégnant sa peau du sel de son propre désir et de l'humidité qu'il avait fait naître en elle. Le contact était brutal, intime, d'une vulgarité qui la faisait brûler de honte. Pourtant, malgré elle, ses lèvres s'entrouvrirent, comme hypnotisées par cette chair pulsante qui les défiait.
Ce fut le signal qu'attendait Thomas. D'une pression insistante, il guida son sexe entre ses lèvres. Yasmine ferma les yeux, un sanglot coincé dans la gorge, et sa bouche s'ouvrit davantage. Elle sentit le gland dur et chaud glisser sur sa langue, puis le goût masculin, fort, l'envahir. Puis, il poussa plus avant, et elle l'engloutit dans une fellation frénétique et désordonnée, comme si son corps cherchait, dans ce acte de soumission ultime, une absolution à son propre désir.
Pendant qu'elle le suçait avec une ardeur dont elle ne se savait pas capable, les mains de Thomas ne restaient pas inactives. Elles parcouraient son corps avec une avidité possessive, passant de sa chatte trempée qu'il stimulait du bout des doigts, remontant le long de ses hanches qu'il emprisonnait, effleurant son ventre plat, pour finally se poser sur ses seins. Il pinça ses mamelons durs, les faisant rougir, puis descendit de nouveau, explorant chaque centimètre de sa peau qui vibrait sous son toucher expert.
Yasmine n'était plus qu'un tourbillon de sensations contradictoires. Le dégoût et la honte se mêlaient à une excitation si violente qu'elle en avait le vertige. Chaque caresse, chaque poussée dans sa bouche, chaque gémissement étouffé de Thomas l'enfonçait un peu plus dans une réalité qu'elle avait fuie et qu'elle embrassait maintenant avec une fureur désespérée. Elle était perdue, et son corps avait pris le dessus, avalant sa raison et sa volonté dans un gargarisme silencieux.
Le corps de Yasmine était un arc tendu, chaque muscle crispé dans une attente terrifiée. La bouche de Thomas sur la sienne étouffait ses faibles protestations, et ses mains, qui avaient tenté de le repousser, étaient maintenant plaquées contre le matelas, impuissantes. Il écarta ses jambes avec une détermination douce mais irrésistible.
« Non, s'il te plaît... je suis vierge », sanglota-t-elle dans un dernier souffle, les yeux pleins de larmes.
La phrase résonna dans la pièce, fragile et pathétique. Thomas s'arrêta un instant, son souffle chaud sur son visage.
« Je vais être doux, Yasmine. Je te le promets. »
C'était un mensonge. La promesse d'un prédateur. Mais dans son état de vulnérabilité et de confusion, elle voulut y croire. Elle ferma les yeux, revoyant en un éclair le visage de Kamal, son fiancé resté en Algérie. Elle revit la promesse échangée sous le soleil d'Oran, la certitude qu'elle lui offrirait ce trésor, cette preuve ultime de son amour et de sa pureté, la nuit de leurs noces. Une douleur lancinante lui traversa le cœur, plus aiguë que toute douleur physique à venir.
Elle sentit la pression à l'entrée de son sexe, une insistance brutale contre sa chair tendre et innocente. Elle se raidit, paniquée.
« Attends... »
Trop tard.
D'un seul coup de rein puissant et précis, Thomas déchira son hymen.
Yasmine cria. Un cri court, arraché du plus profond de ses entrailles, un cri qui était la sonnerie du glas pour la jeune fille qu'elle avait été. Une douleur vive et brûlante la transperça, si intense qu'elle en eut le souffle coupé. Ce n'était pas une simple déchirure physique ; c'était l'anéantissement d'un vœu, la souillure d'un idéal, la rupture violente avec tout ce qui avait défini sa vertu jusqu'à cet instant.
Des larmes silencieuses inondèrent son visage, ruisselant sur ses tempes et mouillant l'oreiller. Elle sentit le mouvement en elle, lent d'abord, puis plus assuré, alors que Thomas commençait à aller et venir, prenant possession de ce qui ne lui appartenait pas.
Le trésor était volé. L'honneur, perdu. Le lien sacré avec Kamal, souillé à jamais. Elle était maintenant une femme marquée par la honte, et cette sensation était mille fois plus douloureuse que la brûlure entre ses jambes.
Elle tourna la tête vers le mur, son regard vide fixant le plâtre. Les gémissements de plaisir de Thomas lui parvenaient comme de lointains échos, complètement déconnectés de son propre calvaire. Elle était ailleurs, très loin, dans un pays où le soleil était chaud et où une femme pouvait offrir à son époux le don précieux de son innocence.
Cet ailleurs n'existait plus. Il n'y avait plus que ce lit, cette douleur, cette sensation d'effraction définitive, et le visage de Kamal qui s'éloignait à jamais dans un brouillard de larmes et de trahison.
C'était raté.
La douleur était vive, une brûlure qui lui rappelait chaque instant le viol de son innocence. Yasmine serrait les dents, les yeux fermés, essayant de s'évader mentalement, de penser à Kamal, à leur avenir, à tout sauf à l'homme qui la prenait avec une détermination brutale. Les larmes coulaient sur ses tempes, salées et amères.
Mais Thomas, en maître expérimenté de l'art de la séduction et du plaisir, ne se contenta pas de prendre. Il adapta son rythme, transformant la pénétration douloureuse en une cadence plus profonde, plus insistante, visant des endroits en elle qu'elle ne connaissait pas. Ses doigts, habiles, retrouvèrent le clitoris de Yasmine, stimulant la petite perle de chair avec une précision diabolique.
Malgré elle, malgré sa honte et sa colère, un changement s'opéra. La brûlure initiale se mua en une chaleur diffuse, puis en une vague de plaisir si intense et si inattendue qu'elle en eut le souffle coupé. Un gémissement étranglé lui échappa, différent des cris de douleur précédents.
« Non... arrête... », supplia-t-elle, mais sa voix était mouillée, tremblante de quelque chose qui n'était plus tout à fait de la résistance.
Thomas sentit le changement dans son corps, dans sa respiration. Il se pencha sur elle, murmurant à son oreille des mots vulgaires et excitants, tout en accélèrent légèrement le mouvement de ses hanches.
« Tu aimes ça, hein ? Tu vois, ton corps il sait, lui. »
Yasmine voulait protester, mais une nouvelle vague, plus forte, submergea sa volonté. Ses hanches, malgré elle, esquissèrent un mouvement de va-et-vient, cherchant à suivre le sien. La sensation était trop forte, trop primitive. Le visage de Kamal s'estompa, remplacé par la sensation immédiate, écrasante, du plaisir qui montait, inexorable.
Un son incontrôlable, un mélange de sanglot et de jouissance, sortit de sa gorge. Ses doigts s'agrippèrent aux draps, puis se portèrent dans le dos de Thomas, l'attirant plus profondément en elle.
« Oui... », murmura-t-elle, dans un souffle à peine audible, trahie par son propre corps.
Puis ce fut plus fort, incontrôlable. Les « non » se transformèrent en « oui », les supplications en ordres.
« Thomas... oh Thomas... » cria-t-elle, archant le dos.
« Baise-moi... plus fort ! »
Elle était emportée par un tsunami de sensations, chaque poussée de Thomas l'envoyant plus haut, jusqu'à ce que tout explose en un orgasme violent et cataclysmique qui la fit crier son nom à pleine voix, un cri de triomphe bestial et de honte voluptueuse mêlés.
Pendant quelques secondes, le monde n'exista plus. Il n'y eut plus Kamal, plus l'Algérie, plus la honte, plus les études. Juste un plaisir brut, sauvage, et dévastateur qui lava tout sur son passage.
Quand elle redescendit, haletante, couverte de sueur, le corps de Thomas toujours contre le sien, la réalité revint, brutale. Elle détourna la tête, submergée par une culpabilité écrasante. Elle avait joui. Elle avait crié le nom d'un autre homme que son fiancé. Elle avait aimé ça.
Le silence qui suivit ne fut rompu que par leur respiration à tous deux, lourde et complice, tandis que le poids de sa trahison s'abattait sur elle, plus lourd que jamais.
Thomas ne lui laissa pas le temps de respirer, de ruminer sa honte. D'un mouvement fluide et puissant, il se redressa, ses mains agrippant fermement ses fesses pour la soulever. Yasmine, surprise, enroula instinctivement ses jambes autour de sa taille et ses bras autour de son cou, s'accrochant à lui comme à une bouée dans une mer déchaînée.
Perchée ainsi, empalée sur son sexe qui était toujours dur en elle, elle était complètement à sa merci. Il la faisait monter et descendre lentement d'abord, puis avec plus de vigueur, utilisant la force de ses bras pour la guider sur le rythme saccadé qu'il imposait. Chaque descente était une nouvelle revendication de son corps, une prise de possession plus profonde.
Les derniers vestiges de résistance de Yasmine s'évaporèrent. La sensation était trop intense, trop dominatrice. Elle était suspendue entre le plaisir et l'abandon, son souffle court et ses gémissements étouffés se mêlant aux grognements sourds de Thomas. Elle pressait son front contre son épaule, mordillant parfois la peau salée, submergée par les vagues de sensations qui déferlaient en elle.
« Thomas... », gémissait-elle, un nom qui était devenu une prière, une malédiction et une supplique.
Il accéléra le mouvement, ses doigts s'enfonçant dans la chair ferme de ses fesses. Leurs corps se répondaient dans un ballet sauvage et primal. Yasmine sentit l'orgasme monter à nouveau, plus rapide, plus violent que le premier, une tension extrême qui irradiait de son centre et menaçait de la faire exploser.
Quand la vague la submergea, elle cria, son corps secoué de spasmes incontrôlables qui serrèrent Thomas en elle. Ce fut le signal pour lui. Avec un grognement rauque, il la cloua contre lui et explosa. Elle sentit les jets de son sperme, chauds et épais, pulser au plus profond de son ventre, chaque pulsation prolongeant son propre plaisir dans un mélange extatique et coupable.
Ils s'effondrèrent ensemble sur le lit, enlacés, haletants, couverts de sueur et marqués par l'acte. Le poids de Thomas sur elle était écrasant, rassurant. Le silence n'était rompu que par le souffle rauque qui leur déchirait la poitrine.
Yasmine gardait les yeux fermés, le corps parcouru de frissons résiduels. L'odeur de leur accouplement, musquée et sucrée, emplissait la pièce. Dans le chaos de ses pensées, une seule chose était claire : une frontière avait été irrémédiablement franchie. Elle n'était plus la même femme. Et alors que la culpabilité commençait déjà à ronger les bords de son extase, une part d'elle, sombre et neuve, savourait la sensation de plénitude et de puissance brute qui l'habitait.
Thomas se releva, sans un mot, ses mains robustes se glissant sous les fesses de Yasmine. Dans un mouvement fluide, il la souleva du lit, la maintenant en l'air comme si elle ne pesait rien. Elle s'agrippa instinctivement à son cou, les bras enserrant ses épaules, ses jambes enroulées autour de sa taille. Elle était perchée, empalée sur son sexe qui était toujours dur en elle, et le sentiment de vulnérabilité et de puissance à la fois était vertigineux.
« Accroche-toi », grogna-t-il d'une voix rauque, et il commença à la faire monter et descendre le long de sa verge.
Yasmine, les yeux fermés, la tête renversée en arrière, ne résistait plus. Elle était complètement soumise au rythme qu'il imposait, chaque descente l'enfouissant plus profondément en lui, chaque remontée étant une brève et douloureuse frustration. Ses propres hanches, trahissant toute retenue, commencèrent à bouger en harmonie avec les siennes, cherchant avidement la friction, la plénitude. Elle se sentait pleine, possédée, et à sa grande honte, plus vivante que jamais.
Leurs souffles n'étaient plus qu'un seul halètement syncopé. La sueur faisait glisser leurs peaux l'une contre l'autre. Le monde se réduisait à cette connexion primitive, à ce pivot où leurs corps se rejoignaient.
La vague monta une nouvelle fois, plus rapidement, plus violemment. Yasmine sentit les muscles de son ventre se contracter, un tourbillon de sensations incandescentes partir de son sexe et embraser tout son être. Un cri sauvage, rauque, qu'elle ne reconnut pas comme le sien, lui échappa.
« THOMAS ! »
Son propre cri sembla déclencher sa fin à lui. Il poussa un grognement animal, ses bras la serrant convulsivement contre lui alors qu'il plantait son sexe une dernière fois au plus profond d'elle, et explosa.
Yasmine sentit les pulsations chaudes et profondes, les jets de sperme épais qui la remplissaient, inondaient ses parois internes. La sensation, intime et obscène, fut le point de bascule qui la fit sombrer dans un second orgasme, encore plus viscéral que le premier, un spasme prolongé qui la fit trembler de la tête aux pieds.
Ses forces la quittèrent soudainement. Ses bras lâchèrent le cou de Thomas, ses jambes se défirent de sa taille. Il la retint contre lui un instant, puis, dans un dernier gémissement rauque, s'affala avec elle sur le lit, dans un enchevêtrement de membres moites et tremblants.
Ils restèrent là, pantelants, le souffle court, le corps parcouru de soubresauts résiduels. Le silence de la chambre n'était rompu que par le bruit de leur respiration qui peu à peu revenait à la normale. L'odeur du sexe et de la sueur, lourde et musquée, emplissait l'air.
Yasmine, les yeux fixés au plafond, sentait encore les pulsations de Thomas en elle. La honte et la confusion revenaient en vagues, mais pour l'instant, elles étaient comme engourdies, noyées sous le flot d'endorphines et la fatigue extrême. Son corps était lourd, vidé, et son esprit, momentanément, était blank.
Thomas se leva, nu, son sexe encore en érection, et se dirigea vers le salon d'un pas nonchalant. Là, Majda et Kevin gisaient, nus et enlacés, épuisés par leur étreinte. Il fouilla dans son pantalon, en tira une liasse de billets — deux mille euros — et retourna dans la chambre de Yasmine.
Sans un mot, il déposa l'argent sur le lit, à côté d'elle.
Le geste était brutal. Calculé. Humiliant.
Pour Thomas, elle n'était qu'une fille de plus. Une bouche à combler, un corps à prendre, un service à payer. L'étudiante prodige en Mathématiques, Physique, Chimie et Informatique n'existait plus. Il ne voyait qu'une femme qu'on baise, et qu'on règle.
Une rage froide submergea soudain Yasmine, brûlant sa honte et sa confusion. D'un mouvement vif, elle attrapa les billets et les lui jeta à la figure.
— Je ne suis pas une putain, connard ! cracha-t-elle, la voix tremblante de fureur.
Les billets voltigèrent avant de retomber, dispersés sur le sol.
Sans attendre sa réaction, elle se leva, ramassa ses vêtements éparpillés et les serra contre sa poitrine comme un bouclier dérisoire. Elle refusait de croiser son regard, de lui donner la satisfaction de voir les larmes de honte qui lui brûlaient les paupières.
Elle quitta la pièce, laissant Thomas planté là, nu et stupéfait, son argent par terre.
Elle se réfugia dans la salle de bains et verrouilla la porte d'un geste tremblant. Dans le miroir au-dessus du lavabo, une inconnue lui renvoyait son regard – cheveux emmêlés, lèvres gonflées par des baisers qu'elle n'avait pas sollicités, yeux cernés d'une lueur sauvage et coupable qu'elle ne se connaissait pas. Une traînée rosâtre, mélange du sang de sa virginité, de ses sécrétions et du sperme de Thomas, coulait le long de sa cuisse.
« Qu'est-ce que tu as fait ? » chuchota-t-elle à son reflet, une voix étranglée par la honte.
Elle ouvrit les robinets de la douche à fond et régla l'eau à une température presque insoutenable, brûlante. La vapeur envahit rapidement l'espace confiné, créant un cocon suffocant où elle espérait pouvoir se purifier, fondre et disparaître.
Sous le jet brûlant, elle s'empara d'un gant de crin rude et commença à se frotter la peau avec une frénésie croissante, désespérée. Elle frotta, gratta, comme si elle pouvait décaper les couches de son épiderme souillé, effacer l'empreinte des mains de Thomas sur ses hanches, le goût de sa bouche sur ses lèvres, la sensation de son corps dans le sien. La douleur vive de la friction remplaça peu à peu le souvenir du plaisir volé, la brûlure physique étouffant la cacophonie de sa culpabilité.
Sale. Je suis sale.
Ses gestes devinrent mécaniques, obsessionnels. Elle se frictionna jusqu'à faire rougir sa peau, jusqu'à la faire cuire, espérant que la douleur laverait la faute. Mais l'eau ne lavait rien. Elle ne faisait que fixer davantage les sensations dans sa mémoire charnelle, ancrant chaque détail dans sa chair à jamais.
Elle tourna le robinet encore plus fort, jusqu'à ce que la vapeur embue complètement le miroir, brouillant les contours de son reflet. Mais même à travers ce voile, elle se voyait : une traîtresse. Les yeux cernés, les lèvres tuméfiées, les joues rougies par la honte plus que par l'eau chaude.
Soudain, ses doigts s'immobilisèrent sur son ventre, là où la peau était encore sensible.
Une image la frappa de plein fouet, si vive qu'elle en eut le souffle coupé : les mains de Kamal, larges et chaudes, posées là, exactement là, pour la serrer contre lui. Kamal lui parlait en arabe, lui murmurait des poèmes de Mahmoud Darwich à l'oreille.
« Tu es ma reine, habibti », lui disait-il, sa voix grave vibrante d'un émerveillement qui la faisait se sentir précieuse. « Un jour, on sera ensemble, on consommera notre mariage et nous ferons plein de petits. » Elle se souvenait de son rire timide, de la façon dont il l'embrassait avec une retenue pleine de respect.
Maintenant, elle ne savait même plus si elle méritait qu'on la touche.
Les larmes se mêlèrent à l'eau brûlante, indistinctes. Elle s'affala contre le carrelage froid, les genoux tremblants, et laissa l'eau lui marteler le dos, les épaules, les cheveux. Elle avait trahi cela. Elle avait souillé ce rêve. Elle s'était vendue pour un moment de désir illusoire, pour finalement n'être rien de plus qu'une putain à qui on jette de l'argent sur le lit après « le service ».
« Habibti. » La voix de Kamal résonna dans sa mémoire, si claire et si douce que la douleur fut physique. Habibti. Ma bien-aimée. Ce mot était devenu un couteau qu'on lui enfonçait dans le ventre.
D'un geste brusque, elle coupa l'eau. Le silence fut soudain assourdissant. Grelottante malgré la chaleur résiduelle, elle s'enroula dans une serviette rêche, si serrée que la texture grossière lui rappela sa propre peau meurtrie.
Assise sur le bord de la baignoire, elle regarda la buée se dissiper lentement sur le miroir. Le reflet qui apparut peu à peu était celui d'une femme qu'elle ne reconnaissait plus. Une femme qui avait choisi la honte alors qu'elle tenait le bonheur entre ses mains. Elle qui devait être major de promo en MPCI, qui devait construire un avenir.
Elle croisa son propre regard dans la glace. Et dans ses yeux, derrière les larmes et la honte, une étincelle nouvelle, dure et froide, se mit à briller. La colère. Une colère pure, nette, qui brûlait plus fort que l'eau chaude, plus fort que la honte.
Ils avaient cru pouvoir l'acheter. La réduire à son corps. L'humilier.
Ils avaient eu tort.
Chapitre 9.
Elle regagna sa chambre, évitant soigneusement tout regard vers le salon où régnait un silence lourd de sommeil post-débauche. Elle éteignit la lumière et se glissa dans son lit, les draps froids contre sa peau encore sensible. Le sommeil ne vint pas tout de suite, mais finit par l'emporter, lourd et sans rêves, comme une anesthésie bienvenue.
Au petit matin, elle se leva avant l'aube. Les ombres de la nuit précédente semblaient déjà plus lointaines, comme encapsulées dans une bulle de honte et de colère qu'elle décida de laisser derrière elle, du moins pour quelques heures. Elle s'habilla avec des vêtements simples, un jean et un sweat-shirt, attrapa son sac bourré de livres et de cahiers, et quitta l'appartement silencieux sans un bruit.
Le trajet en bus vers le campus de Luminy lui parut étrangement net, chaque détail plus précis, comme si ses sens s'étaient aiguisés dans la tourmente. L'air frais du matin lui picotait le visage.
Au laboratoire, elle s'installa à sa place habituelle, devant le tableau blanc couvert d'équations laissées en plan la veille. Le problème qui lui avait résisté semblait presque la narguer. C'était une bête complexe, un des plus coriaces du programme de Master, un mélange d'analyse tensorielle et de géométrie différentielle qui avait tenu en échec toute la promo.
Elle prit un marqueur, inspira profondément, et plongea.
Le monde extérieur s'effaça. Les rires moqueurs de Thomas, le regard complice de Majda, le souvenir cuisant de sa propre trahison charnelle... tout se dissipa dans la froide clarté de la logique mathématique. Chaque symbole, chaque intégrale, chaque opérateur devint un pas sur un chemin qu'elle était la seule à pouvoir tracer. Sa main volait sur le tableau, inscrivant des lignes de raisonnement d'une élégance fulgurante. La frustration de la veille s'était transformée en une concentration de diamant.
Elle ne sentit pas le temps passer. Elle n'entendit pas les autres étudiants arriver, chuchoter autour d'elle en la regardant travailler avec une intensité presque effrayante.
Quand elle recula enfin, le marqueur vide à la main, le tableau n'était plus qu'une tapisserie complexe et parfaite. La solution était là, évidente, incontestable. Un silence s'était fait dans le labo.
Son professeur, alerté par le murmure des étudiants, s'approcha. Il ajusta ses lunettes et examina le travail de Yasmine, suivant chaque ligne du doigt, murmurant parfois pour lui-même. Son visage, d'abord neutre, se tendit dans une concentration extrême, puis se détendit progressivement, laissant place à une expression d'incrédulité et d'admiration pure.
« Mais... c'est brillant, » murmura-t-il enfin, se tournant vers elle. Son regard n'était plus celui d'un enseignant face à une étudiante, mais d'un pair face à une découverte. « Votre approche du théorème de Stokes dans ce contexte... personne n'y avait pensé sous cet angle. C'est d'une élégance... »
Il secoua la tête, incapable de trouver les mots.
« Vous venez de résoudre un problème sur lequel des chercheurs planchent depuis des mois, mademoiselle. Peut-être même des années. C'est tout simplement remarquable. »
Les autres étudiants, impressionnés, la regardaient avec un nouveau respect. Yasmine ne sourit pas. Elle hocha simplement la tête, un calme étrange en elle.
La victoire était amère, teintée des cicatrices de la nuit, mais elle était sienne. Et pour la première fois depuis longtemps, elle se sentait entière. Non plus comme un corps qu'on achète, mais comme un esprit qui conquiert.
Chapitre 10.
Le lendemain de la nuit qui avait tout changé, Majda se réveilla avec un goût de cendres et une tête lourde comme du plomb. La lumière crue du jour filtrait à travers les fenêtres, accentuant les stigmates de la veille. Des croûtes de sperme séché collaient à sa joue et dans ses cheveux, lui rappelant avec une brutalité sordide les excès de la nuit.
Mais pire que cela, les images lui revinrent par flashes. Thomas. Yasmine. La scène surréaliste dans le salon. Le visage horrifié de Yasmine fuyant vers sa chambre. Et puis... Thomas qui la quittait, elle, pour la suivre. Elle se souvint alors s'être effondrée, ivre morte, sans forces pour intervenir.
Une nausée, bien plus violente que celle de la gueule de bois, lui tordit l'estomac. Thomas avait abusé de Yasmine. Presque sans son gré à elle, Majda. Elle n'avait pas résisté, non, trop ivre, trop choquée, trop complice dans son silence coupable. Mais elle avait su. Et elle n'avait rien fait.
Quand Thomas émergea de la chambre de Yasmine plus tard dans la matinée, l'air suffisant, Majda était là, adossée au mur du couloir, enveloppée dans un peignoir sale, les yeux injectés de sang et pleins d'une haine nouvelle.
« Alors, tu as bien profité de la petite intellectuelle ? » cracha-t-elle, sa voix rauque de fatigue et de dégoût.
Thomas eut un petit sourire arrogant. « Elle en redemandait, à la fin. Comme toi, finalement. »
C'en était trop. La vision de Yasmine, fragile et brisée, face à cette arrogance, fit monter en Majda une colère pure, libératrice.
« Sors, » dit-elle, d'une voix basse et vibrante. « Sors de chez moi, tout de suite. »
Thomas ricana. « Ne fais pas ta hyène. Tu as bien aimé l'argent, non ? »
« Je n'ai plus besoin de ton argent, ni de toi. Tu n'es qu'un pauvre con qui croit tout acheter. Maintenant, dégage. » Elle se tenait droite, malgré la trempe et la honte, et pointa la porte d'un doigt tremblant de rage.
Stupéfait par son audace soudaine, Thomas ramassa ses affaires en maugréant et quitta l'appartement sous une volée d'insultes en arabe et en français que Majda lui hurla dans le dos.
Dès la porte refermée, son courage la quitta. Elle se précipita vers la chambre de Yasmine, le cœur battant. « Yasmine ? Ya rouhi ? Je suis désolée, je... »
La chambre était vide. Le lit était défait, mais rangé sommairement. Il n'y avait personne.
Elle fouilla l'appartement, de plus en plus paniquée. La salle de bain était vide, humide, comme si quelqu'un avait pris une douche très chaude, très longue.
Yasmine était partie.
Majda comprit alors. Elle était partie très tôt. Elle avait fui cet endroit, cette ambiance, cette amitié toxique qui l'avait trahie par son silence. Elle était allée là où plus personne ne pouvait l'atteindre : dans son laboratoire, à Luminy, face à ses équations. Pour résoudre son problème de mathématiques. Pour se reconstruire dans le seul langage qui ne pouvait pas la trahir, la logique pure et dure.
Majda se laissa tomber sur le canapé, dans l'appartement soudainement immense et silencieux. Le remords était un goût amer dans sa bouche. Elle avait perdu bien plus qu'une source de revenus ce matin-là. Elle avait perdu la seule personne qui lui avait tendu la main sans arrière-pensée, et elle l'avait laissé se faire briser sous son toit.
Les larmes vinrent enfin, chaudes et salées, lessivant les dernières traces de la nuit sur son visage. Pour la première fois, elle pleurait pour quelqu'un d'autre que elle-même.
Le silence entre elles avait duré une semaine entière. Chaque soir, quand Yasmine rentrait du labo, Majda guettait le moindre signe, préparait mentalement ses excuses. Mais Yasmine passait comme une ombre, se contentant d'un bref signe de tête avant de disparaître dans sa chambre, dont le verrou claquait avec une froideur définitive.
Puis vint ce samedi matin. Contrairement à son habitude de weekend où elle languissait jusqu'à midi pour rattraper les nuits blanches passées sur ses équations, Yasmine se leva avec le jour. Elle enfila un jean et un sweat-shirt, ses cheveux attachés en une queue de cheval sévère.
Sans frapper, elle poussa la porte de la chambre de Majda. La pièce sentait le parfum entêtant et le linge sale. Majda était ensevelie sous les draps, les traits encore marqués par les excès et un sommeil agité.
« Majda. »
Sa colocataire grogna, ouvrit un œil et se redressa péniblement.
« Yasmine ? Qu'est-ce qu'il y a ? » demanda-t-elle, la voix pâteuse de sommeil et d'appréhension.
Yasmine restait debout sur le seuil, les bras croisés. Son visage était neutre, mais son regard avait perdu cette froideur de glace qui l'avait habité toute la semaine.
« Ça te dit une randonnée aux Calanques ? »
La question, si simple, si inattendue, tomba dans le silence de la chambre. Majda la dévisagea, cherchant une moquerie, une arrière-pensée. Elle ne vit qu'une proposition sincère. Une main tendue.
Un immense soulagement, aussi soudain que violent, submergea Majda. Les mots d'excuse qu'elle avait ruminés pendant sept jours lui montèrent aux lèvres. « Yasmine, je... je voulais te dire... pour ce qui s'est passé... »
Yasmine l'interrompit d'un geste de la main, doux mais ferme. « Pas maintenant. Les mots... ils ne servent à rien pour ça. On parlera en marchant. Ou pas. »
Le message était clair. Le passé était derrière elles. Elle ne l'avait pas oublié, elle ne l'avait peut-être même pas pardonné au sens strict, mais elle avait choisi de tourner la page. De passer à autre chose. Elle offrait non pas une absolution, mais une évasion.
Un sourire tremblant aux lèvres, Majda se jeta hors du lit. « Donne-moi dix minutes ! »
Une heure plus tard, elles marchaient côte à côte sur le sentier des crêtes surplombant les Calanques. Le vent marin leur fouettait le visage, chassant les derniers relents de l'appartement et les non-dits pesants. Le soleil tapait fort, et la Méditerranée s'étendait below, d'un bleu intense et hypnotique.
Elles marchèrent longtemps sans parler, dans un silence qui n'était plus hostile, mais devenu complice, apaisé par le souffle du vent et l'effort physique. Parfois, Yasmine pointait du doigt un détail du paysage, un voilier au loin, un aigle qui planait. Majda répondait par un hochement de tête.
Ce n'est qu'après avoir atteint un promontoire, le souffle court et le visage ruisselant de sueur, qu'elles s'assirent sur un rocher chaud, contemplant l'immensité.
« Merci, » dit enfin Majda, simplement.
Yasmine tourna la tête vers elle, ses yeux noisette perdus dans la lumière. « Pour quoi ? »
« Pour ça. » Majda fit un geste qui englobait la mer, le ciel, leur présence ici. « Pour ne pas m'avoir définitivement rayée de ta vie. »
Yasmine hocha lentement la tête, un fin sourire aux lèvres. « La vie est trop courte pour garder rancune. Et les maths sont trop vastes pour être perturbées par des dramas de coloc. »
Elles restèrent un moment silencieuses, à regarder l'horizon.
« Et... Thomas ? » osa demander Majda.
Yasmine prit une inspiration. « Thomas n'existe plus. » Sa voix était calme, définitive. Ce n'était pas du déni, mais une forme d'effacement. Il avait été réduit à une variable négligeable dans l'équation de sa vie, une erreur de calcul qui avait été corrigée et dont on ne tenait plus compte.
Majda comprit. Elle n'aurait pas son pardon en bonne et due forme, mais elle avait bien mieux : une seconde chance. Une amitié différente, peut-être, moins naïve, plus lucide, bâtie sur les cendres de ce qu'elles avaient traversé.
Sur le chemin du retour, alors que le soleil commençait à descendre, Yasmine glissa simplement :
« Mon nouveau studio est libre dans trois semaines. Il y a la fibre. »
Majda rit, un vrai rire cette fois, libéré. « Je crois que je vais rester dans le T2. Mais je te promets, les clients... c'est terminé. Je vais trouver autre chose. »
Yasmine ne répondit pas. Elle n'avait pas à accepter ou refuser. Elle avait juste offert une porte de sortie, à chacune.
Elles rentrèrent à l'appartement épuisées, les joues rougies par le soleil et le vent, mais plus légères. Le verrou de la chambre de Yasmine ne claqua pas ce soir-là.
Chapitre 11.
Assise sur le banc face à la mer, à quelques pas des bâtiments de Luminy, le vent marin dans les cheveux, Yasmine composa le numéro de Kamal. Chaque sonnerie résonnait dans sa poitrine comme un battement de cœur amplifié. Elle n'avait pas pleuré, ce matin. Une détermination froide, née dans la douleur de la nuit et forgée dans le feu des mathématiques, l'habitait.
« Allô ? Habibti ? » La voix de Kamal, chaude et familière, lui fit quand même serrer le téléphone plus fort.
« Kamal. »
Un silence. Il avait senti le ton, inhabituellement grave, coupant.
« Yasmine ? Tout va bien ? Tu as une voix bizarre. »
« J'ai à te parler. C'est important. » Elle prit une inspiration, les yeux fixés sur la ligne d'horizon, immuable et claire. « Je romps nos fiançailles. »
Le silence à l'autre bout du fil fut si profond qu'elle crut la ligne coupée.
« ...Quoi ? » La voix de Kamal était devenue petite, incrédule. « Qu'est-ce que tu dis ? Yasmine, ce n'est pas drôle. »
« Ce n'est pas une blague. Je suis sérieuse. C'est terminé. »
« Mais... pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Parle-moi ! Habibti, s'il te plaît... »
Le mot habibti (ma bien-aimée) la transperça, mais elle ne flancha pas. La douleur était là, aiguë, mais elle était comme encapsulée dans de la glace.
« Tu n'as rien fait, Kamal. C'est moi. Je ne suis plus la même. Je ne suis plus celle que tu attendais. »
« Qu'est-ce que ça veut dire ? Explique-toi ! On peut régler ça, on peut... »
« Non, on ne peut pas », coupa-t-elle, d'une voix qui se voulait ferme et qui ne tremblait que très légèrement. « Je ne suis plus digne de toi. Et je ne veux plus de cette vie. Je ne veux plus de cet honneur qui pèse, de cette attente, de ce... trésor qu'il fallait préserver à tout prix. »
Elle entendit son souffle se bloquer. Il avait compris. Il avait compris qu'il ne s'agissait pas seulement d'un changement d'avis.
« Yasmine... Qu'est-ce que tu as fait ? » murmura-t-il, et sa voix n'était plus qu'un souffle brisé, chargé d'une horreur naissante.
« J'ai vécu, Kamal. Et je ne regrette rien. » Le mensonge était nécessaire. Un dernier cadeau empoisonné pour l'alléger, lui, du fardeau de sa honte. Qu'il la croie froide et volage, plutôt que brisée et souillée.
« Je t'en prie... »
« C'est ma décision. Elle est irrévocable. Ne m'appelle plus. Oublie-moi. »
Elle raccrocha avant qu'il ne puisse ajouter autre chose, avant que sa propre résolution ne s'effondre. Ses mains tremblaient. Elle les serra sur ses genoux, regardant la mer Méditerranée, qui appartenait à tout le monde et à personne.
Une étrange sensation de vide et de plénitude l'envahit simultanément. Le lien était coupé. L'honneur était perdu. Le fardeau dont elle parlait, elle réalisait soudain qu'il n'avait jamais été vraiment le sien. C'était un fardeau que les autres, que la tradition, que Kamal lui-même avaient posé sur ses épaules.
Maintenant, elle était libérée. Libre de sa honte, libre de sa virginité perdue, libre du regard de son fiancé. Libre, aussi, de se consacrer entièrement à la seule chose qui lui appartenait vraiment et qui ne pourrait jamais lui être volée : son esprit.
Elle se leva, ajusta son sac sur son épaule et tourna le dos à la mer. Elle avait un autre problème à résoudre, un nouveau chapitre à commencer. Seule.
Chapitre 12.
Le téléphone vibra dans la poche de sa blouse de labo. Le nom de sa mère, « Maman », s'afficha à l'écran. Yasmine sentit un picotement d'appréhension, mais une résignation froide l'envahit aussitôt. Elle s'isola dans le couloir désert, adossée au mur blanc et froid.
« Allô, maman. »
« Yasmine ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Kamal nous a appelés, complètement effondré ! Il dit que tu as rompu ? Sans explication ? Ya rouhi, qu'est-ce qui se passe ? » La voix de Lalla Fatma était une cascade d'inquiétude et de reproche.
Yasmine ferma les yeux. Le mensonge était prêt, poli comme un galet par la mer.
« Il exagère. Je lui ai donné des explications, maman. La vérité, c'est que mes études ici... c'est beaucoup plus intense que je ne le pensais. Je veux me consacrer à fond. Je n'ai pas le temps, ni l'énergie pour une relation sérieuse, surtout à distance. Ce n'est pas juste pour lui. »
Un silence à l'autre bout du fil, lourd de suspicion.
« Des études ? C'est pour ça que tu brises le cœur d'un bon garçon et que tu humilies ta famille ? Yasmine, ya benti, réfléchis ! Que vont dire les gens au village ? L'honneur de la famille... On parle déjà. Une fille qui part seule en France et qui rompt ses fiançailles... Les langues vont waguer. »
L'honneur. Le mot tomba comme un couperet. Yasmine sentit un rire amer et froid monter en elle. Si tu savais, maman. Si tu savais que ton "honneur", ce concept qui te préoccupe tant, je l'ai piétiné, souillé, vendu pour une poignée de billets et un moment de faiblesse. Tu t'écroulerais de honte. Tu ne te relèverais jamais.
« L'honneur de la famille, maman, il sera bien mieux préservé si je deviens une scientifique respectée plutôt que la femme malheureuse d'un homme que je n'aime plus », dit-elle d'une voix qu'elle s'efforça de rendre ferme et raisonnable. « Et justement... mon professeur vient de me proposer un poste d'assistante de recherche. C'est payé. Et ça mène directement à une thèse. C'est une opportunité incroyable. »
Elle espérait que la fierté l'emporterait sur la tradition.
« Un poste ? De l'argent ? Ce n'est pas ça qui importe, Yasmine ! Une femme a besoin d'un foyer, d'un mari, d'enfants. Pas de... de formules compliquées sur un tableau ! »
La déception de sa mère était palpable, tranchante. Yasmine serra le téléphone plus fort.
« C'est ce qui m'importe, à moi, maman. Je te demande de me faire confiance. S'il te plaît. »
Le silence qui suivit était tendu, rempli de tout ce qui ne pouvait être dit.
« Je ne comprends pas, Yasmine. Je ne te comprends plus. Fais attention à toi. Et pense à nous. Pense à ton nom. »
La communication se coupa. Yasmine resta un long moment adossée au mur, le téléphone silencieux dans sa main.
Personne ne saurait. Personne ne pourrait jamais savoir. Son secret était enterré avec l'argent jeté à la figure de Thomas et les preuves lavées sous l'eau brûlante de la douche. Son honneur, désormais, elle le bâtirait autrement. Avec des équations, des découvertes, un auteuriat sur des articles de recherche. C'était un honneur froid, solitaire, qui ne dépendrait que d'elle.
Elle poussa un long soupir, redressa les épaules, et retourna vers le laboratoire. Vers son nouveau monde.
Chapitre 13.
Le grand amphithéâtre de l'université d'Aix-Marseille était comble ce jour-là. Sous les voûtes modernes, les familles, les professeurs et les étudiants retenaient leur souffle à l'annonce des résultats. Quand le nom de Yasmine Bensaïd fut prononcé, suivi de « Major de Promotion » et de la mention « Félicitations du Jury – Excellence », un silence impressionné précéda les applaudissements.
Yasmine se leva, une émotion complexe au cœur. La fierté, bien sûr, mais aussi le souvenir cuisant du prix payé pour en arriver là. Elle serra son diplôme, ce parchemin qui était bien plus qu'un bout de papier : c'était un bouclier, une armure, sa nouvelle identité.
C'est après la cérémonie que le professeur Bertrand Glowinski, un homme d'une soixantaine d'années à l'énergie juvénile et à la réputation internationale, l'aborda, les yeux pétillants d'excitation.
« Yasmine. Un résultat remarquable. Vos travaux sur la topologie différentielle étaient d'une clarté et d'une originalité rares. » Il marqua une pause, scrutant son visage. « Je vous ai observée cette année. Vous avez une ténacité, une intuition... et une capacité à vous abstraire du monde qui sont les marques des grands chercheurs. »
Il lui tendit une liasse de papiers. « J'ai une proposition pour vous. Un sujet de thèse. »
Yasmine parcourut la première page. Son souffle se coupa.
Titre Provisoire : Approches Algorithmiques et Preuves Assistées par Ordinateur de la Conjecture de Syracuse (3n+1)
« La conjecture de Collatz ? » murmura-t-elle, incrédule. « Mais... c'est un cimetière à réputations. »
« Justement ! » s'exclama Glowinski, passionné. « C'est le Graal. Simple à énoncer, impossible à résoudre avec les outils classiques. Tout le monde l'a attaquée avec l'analyse ou la théorie des nombres. Personne n'a réussi. Je propose une approche radicalement différente : utiliser l'intelligence artificielle non pas comme un simple outil de calcul, mais comme un partenaire heuristique. Explorer l'espace des preuves potentielles, modéliser le comportement asymptotique des suites pour des valeurs astronomiques que l'esprit humain ne peut même pas concevoir, chercher des motifs, des invariants cachés. »
Ses yeux brillaient. « C'est un projet à haut risque. Vous pourriez y passer trois ans sans rien trouver. Mais si vous trouvez ne serait-ce qu'une nouvelle piste, ce sera une révolution. Et si, par le plus grand des hasards, vous la résolvez... »
Il n'eut pas besoin de finir sa phrase. La gloire absolue. Une place dans l'histoire des mathématiques.
Yasmine regarda les équations simples sur la page : *si n est pair, n/2 ; si n est impair, 3n + 1*. Une simplicité diabolique qui cachait un abîme de complexité. Elle y vit le reflet de sa propre vie : des règles apparemment simples (l'honneur, la vertu) qui, une fois mises en pratique, menaient à des chemins chaotiques et imprévisibles.
Elle leva les yeux vers Glowinski. La peur était là, mais une excitation bien plus forte la submergeait. C'était le défi ultime. L'échappatoire parfaite. Un univers où se perdre, un problème si vaste qu'il pourrait absorber toute sa honte, toute sa rage, toute son intelligence.
« Je le veux, » dit-elle, sans une hésitation.
Dans les mois qui suivirent, le bureau de Yasmine devint son monastère. Les murs se couvrirent de graphes complexes, de suites numériques s'étirant sur des mètres de papier, d'équations différentielles tentant de modéliser l'errance des nombres. Son ordinateur, connecté à des serveurs de calcul haute performance, grondait jour et nuit, avalant des téraoctets de données, testant des milliards d'itérations, traquant le plus petit motif, la plus infime régularité statistique qui pourrait trahir une logique cachée.
Elle et Glowinski formaient une équipe improbable et brillante. Lui, l'intuition pure, les grandes idées, les conjectures audacieuses. Elle, la rigueur implacable, la maîtrise algorithmique, la patience infinie à coder, tester, analyser.
Parfois, la nuit, alors que Marseille s'endormait et que seule la lumière de son écran l'éclairait, Yasmine s'arrêtait. Elle observait les colonnes de nombres défiler, une danse hypnotique et sans fin. Elle pensait à la suite chaotique de sa propre vie, aux choix improbables, aux hasards qui l'avaient menée de son village algérien à ce bureau, à ce problème.
Elle avait perdu un honneur, celui que mesurait sa mère au regard des gens du village.
Mais elle en forgeait un autre, bien plus précieux à ses yeux : celui que l'on gagne en repoussant les frontières de la connaissance, en affrontant l'immensité de l'inconnu avec pour seule arme la ténacité de son esprit.
La conjecture de Collatz était son dragon personnel. Et Yasmine, l'étudiante brisée et devenue guerrière des mathématiques, était bien décidée à le vaincre.
Chapitre 14.
Le bureau du Professeur Glowinski sentait le vieux papier, le café fort et la poussière des livres anciens. Les rayonnages croulaient sous le poids d'ouvrages aux titres complexes, et la lumière de fin de journée dessinait des rais dorés dans lesquels dansaient des milliards de particules de poussière.
Yasmine venait de lui présenter ses derniers résultats, une analyse statistique novatrice sur la distribution des pics dans les séquences de Collatz pour des nombres dépassant les 10^20. Le professeur avait écouté, silencieux, le regard perçant fixé sur les graphiques, émettant seulement de temps à autre un grognement pensif.
Quand elle se tut, il leva les yeux vers elle. Son expression n'était plus celle du mentor encourageant, mais celle d'un pair contemplant l'étendue d'un territoire nouveau.
« Yasmine, » commença-t-il, sa voix plus grave que d'habitude. « Ce que vous faites ici... ce n'est pas juste une thèse prometteuse. C'est du travail de fondation. Vous êtes en train de construire une nouvelle lingua franca pour aborder ce problème. Une combinaison d'intuition mathématique pure et de puissance de calcul brute que personne n'a jamais exploitée de cette manière. »
Il se leva et vint se poster devant la fenêtre, contemplant les toits de Marseille.
« La conjecture de Collatz... elle résiste depuis près d'un siècle. Elle a humilié les plus grands esprits. Paul Erdős lui-même a dit que "les mathématiques n'étaient pas encore prêtes pour de tels problèmes". »
Il se retourna, et son regard était maintenant électrisé par une conviction absolue.
« Si vous menez cette thèse à son terme... si vous arrivez ne serait-ce qu'à formuler une preuve partielle, une avancée conceptuelle majeure... vous ne serez pas seulement docteure. Vous serez une candidate sérieuse pour la Médaille Fields. »
Le mot tomba dans le silence du bureau comme une pierre précieuse dans de l'eau limpide. Médaille Fields. La plus haute distinction en mathématiques. Le Nobel des mathématiciens. Une récompense qui couronne non seulement une découverte, mais une vision, un génie.
Yasmine sentit un vertige l'envahir. Ce n'était plus une question d'honneur familial ou de rédemption personnelle. C'était entrer dans la cour des très, très grands. Laisser une empreinte indélébile dans l'histoire de la connaissance humaine.
« Je... je ne sais pas quoi dire, professeur. La Fields... c'est... »
« C'est à votre portée, » coupa-t-il avec une fermeté inattendue. « Je ne dis pas que ce sera facile. Je dis que vous en avez la capacité. J'ai dirigé beaucoup d'étudiants brillants. Mais vous... vous avez cette ténacité. Cette froideur dans l'analyse, couplée à une intuition presque sauvage. Et après ce que vous avez traversé... » Il fit un vague geste de la main, comme s'il devinait sans tout connaître les épreuves qu'elle avait surmontées. « ... vous n'avez plus peur de l'échec. Vous n'avez plus peur de vous brûler les ailes en vous approchant du soleil. C'est la qualité la plus rare. »
Il revint vers son bureau et prit une vieille photo encadrée : un jeune homme aux cheveux en bataille, souriant, aux côtés d'un mathématicien qu'elle reconnut.
« Il m'a dit un jour que la plus grande équation à résoudre était celle de son propre potentiel. Ne la sous-estimez pas, Yasmine. »
Yasmine sentit une onde de choc parcourir tout son être. La petite fille d'Algérie, celle qui avait cru que son avenir se limitait à un mariage et à un foyer, était maintenant face à un destin qui dépassait toute imagination. La Médaille Fields. Ce n'était pas une motivation vaniteuse. C'était un phare. Un but si grandiose, si absolu, qu'il pouvait justifier tous les sacrifices, absorber toutes les douleurs passées.
Elle croisa le regard de Glowinski, et dans ses yeux à elle, plus de doute, plus de honte. Seulement une détermination froide et cristalline, aussi dure et pure que le diamant.
« Alors on a du travail, professeur, » dit-elle simplement.
Elle sortit de son bureau, non pas enivrée, mais avec une sérénité nouvelle. Le chemin serait long, solitaire et semé d'embûches. Mais elle avait désormais une étoile à suivre. Et elle n'avait plus rien à perdre.
Elle regagna son bureau, s'assit devant son écran où défilaient les suites infinies de nombres, et plongea dans le silence sacré de la recherche. La quête venait de prendre une dimension nouvelle. Elle ne se battait plus pour effacer son passé, mais pour conquérir l'avenir.
Chapitre 15.
Le moment de la séparation était venu, et il se fit sans drame, dans un calme étrange. Yasmine annonça sa décision à Majda un matin où elles prenaient leur café, debout dans la cuisine, chacune perdue dans ses pensées.
« J'ai trouvé un studio. Pas loin de Luminy. Je vais emménager le mois prochain. »
Majda posa sa tasse, un instant de surprise dans le regard, vite remplacé par une forme de résignation lucide. Elle comprenait. Elle avait toujours su, au fond, que leur colocation n'était qu'une parenthèse.
« À cause de... tout ça ? » demanda-t-elle, sans préciser, englobant d'un geste vague les murs qui avaient vu tant de scènes.
Yasmine secoua la tête, un sincere demi-sourire aux lèvres. « Non. Enfin, pas exactement. Pas à cause de toi, Majda. Je ne t'en veux pas. » Elle prit une inspiration. « Je cède à mes propres démons, pas aux tiens. La faute me revient. Mais j'ai besoin de calme. De silence. Ma thèse... c'est quelque chose de colossal. J'ai besoin d'un sanctuaire. »
Majda hocha la tête, son expression se adoucit. Il n'y avait ni rancœur ni tristesse, mais une forme de respect. « Je comprends. Vraiment. Tu vas conquérir le monde, toi. Moi... » Elle eut un haussement d'épaules fataliste. « Je vis ma vie. Fais juste attention à toi, Yas. Ne deviens pas trop seule. »
C'était ça, leur adieu. Sans larmes, sans reproches. Une simple reconnaissance que leurs chemins, qui s'étaient croisés dans un moment de chaos nécessaire pour l'une et habituel pour l'autre, divergeaient à présent.
Avec sa bourse d'excellence de thèse et son salaire d'assistante de recherche, Yasmine put se permettre un petit studio fonctionnel à quelques stations de bus de Luminy. Il était neutre, impersonnel, et c'était tout ce qu'elle voulait. Quatre murs blancs, une grande fenêtre qui donnait sur un arbre, un bureau assez grand pour supporter ses écrans et ses montagnes de papiers. Il sentait le propre et le neuf. Il sentait le commencement.
Le jour où elle y emménagea, elle fit le tour des pièces vides, écoutant le silence. Ce n'était pas un silence lourd de solitude, mais un silence prometteur, comme la page blanche avant le premier coup de pinceau. Ici, plus de cris, plus de rires étouffés, plus de portes qui claquent à des heures indues. Juste le léger ronronnement de son ordinateur portable et le frémissement de ses propres pensées.
Elle installa son bureau face à la fenêtre, rangea ses livres avec un soin méticuleux, et accrocha au-dessus de son écran une feuille où elle avait écrit, en grands caractères, l'énoncé minimaliste de la conjecture de Collatz :
n → n/2 (si n est pair)
n → 3n + 1 (si n est impair)
? → 1
C'était son mantra, son océan à traverser.
Parfois, la nuit, des images lui revenaient. La chaleur de Thomas, l'humiliation des billets jetés à ses pieds, le visage brisé de Kamal au téléphone. Mais au lieu de les refouler, elle les regardait en face, puis reportait toute cette énergie brute, toute cette rage et cette intensité, sur son travail. Elle transformait la honte en concentration, le désir en curiosité intellectuelle, la colère en une ténacité à toute épreuve.
Elle ne s'en voulait plus. Elle avait fait la paix avec sa part d'ombre. Elle l'avait simplement reléguée dans un coin de son passé, comme une force motrice qui n'avait plus besoin de se manifester, mais qui continuait à alimenter le feu de son ambition.
Dans son nouveau sanctuaire, Yasmine n'était plus l'étudiante vulnérable, la colocataire agacée ou la fiancée infidèle. Elle était une chercheuse. Une guerrière des nombres. Et elle était enfin chez elle.
Chapitre 16.
Le nouvel appartement de Yasmine, près de Luminy, était un cube de silence et de lumière. Seul le grésillement de l'ordinateur et le grattement fébrile de son stylo sur le papier brouillaient le calme. Devant elle, s'étalaient les preuves d'un travail acharné : des pages et des pages de calculs, de graphes générés par l'IA, de tentatives de preuves formelles pour la conjecture de Collatz. Un colloque international approchait, et elle devait présenter un état des lieux solide, une avancée tangible.
Mais ce soir, le flux était rompu. Le stress lui serrait les tempes. Les symboles mathématiques dansaient devant ses yeux sans former de sens. Et puis, les images étaient revenues.
Non pas comme des souvenirs flous, mais en flashes nets, sensoriels, violents.
La peau de Thomas contre la sienne. Le poids de son corps. Le goût de sa bouche. Sa bite dressée, qu'elle avait fini par prendre dans sa bouche avec une frénésie qui la faisait frémir de honte et... d'excitation rétrospective. La douleur vive de la pénétration, puis le plaisir coupable, incontrôlable, qui avait suivi.
Elle chassa mentalement les images, se concentra sur une équation différentielle. Rien à faire. Les chiffres se transformaient en courbes de hanches, en lignes de muscles, en veines saillantes sur un sexe d'homme.
Focus, Yasmine.
Mais son esprit, sous pression, faisait des connexions improbables. Elle revécut la matinée d'après. La douche brûlante. La honte. Et puis... le laboratoire. La clarté soudaine. La solution au problème de maths qui lui avait résisté pendant des semaines, trouvée en une seule matinée de concentration pure, presque inhumaine.
Un tilt sonna dans sa tête, une connexion logique et terrifiante.
L'incapacité avant. La transformation après.
L'extrême stimulation sensorielle, le chaos émotionnel, le pic d'adrénaline et de... désir... avaient-ils débloqué quelque chose en elle ? Avaient-ils fait sauter un verrou mental, libéré une partie de son cerveau通常 réservée à la retenue, à la bienséance, lui permettant d'accéder à un état de concentration et de créativité pure ?
Le raisonnement était monstrueux. Il faisait de son viol à moitié consenti un catalyseur. Il souillait la pureté des mathématiques avec la saleté du désir et de la violence.
Mais et si c'était vrai ?
Le besoin était soudain viscéral, urgent. Ce n'était pas du désir romantique ou affectif. C'était une pulsion primitive, un besoin de reproduire le stimulus qui, peut-être, lui avait permis de percer.
Les doigts tremblants, elle attrapa son téléphone et composa le numéro de Majda.
La ligne sonna deux fois avant qu'une voix ensommeillée ne réponde. « Allô ? Yas ? Tout va bien ? Il est tard. »
« Majda, » la voix de Yasmine était tendue, presque métallique. « J'ai besoin du numéro de Thomas. »
Un silence stupéfait à l'autre bout du fil.
« Thomas ? » La voix de Majda était soudainement pleine d'alerte. « Cette crapule ? Yasmine, non. Pourquoi ? Pour l'amour de Dieu, pourquoi ? »
« J'ai besoin de lui. »
« Si t'as un problème d'argent, je t'en donne. Sérieusement. Occupe-toi de tes recherches, laisse ce déchet où il est. »
Yasmine serra les dents, impatientée. Les équations lui dansaient encore devant les yeux, mélangées aux images de Thomas.
« Non, je n'ai pas besoin d'argent, Majda. » Elle prit une inspiration profonde, et dit les mots avec une froideur clinique qui glaça le sang de son amie. « J'ai besoin d'une bite. La sienne, spécifiquement. »
Le silence qui suivit fut total, abyssal. Majda était sans voix. Elle n'avait rien compris. Pour elle, c'était de la folie pure, une rechute dans la soumission, une destruction volontaire.
« Yasmine... Habibti... non. Tu ne sais pas ce que tu dis. C'est le stress, la thèse... Repose-toi. On en parle demain, je t'en supplie. »
« Non, Majda. Maintenant. » La voix de Yasmine n'avait pas haussé le ton. Elle était plate, déterminée, sans appel. Un ordre émis par une machine à calculer qui avait conclu qu'un élément X était nécessaire à sa prochaine équation. « Donne-moi le numéro. Tout de suite. »
« Je ne ferai pas ça ! C'est de l'autodestruction ! Il t'a... » La voix de Majda se brisa. « ...utilisée. »
« Ce qui s'est passé est passé. Maintenant, j'ai un besoin. » Le mot résonna, froid et technique. « Tu as deux choix. Soit tu me donnes le numéro. Soit je passe les prochaines heures à le retrouver par d'autres moyens. Mais je l'aurai. Alors, facilite les choses. »
Majda entendait la folie dans la logique implacable de son amie. Ce n'était pas la folie chaotique de l'ivresse ou de la passion, mais la folie froide et terrifiante du génie qui a décidé de se servir de tout, même de sa propre souffrance, comme d'un outil.
Elle comprit qu'elle ne pourrait pas l'arrêter. La seule chose qu'elle pouvait faire, c'était rester dans la course, être un témoin, peut-être un garde-fou.
Un long soupir, chargé de lassitude et de résignation, traversa la ligne.
« D'accord. » Le mot était un chuchotement de défaite. « Je vais te le donner. Mais promets-moi une chose. »
« Quoi ? »
« Que tu m'appelleras. Après. Peu importe l'heure. Même si c'est pour me dire que je suis une idiote et que tu as raison. Tu m'appelles. »
« D'accord. » Le accord fut rapide, sans émotion. Une condition comme une autre à respecter pour obtenir la variable désirée.
Majda énuméra les chiffres, lentement, comme si chaque numéro était un clou dans un cercueil. Yasmine les griffonna sur une marge blanche de son cahier de notes, à côté d'une équation partielle sur les propriétés des suites de Collatz.
« Merci », dit Yasmine, d'un ton qui n'exprimait aucune gratitude, seulement la satisfaction d'une requête exécutée.
« Yasmine, je... »
Click.
La ligne était coupée avant que Majda ne puisse ajouter autre chose. Yasmine était déjà passée à l'étape suivante.
Elle regarda les chiffres griffonnés. Puis le numéro de Thomas. Puis les équations.
Son visage était un masque de concentration pure. Aucune excitation malsaine, aucun désir charnel apparent. Seule la détermination froide d'une scientifique sur le point de mener une expérience risquée et nécessaire.
Elle composa le numéro.
Chapitre 17.
Le téléphone ne sonna que deux fois avant qu'une voix masculine, neutre et légèrement distante, ne réponde.
« Allô ? »
Yasmine serra le combiné. « Thomas ? »
« Oui, c'est moi. Qui est à l'appareil ? » demanda-t-il, poli mais sans chaleur particulière.
« Yasmine. »
Il y eut un très bref silence, le temps pour lui de placer le nom. Puis sa voix changea, s'alourdissant d'une reconnaissance teintée de cynisme.
« Yasmine... La coloc de Majda. » Il marqua une pause, laissant planer un doute malsain. « Je me souviens. Qu'est-ce qui me vaut cet honneur ? Tu as changé d'avis pour les 2000 euros ? »
La colère monta en Yasmine, brûlante et immédiate, mais elle la canalisa en un sarcasme glacé.
« Tu peux les mettre où je pense, tes 2000 euros. » Elle prit une inspiration, franchissant mentalement le point de non-retour. « J'ai besoin de toi. »
Nouveau silence, plus long, nettement intrigué et méfiant cette fois. « Besoin de moi ? Pour faire quoi ? » Sa voix était devenue plus basse, moins assurée.
« En nature. Tu as bien entendu. Tu peux venir maintenant ? À Luminy. » Elle lui donna son adresse, d'une voix claire et neutre, comme si elle lui donnait des instructions pour une livraison.
À l'autre bout du fil, Thomas était déstabilisé. Cette fille qu'il avait crue fragile et manipulable, qui l'avait repoussé avec véhémence, revenait vers lui avec une demande obscène et un contrôle terrifiant.
« Pourquoi maintenant ? Pourquoi... comme ça ? » demanda-t-il, essayant de reprendre la main, de comprendre l'angle.
« Tu poses trop de questions, » rétorqua Yasmine, impatiente. Le ton n'était pas celui de la séduction, mais de l'ultimatum. « C'est oui ou c'est non ? J'ai du travail. »
Le défi, le renversement complet des rôles, fit son effet. L'ego de Thomas, piqué au vif et intrigué par le mystère, prit le dessus sur la méfiance.
« J'arrive, » dit-il, sa voix retrouvant une once de sa superbe machiste, mais qui sonnait presque comme une bravade. « Préparé-toi. »
La ligne claqua. Yasmine raccrocha et posa le téléphone sur son bureau, à côté de ses équations. Ses mains tremblaient légèrement, mais son esprit était étrangement calme, vide. Elle avait actionné le levier. L'expérience était en cours.
Chapitre 18.
Thomas garra sa voiture devant l'immeuble de Luminy, le moteur tournant encore un instant alors qu'il tentait de calmer les battements désordonnés de son cœur. Tout le long du trajet, une seule pensée avait martelé son crâne : Elle est enceinte. Elle est enceinte et elle va me le dire. Et après ? Il avait échafaudé des plans, des mensonges, des menaces, préparé son visage à afficher la surprise outrée puis le déni catégorique.
Il sonna, les doigts moites. La porte s'ouvrit presque immédiatement, comme si elle l'attendait derrière. Yasmine était là, vêtue simplement d'un jean et d'un t-shirt, les cheveux attachés, sans maquillage. Elle ne lui sourit pas. Elle l'attira à l'intérieur d'un geste sec et, avant qu'il n'ait pu prononcer un mot, se dressa sur la pointe des pieds et l'embrassa.
Ce ne fut pas un baiser tendre ou langoureux. C'était une collision, une revendication, une prise de possession. Thomas, sidéré, resta figé une seconde, puis son instinct prit le dessus et il répondit au baiser, ses mains se posant naturellement sur ses hanches.
Quand elle se sépara de lui, il ouvrit la bouche pour poser la question qui le brûlait depuis une heure. « Écoute, Yasmine, si c'est pour... »
Elle l'interrompit d'un geste de la main, son regard noir le transperçant. « T'inquiète pas, Thomas. Je ne suis pas enceinte. Je ne compte pas l'être de sitôt, et surtout, surtout, pas de toi. »
Le soulagement fut si violent qu'il en eut le vertige. Puis la confusion le submergea à nouveau. « Alors... pourquoi ? »
Un sourire étrange, presque cruel, flotta sur les lèvres de Yasmine. « J'ai juste envie que tu me baises. » Elle dit les mots avec une crudité déconcertante, en le dévisageant fixement, comme si elle étudiait ses réactions. « Encore une fois. Avec la même... intensité que la première fois. »
Thomas en resta bouche bée. Il la dévisagea, cherchant la ruse, le piège. Il ne vit qu'une détermination froide et absolue. Cette fille qui l'avait giflé avec ses propres billets, qui avait fui en pleurant, lui demandait cela. Explicitement. Sans fard.
Un rire incrédule lui échappa. « Tu es sérieuse ? »
« Je n'ai jamais été aussi sérieuse de ma vie, » répondit-elle en tournant les talons et en se dirigeant vers sa chambre, lui lançant un regard par-dessus son épaule qui ne laissait place à aucun doute. « Alors, tu viens ? »
Thomas, abasourdi, éberlué, mais irrésistiblement excité par ce renversement de situation et par le défi, la suivit. Il n'en revenait pas. Le piège qu'il avait redouté n'existait pas. À la place, se présentait à lui la chose même qu'il avait cru devoir arracher par la force ou l'argent : son consentement total, exigeant, et terriblement troublant.
Yasmine fit tourner son string autour de son doigt avant de le laisser tomber sur le sol. Elle se tenait devant Thomas, offerte et impérieuse, la lumière de la lampe dessinant des ombres dorées sur les courbes de son ventre et de ses hanches. Son regard ne suppliait pas ; il exigeait.
Elle se mit à genou face à lui, défit sa ceinture, dégrafa son jean d'un geste expert. Lorsqu'elle libéra son sexe déjà durci, un souffle rauque lui échappa. Elle l'enveloppa d'abord de sa main, mesurant son poids, sa chaleur, comme un artisan jauge son outil. Puis elle se pencha.
Sa langue, habile et précise, se contenta d'abord de dessiner des cercles sur le gland, de goûter le sel de sa peau, le faisant frémir. Elle prit son temps, contrôlant chaque frisson qui parcourait le corps de Thomas. Puis, elle l'engloutit.
Ce ne fut pas une simple fellation. Ce fut une prise de possession. Sa bouche était à la fois douce et vorace, alternant succions profondes et mouvements lents de va-et-vient qui le firent geindre. Elle plaça ses mains sur ses fesses, l'attirant plus loin encore au fond de sa gorge, et il sentit un vertige absolu l'envahir. Elle lui aspirait bien plus que son plaisir ; elle absorbait sa volonté, sa résistance, le réduisant à l'état de simple instrument de sa propre jouissance.
Quand l'explosion arriva, elle ne se déroba pas. Elle maintint son étreinte, avalant chaque pulsation, chaque goutte, jusqu'à ce qu'un dernier frisson le secoue. Alors seulement, elle se libéra, un mince filet blanc coulant de sa lèvre qu'elle essuya du revers de sa main sans rompre son regard intense.
Elle se leva, dominant son partenaire, essoufflé et vaincu.
« À ton tour, maintenant, » dit-elle en se laissant tomber sur le lit, les jambes entrouvertes.
« Fais-moi jouir. Je veux que tu m'envoies au septième ciel. N'y va pas avec douceur. Prends-moi comme je te veux. »
Thomas, encore étourdi par l'intensité de ce qui venait de se passer, la regarda s'allonger. Il y avait dans ses yeux à elle une lueur qui n'était pas seulement du désir, mais une soif de domination, de sensation pure. Elle ne voulait pas être aimée ; elle voulait être consommée.
Il se jeta sur elle, non pas comme un amant, mais comme un élève appliqué et un peu brutal suivant les ordres de son professeur. Sa bouque trouva son clitoris avec une urgence nouvelle. Il ne la lécha pas avec tendresse ; il la dévora, cherchant à lui arracher les mêmes gémissements de perte de contrôle qu'elle lui avait extorqués.
Yasmine arqua le dos, ses doigts s'enfonçant dans ses cheveux pour guider – ou pour contraindre – le rythme. « Plus vite, » haleta-t-elle. « Plus fort. » Elle se mit à bouger, frottant son sexe contre son visage avec une sauvagerie qui le surprit et l'excita davantage.
Quand les premiers spasmes la secouèrent, son cri ne fut pas étouffé. Il retentit dans la pièce, un son rauque et victorieux. Elle trembla de la tête aux pieds, son corps entier vibrant de la décharge.
Mais au lieu de se détendre, elle le repoussa, se retourna à quatre pattes, lui présentant ses fesses avec un défi muet. « Maintenant, prends-moi. Par-derrière. Et ne te retiens pas. »
Thomas n'eut pas besoin qu'on le lui dise deux fois. Il la pénétra d'un coup, et elle cria à nouveau, mais cette fois de plaisir et de plénitude. Il la saisit par les hanches, l'écartant, l'enfonçant sur lui à chaque poussée. La fessée qu'il lui administra résonna comme un coup de feu. Elle rugit son approbation.
Le lit cognait contre le mur au rythme de leurs corps qui se heurtaient. Il n'y avait plus de pensées, plus de calculs, seulement un tourbillon de sensations brutes. Yasmine, dans un dernier effort, atteignit entre ses jambes pour se stimuler à nouveau, et son deuxième orgasme, plus violent que le premier, la fit s'effondrer sur le lit, entraînant Thomas avec elle dans une dernière poussée frénétique.
Ils restèrent là, pantelants, couverts de sueur, le souffle rauque. Le silence retomba, lourd de l'intensité de ce qui venait de se passer.
Après un long moment, Yasmine se leva sans un mot. Elle passa à la douche, puis revint s'asseoir à son bureau, nue, la peau encore rouge et frémissante. Elle ouvrit son ordinateur portable et fixa l'écran où s'affichait la Conjecture de Collatz.
Et, alors que Thomas s'endormait, épuisé et confus, elle se mit à écrire. Les idées affluaient, claires, précises, débloquées par la violence et la catharsis de l'acte. Le plaisir charnel avait fait place à un plaisir intellectuel tout aussi intense. Elle avait utilisé Thomas, son corps, pour atteindre un état de grâce mentale.
L'expérience était un succès.
Chapitre 19.
Le téléphone de Yasmine vibra toute la nuit, illuminant sporadiquement la pièce sombre. Majda s'affichait obstinément sur l'écran. Yasmine l'avait ignoré, d'abord parce qu'elle était en pleins ébats charnels avec Thomas, puis absorbée par la finalisation frénétique de son papier, et bien sûr, ensuite, épuisée, elle s'était effondrée dans un sommeil profond et immédiat.
Au petit matin, elle se leva avec une lucidité chirurgicale, se glissant hors du lit sans réveiller Thomas. Les souvenirs de la nuit – la peau contre la sienne, la sueur, les cris étouffés – étaient traités comme des données, archivés dans une partie de son esprit qu'elle avait fermée. Sous la douche, l'eau fraîche lessiva les derniers résidus physiques de l'expérience. Elle s'habilla avec une rapidité mécanique : jean, baskets, pull-over.
Avant de partir, elle jeta un regard au lit où Thomas dormait, vulnerable et inconscient de son rôle d'instrument. Elle se pencha et déposa un baiser léger, presque clinique, sur son front.
« Bonjour Thomas. Merci pour hier. Je pars au labo. Tu peux claquer la porte derrière toi quand tu sors. »
Thomas ouvrit des yeux embués de sommeil, la regardant avec une incompréhension totale. Elle souriait, calme et distante, comme si la nuit intense qu'ils venaient de partager n'avait été qu'une formalité. Avant qu'il ne puisse articuler un mot, elle avait déjà tourné les talons.
Dans l'ascenseur, elle sortit enfin son téléphone. Vingt-trois appels manqués de Majda. Elle composa le numéro.
« Allô ? Yasmine ! Enfin ! Putain, j'ai cru que... » La voix de Majda était rauque d'inquiétude.
« Tout va bien, Majda. Tout va très bien, » l'interrompit Yasmine, sa voix étonnamment douce et apaisée. « Je te raconterai. Mais là, je suis pressée. »
« Il est... il est encore là ? » demanda Majda, hésitante.
« Oui. Mais plus pour très longtemps. » Le ton était si neutre, si définitif, que Majda comprit qu'il n'y avait ni drame ni passion. Quelque chose d'autre, d'indéchiffrable, s'était passé.
Quand Yasmine pénétra dans le bureau du Professeur Glowinski, elle était rayonnante. Non pas d'un bonheur conventionnel, mais de cette lumière intérieure que dégage une intelligence parfaitement alignée avec son objet.
« Professeur. » Elle lui tendit une clé USB. « Le papier pour le colloque. »
Glowinski brancha la clé et fit défiler le document sur son écran. Il lisait vite, son regard expert sautant des équations aux arguments, des lemmes aux conclusions. Son visage, d'abord neutre, se tendit, puis se détendit progressivement en une expression de profonde satisfaction.
Le silence dura plusieurs minutes. Yasmine attendait, debout, parfaitement calme.
Quand il releva enfin les yeux, son regard était plein d'une admiration non dissimulée. « Rien à dire. Rien à ajouter. C'est précis, concis, d'une clarté remarquable. La démonstration de la borne asymptotique pour les suites à croissance minimale est... élégante. Très élégante. » Il retira ses lunettes. « Vous êtes prête, Yasmine. Plus que prête. »
Un sourire, rare et véritable, effleura les lèvres de Yasmine. Ce n'était pas un sourire de triomphe, mais de pure congruence. Elle avait canalisé tout le chaos, toute l'énergie trouble de la nuit, dans la froide perfection de la logique.
« Je sais, » répondit-elle simplement.
Elle quitta son bureau et marcha d'un pas décidé vers son labo. Les couloirs du campus étaient encore presque vides. Dans sa tête, les nombres dansaient, non plus comme des images parasites, mais comme des partenaires dociles, prêts à former la séquence parfaite.
Personne ne comprenait l'état de Yasmine ces jours-ci. Et elle n'avait besoin que de ça.
Chapitre 20.
Un autre samedi matin, la lumière crue inondant son studio trop propre, Yasmine composa le numéro de Majda. Au bout de plusieurs sonneries, une voix rauque, éraillée, presque inaudible, répondit.
« Allô... ? »
« Majda ? C'est moi. Tu as une voix bizarre. Tu es malade ? »
Un silence, puis un chuchotement, comme si Majda parlait la tête enfouie sous un oreiller pour ne réveiller personne. « Non... juste... fatiguée. »
Yasmine, intriguée, insista. « 'Fatiguée' ? On dirait que tu as avalé un paquet de clopes et crié toute la nuit. Qu'est-ce qui se passe ? »
Un nouveau silence, plus long. Puis Majda, dans un souffle, avoua. « Je suis à l'Hôtel-Dieu. L'InterContinental. J'ai... passé la nuit ici. »
« Toute seule ? » taquina Yasmine, devinant déjà la réponse.
« Non... » Le chuchotement de Majda se fit encore plus confidentiel, teinté d'une fatigue et d'une excitation rétrospectives. « Avec un Émirati. Hamed Bin Quelque Chose. Très, très riche. Et... infatigable. » Elle marqua une pause, comme pour reprendre son souffle. « Il m'a baisée toute la nuit, Yas. Dans tous les sens, dans toutes les positions. Je me sens comme si un tracteur m'était passé dessus. Je peux à peine bouger. »
Yasmine éclata de rire, un rire franc et libérateur qui résonna dans son studio silencieux. L'image de Majda, complètement « démontée » comme elle disait, dans un palace, était trop irrésistible.
« Eh bien ! Voilà qui tombe à pic ! » s'exclama Yasmine, essuyant une larme. « J'allais justement t'appeler pour te proposer un week-end de dévergondage pour décompresser après mon colloque ! On dirait que tu as pris les devants ! »
« Un week-end... ? » murmura Majda, avec un mélange d'effroi et d'intérêt. « Yasmine, je ne tiendrai jamais. Je suis en miettes. »
C'est à ce moment qu'une troisième voix, masculine, grave et posée, prit le relai sur le téléphone. Hamed avait dû s'emparer de l'appareil.
« Bonjour, Yasmine. Majda m'a beaucoup parlé de vous. » Sa voix était calme, empreinte d'une autorité naturelle. « Votre amie est effectuellement... quelque peu indisposée. Mais votre idée de week-end me séduit. »
Yasmine, surprise mais amusée, écouta.
« Je propose que vous nous rejoigniez, » continua Hamed. « À mes frais, bien entendu. Cette suite est assez vaste pour nous tous. Cela me ferait grand plaisir d'accueillir dans mon lit, en même temps, une étudiante marocaine aussi enjouée... et une chercheuse algérienne aussi brillante. Ce serait une expérience des plus... culturellement enrichissantes. »
Le sous-entendu était on ne peut plus clair. Yasmine sentit une pointe d'excitation mêlée à sa curiosité scientifique habituelle. C'était une nouvelle variable, inattendue. Une nouvelle expérience.
Un sourire joua sur ses lèvres. « Monsieur Bin Kasban, votre proposition est... audacieuse. Laissez-moi réfléchir à cela. Prenez soin de Majda en attendant. »
Elle raccrocha, le cœur léger. Son monde, autrefois limité aux équations et à la culpabilité, s'ouvrait à des possibilités infinies, et étrangement, cela nourrissait son esprit plus que toute nuit blanche de travail. Elle regarda par la fenêtre, vers la mer. Le week-end s'annonçait décidément bien moins solitaire que prévu.
Yasmine pénétra dans le hall majestueux de l'InterContinental, feeling both a flicker of apprehension and a thrill of anticipation. Le dîner qui l'attendait était un monde away from the sterile canteen at Luminy. Dans la salle privée aux lustres étincelants, la table était couverte de mets rares et de cristaux précieux. Cheikh Hamed, imposant et souriant, les accueillit avec une courtoisie teintée de possession déjà palpable.
Pendant le repas, ses mains, ornées de lourdes bagues, ne restèrent jamais immobiles. Sous la nappe brodée, elles trouvèrent le chemin des cuisses de Majda puis de Yasmine, caressant leurs entrejambes avec une audace que dissimulait à peine son sourire de connaisseur. Les filles échangèrent un regard amusé ; au lieu de se braquer, elles jouèrent le jeu, répondant par de légers pressions de cuisses et des sourires énigmatiques. Yasmine, surtout, observait la scène avec la curiosité détachée d'une anthropologue étudiant un rituel étrange, même si une chaleur coupable montait en elle.
Après le dessert, ils se rendirent à la piscine privée, baignée d'une lumière dorée. Majda et Yasmine, en deux-pièces qui soulignaient sans complexe leurs formes généreuses, attirèrent les regards appréciateurs et sans fard de Hamed. « Deux perles rares, » commenta-t-il, la voix grave, tandis que sa main se posait un instant sur la hanche nue de Yasmine, puis sur la taille de Majda, les possessant visuellement et physiquement. Les filles ricanaient, excitées malgré elles par son impudeur assumée.
Puis, il les guida vers l'ascenseur privé. « La suite vous attend. Je pense que nous y serons... plus à l'aise. »
Les portes de la suite royale se refermèrent dans un silence feutré. L'espace était immense, dominé par un lit monumental face à des baies vitrées ouvrant sur un balcon et la mer Méditerranée nocturne.
« Enfin seules, » dit Hamed avec un sourire qui n'était pas sans rappeler celui d'un chat devant un bol de crème.
Il posa sa coupe et, sans préambule, attira Majda contre lui, lui plantant un baiser profond et possessif. Sa main, large et ferme, se posa sur la courbe de la hanche de Yasmine, l'attirant à son tour dans une étreinte groupée. Yasmine se laissa faire, observant la scène avec une curiosité clinique teintée d'une excitation grandissante. Le contraste entre le luxe froid de la suite et la chaleur des corps était enivrant.
Hamed, sans attendre, débarrassa Majda de son paréo et l'attira contre lui pour un baiser profond, tout en tendant la main vers Yasmine pour l'inviter à les rejoindre. Le trio bascula sur le lit dans un enchevêtrement de rires et de souffles courts.
Après avoir exploré leurs corps avec une bouche et des mains expertes, laissant Majda haletante et archée sur les draps de soie, Hamed se tourna vers Yasmine, ses yeux sombres brillant d'un désir non dissimulé.
« Et toi, la célèbre chercheuse... On dit que ton esprit est aussi affûté que ton corps est magnifique. » Sa main glissa le long de son dos, s'attardant sur la naissance de ses fesses, pressant légèrement pour l'encourager à se cambrer contre lui. « J'ai hâte de voir lequel des deux est le plus... performant. »
Il l'embrassa à son tour, avec une autorité qui ne laissait pas de place au doute. Son autre main retrouva Majda, se glissant sous son chemisier pour lui pétrir un sein à travers le satin de son soutien-gorge.
Yasmine, un peu étourdie par le champagne et l'audace du geste, répondit au baiser, mordillant la lèvre inférieure de Hamed avec une hardiesse qui le surprit agréablement. Il grogna, low and appreciative.
« Je vois que l'intellectuelle a du feu sous la cendre, » murmura-t-il contre sa bouche.
Il les entraîna vers le canapé, les faisant tomber avec lui dans un enchevêtrement de jambes et de rires étouffés. Il se concentra un instant sur Majda, déboutonnant son chemisier avec une dextérité qui trahissait l'habitude, libérant ses seins qu'il prit dans sa bouche avec voracité, faisant gémir la jeune femme. Puis, sans se départir de sa proie, il regarda Yasmine.
« Et toi... montre-moi comment une algérienne intelligente prend son plaisir. »
Le défi était lancé. Yasmine, le sang battant à ses tempes, n'eut pas besoin qu'on le lui répète. Elle se mit à genoux sur le canapé, devant lui, et entreprit de défaire sa ceinture, puis sa braguette. Elle libéra son sexe déjà dur, impressionnant, et le prit dans sa main, le caressant avec une assurance qui le fit frémir.
Hamed, les yeux rivés sur Yasmine qui le suçait avec une application méthodique et intense, grogna de plus belle. Il attrapa Majda par les hanches et la positionna pour la pénétrer, tout en maintenant son regard sur Yasmine.
Pendant ce temps, ses doigts retrouvèrent l'entrejambe de Majda, trempé, et commencèrent un va-et-vient expert, synchronisé avec les mouvements de sa bouche sur Hamed. Majda, prise entre les deux, se mit à haleter, ses mains agrippant les coussins, perdue dans un tourbillon de sensations.
Yasmine, le sang battant à ses tempes, l'enjamba, s'installant à califourchon sur lui. Elle guidait son sexe dur et impatient vers son entrée, déjà trempée d'anticipation. Elle s'enfonça sur lui d'un mouvement lent et délibéré, les yeux dans les yeux, un petit sourire de défi aux lèvres.
Puis elle commença à bouger. D'abord avec lenteur, cherchant le bon angle, le rythme parfait, comme elle cherchait la solution à une équation. Mais rapidement, la logique céda la place à une passion purement charnelle. Ses hanches trouvèrent leur propre tempo, s'élevant et retombant avec une vigueur croissante, ses muscles cuisant à l'effort. Ses seins rebondissaient à chaque impulsion, et elle laissa échapper des gémissements rauques, abandonnant tout contrôle.
Hamed, subjugué, la regardait faire, ses mains agrippant ses hanches pour l'aider à amplifier les mouvements, l'encourageant de paroles graveleuses et excitantes. « Oui... comme ça... Prends ton plaisir, ma lionne... »
Le spectacle de Yasmine, si froide et intellectuelle en apparence, devenue une cavalière sauvage et sensuelle, le consumait. Majda, à côté d'eux, se caressait en les regardant, perdue dans son propre vertige.
Yasmine sentit la tension monter en elle, irrésistible, foudroyante. Elle se cambra, crispa les doigts sur le torse de Hamed, et s'abandonna à un orgasme violent qui la fit crier, son corps secoué de spasmes.
Sentant sa propre fin approcher, Hamed la retourna soudainement, la maintenant fermement sous lui. « Non, » grogna-t-il, haletant. « Je veux te voir quand je jouis. »
Il reprit le contrôle, la pénétrant avec une force nouvelle, chaque poussée plus profonde, plus urgente. Yasmine, les yeux dans les siens, l'encourageait de ses gémissements, ses jambes enserrant ses reins.
Quand il explosa en elle, ce fut avec un grognement animal. Il la regarda intensément, comme pour graver ce moment dans sa mémoire, tandis que des flots de sperme chaud la remplissaient. Il s'effondra sur elle, essoufflé, couvert de sueur.
Dans le silence qui suivit, seulement brisé par leur respiration haletante, Yasmine ferma les yeux. Loin des laboratoires et des conjectures, elle venait de trouver, une fois de plus, une réponse très physique à une question qu'elle ne s'était peut-être même pas posée.
La suite ne fut plus qu'un mélange de souffles courts, de gémissements, de claquements de chairs et du rythme sourd des corps qui se cherchaient, se trouvaient, et s'oubliaient dans le luxe anonyme de la chambre d'hôtel. Sous les lustres étincelants, loin des équations et des conjectures, Yasmine explorait une autre forme de chaos, bien plus primal, et trouvait, pour un temps, une autre manière de se sentir vivante.
Chapitre 21.
Le laboratoire de Luminy bourdonnait de son activité habituelle, un mélange de clics de souris, de murmures concentrés et du grésillement des serveurs. Yasmine, penchée sur un écran où défilaient des lignes de code, était dans sa bulle, un territoire mental où seules les variables et les conjectures avaient droit de cité.
Fabrice, un collègue, passa la tête par la porte entrouverte. « Yasmine ? Y a un type qui te demande à l'accueil. »
Elle ne leva même pas les yeux. « Prends son nom et dis-lui de m'envoyer un mail. »
« Il dit qu'il s'appelle Kamal. Et il insiste lourdement. Il dit... qu'il est ton fiancé. »
Le stylo de Yasmine s'immobilisa au-dessus de son cahier. Elle leva un visage déconcerté. « Mon quoi ? Je n'ai pas de fiancé. » Les mots étaient sortis, nets et définitifs, avant même que son esprit n'ait fait le lien.
Puis, la syllabe fit son chemin dans son cerveau, tel un algorithme buggé qui trouve soudain la source de l'erreur.
Kamal.
Son sang ne fit qu'un tour. Elle se leva si brusquement que sa chaise faillit basculer en arrière. « Où est-il ? »
« Devant l'ascenseur, je... »
Elle était déjà sortie de son bureau, traversant le couloir d'un pas précipité. Et elle le vit.
Debout près des ascenseurs, semblant perdu et complètement déplacé dans son jean et sa chemise repassée de frais, Kamal. Il arborait une expression mêlant détermination, colère rentrée et une pointe d'appréhension. Leurs regards se croisèrent.
Le temps parut se suspendre. Le bruit du labo s'éteignit. Yasmine sentit un vertige la saisir, un mélange de panique pure et d'incrédulité. Qu'est-ce qu'il fait là ? Comment a-t-il...
« Yasmine, » lança-t-il, sa voix plus grave que dans ses souvenirs, chargée d'une émotion qu'elle ne lui connaissait pas.
La panique l'emporta. Son passé, celui qu'elle avait si soigneusement verrouillé et enfoui sous des mois de travail acharné, faisait irruption dans son sanctuaire, menaçant de tout faire imploser.
« Qu'est-ce que tu fais ici ? » demanda-t-elle, la voix étranglée, bien plus aiguë que voulu. Elle jeta un regard nerveux autour d'elle, priant pour qu'aucun de ses collègues, et surtout pas le Professeur Glowinski, ne soit témoin de la scène.
« On ne rompt pas comme ça, Yasmine ! » rétorqua Kamal, ignorant complètement son environnement, les yeux rivés sur elle. « Par téléphone ? Sans explication ? Tu crois que c'est fini comme ça ? J'ai des droits ! J'ai notre honneur à... »
« Tais-toi ! » lui coupa-t-elle sèchement, baissant la voix au maximum. La mention de l'honneur lui fit l'effet d'une gifle. Elle l'attrapa par le bras, ses doigts se refermant comme un étau sur sa manche. « Pas ici. Suis-moi. »
Elle le traîna, plus qu'elle ne le guida, loin des bureaux, vers une petite salle de repos vide, jonchée de tasses sales et sentant le café brûlé. Elle claqua la porte derrière eux.
« Maintenant, parle. Mais parle bas. Et explique-moi quel délire t'a pris de débarquer ici comme ça, sans prévenir ! » croisa-t-elle les bras, tentant de masquer son tremblement intérieur par une posture froide et furieuse.
Kamal la dévisagea, son regard parcourant son jean, son t-shirt, ses cheveux tirés en arrière. « Tu as changé, » murmura-t-il, comme une constatation douloureuse.
« Bien sûr que j'ai changé ! » siffla-t-elle. « C'était le but ! Je vis, Kamal ! Je ne suis plus la petite fille d'Alger qui attendait son prince ! »
« Ton prince ? » répéta-t-il, amère. « C'est comme ça que tu me vois ? Le prince ennuyeux qui te retenait ? Pendant que tu fais quoi, ici ? Tu te perds ? » Son regard était accusateur, cherchant des coupables invisibles sur elle.
Yasmine sentit une colère noire monter en elle, balayant la panique. « Je ne me perds pas, Kamal. Je me trouve. Je fais des choses importantes. Des choses que tu ne peux même pas imaginer. »
« Important ? Important de trahir tes promesses ? D'oublier ta famille ? Ton... »
« MAIS IL N'Y A PLUS RIEN À HONORER ! » cria-t-elle, avant de se reprendre, baissant à nouveau le ton, frémissante. « L'honneur, c'est un poids que vous m'avez mis sur le dos. Je m'en suis libérée. Je suis désolée si ça te blesse, mais c'est comme ça. »
Kamal la regarda, son masque de colère se fissurant pour laisser place à une immense tristesse. « Je ne te reconnais plus, Yasmine. »
Un silence lourd tomba entre eux. Yasmine sentit son cœur se serrer. Ce n'était plus le garçon qu'elle avait aimé. C'était un étranger portant son visage, venu lui rappeler un fantôme qu'elle avait fui.
« Il faut que tu partes, Kamal, » dit-elle finalement, d'une voix épuisée. « Retourne à Alger. Il n'y a plus rien pour toi ici. »
Il secoua la tête, lentement. « Non. Pas avant d'avoir compris. Pas avant que tu me regardes vraiment et que tu m'expliques. »
Il posait un ultimatum. Non pas avec colère, mais avec une détermination désespérée. Yasmine comprit que la situation était bien pire qu'elle ne l'avait imaginé. Son passé n'était pas venu faire une simple apparition. Il était venu pour se battre.
Chapitre 22.
La veille, Yasmine avait préparé son plan avec la précision froide d'une démonstration mathématique. Chaque variable était contrôlée, chaque paramètre ajusté pour obtenir le résultat souhaité : la destruction définitive de l'image que Kamal se faisait d'elle.
Elle composa son numéro, sachant qu'il était tôt à Alger. Sa voix était étrangement calme, presque douce, un piège parfait.
« Kamal. »
Un silence, puis une voix qu'elle avait presque oubliée, chargée d'émotion. « Yasmine ? Ya rouhi... Enfin ! »
« Écoute, Kamal. Tu as raison. On ne peut pas en rester là. On doit se parler. Vraiment. » Elle jouait parfaitement la comédie de la regretante, de celle qui ouvre une dernière porte. « Viens demain. Chez moi. 19 heures. » Elle lui donna l'adresse de son studio près de Luminy.
« Vraiment ? Tu... tu es sûre ? » L'espoir dans sa voix était presque douloureux à entendre.
« Oui. Mais sois à l'heure. J'ai... beaucoup de travail après. » Une pointe de froideur calculée, pour ne pas en faire trop.
Raccrocher. Prendre une profonde inspiration. Puis, composer le deuxième numéro, celui de Thomas.
« Thomas. J'ai besoin de toi demain. 18h30. Sois précis. » Pas de salutation, pas de préambule.
« Directe comme toujours, » répondit-il, amusé et intrigué. « Qu'est-ce que tu mijotes, la chercheuse ? »
« Tu verras. Présente-toi à l'heure. Et fais exactement ce que je te dirai. »
Le lendemain, à 18h30 pile, Thomas sonna. Elle ouvrit, vêtue seulement d'un peignoir de soie noire qui lui caressait les cuisses. Sans un mot, elle l'attira à l'intérieur et referma la porte... sans la verrouiller.
« Maintenant, » dit-elle en défaisant la ceinture de son peignoir, laissant le tissu glisser au sol, « tu vas me baiser. Et pas comme une amante. Comme une pute. Comme celles qui aiment se faire défoncer. Compris ? »
Thomas, surpris puis excité par le ton et le défi, eut un sourire carnassier. « Ça, c'est une demande qui sort de l'ordinaire. »
Il la poussa contre le mur du couloir, sa bouche cherchant la sienne avec une brutalité qu'elle accueillit sans reculer. Ses mains agrippèrent ses fesses, les soulevant, et il entra en elle d'un coup sec, sans préparation, la faisant crier – un mélange de douleur et de victoire. Il la prit debout, avec une violence méthodique, ses mains lui meurtrissant les hanches, ses grognements sourds résonnant dans l'entrée. Yasmine, le visage pressé contre le mur froid, gémissait, non pas de plaisir, mais d'une exaltation sombre. Son corps était un outil, une arme.
Quand il l'eut fait jouir une première fois, brutalement, presque malgré elle, elle se retourna, haletante. « Non. Pas fini. Dans le salon. Par terre. »
Elle s'allongea sur le tapis, les jambes écartées. « Reprends-moi. »
Thomas, excité par son audace et son apparente insatiabilité, s'exécuta. Il la couvrit, la pénétrant à nouveau, son poids l'écrasant contre le sol. Yasmine fermait les yeux, se concentrant non sur la sensation, mais sur l'objectif. Elle guettait le bruit de la sonnette.
Quand elle retentit, précisément à 19h00, elle ouvrit les yeux. Ils brillaient d'une lueur triomphale et dangereuse.
« Stop, » murmura-t-elle. Thomas s'immobilisa, surpris. « Non. Continue. Mais différemment. »
Elle le repoussa, se mit à quatre pattes, lui présentant son postérieur. « Là. Et fort. »
Thomas, de plus en plus surpris mais trop excité pour questionner, la pénétra par-derrière avec un grognement. Au moment où la sonnette retentit à nouveau, plus insistante, Yasmine cria, assez fort pour être entendue de l'autre côté de la porte : « Entre ! C'est ouvert ! »
La porte s'ouvrit.
Kamal se figea sur le seuil, son visage passant en une seconde de l'expectative à l'incrédulité, puis à l'horreur absolue.
Le spectacle qui s'offrait à lui était calculé pour être une torture. Yasmine, à quatre pattes sur le tapis, totalement nue, la peau luisante de sueur. Derrière elle, un homme – Thomas –, également nu, les muscles tendus, lui administrait des coups de boutoir violents et réguliers. Le bruit de leur accouplement, gras et primal, emplissait la pièce.
Mais le pire, ce qui transperça Kamal comme une lame, fut le visage de Yasmine. Elle avait tourné la tête vers lui. Ses yeux n'exprimaient ni honte ni surprise, mais un défi glacial. Ses seins se balançaient au rythme des thrusts de Thomas, dans un ballet obscène et parfaitement synchronisé. Elle le regardait, droit dans les yeux, tandis qu'un autre homme la prenait avec une sauvagerie qui lui soulevait le cœur.
« Yasmine... » réussit-il à bredouiller, le visage décomposé, le son à peine audible.
Thomas, lui, avait sursauté et s'était arrêté net, paniqué à l'idée d'être surpris. « Putain, Yasmine... » commença-t-il, tentant de se retirer.
Mais Yasmine serra les muscles intimes autour de lui, l'emprisonnant. « Non, » ordonna-t-elle, la voix étranglée mais ferme, sans quitter Kamal des yeux. « Continue. Plus vite. Plus profond. »
Stupéfait, excité malgré lui par l'audace folle de la situation, Thomas obéit. Il reprit son mouvement, s'enfonçant en elle avec une vigueur renouvelée, les yeux rivés sur l'intrus pétrifié.
Kamal était devenu d'une pâleur cadavérique. Il tremblait de tous ses membres. Il voyait le corps qu'il avait idéalisé, sanctifié, offert à un autre dans la plus crue des soumissions. L'« honneur » dont il était venu parler n'était plus qu'une notion absurde, souillée à jamais sur le tapis de ce studio marseillais.
« Voilà, Kamal, » dit Yasmine, sa voix stable malgré les secousses que Thomas lui imprimait. « Voilà pourquoi je ne veux plus de toi. Voilà ce que je suis devenue. Je ne porterai plus jamais le fardeau de ton honneur. Maintenant, tu peux retourner chez toi. »
Chaque mot était un coup de poignard. Kamal vacilla. Il porta une main à sa bouche, comme pour étouffer un cri ou un vomissement. Son monde s'écroulait non pas en silence, mais dans le bruit obscène de la chair contre chair et des gémissments de Thomas.
Sans ajouter un mot, incapable de formuler la moindre pensée cohérente, il recula, trébuchant presque dans le couloir. La porte se referma lentement derrière lui, ne laissant plus filtrer que le son étouffé de leur étreute.
À l'intérieur, Thomas, complètement perdu entre l'excitation, la confusion et l'adrénaline, atteignit son orgasme dans un grognement rauque. Yasmine s'effondra sur le tapis, le corps tremblant de partout, non pas de plaisir, mais de l'intense décharge nerveuse.
Le silence retomba. L'expérience était terminée. La variable « Kamal » venait d'être définitivement éliminée de son équation. Elle se releva, regarda Thomas qui la fixait, encore essoufflé.
Thomas resta un moment silencieux, le souffle encore court, le corps couvert d'une fine pellicule de sueur qui commençait à refroidir. Il regarda Yasmine qui s'habillait avec une froide efficacité, comme si la scène obscène qui venait de se jouer n'était qu'une formalité administrative.
« Attends... attends une seconde, » commença-t-il, se redressant et attrapant son jean. « J'ai rien compris, là. C'était quoi ce... ce spectacle ? C'était qui ce type ? »
Yasmine se retourna, son visage était un masque de tranquillité déconcertante. « Kamal. »
« Ok, Kamal. Et pourquoi tu lui as fait subir... ça ? » demanda Thomas, un mélange de confusion et de fascination dans la voix. « C'était un putain de coup tordu, même pour toi. »
Un sourire amer et sans chaleur étira les lèvres de Yasmine. « Tu ne sais vraiment pas pourquoi ? Vraiment ? » Sa voix se durcit soudain, perdant son calme feint. « C'est à cause de toi, connard ! »
Thomas recula d'un pas, surpris par la virulence soudaine.
« Kamal était mon fiancé, » cracha-t-elle, les mots fusant comme des projectiles. « On s'aimait. C'était simple, c'était propre. C'était mon avenir. Et toi... toi, tu as tout gâché. Tu t'es pointé avec ton arrogance et ton fric, et tu m'as déflorée comme on jette un os à un chien. »
Elle se rapprocha de lui, le doigt pointé. « Je ne pouvais plus lui offrir ce qu'il attendait. Je ne pouvais pas le regarder en face le jour de nos noces en sachant que tu m'avais eue avant lui, comme une putain que tu payes. Alors j'ai rompu. Pour lui épargner la honte. »
« Mais il n'a pas voulu lâcher l'affaire, » continua-t-elle, le regard brillant d'une colère froide. « Il est venu ici pour des explications, pour me ramener à la raison. Alors je les lui ai données. Les explications les plus claires possible. De visu. »
Elle fit un geste circulaire, indiquant la pièce encore imprégnée de leur étreute. « Oui, c'est cruel. C'est immonde. Mais au moins, comme ça, il n'aura plus aucun doute. Plus aucun espoir. Il pourra m'effacer de sa mémoire et refaire sa vie avec une femme qui correspond à ses critères d'honneur. »
Thomas la dévisagea, abasourdi. Pour la première fois, il voyait la machinerie complexe et froide qui se cachait derrière le génie mathématique et la beauté de Yasmine. Elle avait utilisé son corps, et le sien, comme des variables dans une équation visant à briser définitivement un homme.
« Putain, Yasmine, » murmura-t-il, sans colère, mais avec une forme de respect mêlé d'effroi. « T'es... t'es complètement malade. »
« Non, » rectifia-t-elle en se retournant pour prendre son sac. « Je suis pragmatique. Maintenant, la porte est là. Tu peux partir maintenant, » dit-elle simplement, en ramassant son peignoir. Elle était déjà ailleurs, son esprit tourné vers la seule chose qui importait vraiment : ses recherches. La page était tournée.
Thomas resta un instant immobile, regardant cette femme qui venait de le utiliser une fois de plus, avant de hocher lentement la tête et de sortir sans ajouter un mot. La porte se referma sur le silence lourd de l'appartement, laissant Yasmine seule avec sa victoire amère et sa liberté définitive, mais aussi avec le vide glacial de la méthode qu'elle avait choisie.
Epilogue
Pendant trois ans, Yasmine mena une double vie d'une précision diabolique. Son appartement près de Luminy devint le laboratoire secret où se jouaient deux types d'expériences : celles, lumineuses et pures, des mathématiques supérieures, et celles, sombres et charnelles, qui lui servaient de carburant.
Face à un blocage, un théorème récalcitrant qui refusait de se dévoiler, elle n'hésitait plus. Elle passait un coup de fil. Parfois à Thomas, devenu son instrument de prédilection, qu'elle sonnait comme un room service pour assouvir une faim très spécifique. Parfois à Majda, qui lui envoyait l'un de ses amants fortunés, un banquier qatari ou un industriel allemand, flatté de partager la couche d'une future étoile des mathématiques. L'argent ne l'intéressait pas ; elle refusait même les cadeaux trop ostentatoires. Ce qu'elle voulait, c'était la violence contrôlée du désir, la montée d'adrénaline de la soumission ou de la domination, le reset neuronal provoqué par un orgasme intense et souvent brutal.
Et ça fonctionnait. Toujours. Elle revenait à son tableau blanc, le corps vidé, l'esprit étrangement clarifié, et les barrières sautaient. La Conjecture de Collatz, ce monstre qui avait résisté aux plus grands, plia progressivement sous la force de son intellect, aiguisé par ce régime de choc sensuel.
Le jour de sa soutenance, elle fut d'une clarté et d'une maîtrise époustouflantes. Le jury, subjugué, ne put que s'incliner. « Très Honorable avec les Félicitations du Jury » fut prononcé dans une standing ovation. Le Professeur Glowinski avait les larmes aux yeux, aussi fier que s'il s'agissait de sa propre fille. Il l'étreignit, murmurant : « Je n'ai jamais vu une intuition aussi fulgurante. C'est comme si vous aviez accès à une source secrète. » Il ne saurait jamais à quel point il avait raison.
Un an plus tard, la consécration suprême : la Médaille Fields. La démonstration complète de la conjecture de Collatz avait été vérifiée, disséquée et validée par la communauté mathématique mondiale. Yasmine Bensaïd entrait dans l'histoire.
De l'autre côté de la Méditerranée, ses parents jubilaient, fiers de leur fille, sans jamais comprendre les raisons du silence définitif de Kamal. Ce dernier, lui, avait reconstruit sa vie, épousant une cousine éloignée. Il ne parla jamais de Marseille. La scène traumatisante était enfouie au plus profond de lui, un cauchemar dont il ne se réveillait plus.
Majda décrocha son propre diplôme en biologie. Elle partagea sa vie entre un poste sérieux dans un laboratoire d'analyses médicales et ses activités lucratives plus clandestines, qu'elle menait avec une discrétion de mieux en mieux rodée. Parfois, pour un client très spécial, très riche et très discret, elle proposait à Yasmine de « partager la couche ». Devenue professeure et lauréate de la Fields, Yasmine refusait souvent. Mais parfois, quand le stress de la notoriété ou l'ennui des cocktails universitaires devenait trop pesant, elle acceptait. Pour le frisson. Pour le reset. Toujours avec une discrétion absolue.
Thomas, lui, avait tenté de la recontacter après sa soutenance, peut-être par attachement, peut-être par ego. La réponse de Yasmine avait été cinglante et définitive, délivrée au téléphone avec cette froideur qui le glaçait : « Je ne veux plus te voir. Tu as abusé de moi une nuit, j'ai abusé de toi many others. Nous sommes quittes. » Elle avait raccroché. Elle l'avait rayé de sa carte mentale comme on barre une variable devenue inutile.
Yasmine avait gagné. Elle avait dompté les nombres, dompté son désir, dompté son destin. Elle marchait dans la lumière, auréolée de gloire, son secret bien gardé comme la clé ultime d'une équation dont elle était la seule à posséder toutes les variables.
FIN
Yasmine prit une profonde inspiration, sentant l'air salin de Marseille se mêler aux effluves de café provenant du trottoir. Loin des bruyantes rues d'Alger, loin du cocon familial, elle était ici pour conquérir son rêve : décrocher ce Master MPCI (Mathématiques, Physique, Chimie, Informatique) à l'université d'Aix-Marseille.
Mais les rêves ont un coût. Le sien s'appelait un studio de 15m² dans le 3ᵉ arrondissement, aux murs blanchis à la chaux et une vue sur... un autre mur. Et pour le payer, ainsi que ses livres et ses modestes repas, les bourses ne suffiraient pas.
C'est ainsi que chaque matin, après des cours exigeants qui mettaient son brilliant esprit scientifique à l'épreuve, Yasmine enfilait un uniforme de serveuse dans un café bruyant du Vieux-Port. Ses mains, qui manipulaient avec agilité des équations différentielles le matin, portaient désormais des plateaux chargés de cafés et de croissants l'après-midi.
Ses collègues et les clients la surnommaient « la belle brunette aux yeux doux ». Ils ne voyaient souvent que cela : une jeune femme d'une beauté frappante, aux longs cheveux brun chocolat et à regard perçant et doux, pareil à celui d'une biche. Ses yeux noisette, derrière lesquels fourmillaient pourtant les lois de la thermodynamique et les mystères de l'algèbre linéaire, intriguaient et attiraient.
Mais Yasmine fuyait les compliments. Elle souriait poliment, essuyant le comptoir d'un geste vif, son esprit déjà parti sur les problèmes de mathématiques qu'elle devrait résoudre le soir, après sa shift, épuisée mais déterminée.
Elle menait une double vie : étudiante promise à un brillant avenir le jour, serveuse dévouée le soir. Une vie de sacrifices, où chaque goutte de sueur versée sur un plateau était une goutte d'eau vers l'océan de son indépendance.
Et elle savait que le plus grand défi n'était pas dans les équations, mais dans cet équilibre précaire qu'elle devait trouver entre les études et le travail, entre la fatigue et la ténacité, entre son pays d'origine et sa nouvelle vie en France.
C'était le prix de sa liberté, et elle était prête à le payer.
Chapitre 2.
Les semaines s'écoulaient, aussi harassantes que monotones. Les fins de mois devenaient un casse-tête angoissant, un problème bien plus complexe que ceux posés par ses professeurs. Le loyer de son micro-studio était une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête. Malgré les shifts prolongés au café et un nouveau job le week-end pour emballer des courses dans un supermarché, Yasmine voyait son compte bancaire fondre comme neige au soleil. Les cernes sous ses magnifiques yeux noisette s'accentuaient, trahissant une fatigue qui n'était plus seulement physique, mais aussi mentale.
Un soir, alors qu'elle triait machinalement des pièces pour compter sa maigre paye du mois, une larme de frustration coula le long de sa joue. Elle avait peur. Peur de devoir abandonner son master, peur de se retrouver à la rue, loin de sa famille.
C'est à ce moment précis que son téléphone vibra. C'était Majda, une étudiante marocaine croisée à la fac. Majda était tout ce que Yasmine n'était pas : décontractée, toujours impeccablement maquillée et habillée avec une élégance sexy qui attirait tous les regards. Elle semblait naviguer dans la vie étudiante avec une facilité déconcertante, sans jamais parler de problèmes d'argent.
« Salut Yas ! Tu fais la tête ? T'as l'air à bout sur ta photo de profil », lança Majda d'une voix enjouée.
Yasmine, vaincue par l'épuisement et l'isolement, laissa éclater sa détresse. Elle parla de ses dettes, de la peur de perdre son logement, de l'impossibilité de joindre les deux bouts.
Il y eut un silence à l'autre bout du fil. Puis la voix de Majda, devenue soudain plus sérieuse et chaleureuse, répondit : « Écoute, c'est une période de merde, mais ça va passer. Surtout, arrête de te prendre la tête toute seule. En fait, c'est un signe que tu m'appelles. »
Majda lui expliqua alors qu'elle vivait dans un T2 spacieux près de la fac, mais que sa colocataire venait de partir précipitamment. « Le loyer est trop lourd pour moi toute seule, et je déteste vivre dans un appartement vide. Tu débarques avec tes cartons, on partage le loyer et les charges, et tu souffles un peu. Qu'est-ce que t'en dis ? »
Yasmine restait sans voix. C'était une bouée de sauvetage inespérée.
« Mais... Majda, je... je ne pourrai jamais te payer la moitié d'un loyer comme le tien tout de suite », balbutia-t-elle, honteuse.
« On s'arrangera ! » coupa Majda avec un ton qui n'admettait pas de réplique. « Tu paieras ce que tu peux au début, et tu me rattraperas plus tard. L'important, c'est que tu t'en sortes et que tu puisses te concentrer sur tes études. Allez, c'est dit ! Prépare tes affaires, je passe te chercher demain. »
Raccompagnée chez elle par Majda le lendemain, Yasmine découvrit l'appartement. Ce n'était pas un studio minuscule, mais un vrai chez-soi, avec un salon, une cuisine séparée et deux chambres. La chambre qui l'attendait était simple, mais immense comparée à son ancien cagibi. Pour la première fois depuis des mois, elle sentit le poids de l'angoisse se dissiper un peu.
Alors qu'elle posait sa valise, Majda lui tendit un thé à la menthe fumant, dans un verre décoré.
« Bienvenue chez toi, Yas », dit-elle avec un large sourire. « Ici, on survit ensemble. Et on va même s'amuser, tu verras. »
Yasmine la regarda, ses yeux de biche embués de gratitude. Elle ne savait pas encore ce que lui réservait cette nouvelle vie en colocation, ni les mystères que cachait la vie apparemment facile de Majda, mais pour la première fois, elle ne se sentait plus seule. Elle avait trouvé un havre, et peut-être une amie.
Chapitre 3.
Et c'est ainsi que Yasmine comprit le secret de l'insouciance financière de Majda.
Au début, elle avait accepté l'explication vague de "bons petits boulots" et de "soutien familial". Mais les indices s'accumulaient, trop évidents pour être ignorés. Les appels téléphoniques tardifs, chuchotés dans un français hésitant, où Majda fixait des rendez-vous en donnant une adresse différente de la leur. Les billets de banque qu'elle sortait de son sac en vrac, bien plus que ce qu'un job d'étudiante ne pourrait jamais rapporter. Et ces allers-retours le soir, vêtue de tenues qui n'avaient rien à voir avec les cours à la fac – des robes courtes, des talons hauts, un maquillage appuyé qui accentuait son côté sexy et vulnérable à la fois.
Un soir, Majda rentra plus tôt que prévu, le visage fermé, les épaules voûtées par une fatigue bien différente de celle des études. Sans un mot, elle se laissa tomber sur le canapé, poussa un profond soupir et sortit une liasse de billets de son sac qu'elle jeta sur la table basse avec une sorte de dégoût.
Yasmine, qui révisait en tailleur par terre, leva les yeux de son cahier. Le silence était lourd, palpable.
« Majda... ? » commença-t-elle, hésitante.
Sa colocataire tourna vers elle un regard vide, puis une lueur amère s'y alluma. « Tu veux vraiment savoir, Yas ? Tu veux savoir comment je paye ma part du loyer sans avoir l'air de forcer ? Comment je m'offre des fringues et des restos alors que toi tu comptes tes centimes ? »
Yasmine sentit un froid lui parcourir l'échine. Elle savait, sans vouloir le savoir.
« Je vends le seul true truc qui ait de la valeur sur ce marché : mon corps », dit Majda d'une voix plate, sans fard, comme si elle énonçait une évidence météorologique. « Des hommes. Vieux, souvent seuls, parfois mariés. Ils paient pour un peu de compagnie, pour un peu d'illusion. Et moi, je pais mes factures. »
Le choc frappa Yasmine de plein fouet. La révélation était là, crue, indécente. La gratitude qu'elle éprouvait envers Majda se mua instantanément en un mélange confus de pitié, de reproche et d'une peur sourde. Elle vivait sous le même toit qu'une prostituée. L'argent qui payait une partie de son propre loyer, l'argent qui lui avait offert ce havre de paix, était cet argent-là.
« Mais... pourquoi ? Tu pourrais trouver autre chose... », murmura Yasmine, horrifiée.
« Autre chose ? » ricana Majda, sans joie. « Un taff de serveuse comme toi à se ruiner le dos pour des clopinettes ? Non merci. Ici, je gagne en une nuit ce que tu gagnes en un mois. Je contrôle. Je choisis. C'est rapide, et ça me laisse du temps pour étudier. »
Elle fixa Yasmine, son regard devenu intense. « Ne me juge pas, Yas. On fait toutes ce qu'on peut pour survivre. Toi, tu t'épuises à deux jobs, moi j'utilise ce que j'ai. On n'a pas les mêmes armes. »
Yasmine se sentit submergée. La vision de Majda, belle, sexy et insouciante, volait en éclats, remplacée par celle d'une jeune femme cynique et blessée, piégée dans un choix terrible. Le studio qu'elle chérissait tant, son refuge, lui parut soudain teinté d'une ambiguïté malsaine.
Cette révélation jetait une ombre sur leur amitié naissante et sur la sécurité si durement acquise de Yasmine. Elle devait maintenant composer avec cette vérité dérangeante : sa propre survie était indirectement liée à un commerce qui la révoltait.
Chapitre 4.
La colocation, qui devait être un havre de paix, se transforma rapidement en un nouveau champ de bataille pour Yasmine. Les murs du T2, qu'elle croyait épais, étaient en réalité poreux à tous les bruits. Et les bruits que produisait Majda étaient les plus dévastateurs.
C'était une torture programmée. Alors que Yasmine, épuisée par une journée de cours et de travail, tentait désespérément de se concentrer sur ses équations de mécanique quantique ou de chimie organique, les gémissements et les halètements de Majda commençaient à filtrer de l'autre côté du mur mitoyen. Des bruits saccadés, des rires étouffés, des litanies vulgaires ou des plaintes feintes qui se muaient en cris aigus. La tête lui tournait, non pas de jalousie, mais d'une exaspération profonde, mêlée d'un insondable malaise.
Ses nuits blanches n'étaient plus seulement dédiées aux révisions. Elles étaient désormais peuplées de cette cacophonie intime qui lui vrillait les nerfs. Elle serrait ses oreillers sur ses oreilles, augmentait le volume de ses écouteurs au point d'en avoir mal aux tympans, mais rien n'y faisait. L'image de ce qui se passait dans la chambre voisine s'imprimait malgré elle dans son esprit, rendant toute concentration impossible.
Le pire, c'était le contraste insupportable de leurs vies.
Un matin, après une nuit particulièrement agitée où elle n'avait pas fermé l'œil, Yasmine était au bord de l'implosion. Elle attendit que le dernier « client » de Majda soit parti, puis elle fit irruption dans la cuisine où sa colocataire, en peignoir, sirotait un café avec une sérénité qui mit le feu aux poudres.
« Majda, on doit parler. »
« Qu'est-ce qu'il y a ? T'as une tête horrible, tu devrais dormir plus », lança Majda sans méchanceté, juste avec son détachement habituel.
« Dormir ? DORMIR ? » s'écria Yasmine, sa voix tremblante de rage contenue et de fatigue. « Comment veux-tu que je dorme ? Comment veux-tu que j'étudie ? Que je pense ? Tes... *activités_... elles s'entendent dans tout l'appartement ! C'est tous les soirs, ou presque ! »
Majda la regarda, un sourcil levé, plus surprise par l'éclat que par le reproche.
« Oh, ça te dérange ? Désolée, je ne savais pas que tu étais si pudique. C'est juste du sexe, Yas. Du bruit. Faut te détendre. »
« Ce n'est pas une question de pudeur ! » rétorqua Yasmine, les poings serrés. « C'est une question de respect ! Ce n'est pas juste du bruit, c'est... c'est l'évidence que notre appartement est un bordel ! Je n'arrive plus à étudier, je n'arrive plus à me reposer. Je suis épuisée. »
Pour la première fois, un voile de gêne passa dans le regard de Majda. Elle posa son verre.
« Écoute, je paie ma moitié du loyer. Je fais ce que je veux chez moi. Si le bruit te dérange, mets des boules Quies. Ou alors trouve une autre solution, mais je ne vais pas arrêter de vivre pour te faire plaisir. »
Le choc était frontal. La logique de Majda était imparable et cruellement individualiste. Yasmine comprit qu'elle n'avait aucun droit sur le mode de vie de sa colocataire. Le refuge avait une porte dérobée, et c'était par là qu'entraient et sortaient les clients.
Elle recula, le cœur serré. Elle était piégée. Perdre ce toit signifiait retourner à la rue ou à la précarité absolue. Mais y rester signifiait sacrifier sa santé mentale et peut-être ses études.
Sans ajouter un mot, elle retourna dans sa chambre, ferma la porte et s'effondra sur son lit, les larmes aux yeux. Le bruit avait cessé, mais l'écho des cris de Majda résonnait encore dans sa tête, symbole criant du prix déchirant de sa survie en terre étrangère. Elle était sauvée de la rue, mais perdue dans un cauchemar éveillé.
Chapitre 5.
La tension dans l'appartement était devenue aussi épaisse et étouffante que l'air avant un orage. Yasmine sentait le danger, mais elle était trop épuisée, trop acculée pour l'ignorer. La proposition de Majda résonnait encore dans sa tête, obscène et humiliante. 2000 euros. Le prix de son corps. Le loyer de plusieurs mois. Une tentation vénéneuse qui lui soulevait le cœur.
Quelques jours plus tard, alors qu'Yasmine tentait de réviser dans le salon, la clé tourna dans la serrure. Majda entra, suivie d'un homme dans la quarantaine, élégamment vêtu mais au regard trop insistant, trop possessif. Thomas. Il sourit en apercevant Yasmine, un sourire qui ne parvenait pas à masquer une avidité dérangeante.
« Yasmine, je te présente Thomas, un... ami », dit Majda d'une voix faussement enjouée.
Yasmine se raidit, sentant son estomac se serrer. Elle fit un signe de tête bref et se leva pour regagner sa chambre, son livre serré contre sa poitrine comme un bouclier.
« Ne partez pas si vite », lança Thomas, sa voix doucereuse. « Majda m'a beaucoup parlé de vous. La brillante étudiante algérienne. »
Yasmine s'arrêta, le dos tourné. « Je dois étudier. »
« Toujours studieuse », poursuivit-il en s'approchant. Il sentait le parfum cher et le whisky. « C'est admirable. Mais il faut aussi savoir... vivre. Profiter des opportunités. »
Il était maintenant tout près d'elle. Yasmine se retourna, le visage fermé.
« Je n'ai pas le temps de "profiter", comme vous dites. »
Majda observait la scène, adossée au mur, un sourire ambigu aux lèvres, comme si elle assistait à un spectacle.
« Tout le monde a le temps pour 2000 euros, ma chère », chuchota Thomas, assez bas pour que seule Yasmine l'entende. Son regard descendit lentement le long de son corps, la déshabillant. « Une seule nuit. Rien de bien méchant. Vous pourriez vous offrir du repos. Des livres. La paix. »
Yasmine sentit une nausée monter. Ce n'était plus une proposition, c'était une prédation.
« La réponse est non. Maintenant, veuillez m'excuser. »
Elle tenta de passer, mais il bloqua subtilement son passage, une main posée sur le chambranle de la porte.
« Vous êtes sûre ? Parfois, il faut savoir saisir sa chance. Je pourrais être très généreux. Très... attentionné. »
Son ton était devenu pressant, insistant. Yasmine sentit une pointe de panique. Elle n'était plus en sécurité chez elle. Le regard de Thomas ne la quittait pas, plein d'une assurance d'homme habitué à acheter ce qu'il désire.
« Laissez-moi passer », dit-elle, la voix plus forte, teintée d'une peur qu'elle ne pouvait plus cacher.
« Thomas, arrête de la travailler, elle est timide », lança Majda depuis le salon, d'une voix qui manquait sincèrement de conviction.
Mais Thomas ignora Majda. Il se pencha encore plus près, son haleine chaude effleurant l'oreille de Yasmine.
« Réfléchissez bien. Je reviendrai. L'offre tient. Vous valez bien plus que cette vie de misère. »
Yasmine, poussée par un sursaut d'adrénaline, le repoussa avec une force qu'elle ne se savait pas. « J'ai dit NON ! » cria-t-elle, tremblante de colère et de frayeur. « Sortez de chez moi ! »
Le sourire de Thomas s'effaça, remplacé par une lueur froide et vexée. Il se redressa, ajusta sa veste.
« Comme vous voudrez. C'est votre choix. » Il se tourna vers Majda. « Je reviendrai te voir, chérie. Elle n'est pas assez mûre. »
Une fois la porte refermée sur lui, un silence lourd tomba sur l'appartement. Yasmine se tenait toujours adossée au mur, respirant difficilement.
Majda la dévisagea, un mélange d'agacement et de pitié dans le regard.
« Tu as vu comment tu t'es comportée ? Il était prêt à mettre bien plus. Tu pourrais vivre tranquille pendant des mois. Au lieu de ça, tu préfères crever à la tâche et jouer les vierges effarouchées. »
Yasmine la regarda, et pour la première fois, toute gratitude avait disparu, remplacée par un mépris glacial.
« Je ne "joue" pas. Je suis une étudiante, pas une prostituée. Et toi, tu n'es pas mon amie. Une amie ne mettrait pas l'autre en danger dans son propre chez-elle. »
Les mots tombèrent comme des couperets.
« Danger ? » ricana Majda. « Il ne t'aurait pas fait de mal, il paye pour ça ! »
« Le fait que tu ne voies même pas le problème est tout le problème, Majda », répliqua Yasmine, épuisée. « Cet appartement n'est plus un refuge. C'est une annexe de ton business. Et je ne peux plus vivre là-dedans. »
La réalité la frappa de plein fouet. Elle préférait encore la précarité et la rue à cette violation constante de son intimité et de sa dignité. Sa décision était prise. Elle devait partir.
Chapitre 6.
La tension dans l'appartement était palpable pendant plusieurs jours après l'incident avec Thomas. Yasmine évitait Majda, passant le plus clair de son temps enfermée dans sa chambre ou à la bibliothèque universitaire. L'idée de devoir déménager, de replonger dans l'incertitude financière, la hantait. Mais elle était déterminée à ne pas céder, à ne pas se laisser corrompre.
Un après-midi, alors qu'elle rangeait un dossier dans son sac pour partir travailler, on frappa doucement à sa porte. Sur le seuil se tenait, non pas Majda, mais Thomas. Yasmine recula instinctivement, son corps se raidissant.
« Mademoiselle Yasmine », commença-t-il, les mains enfouies dans les poches de son manteau chic, affichant une contrition qui semblait presque sincère. « Je tiens à m'excuser pour mon comportement l'autre jour. Il a été déplacé, irrespectueux, et je me suis montré grossier. »
Yasmine, méfiante, ne dit rien. Elle l'observa, cherchant la faille dans son discours trop poli.
« Majda m'a fait comprendre la pression que vous subissez, vos études, votre travail... », poursuivit-il. « Je me suis mal comporté comme un riche arrogant qui croit tout pouvoir acheter. C'était inexcusable. »
Il marqua une pause, lui offrant un bouquet de fleurs qu'il avait dissimulé derrière son dos – des lys blancs, élégants et chers. Yasmine les regarda sans faire un geste pour les prendre.
« Pour me faire pardonner, et pour vous prouver ma bonne foi, j'aimerais vous inviter à déjeuner. Rien de plus. Un repas entre deux personnes civilisées. Un vrai restaurant, au Vieux-Port. Une parenthèse de calme pour vous. »
L'idée était folle. Mais les mots « parenthèse de calme » résonnèrent étrangement en elle. Elle n'avait pas mangé dans un vrai restaurant depuis son arrivée en France. L'odeur de la bonne cuisine, le bruit des bateaux, l'impression d'être normale, le temps d'un repas... C'était un piège, bien sûr. Mais un piège enveloppé de soie.
« Pourquoi ? » demanda-t-elle sèchement.
« Pour l'image que je renvoie de moi-même, si vous voulez. Je déteste passer pour un goujat. Et puis, je connais des gens. Peut-être que je pourrais vous aider à trouver un vrai job, un stage. Quelque chose de plus en lien avec vos études. »
La proposition était astucieuse. Il ne proposait plus d'argent contre son corps, mais une opportunité professionnelle. Il jouait sur son désir le plus profond : réussir par elle-même.
Après un long silence, poussée par une lueur d'espoir et une curiosité malsaine, Yasmine accepta. Non pas pour lui, mais pour cette éventuelle porte de sortie. Et peut-être aussi pour prouver à Majda qu'elle pouvait obtenir son attention sans se vendre.
Le lendemain, au restaurant en terrasse sur le Vieux-Port, face aux bateaux qui tintaient, Yasmine se sentait comme une impostrice. Elle portait sa tenue la plus présentable, une simple robe qu'elle réservait aux oraux. Thomas était charmant, érudit, parlant d'art et de voyages. Il ne fit aucune allusion déplacée. Il commanda un plat délicat et un vin blanc de Cassis. Pour la première fois depuis des mois, Yasmine mangea à sa faim sans compter les centimes.
Il l'écouta parler de ses études, de l'Algérie, de ses rêves. Il avait l'air sincèrement intéressé. Pendant un instant, elle se surprit à baisser sa garde, à apprécier cette conversation d'égal à égal – ou presque.
Mais au moment du café, alors que le soleil brillait sur la mer, son regard glissa sur elle, et elle y lut la même lueur de possession qu'auparavant, masquée par la civilité. Le piège n'était pas désamorcé, il était juste plus sophistiqué.
« Vous voyez, Yasmine, on peut avoir des moments agréables sans que ce soit... transactionnel », dit-il en souriant. « Le monde est plein d'opportunités pour une jeune femme aussi intelligente et belle que vous. Il suffit parfois de savoir s'entourer des bonnes personnes. »
Yasmine comprit alors que le déjeuner n'était pas une fin, mais un commencement. Thomas ne renonçait pas. Il changeait simplement de tactique. Il voulait la séduire pour l'avoir, pas en la forçant, mais en la convainquant. Et le pire, c'est que cela fonctionnait presque. Le confort, l'attention, l'écoute étaient des armes bien plus dangereuses que la brute arrogance de leur première rencontre.
Elle le remercia froidement pour le repas et rentra à l'appartement, le cœur lourd. Elle n'était pas sortie gagnante de cette rencontre. Elle avait juste compris que le danger pouvait aussi avoir le visage souriant d'un homme qui vous offre un déjeuner au soleil.
Chapitre 7.
La tension dans la cuisine était devenue une présence tangible, un troisième colocataire encombrant et silencieux. Depuis le déjeuner avec Thomas, Yasmine évitait Majda, mais chaque bruit, chaque rire étouffé derrière la porte close de sa chambre, était une piqûre de rappel.
Un soir, alors que Majda se versait un verre de vin en fredonnant, Yasmine posa brutalement son livre sur la table.
« Majda, ça ne peut plus durer. »
Majda se retourna, un sourcil arqué, un sourire narquois aux lèvres. « Quoi donc ? Mes petits rendez-vous ? Tu vas encore faire ta pudibonde ? »
« Ce n'est pas de la pudeur, c'est du respect ! » s'écria Yasmine, à bout. « Je vis ici aussi. J'étudie, je travaille, je meurs de fatigue, et ton... ton business envahit tout. Comment veux-tu que je me concentre ? Comment veux-tu que je me sente chez moi ? »
Le sourire de Majda s'effaça. Son visage se durcit, comme si un masque tombait. « Mon business, comme tu dis, paie la moitié de ce loyer. Il me permet de vivre sans me tuer à la tâche comme toi. Tu crois que j'aime ça ? Tu crois que c'était mon rêve ? »
« Alors pourquoi ? » lança Yasmine, sincèrement perplexe. « Pourquoi faire ça si tu n'aimes pas ça ? Par paresse ? »
Le mot fit mouche. Majda ricana, un son sec et sans joie. « La paresse... C'est tellement simple de juger, hein ? » Elle avala une grande gorgée de vin. « Tu veux savoir pourquoi ? Vraiment ? »
Son regard se perdit par la fenêtre, vers les lumières de la ville. Quand elle reprit la parole, sa voix était changée, plus grave, chargée d'une douleur ancienne.
« Quand j'avais quinze ans, au Maroc, mon frère aîné... il abusait de moi. »
Yasmine retint son souffle.
« Et le pire... » continua Majda, les yeux brillants de larmes refoulées, « le pire, c'est que curieusement, au lieu de trouver ça dégueulasse, j'ai... aimé. J'ai aimé la sensation. J'ai aimé l'attention. J'ai aimé ce secret qui me rendait spéciale et sale à la fois. J'avais une honte monstre, une honte qui me rongeait, mais je ne pouvais pas m'empêcher d'aimer ça. »
Elle se tut un instant, fragile et vulnérable comme Yasmine ne l'avait jamais vue.
« Après ça, le sexe... ça n'a jamais plus été pareil. C'est devenu un outil. Un moyen de contrôle. Un moyen d'avoir du pouvoir sur les hommes, puis de l'argent. Je ne vends pas mon corps, Yasmine. Je vends l'illusion qu'ils contrôlent quelque chose. Mais c'est moi qui contrôle. Toujours. C'est moi qui décide. Comme ça, je ne suis plus la petite fille terrorisée et complice de son frère. »
Le silence qui suivit était lourd de cette révélation brutale. La colère de Yasmine s'était évanouie, remplacée par un vertige de compassion et de tristesse. Elle comprenait soudain la carapace de cynisme de Majda, son refus de la vulnérabilité.
« Majda... je... je ne savais pas. »
« Personne ne sait », chuchota Majda. « Et maintenant, tu me juges encore plus, hein ? Parce que j'ai aimé. C'est ça le plus monstrueux. »
Yasmine s'approcha et posa une main hésitante sur son bras. « Non. Je ne te juge pas. Personne ne peut comprendre ça. Personne ne peut comprendre ce que tu as traversé. »
Les deux jeunes femmes se regardèrent, et pour la première fois, sans masque. La barrière entre elles venait de tomber, révélant une blessure commune à leur humanité : la honte, la survie, et la recherche d'un semblant de contrôle sur leur vie.
« Écoute, Majda », reprit Yasmine doucement. « Je ne peux pas prétendre comprendre. Mais je peux être là. Pour parler. Pour écouter. »
Elle prit une inspiration. « En échange... je ne te demande pas d'arrêter. Je sais que tu en as besoin. Mais est-ce qu'on pourrait trouver un compromis ? Limiter les visites ? Certains soirs où tu sais que je dois réviser intensément... Est-ce que ce serait possible ? Pour qu'on puisse vivre toutes les deux ici, sans se marcher dessus. »
Majda essuya une larme furtive et hocha lentement la tête. « Je... je peux essayer. C'est vrai que parfois, je le fais aussi pour évacuer... tout ça. »
« On n'en parle plus à personne », proposa Yasmine. « C'est ton histoire. Mais ici, avec moi, tu n'as pas besoin de jouer un rôle. »
Un fragile sourire apparut sur les lèvres de Majda, le premier vrai sourire depuis longtemps. « Tu es trop gentille pour ce monde, Yas. Tu devrais être plus dure. »
« Je suis dure », sourit Yasmine. « Je tiens le coup, non ? »
Ce ne fut pas une réconciliation magique qui effaça tous les problèmes. Mais ce fut une trêve, scellée dans la confidence et la douleur. Leur colocation ne serait jamais normale, mais elle pouvait devenir un lieu où, derrière les portes closes, on n'était plus obligé de se battre seule. Une amitié fragile, née des cendres de leurs secrets les plus sombres, venait de prendre racine.
Chapitre 8.
Le poids des équations non résolues pesait lourdement sur les épaules de Yasmine alors qu'elle poussait la porte de l'appartement. La nuit était tombée sur Marseille, et elle rêvait de silence, d'un thé, et de la quiétude nécessaire pour dompter ce problème de mathématiques qui lui résistait.
Le silence, pourtant, fut le dernier son qui l'accueillit.
Un halètement rauque, un rire étouffé, un grognement lui parvinrent du salon avant même qu'elle n'ait allumé la lumière. Et dans la pénombre, coupée par la lueur bleutée de la télévision allumée sur un menu DVD, la scène se dévoila.
Majda, complètement ivre, les cheveux en bataille, était à genoux sur le canapé, le dos courbé. Deux hommes étaient penchés sur elle, nu. L'un la prenait par devant, l'autre, derrière. Le spectacle était cru, violent, surréaliste. Un bruit de chair contre chair, des odeurs de sueur, d'alcool et de sexe emplissaient la pièce.
Yasmine resta pétrifiée, son sac glissant de son épaule pour tomber lourdement sur le sol. Son cerveau, saturé de formules abstraites, refusa d'abord de traiter l'information. Puis l'horreur la submergea. Mais à sa profonde honte, une chaleur immédiate et coupable embrasa son bas-ventre. Elle était horrifiée... et excitée malgré elle.
Son regard croisa alors celui de l'homme qui prenait Majda par derrière. Dans la lueur bleutée, elle reconnut Thomas. Ses yeux, brillants d'une ivresse malsaine, la fixèrent, un sourire torve aux lèvres. Il ne s'arrêta pas, au contraire.
Yasmine se détourna, le cœur battant à tout rompre, et se rua vers sa chambre. Elle claqua la porte derrière elle, s'y adossa, respirant avec difficulté. La panique et un désir trouble se mélangeaient en elle. Les images obscènes dansaient devant ses yeux, se superposant aux intégrales et aux matrices de ses études.
Elle tenta de s'asseoir à son bureau, d'ouvrir son cahier. En vain. Son corps était en émoi, vibrant de ce qu'elle venait de voir. Honteuse, tremblante, poussée par une pulsion qu'elle ne maîtrisait plus, elle laissa glisser sa main sous son jean, puis sous sa culotte. Elle trouva son sexe gonflé, humide, sensible au moindre effleurement. Fermant les yeux, elle se mit à se caresser, essayant de calmer la tempête en elle, de chasser par le plaisir physique le chaos mental.
Ses gémissements, d'abord étouffés, devinrent plus forts, plus aigus. Elle oublia tout : les maths, la honte, le monde extérieur.
Elle n'entendit pas la porte de sa chambre s'ouvrir.
« L'intellectuelle n'est pas si prude, finalement. »
La voix de Thomas, grave et moqueuse, la figea nette. Elle ouvrit les yeux, terrifiée. Il était là, adossé au chambranle, complètement nu, la regardant avec un mélange de triomphe et de convoitise.
Yasmine tenta de rabattre son jean, de cacher son sexe luisant et offert. Trop tard.
« Non... sors... » parvint-elle à bredouiller, reculant contre son bureau.
Il ignora sa supplique et s'approcha. D'un geste rapide, il agrippa son poignet et écarta sa main qui tentait de se cacher.
« Elle mouille, l'intellectuelle », ricana-t-il, son autre main se refermant sur sa chatte, doigts écartant brutalement les lèvres.
Yasmine se débattit, mais son corps trahissait sa volonté. La peur et l'excitation se mêlaient en une sensation vertigineuse et incontrôlable.
« Arrête ! »
Mais Thomas était déjà à genoux devant elle. Avant qu'elle ne puisse réagir, il plongea son visage entre ses cuisses, sa bouche avide se refermant sur son clitoris gonflé.
Un cri lui échappa, un mélange de protestation et de jouissance immédiate. La sensation était trop forte, trop directe, trop habile. La langue de Thomas connaissait son affaire, pressant, léchant, aspirant avec une expertise cruelle. Le plaisir qu'elle avait tenté de s'administrer elle-même était décuplé, devenu assaut.
Elle tenta de repousser sa tête, ses doigts s'enfonçant dans ses cheveux, mais son corps s'arquait malgré elle, répondant à chaque mouvement de la langue qui la dévorait. La résistance qu'elle opposait faiblissait à mesure que les vagues de plaisir montaient, inexorables.
« Non... » gémit-elle à nouveau, mais ce n'était plus qu'un souffle, une plainte qui se transformait en un gémissement de jouissance.
Elle avait perdu le contrôle. Le problème de mathématiques, la dignité, la colère envers Majda... tout s'effaçait, submergé par le plaisir brut et humiliant que lui infligeait Thomas. Elle céda, les yeux révulsés, le dos cambré, abandonnée à la bouche qui faisait d'elle sa chose.
Le « non » qui s'échappait des lèvres de Yasmine était de plus en plus faible, étranglé par le souffle court et les vaguelettes de plaisir que la bouche de Thomas lui infligeait. Malgré elle, ses doigts, qui s'étaient enfoncés dans ses cheveux pour le repousser, se firent moins insistants, puis se mirent à trembler, et enfin, dans un mouvement qu'elle ne contrôlait plus, attirèrent sa tête plus profondément contre son sexe. C'était un acte de reddition totale, son corps trahissant sa conscience.
Sentant ce changement, Thomas releva la tête, un sourire de prédateur satisfait aux lèvres. Sans un mot, il la souleva avec une force qui la glaça et la transporta jusqu'à son lit. Elle était légère, sans défense, en proie à un désir qui la terrifiait et l'enivrait tout à la fois. Il la déposa sur le matelas et, avec une lenteur calculée, entreprit de la déshabiller complètement. Ses doigts agiles firent sauter le bouton de son jean, firent glisser la braguette, et l'extirpèrent de son vêtement, la laissant nue et frissonnante sous son regard.
Yasmine tenta de se recroqueviller, de cacher sa nudité, mais ses yeux étaient irrémédiablement attirés par le corps de Thomas. Il était grand, musclé, et au centre, sa bite, pleine, veinée et dressée comme un mat, se tendait vers elle avec une arrogance obscène. Il s'approcha, présentant son membre à quelques centimètres de son visage.
« Non... », murmura-t-elle une dernière fois, faiblement, en détournant la tête.
Mais Thomas ignora son refus. Il prit sa bite dans sa main et la frotta contre ses lèvres closes, imprégnant sa peau du sel de son propre désir et de l'humidité qu'il avait fait naître en elle. Le contact était brutal, intime, d'une vulgarité qui la faisait brûler de honte. Pourtant, malgré elle, ses lèvres s'entrouvrirent, comme hypnotisées par cette chair pulsante qui les défiait.
Ce fut le signal qu'attendait Thomas. D'une pression insistante, il guida son sexe entre ses lèvres. Yasmine ferma les yeux, un sanglot coincé dans la gorge, et sa bouche s'ouvrit davantage. Elle sentit le gland dur et chaud glisser sur sa langue, puis le goût masculin, fort, l'envahir. Puis, il poussa plus avant, et elle l'engloutit dans une fellation frénétique et désordonnée, comme si son corps cherchait, dans ce acte de soumission ultime, une absolution à son propre désir.
Pendant qu'elle le suçait avec une ardeur dont elle ne se savait pas capable, les mains de Thomas ne restaient pas inactives. Elles parcouraient son corps avec une avidité possessive, passant de sa chatte trempée qu'il stimulait du bout des doigts, remontant le long de ses hanches qu'il emprisonnait, effleurant son ventre plat, pour finally se poser sur ses seins. Il pinça ses mamelons durs, les faisant rougir, puis descendit de nouveau, explorant chaque centimètre de sa peau qui vibrait sous son toucher expert.
Yasmine n'était plus qu'un tourbillon de sensations contradictoires. Le dégoût et la honte se mêlaient à une excitation si violente qu'elle en avait le vertige. Chaque caresse, chaque poussée dans sa bouche, chaque gémissement étouffé de Thomas l'enfonçait un peu plus dans une réalité qu'elle avait fuie et qu'elle embrassait maintenant avec une fureur désespérée. Elle était perdue, et son corps avait pris le dessus, avalant sa raison et sa volonté dans un gargarisme silencieux.
Le corps de Yasmine était un arc tendu, chaque muscle crispé dans une attente terrifiée. La bouche de Thomas sur la sienne étouffait ses faibles protestations, et ses mains, qui avaient tenté de le repousser, étaient maintenant plaquées contre le matelas, impuissantes. Il écarta ses jambes avec une détermination douce mais irrésistible.
« Non, s'il te plaît... je suis vierge », sanglota-t-elle dans un dernier souffle, les yeux pleins de larmes.
La phrase résonna dans la pièce, fragile et pathétique. Thomas s'arrêta un instant, son souffle chaud sur son visage.
« Je vais être doux, Yasmine. Je te le promets. »
C'était un mensonge. La promesse d'un prédateur. Mais dans son état de vulnérabilité et de confusion, elle voulut y croire. Elle ferma les yeux, revoyant en un éclair le visage de Kamal, son fiancé resté en Algérie. Elle revit la promesse échangée sous le soleil d'Oran, la certitude qu'elle lui offrirait ce trésor, cette preuve ultime de son amour et de sa pureté, la nuit de leurs noces. Une douleur lancinante lui traversa le cœur, plus aiguë que toute douleur physique à venir.
Elle sentit la pression à l'entrée de son sexe, une insistance brutale contre sa chair tendre et innocente. Elle se raidit, paniquée.
« Attends... »
Trop tard.
D'un seul coup de rein puissant et précis, Thomas déchira son hymen.
Yasmine cria. Un cri court, arraché du plus profond de ses entrailles, un cri qui était la sonnerie du glas pour la jeune fille qu'elle avait été. Une douleur vive et brûlante la transperça, si intense qu'elle en eut le souffle coupé. Ce n'était pas une simple déchirure physique ; c'était l'anéantissement d'un vœu, la souillure d'un idéal, la rupture violente avec tout ce qui avait défini sa vertu jusqu'à cet instant.
Des larmes silencieuses inondèrent son visage, ruisselant sur ses tempes et mouillant l'oreiller. Elle sentit le mouvement en elle, lent d'abord, puis plus assuré, alors que Thomas commençait à aller et venir, prenant possession de ce qui ne lui appartenait pas.
Le trésor était volé. L'honneur, perdu. Le lien sacré avec Kamal, souillé à jamais. Elle était maintenant une femme marquée par la honte, et cette sensation était mille fois plus douloureuse que la brûlure entre ses jambes.
Elle tourna la tête vers le mur, son regard vide fixant le plâtre. Les gémissements de plaisir de Thomas lui parvenaient comme de lointains échos, complètement déconnectés de son propre calvaire. Elle était ailleurs, très loin, dans un pays où le soleil était chaud et où une femme pouvait offrir à son époux le don précieux de son innocence.
Cet ailleurs n'existait plus. Il n'y avait plus que ce lit, cette douleur, cette sensation d'effraction définitive, et le visage de Kamal qui s'éloignait à jamais dans un brouillard de larmes et de trahison.
C'était raté.
La douleur était vive, une brûlure qui lui rappelait chaque instant le viol de son innocence. Yasmine serrait les dents, les yeux fermés, essayant de s'évader mentalement, de penser à Kamal, à leur avenir, à tout sauf à l'homme qui la prenait avec une détermination brutale. Les larmes coulaient sur ses tempes, salées et amères.
Mais Thomas, en maître expérimenté de l'art de la séduction et du plaisir, ne se contenta pas de prendre. Il adapta son rythme, transformant la pénétration douloureuse en une cadence plus profonde, plus insistante, visant des endroits en elle qu'elle ne connaissait pas. Ses doigts, habiles, retrouvèrent le clitoris de Yasmine, stimulant la petite perle de chair avec une précision diabolique.
Malgré elle, malgré sa honte et sa colère, un changement s'opéra. La brûlure initiale se mua en une chaleur diffuse, puis en une vague de plaisir si intense et si inattendue qu'elle en eut le souffle coupé. Un gémissement étranglé lui échappa, différent des cris de douleur précédents.
« Non... arrête... », supplia-t-elle, mais sa voix était mouillée, tremblante de quelque chose qui n'était plus tout à fait de la résistance.
Thomas sentit le changement dans son corps, dans sa respiration. Il se pencha sur elle, murmurant à son oreille des mots vulgaires et excitants, tout en accélèrent légèrement le mouvement de ses hanches.
« Tu aimes ça, hein ? Tu vois, ton corps il sait, lui. »
Yasmine voulait protester, mais une nouvelle vague, plus forte, submergea sa volonté. Ses hanches, malgré elle, esquissèrent un mouvement de va-et-vient, cherchant à suivre le sien. La sensation était trop forte, trop primitive. Le visage de Kamal s'estompa, remplacé par la sensation immédiate, écrasante, du plaisir qui montait, inexorable.
Un son incontrôlable, un mélange de sanglot et de jouissance, sortit de sa gorge. Ses doigts s'agrippèrent aux draps, puis se portèrent dans le dos de Thomas, l'attirant plus profondément en elle.
« Oui... », murmura-t-elle, dans un souffle à peine audible, trahie par son propre corps.
Puis ce fut plus fort, incontrôlable. Les « non » se transformèrent en « oui », les supplications en ordres.
« Thomas... oh Thomas... » cria-t-elle, archant le dos.
« Baise-moi... plus fort ! »
Elle était emportée par un tsunami de sensations, chaque poussée de Thomas l'envoyant plus haut, jusqu'à ce que tout explose en un orgasme violent et cataclysmique qui la fit crier son nom à pleine voix, un cri de triomphe bestial et de honte voluptueuse mêlés.
Pendant quelques secondes, le monde n'exista plus. Il n'y eut plus Kamal, plus l'Algérie, plus la honte, plus les études. Juste un plaisir brut, sauvage, et dévastateur qui lava tout sur son passage.
Quand elle redescendit, haletante, couverte de sueur, le corps de Thomas toujours contre le sien, la réalité revint, brutale. Elle détourna la tête, submergée par une culpabilité écrasante. Elle avait joui. Elle avait crié le nom d'un autre homme que son fiancé. Elle avait aimé ça.
Le silence qui suivit ne fut rompu que par leur respiration à tous deux, lourde et complice, tandis que le poids de sa trahison s'abattait sur elle, plus lourd que jamais.
Thomas ne lui laissa pas le temps de respirer, de ruminer sa honte. D'un mouvement fluide et puissant, il se redressa, ses mains agrippant fermement ses fesses pour la soulever. Yasmine, surprise, enroula instinctivement ses jambes autour de sa taille et ses bras autour de son cou, s'accrochant à lui comme à une bouée dans une mer déchaînée.
Perchée ainsi, empalée sur son sexe qui était toujours dur en elle, elle était complètement à sa merci. Il la faisait monter et descendre lentement d'abord, puis avec plus de vigueur, utilisant la force de ses bras pour la guider sur le rythme saccadé qu'il imposait. Chaque descente était une nouvelle revendication de son corps, une prise de possession plus profonde.
Les derniers vestiges de résistance de Yasmine s'évaporèrent. La sensation était trop intense, trop dominatrice. Elle était suspendue entre le plaisir et l'abandon, son souffle court et ses gémissements étouffés se mêlant aux grognements sourds de Thomas. Elle pressait son front contre son épaule, mordillant parfois la peau salée, submergée par les vagues de sensations qui déferlaient en elle.
« Thomas... », gémissait-elle, un nom qui était devenu une prière, une malédiction et une supplique.
Il accéléra le mouvement, ses doigts s'enfonçant dans la chair ferme de ses fesses. Leurs corps se répondaient dans un ballet sauvage et primal. Yasmine sentit l'orgasme monter à nouveau, plus rapide, plus violent que le premier, une tension extrême qui irradiait de son centre et menaçait de la faire exploser.
Quand la vague la submergea, elle cria, son corps secoué de spasmes incontrôlables qui serrèrent Thomas en elle. Ce fut le signal pour lui. Avec un grognement rauque, il la cloua contre lui et explosa. Elle sentit les jets de son sperme, chauds et épais, pulser au plus profond de son ventre, chaque pulsation prolongeant son propre plaisir dans un mélange extatique et coupable.
Ils s'effondrèrent ensemble sur le lit, enlacés, haletants, couverts de sueur et marqués par l'acte. Le poids de Thomas sur elle était écrasant, rassurant. Le silence n'était rompu que par le souffle rauque qui leur déchirait la poitrine.
Yasmine gardait les yeux fermés, le corps parcouru de frissons résiduels. L'odeur de leur accouplement, musquée et sucrée, emplissait la pièce. Dans le chaos de ses pensées, une seule chose était claire : une frontière avait été irrémédiablement franchie. Elle n'était plus la même femme. Et alors que la culpabilité commençait déjà à ronger les bords de son extase, une part d'elle, sombre et neuve, savourait la sensation de plénitude et de puissance brute qui l'habitait.
Thomas se releva, sans un mot, ses mains robustes se glissant sous les fesses de Yasmine. Dans un mouvement fluide, il la souleva du lit, la maintenant en l'air comme si elle ne pesait rien. Elle s'agrippa instinctivement à son cou, les bras enserrant ses épaules, ses jambes enroulées autour de sa taille. Elle était perchée, empalée sur son sexe qui était toujours dur en elle, et le sentiment de vulnérabilité et de puissance à la fois était vertigineux.
« Accroche-toi », grogna-t-il d'une voix rauque, et il commença à la faire monter et descendre le long de sa verge.
Yasmine, les yeux fermés, la tête renversée en arrière, ne résistait plus. Elle était complètement soumise au rythme qu'il imposait, chaque descente l'enfouissant plus profondément en lui, chaque remontée étant une brève et douloureuse frustration. Ses propres hanches, trahissant toute retenue, commencèrent à bouger en harmonie avec les siennes, cherchant avidement la friction, la plénitude. Elle se sentait pleine, possédée, et à sa grande honte, plus vivante que jamais.
Leurs souffles n'étaient plus qu'un seul halètement syncopé. La sueur faisait glisser leurs peaux l'une contre l'autre. Le monde se réduisait à cette connexion primitive, à ce pivot où leurs corps se rejoignaient.
La vague monta une nouvelle fois, plus rapidement, plus violemment. Yasmine sentit les muscles de son ventre se contracter, un tourbillon de sensations incandescentes partir de son sexe et embraser tout son être. Un cri sauvage, rauque, qu'elle ne reconnut pas comme le sien, lui échappa.
« THOMAS ! »
Son propre cri sembla déclencher sa fin à lui. Il poussa un grognement animal, ses bras la serrant convulsivement contre lui alors qu'il plantait son sexe une dernière fois au plus profond d'elle, et explosa.
Yasmine sentit les pulsations chaudes et profondes, les jets de sperme épais qui la remplissaient, inondaient ses parois internes. La sensation, intime et obscène, fut le point de bascule qui la fit sombrer dans un second orgasme, encore plus viscéral que le premier, un spasme prolongé qui la fit trembler de la tête aux pieds.
Ses forces la quittèrent soudainement. Ses bras lâchèrent le cou de Thomas, ses jambes se défirent de sa taille. Il la retint contre lui un instant, puis, dans un dernier gémissement rauque, s'affala avec elle sur le lit, dans un enchevêtrement de membres moites et tremblants.
Ils restèrent là, pantelants, le souffle court, le corps parcouru de soubresauts résiduels. Le silence de la chambre n'était rompu que par le bruit de leur respiration qui peu à peu revenait à la normale. L'odeur du sexe et de la sueur, lourde et musquée, emplissait l'air.
Yasmine, les yeux fixés au plafond, sentait encore les pulsations de Thomas en elle. La honte et la confusion revenaient en vagues, mais pour l'instant, elles étaient comme engourdies, noyées sous le flot d'endorphines et la fatigue extrême. Son corps était lourd, vidé, et son esprit, momentanément, était blank.
Thomas se leva, nu, son sexe encore en érection, et se dirigea vers le salon d'un pas nonchalant. Là, Majda et Kevin gisaient, nus et enlacés, épuisés par leur étreinte. Il fouilla dans son pantalon, en tira une liasse de billets — deux mille euros — et retourna dans la chambre de Yasmine.
Sans un mot, il déposa l'argent sur le lit, à côté d'elle.
Le geste était brutal. Calculé. Humiliant.
Pour Thomas, elle n'était qu'une fille de plus. Une bouche à combler, un corps à prendre, un service à payer. L'étudiante prodige en Mathématiques, Physique, Chimie et Informatique n'existait plus. Il ne voyait qu'une femme qu'on baise, et qu'on règle.
Une rage froide submergea soudain Yasmine, brûlant sa honte et sa confusion. D'un mouvement vif, elle attrapa les billets et les lui jeta à la figure.
— Je ne suis pas une putain, connard ! cracha-t-elle, la voix tremblante de fureur.
Les billets voltigèrent avant de retomber, dispersés sur le sol.
Sans attendre sa réaction, elle se leva, ramassa ses vêtements éparpillés et les serra contre sa poitrine comme un bouclier dérisoire. Elle refusait de croiser son regard, de lui donner la satisfaction de voir les larmes de honte qui lui brûlaient les paupières.
Elle quitta la pièce, laissant Thomas planté là, nu et stupéfait, son argent par terre.
Elle se réfugia dans la salle de bains et verrouilla la porte d'un geste tremblant. Dans le miroir au-dessus du lavabo, une inconnue lui renvoyait son regard – cheveux emmêlés, lèvres gonflées par des baisers qu'elle n'avait pas sollicités, yeux cernés d'une lueur sauvage et coupable qu'elle ne se connaissait pas. Une traînée rosâtre, mélange du sang de sa virginité, de ses sécrétions et du sperme de Thomas, coulait le long de sa cuisse.
« Qu'est-ce que tu as fait ? » chuchota-t-elle à son reflet, une voix étranglée par la honte.
Elle ouvrit les robinets de la douche à fond et régla l'eau à une température presque insoutenable, brûlante. La vapeur envahit rapidement l'espace confiné, créant un cocon suffocant où elle espérait pouvoir se purifier, fondre et disparaître.
Sous le jet brûlant, elle s'empara d'un gant de crin rude et commença à se frotter la peau avec une frénésie croissante, désespérée. Elle frotta, gratta, comme si elle pouvait décaper les couches de son épiderme souillé, effacer l'empreinte des mains de Thomas sur ses hanches, le goût de sa bouche sur ses lèvres, la sensation de son corps dans le sien. La douleur vive de la friction remplaça peu à peu le souvenir du plaisir volé, la brûlure physique étouffant la cacophonie de sa culpabilité.
Sale. Je suis sale.
Ses gestes devinrent mécaniques, obsessionnels. Elle se frictionna jusqu'à faire rougir sa peau, jusqu'à la faire cuire, espérant que la douleur laverait la faute. Mais l'eau ne lavait rien. Elle ne faisait que fixer davantage les sensations dans sa mémoire charnelle, ancrant chaque détail dans sa chair à jamais.
Elle tourna le robinet encore plus fort, jusqu'à ce que la vapeur embue complètement le miroir, brouillant les contours de son reflet. Mais même à travers ce voile, elle se voyait : une traîtresse. Les yeux cernés, les lèvres tuméfiées, les joues rougies par la honte plus que par l'eau chaude.
Soudain, ses doigts s'immobilisèrent sur son ventre, là où la peau était encore sensible.
Une image la frappa de plein fouet, si vive qu'elle en eut le souffle coupé : les mains de Kamal, larges et chaudes, posées là, exactement là, pour la serrer contre lui. Kamal lui parlait en arabe, lui murmurait des poèmes de Mahmoud Darwich à l'oreille.
« Tu es ma reine, habibti », lui disait-il, sa voix grave vibrante d'un émerveillement qui la faisait se sentir précieuse. « Un jour, on sera ensemble, on consommera notre mariage et nous ferons plein de petits. » Elle se souvenait de son rire timide, de la façon dont il l'embrassait avec une retenue pleine de respect.
Maintenant, elle ne savait même plus si elle méritait qu'on la touche.
Les larmes se mêlèrent à l'eau brûlante, indistinctes. Elle s'affala contre le carrelage froid, les genoux tremblants, et laissa l'eau lui marteler le dos, les épaules, les cheveux. Elle avait trahi cela. Elle avait souillé ce rêve. Elle s'était vendue pour un moment de désir illusoire, pour finalement n'être rien de plus qu'une putain à qui on jette de l'argent sur le lit après « le service ».
« Habibti. » La voix de Kamal résonna dans sa mémoire, si claire et si douce que la douleur fut physique. Habibti. Ma bien-aimée. Ce mot était devenu un couteau qu'on lui enfonçait dans le ventre.
D'un geste brusque, elle coupa l'eau. Le silence fut soudain assourdissant. Grelottante malgré la chaleur résiduelle, elle s'enroula dans une serviette rêche, si serrée que la texture grossière lui rappela sa propre peau meurtrie.
Assise sur le bord de la baignoire, elle regarda la buée se dissiper lentement sur le miroir. Le reflet qui apparut peu à peu était celui d'une femme qu'elle ne reconnaissait plus. Une femme qui avait choisi la honte alors qu'elle tenait le bonheur entre ses mains. Elle qui devait être major de promo en MPCI, qui devait construire un avenir.
Elle croisa son propre regard dans la glace. Et dans ses yeux, derrière les larmes et la honte, une étincelle nouvelle, dure et froide, se mit à briller. La colère. Une colère pure, nette, qui brûlait plus fort que l'eau chaude, plus fort que la honte.
Ils avaient cru pouvoir l'acheter. La réduire à son corps. L'humilier.
Ils avaient eu tort.
Chapitre 9.
Elle regagna sa chambre, évitant soigneusement tout regard vers le salon où régnait un silence lourd de sommeil post-débauche. Elle éteignit la lumière et se glissa dans son lit, les draps froids contre sa peau encore sensible. Le sommeil ne vint pas tout de suite, mais finit par l'emporter, lourd et sans rêves, comme une anesthésie bienvenue.
Au petit matin, elle se leva avant l'aube. Les ombres de la nuit précédente semblaient déjà plus lointaines, comme encapsulées dans une bulle de honte et de colère qu'elle décida de laisser derrière elle, du moins pour quelques heures. Elle s'habilla avec des vêtements simples, un jean et un sweat-shirt, attrapa son sac bourré de livres et de cahiers, et quitta l'appartement silencieux sans un bruit.
Le trajet en bus vers le campus de Luminy lui parut étrangement net, chaque détail plus précis, comme si ses sens s'étaient aiguisés dans la tourmente. L'air frais du matin lui picotait le visage.
Au laboratoire, elle s'installa à sa place habituelle, devant le tableau blanc couvert d'équations laissées en plan la veille. Le problème qui lui avait résisté semblait presque la narguer. C'était une bête complexe, un des plus coriaces du programme de Master, un mélange d'analyse tensorielle et de géométrie différentielle qui avait tenu en échec toute la promo.
Elle prit un marqueur, inspira profondément, et plongea.
Le monde extérieur s'effaça. Les rires moqueurs de Thomas, le regard complice de Majda, le souvenir cuisant de sa propre trahison charnelle... tout se dissipa dans la froide clarté de la logique mathématique. Chaque symbole, chaque intégrale, chaque opérateur devint un pas sur un chemin qu'elle était la seule à pouvoir tracer. Sa main volait sur le tableau, inscrivant des lignes de raisonnement d'une élégance fulgurante. La frustration de la veille s'était transformée en une concentration de diamant.
Elle ne sentit pas le temps passer. Elle n'entendit pas les autres étudiants arriver, chuchoter autour d'elle en la regardant travailler avec une intensité presque effrayante.
Quand elle recula enfin, le marqueur vide à la main, le tableau n'était plus qu'une tapisserie complexe et parfaite. La solution était là, évidente, incontestable. Un silence s'était fait dans le labo.
Son professeur, alerté par le murmure des étudiants, s'approcha. Il ajusta ses lunettes et examina le travail de Yasmine, suivant chaque ligne du doigt, murmurant parfois pour lui-même. Son visage, d'abord neutre, se tendit dans une concentration extrême, puis se détendit progressivement, laissant place à une expression d'incrédulité et d'admiration pure.
« Mais... c'est brillant, » murmura-t-il enfin, se tournant vers elle. Son regard n'était plus celui d'un enseignant face à une étudiante, mais d'un pair face à une découverte. « Votre approche du théorème de Stokes dans ce contexte... personne n'y avait pensé sous cet angle. C'est d'une élégance... »
Il secoua la tête, incapable de trouver les mots.
« Vous venez de résoudre un problème sur lequel des chercheurs planchent depuis des mois, mademoiselle. Peut-être même des années. C'est tout simplement remarquable. »
Les autres étudiants, impressionnés, la regardaient avec un nouveau respect. Yasmine ne sourit pas. Elle hocha simplement la tête, un calme étrange en elle.
La victoire était amère, teintée des cicatrices de la nuit, mais elle était sienne. Et pour la première fois depuis longtemps, elle se sentait entière. Non plus comme un corps qu'on achète, mais comme un esprit qui conquiert.
Chapitre 10.
Le lendemain de la nuit qui avait tout changé, Majda se réveilla avec un goût de cendres et une tête lourde comme du plomb. La lumière crue du jour filtrait à travers les fenêtres, accentuant les stigmates de la veille. Des croûtes de sperme séché collaient à sa joue et dans ses cheveux, lui rappelant avec une brutalité sordide les excès de la nuit.
Mais pire que cela, les images lui revinrent par flashes. Thomas. Yasmine. La scène surréaliste dans le salon. Le visage horrifié de Yasmine fuyant vers sa chambre. Et puis... Thomas qui la quittait, elle, pour la suivre. Elle se souvint alors s'être effondrée, ivre morte, sans forces pour intervenir.
Une nausée, bien plus violente que celle de la gueule de bois, lui tordit l'estomac. Thomas avait abusé de Yasmine. Presque sans son gré à elle, Majda. Elle n'avait pas résisté, non, trop ivre, trop choquée, trop complice dans son silence coupable. Mais elle avait su. Et elle n'avait rien fait.
Quand Thomas émergea de la chambre de Yasmine plus tard dans la matinée, l'air suffisant, Majda était là, adossée au mur du couloir, enveloppée dans un peignoir sale, les yeux injectés de sang et pleins d'une haine nouvelle.
« Alors, tu as bien profité de la petite intellectuelle ? » cracha-t-elle, sa voix rauque de fatigue et de dégoût.
Thomas eut un petit sourire arrogant. « Elle en redemandait, à la fin. Comme toi, finalement. »
C'en était trop. La vision de Yasmine, fragile et brisée, face à cette arrogance, fit monter en Majda une colère pure, libératrice.
« Sors, » dit-elle, d'une voix basse et vibrante. « Sors de chez moi, tout de suite. »
Thomas ricana. « Ne fais pas ta hyène. Tu as bien aimé l'argent, non ? »
« Je n'ai plus besoin de ton argent, ni de toi. Tu n'es qu'un pauvre con qui croit tout acheter. Maintenant, dégage. » Elle se tenait droite, malgré la trempe et la honte, et pointa la porte d'un doigt tremblant de rage.
Stupéfait par son audace soudaine, Thomas ramassa ses affaires en maugréant et quitta l'appartement sous une volée d'insultes en arabe et en français que Majda lui hurla dans le dos.
Dès la porte refermée, son courage la quitta. Elle se précipita vers la chambre de Yasmine, le cœur battant. « Yasmine ? Ya rouhi ? Je suis désolée, je... »
La chambre était vide. Le lit était défait, mais rangé sommairement. Il n'y avait personne.
Elle fouilla l'appartement, de plus en plus paniquée. La salle de bain était vide, humide, comme si quelqu'un avait pris une douche très chaude, très longue.
Yasmine était partie.
Majda comprit alors. Elle était partie très tôt. Elle avait fui cet endroit, cette ambiance, cette amitié toxique qui l'avait trahie par son silence. Elle était allée là où plus personne ne pouvait l'atteindre : dans son laboratoire, à Luminy, face à ses équations. Pour résoudre son problème de mathématiques. Pour se reconstruire dans le seul langage qui ne pouvait pas la trahir, la logique pure et dure.
Majda se laissa tomber sur le canapé, dans l'appartement soudainement immense et silencieux. Le remords était un goût amer dans sa bouche. Elle avait perdu bien plus qu'une source de revenus ce matin-là. Elle avait perdu la seule personne qui lui avait tendu la main sans arrière-pensée, et elle l'avait laissé se faire briser sous son toit.
Les larmes vinrent enfin, chaudes et salées, lessivant les dernières traces de la nuit sur son visage. Pour la première fois, elle pleurait pour quelqu'un d'autre que elle-même.
Le silence entre elles avait duré une semaine entière. Chaque soir, quand Yasmine rentrait du labo, Majda guettait le moindre signe, préparait mentalement ses excuses. Mais Yasmine passait comme une ombre, se contentant d'un bref signe de tête avant de disparaître dans sa chambre, dont le verrou claquait avec une froideur définitive.
Puis vint ce samedi matin. Contrairement à son habitude de weekend où elle languissait jusqu'à midi pour rattraper les nuits blanches passées sur ses équations, Yasmine se leva avec le jour. Elle enfila un jean et un sweat-shirt, ses cheveux attachés en une queue de cheval sévère.
Sans frapper, elle poussa la porte de la chambre de Majda. La pièce sentait le parfum entêtant et le linge sale. Majda était ensevelie sous les draps, les traits encore marqués par les excès et un sommeil agité.
« Majda. »
Sa colocataire grogna, ouvrit un œil et se redressa péniblement.
« Yasmine ? Qu'est-ce qu'il y a ? » demanda-t-elle, la voix pâteuse de sommeil et d'appréhension.
Yasmine restait debout sur le seuil, les bras croisés. Son visage était neutre, mais son regard avait perdu cette froideur de glace qui l'avait habité toute la semaine.
« Ça te dit une randonnée aux Calanques ? »
La question, si simple, si inattendue, tomba dans le silence de la chambre. Majda la dévisagea, cherchant une moquerie, une arrière-pensée. Elle ne vit qu'une proposition sincère. Une main tendue.
Un immense soulagement, aussi soudain que violent, submergea Majda. Les mots d'excuse qu'elle avait ruminés pendant sept jours lui montèrent aux lèvres. « Yasmine, je... je voulais te dire... pour ce qui s'est passé... »
Yasmine l'interrompit d'un geste de la main, doux mais ferme. « Pas maintenant. Les mots... ils ne servent à rien pour ça. On parlera en marchant. Ou pas. »
Le message était clair. Le passé était derrière elles. Elle ne l'avait pas oublié, elle ne l'avait peut-être même pas pardonné au sens strict, mais elle avait choisi de tourner la page. De passer à autre chose. Elle offrait non pas une absolution, mais une évasion.
Un sourire tremblant aux lèvres, Majda se jeta hors du lit. « Donne-moi dix minutes ! »
Une heure plus tard, elles marchaient côte à côte sur le sentier des crêtes surplombant les Calanques. Le vent marin leur fouettait le visage, chassant les derniers relents de l'appartement et les non-dits pesants. Le soleil tapait fort, et la Méditerranée s'étendait below, d'un bleu intense et hypnotique.
Elles marchèrent longtemps sans parler, dans un silence qui n'était plus hostile, mais devenu complice, apaisé par le souffle du vent et l'effort physique. Parfois, Yasmine pointait du doigt un détail du paysage, un voilier au loin, un aigle qui planait. Majda répondait par un hochement de tête.
Ce n'est qu'après avoir atteint un promontoire, le souffle court et le visage ruisselant de sueur, qu'elles s'assirent sur un rocher chaud, contemplant l'immensité.
« Merci, » dit enfin Majda, simplement.
Yasmine tourna la tête vers elle, ses yeux noisette perdus dans la lumière. « Pour quoi ? »
« Pour ça. » Majda fit un geste qui englobait la mer, le ciel, leur présence ici. « Pour ne pas m'avoir définitivement rayée de ta vie. »
Yasmine hocha lentement la tête, un fin sourire aux lèvres. « La vie est trop courte pour garder rancune. Et les maths sont trop vastes pour être perturbées par des dramas de coloc. »
Elles restèrent un moment silencieuses, à regarder l'horizon.
« Et... Thomas ? » osa demander Majda.
Yasmine prit une inspiration. « Thomas n'existe plus. » Sa voix était calme, définitive. Ce n'était pas du déni, mais une forme d'effacement. Il avait été réduit à une variable négligeable dans l'équation de sa vie, une erreur de calcul qui avait été corrigée et dont on ne tenait plus compte.
Majda comprit. Elle n'aurait pas son pardon en bonne et due forme, mais elle avait bien mieux : une seconde chance. Une amitié différente, peut-être, moins naïve, plus lucide, bâtie sur les cendres de ce qu'elles avaient traversé.
Sur le chemin du retour, alors que le soleil commençait à descendre, Yasmine glissa simplement :
« Mon nouveau studio est libre dans trois semaines. Il y a la fibre. »
Majda rit, un vrai rire cette fois, libéré. « Je crois que je vais rester dans le T2. Mais je te promets, les clients... c'est terminé. Je vais trouver autre chose. »
Yasmine ne répondit pas. Elle n'avait pas à accepter ou refuser. Elle avait juste offert une porte de sortie, à chacune.
Elles rentrèrent à l'appartement épuisées, les joues rougies par le soleil et le vent, mais plus légères. Le verrou de la chambre de Yasmine ne claqua pas ce soir-là.
Chapitre 11.
Assise sur le banc face à la mer, à quelques pas des bâtiments de Luminy, le vent marin dans les cheveux, Yasmine composa le numéro de Kamal. Chaque sonnerie résonnait dans sa poitrine comme un battement de cœur amplifié. Elle n'avait pas pleuré, ce matin. Une détermination froide, née dans la douleur de la nuit et forgée dans le feu des mathématiques, l'habitait.
« Allô ? Habibti ? » La voix de Kamal, chaude et familière, lui fit quand même serrer le téléphone plus fort.
« Kamal. »
Un silence. Il avait senti le ton, inhabituellement grave, coupant.
« Yasmine ? Tout va bien ? Tu as une voix bizarre. »
« J'ai à te parler. C'est important. » Elle prit une inspiration, les yeux fixés sur la ligne d'horizon, immuable et claire. « Je romps nos fiançailles. »
Le silence à l'autre bout du fil fut si profond qu'elle crut la ligne coupée.
« ...Quoi ? » La voix de Kamal était devenue petite, incrédule. « Qu'est-ce que tu dis ? Yasmine, ce n'est pas drôle. »
« Ce n'est pas une blague. Je suis sérieuse. C'est terminé. »
« Mais... pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Parle-moi ! Habibti, s'il te plaît... »
Le mot habibti (ma bien-aimée) la transperça, mais elle ne flancha pas. La douleur était là, aiguë, mais elle était comme encapsulée dans de la glace.
« Tu n'as rien fait, Kamal. C'est moi. Je ne suis plus la même. Je ne suis plus celle que tu attendais. »
« Qu'est-ce que ça veut dire ? Explique-toi ! On peut régler ça, on peut... »
« Non, on ne peut pas », coupa-t-elle, d'une voix qui se voulait ferme et qui ne tremblait que très légèrement. « Je ne suis plus digne de toi. Et je ne veux plus de cette vie. Je ne veux plus de cet honneur qui pèse, de cette attente, de ce... trésor qu'il fallait préserver à tout prix. »
Elle entendit son souffle se bloquer. Il avait compris. Il avait compris qu'il ne s'agissait pas seulement d'un changement d'avis.
« Yasmine... Qu'est-ce que tu as fait ? » murmura-t-il, et sa voix n'était plus qu'un souffle brisé, chargé d'une horreur naissante.
« J'ai vécu, Kamal. Et je ne regrette rien. » Le mensonge était nécessaire. Un dernier cadeau empoisonné pour l'alléger, lui, du fardeau de sa honte. Qu'il la croie froide et volage, plutôt que brisée et souillée.
« Je t'en prie... »
« C'est ma décision. Elle est irrévocable. Ne m'appelle plus. Oublie-moi. »
Elle raccrocha avant qu'il ne puisse ajouter autre chose, avant que sa propre résolution ne s'effondre. Ses mains tremblaient. Elle les serra sur ses genoux, regardant la mer Méditerranée, qui appartenait à tout le monde et à personne.
Une étrange sensation de vide et de plénitude l'envahit simultanément. Le lien était coupé. L'honneur était perdu. Le fardeau dont elle parlait, elle réalisait soudain qu'il n'avait jamais été vraiment le sien. C'était un fardeau que les autres, que la tradition, que Kamal lui-même avaient posé sur ses épaules.
Maintenant, elle était libérée. Libre de sa honte, libre de sa virginité perdue, libre du regard de son fiancé. Libre, aussi, de se consacrer entièrement à la seule chose qui lui appartenait vraiment et qui ne pourrait jamais lui être volée : son esprit.
Elle se leva, ajusta son sac sur son épaule et tourna le dos à la mer. Elle avait un autre problème à résoudre, un nouveau chapitre à commencer. Seule.
Chapitre 12.
Le téléphone vibra dans la poche de sa blouse de labo. Le nom de sa mère, « Maman », s'afficha à l'écran. Yasmine sentit un picotement d'appréhension, mais une résignation froide l'envahit aussitôt. Elle s'isola dans le couloir désert, adossée au mur blanc et froid.
« Allô, maman. »
« Yasmine ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Kamal nous a appelés, complètement effondré ! Il dit que tu as rompu ? Sans explication ? Ya rouhi, qu'est-ce qui se passe ? » La voix de Lalla Fatma était une cascade d'inquiétude et de reproche.
Yasmine ferma les yeux. Le mensonge était prêt, poli comme un galet par la mer.
« Il exagère. Je lui ai donné des explications, maman. La vérité, c'est que mes études ici... c'est beaucoup plus intense que je ne le pensais. Je veux me consacrer à fond. Je n'ai pas le temps, ni l'énergie pour une relation sérieuse, surtout à distance. Ce n'est pas juste pour lui. »
Un silence à l'autre bout du fil, lourd de suspicion.
« Des études ? C'est pour ça que tu brises le cœur d'un bon garçon et que tu humilies ta famille ? Yasmine, ya benti, réfléchis ! Que vont dire les gens au village ? L'honneur de la famille... On parle déjà. Une fille qui part seule en France et qui rompt ses fiançailles... Les langues vont waguer. »
L'honneur. Le mot tomba comme un couperet. Yasmine sentit un rire amer et froid monter en elle. Si tu savais, maman. Si tu savais que ton "honneur", ce concept qui te préoccupe tant, je l'ai piétiné, souillé, vendu pour une poignée de billets et un moment de faiblesse. Tu t'écroulerais de honte. Tu ne te relèverais jamais.
« L'honneur de la famille, maman, il sera bien mieux préservé si je deviens une scientifique respectée plutôt que la femme malheureuse d'un homme que je n'aime plus », dit-elle d'une voix qu'elle s'efforça de rendre ferme et raisonnable. « Et justement... mon professeur vient de me proposer un poste d'assistante de recherche. C'est payé. Et ça mène directement à une thèse. C'est une opportunité incroyable. »
Elle espérait que la fierté l'emporterait sur la tradition.
« Un poste ? De l'argent ? Ce n'est pas ça qui importe, Yasmine ! Une femme a besoin d'un foyer, d'un mari, d'enfants. Pas de... de formules compliquées sur un tableau ! »
La déception de sa mère était palpable, tranchante. Yasmine serra le téléphone plus fort.
« C'est ce qui m'importe, à moi, maman. Je te demande de me faire confiance. S'il te plaît. »
Le silence qui suivit était tendu, rempli de tout ce qui ne pouvait être dit.
« Je ne comprends pas, Yasmine. Je ne te comprends plus. Fais attention à toi. Et pense à nous. Pense à ton nom. »
La communication se coupa. Yasmine resta un long moment adossée au mur, le téléphone silencieux dans sa main.
Personne ne saurait. Personne ne pourrait jamais savoir. Son secret était enterré avec l'argent jeté à la figure de Thomas et les preuves lavées sous l'eau brûlante de la douche. Son honneur, désormais, elle le bâtirait autrement. Avec des équations, des découvertes, un auteuriat sur des articles de recherche. C'était un honneur froid, solitaire, qui ne dépendrait que d'elle.
Elle poussa un long soupir, redressa les épaules, et retourna vers le laboratoire. Vers son nouveau monde.
Chapitre 13.
Le grand amphithéâtre de l'université d'Aix-Marseille était comble ce jour-là. Sous les voûtes modernes, les familles, les professeurs et les étudiants retenaient leur souffle à l'annonce des résultats. Quand le nom de Yasmine Bensaïd fut prononcé, suivi de « Major de Promotion » et de la mention « Félicitations du Jury – Excellence », un silence impressionné précéda les applaudissements.
Yasmine se leva, une émotion complexe au cœur. La fierté, bien sûr, mais aussi le souvenir cuisant du prix payé pour en arriver là. Elle serra son diplôme, ce parchemin qui était bien plus qu'un bout de papier : c'était un bouclier, une armure, sa nouvelle identité.
C'est après la cérémonie que le professeur Bertrand Glowinski, un homme d'une soixantaine d'années à l'énergie juvénile et à la réputation internationale, l'aborda, les yeux pétillants d'excitation.
« Yasmine. Un résultat remarquable. Vos travaux sur la topologie différentielle étaient d'une clarté et d'une originalité rares. » Il marqua une pause, scrutant son visage. « Je vous ai observée cette année. Vous avez une ténacité, une intuition... et une capacité à vous abstraire du monde qui sont les marques des grands chercheurs. »
Il lui tendit une liasse de papiers. « J'ai une proposition pour vous. Un sujet de thèse. »
Yasmine parcourut la première page. Son souffle se coupa.
Titre Provisoire : Approches Algorithmiques et Preuves Assistées par Ordinateur de la Conjecture de Syracuse (3n+1)
« La conjecture de Collatz ? » murmura-t-elle, incrédule. « Mais... c'est un cimetière à réputations. »
« Justement ! » s'exclama Glowinski, passionné. « C'est le Graal. Simple à énoncer, impossible à résoudre avec les outils classiques. Tout le monde l'a attaquée avec l'analyse ou la théorie des nombres. Personne n'a réussi. Je propose une approche radicalement différente : utiliser l'intelligence artificielle non pas comme un simple outil de calcul, mais comme un partenaire heuristique. Explorer l'espace des preuves potentielles, modéliser le comportement asymptotique des suites pour des valeurs astronomiques que l'esprit humain ne peut même pas concevoir, chercher des motifs, des invariants cachés. »
Ses yeux brillaient. « C'est un projet à haut risque. Vous pourriez y passer trois ans sans rien trouver. Mais si vous trouvez ne serait-ce qu'une nouvelle piste, ce sera une révolution. Et si, par le plus grand des hasards, vous la résolvez... »
Il n'eut pas besoin de finir sa phrase. La gloire absolue. Une place dans l'histoire des mathématiques.
Yasmine regarda les équations simples sur la page : *si n est pair, n/2 ; si n est impair, 3n + 1*. Une simplicité diabolique qui cachait un abîme de complexité. Elle y vit le reflet de sa propre vie : des règles apparemment simples (l'honneur, la vertu) qui, une fois mises en pratique, menaient à des chemins chaotiques et imprévisibles.
Elle leva les yeux vers Glowinski. La peur était là, mais une excitation bien plus forte la submergeait. C'était le défi ultime. L'échappatoire parfaite. Un univers où se perdre, un problème si vaste qu'il pourrait absorber toute sa honte, toute sa rage, toute son intelligence.
« Je le veux, » dit-elle, sans une hésitation.
Dans les mois qui suivirent, le bureau de Yasmine devint son monastère. Les murs se couvrirent de graphes complexes, de suites numériques s'étirant sur des mètres de papier, d'équations différentielles tentant de modéliser l'errance des nombres. Son ordinateur, connecté à des serveurs de calcul haute performance, grondait jour et nuit, avalant des téraoctets de données, testant des milliards d'itérations, traquant le plus petit motif, la plus infime régularité statistique qui pourrait trahir une logique cachée.
Elle et Glowinski formaient une équipe improbable et brillante. Lui, l'intuition pure, les grandes idées, les conjectures audacieuses. Elle, la rigueur implacable, la maîtrise algorithmique, la patience infinie à coder, tester, analyser.
Parfois, la nuit, alors que Marseille s'endormait et que seule la lumière de son écran l'éclairait, Yasmine s'arrêtait. Elle observait les colonnes de nombres défiler, une danse hypnotique et sans fin. Elle pensait à la suite chaotique de sa propre vie, aux choix improbables, aux hasards qui l'avaient menée de son village algérien à ce bureau, à ce problème.
Elle avait perdu un honneur, celui que mesurait sa mère au regard des gens du village.
Mais elle en forgeait un autre, bien plus précieux à ses yeux : celui que l'on gagne en repoussant les frontières de la connaissance, en affrontant l'immensité de l'inconnu avec pour seule arme la ténacité de son esprit.
La conjecture de Collatz était son dragon personnel. Et Yasmine, l'étudiante brisée et devenue guerrière des mathématiques, était bien décidée à le vaincre.
Chapitre 14.
Le bureau du Professeur Glowinski sentait le vieux papier, le café fort et la poussière des livres anciens. Les rayonnages croulaient sous le poids d'ouvrages aux titres complexes, et la lumière de fin de journée dessinait des rais dorés dans lesquels dansaient des milliards de particules de poussière.
Yasmine venait de lui présenter ses derniers résultats, une analyse statistique novatrice sur la distribution des pics dans les séquences de Collatz pour des nombres dépassant les 10^20. Le professeur avait écouté, silencieux, le regard perçant fixé sur les graphiques, émettant seulement de temps à autre un grognement pensif.
Quand elle se tut, il leva les yeux vers elle. Son expression n'était plus celle du mentor encourageant, mais celle d'un pair contemplant l'étendue d'un territoire nouveau.
« Yasmine, » commença-t-il, sa voix plus grave que d'habitude. « Ce que vous faites ici... ce n'est pas juste une thèse prometteuse. C'est du travail de fondation. Vous êtes en train de construire une nouvelle lingua franca pour aborder ce problème. Une combinaison d'intuition mathématique pure et de puissance de calcul brute que personne n'a jamais exploitée de cette manière. »
Il se leva et vint se poster devant la fenêtre, contemplant les toits de Marseille.
« La conjecture de Collatz... elle résiste depuis près d'un siècle. Elle a humilié les plus grands esprits. Paul Erdős lui-même a dit que "les mathématiques n'étaient pas encore prêtes pour de tels problèmes". »
Il se retourna, et son regard était maintenant électrisé par une conviction absolue.
« Si vous menez cette thèse à son terme... si vous arrivez ne serait-ce qu'à formuler une preuve partielle, une avancée conceptuelle majeure... vous ne serez pas seulement docteure. Vous serez une candidate sérieuse pour la Médaille Fields. »
Le mot tomba dans le silence du bureau comme une pierre précieuse dans de l'eau limpide. Médaille Fields. La plus haute distinction en mathématiques. Le Nobel des mathématiciens. Une récompense qui couronne non seulement une découverte, mais une vision, un génie.
Yasmine sentit un vertige l'envahir. Ce n'était plus une question d'honneur familial ou de rédemption personnelle. C'était entrer dans la cour des très, très grands. Laisser une empreinte indélébile dans l'histoire de la connaissance humaine.
« Je... je ne sais pas quoi dire, professeur. La Fields... c'est... »
« C'est à votre portée, » coupa-t-il avec une fermeté inattendue. « Je ne dis pas que ce sera facile. Je dis que vous en avez la capacité. J'ai dirigé beaucoup d'étudiants brillants. Mais vous... vous avez cette ténacité. Cette froideur dans l'analyse, couplée à une intuition presque sauvage. Et après ce que vous avez traversé... » Il fit un vague geste de la main, comme s'il devinait sans tout connaître les épreuves qu'elle avait surmontées. « ... vous n'avez plus peur de l'échec. Vous n'avez plus peur de vous brûler les ailes en vous approchant du soleil. C'est la qualité la plus rare. »
Il revint vers son bureau et prit une vieille photo encadrée : un jeune homme aux cheveux en bataille, souriant, aux côtés d'un mathématicien qu'elle reconnut.
« Il m'a dit un jour que la plus grande équation à résoudre était celle de son propre potentiel. Ne la sous-estimez pas, Yasmine. »
Yasmine sentit une onde de choc parcourir tout son être. La petite fille d'Algérie, celle qui avait cru que son avenir se limitait à un mariage et à un foyer, était maintenant face à un destin qui dépassait toute imagination. La Médaille Fields. Ce n'était pas une motivation vaniteuse. C'était un phare. Un but si grandiose, si absolu, qu'il pouvait justifier tous les sacrifices, absorber toutes les douleurs passées.
Elle croisa le regard de Glowinski, et dans ses yeux à elle, plus de doute, plus de honte. Seulement une détermination froide et cristalline, aussi dure et pure que le diamant.
« Alors on a du travail, professeur, » dit-elle simplement.
Elle sortit de son bureau, non pas enivrée, mais avec une sérénité nouvelle. Le chemin serait long, solitaire et semé d'embûches. Mais elle avait désormais une étoile à suivre. Et elle n'avait plus rien à perdre.
Elle regagna son bureau, s'assit devant son écran où défilaient les suites infinies de nombres, et plongea dans le silence sacré de la recherche. La quête venait de prendre une dimension nouvelle. Elle ne se battait plus pour effacer son passé, mais pour conquérir l'avenir.
Chapitre 15.
Le moment de la séparation était venu, et il se fit sans drame, dans un calme étrange. Yasmine annonça sa décision à Majda un matin où elles prenaient leur café, debout dans la cuisine, chacune perdue dans ses pensées.
« J'ai trouvé un studio. Pas loin de Luminy. Je vais emménager le mois prochain. »
Majda posa sa tasse, un instant de surprise dans le regard, vite remplacé par une forme de résignation lucide. Elle comprenait. Elle avait toujours su, au fond, que leur colocation n'était qu'une parenthèse.
« À cause de... tout ça ? » demanda-t-elle, sans préciser, englobant d'un geste vague les murs qui avaient vu tant de scènes.
Yasmine secoua la tête, un sincere demi-sourire aux lèvres. « Non. Enfin, pas exactement. Pas à cause de toi, Majda. Je ne t'en veux pas. » Elle prit une inspiration. « Je cède à mes propres démons, pas aux tiens. La faute me revient. Mais j'ai besoin de calme. De silence. Ma thèse... c'est quelque chose de colossal. J'ai besoin d'un sanctuaire. »
Majda hocha la tête, son expression se adoucit. Il n'y avait ni rancœur ni tristesse, mais une forme de respect. « Je comprends. Vraiment. Tu vas conquérir le monde, toi. Moi... » Elle eut un haussement d'épaules fataliste. « Je vis ma vie. Fais juste attention à toi, Yas. Ne deviens pas trop seule. »
C'était ça, leur adieu. Sans larmes, sans reproches. Une simple reconnaissance que leurs chemins, qui s'étaient croisés dans un moment de chaos nécessaire pour l'une et habituel pour l'autre, divergeaient à présent.
Avec sa bourse d'excellence de thèse et son salaire d'assistante de recherche, Yasmine put se permettre un petit studio fonctionnel à quelques stations de bus de Luminy. Il était neutre, impersonnel, et c'était tout ce qu'elle voulait. Quatre murs blancs, une grande fenêtre qui donnait sur un arbre, un bureau assez grand pour supporter ses écrans et ses montagnes de papiers. Il sentait le propre et le neuf. Il sentait le commencement.
Le jour où elle y emménagea, elle fit le tour des pièces vides, écoutant le silence. Ce n'était pas un silence lourd de solitude, mais un silence prometteur, comme la page blanche avant le premier coup de pinceau. Ici, plus de cris, plus de rires étouffés, plus de portes qui claquent à des heures indues. Juste le léger ronronnement de son ordinateur portable et le frémissement de ses propres pensées.
Elle installa son bureau face à la fenêtre, rangea ses livres avec un soin méticuleux, et accrocha au-dessus de son écran une feuille où elle avait écrit, en grands caractères, l'énoncé minimaliste de la conjecture de Collatz :
n → n/2 (si n est pair)
n → 3n + 1 (si n est impair)
? → 1
C'était son mantra, son océan à traverser.
Parfois, la nuit, des images lui revenaient. La chaleur de Thomas, l'humiliation des billets jetés à ses pieds, le visage brisé de Kamal au téléphone. Mais au lieu de les refouler, elle les regardait en face, puis reportait toute cette énergie brute, toute cette rage et cette intensité, sur son travail. Elle transformait la honte en concentration, le désir en curiosité intellectuelle, la colère en une ténacité à toute épreuve.
Elle ne s'en voulait plus. Elle avait fait la paix avec sa part d'ombre. Elle l'avait simplement reléguée dans un coin de son passé, comme une force motrice qui n'avait plus besoin de se manifester, mais qui continuait à alimenter le feu de son ambition.
Dans son nouveau sanctuaire, Yasmine n'était plus l'étudiante vulnérable, la colocataire agacée ou la fiancée infidèle. Elle était une chercheuse. Une guerrière des nombres. Et elle était enfin chez elle.
Chapitre 16.
Le nouvel appartement de Yasmine, près de Luminy, était un cube de silence et de lumière. Seul le grésillement de l'ordinateur et le grattement fébrile de son stylo sur le papier brouillaient le calme. Devant elle, s'étalaient les preuves d'un travail acharné : des pages et des pages de calculs, de graphes générés par l'IA, de tentatives de preuves formelles pour la conjecture de Collatz. Un colloque international approchait, et elle devait présenter un état des lieux solide, une avancée tangible.
Mais ce soir, le flux était rompu. Le stress lui serrait les tempes. Les symboles mathématiques dansaient devant ses yeux sans former de sens. Et puis, les images étaient revenues.
Non pas comme des souvenirs flous, mais en flashes nets, sensoriels, violents.
La peau de Thomas contre la sienne. Le poids de son corps. Le goût de sa bouche. Sa bite dressée, qu'elle avait fini par prendre dans sa bouche avec une frénésie qui la faisait frémir de honte et... d'excitation rétrospective. La douleur vive de la pénétration, puis le plaisir coupable, incontrôlable, qui avait suivi.
Elle chassa mentalement les images, se concentra sur une équation différentielle. Rien à faire. Les chiffres se transformaient en courbes de hanches, en lignes de muscles, en veines saillantes sur un sexe d'homme.
Focus, Yasmine.
Mais son esprit, sous pression, faisait des connexions improbables. Elle revécut la matinée d'après. La douche brûlante. La honte. Et puis... le laboratoire. La clarté soudaine. La solution au problème de maths qui lui avait résisté pendant des semaines, trouvée en une seule matinée de concentration pure, presque inhumaine.
Un tilt sonna dans sa tête, une connexion logique et terrifiante.
L'incapacité avant. La transformation après.
L'extrême stimulation sensorielle, le chaos émotionnel, le pic d'adrénaline et de... désir... avaient-ils débloqué quelque chose en elle ? Avaient-ils fait sauter un verrou mental, libéré une partie de son cerveau通常 réservée à la retenue, à la bienséance, lui permettant d'accéder à un état de concentration et de créativité pure ?
Le raisonnement était monstrueux. Il faisait de son viol à moitié consenti un catalyseur. Il souillait la pureté des mathématiques avec la saleté du désir et de la violence.
Mais et si c'était vrai ?
Le besoin était soudain viscéral, urgent. Ce n'était pas du désir romantique ou affectif. C'était une pulsion primitive, un besoin de reproduire le stimulus qui, peut-être, lui avait permis de percer.
Les doigts tremblants, elle attrapa son téléphone et composa le numéro de Majda.
La ligne sonna deux fois avant qu'une voix ensommeillée ne réponde. « Allô ? Yas ? Tout va bien ? Il est tard. »
« Majda, » la voix de Yasmine était tendue, presque métallique. « J'ai besoin du numéro de Thomas. »
Un silence stupéfait à l'autre bout du fil.
« Thomas ? » La voix de Majda était soudainement pleine d'alerte. « Cette crapule ? Yasmine, non. Pourquoi ? Pour l'amour de Dieu, pourquoi ? »
« J'ai besoin de lui. »
« Si t'as un problème d'argent, je t'en donne. Sérieusement. Occupe-toi de tes recherches, laisse ce déchet où il est. »
Yasmine serra les dents, impatientée. Les équations lui dansaient encore devant les yeux, mélangées aux images de Thomas.
« Non, je n'ai pas besoin d'argent, Majda. » Elle prit une inspiration profonde, et dit les mots avec une froideur clinique qui glaça le sang de son amie. « J'ai besoin d'une bite. La sienne, spécifiquement. »
Le silence qui suivit fut total, abyssal. Majda était sans voix. Elle n'avait rien compris. Pour elle, c'était de la folie pure, une rechute dans la soumission, une destruction volontaire.
« Yasmine... Habibti... non. Tu ne sais pas ce que tu dis. C'est le stress, la thèse... Repose-toi. On en parle demain, je t'en supplie. »
« Non, Majda. Maintenant. » La voix de Yasmine n'avait pas haussé le ton. Elle était plate, déterminée, sans appel. Un ordre émis par une machine à calculer qui avait conclu qu'un élément X était nécessaire à sa prochaine équation. « Donne-moi le numéro. Tout de suite. »
« Je ne ferai pas ça ! C'est de l'autodestruction ! Il t'a... » La voix de Majda se brisa. « ...utilisée. »
« Ce qui s'est passé est passé. Maintenant, j'ai un besoin. » Le mot résonna, froid et technique. « Tu as deux choix. Soit tu me donnes le numéro. Soit je passe les prochaines heures à le retrouver par d'autres moyens. Mais je l'aurai. Alors, facilite les choses. »
Majda entendait la folie dans la logique implacable de son amie. Ce n'était pas la folie chaotique de l'ivresse ou de la passion, mais la folie froide et terrifiante du génie qui a décidé de se servir de tout, même de sa propre souffrance, comme d'un outil.
Elle comprit qu'elle ne pourrait pas l'arrêter. La seule chose qu'elle pouvait faire, c'était rester dans la course, être un témoin, peut-être un garde-fou.
Un long soupir, chargé de lassitude et de résignation, traversa la ligne.
« D'accord. » Le mot était un chuchotement de défaite. « Je vais te le donner. Mais promets-moi une chose. »
« Quoi ? »
« Que tu m'appelleras. Après. Peu importe l'heure. Même si c'est pour me dire que je suis une idiote et que tu as raison. Tu m'appelles. »
« D'accord. » Le accord fut rapide, sans émotion. Une condition comme une autre à respecter pour obtenir la variable désirée.
Majda énuméra les chiffres, lentement, comme si chaque numéro était un clou dans un cercueil. Yasmine les griffonna sur une marge blanche de son cahier de notes, à côté d'une équation partielle sur les propriétés des suites de Collatz.
« Merci », dit Yasmine, d'un ton qui n'exprimait aucune gratitude, seulement la satisfaction d'une requête exécutée.
« Yasmine, je... »
Click.
La ligne était coupée avant que Majda ne puisse ajouter autre chose. Yasmine était déjà passée à l'étape suivante.
Elle regarda les chiffres griffonnés. Puis le numéro de Thomas. Puis les équations.
Son visage était un masque de concentration pure. Aucune excitation malsaine, aucun désir charnel apparent. Seule la détermination froide d'une scientifique sur le point de mener une expérience risquée et nécessaire.
Elle composa le numéro.
Chapitre 17.
Le téléphone ne sonna que deux fois avant qu'une voix masculine, neutre et légèrement distante, ne réponde.
« Allô ? »
Yasmine serra le combiné. « Thomas ? »
« Oui, c'est moi. Qui est à l'appareil ? » demanda-t-il, poli mais sans chaleur particulière.
« Yasmine. »
Il y eut un très bref silence, le temps pour lui de placer le nom. Puis sa voix changea, s'alourdissant d'une reconnaissance teintée de cynisme.
« Yasmine... La coloc de Majda. » Il marqua une pause, laissant planer un doute malsain. « Je me souviens. Qu'est-ce qui me vaut cet honneur ? Tu as changé d'avis pour les 2000 euros ? »
La colère monta en Yasmine, brûlante et immédiate, mais elle la canalisa en un sarcasme glacé.
« Tu peux les mettre où je pense, tes 2000 euros. » Elle prit une inspiration, franchissant mentalement le point de non-retour. « J'ai besoin de toi. »
Nouveau silence, plus long, nettement intrigué et méfiant cette fois. « Besoin de moi ? Pour faire quoi ? » Sa voix était devenue plus basse, moins assurée.
« En nature. Tu as bien entendu. Tu peux venir maintenant ? À Luminy. » Elle lui donna son adresse, d'une voix claire et neutre, comme si elle lui donnait des instructions pour une livraison.
À l'autre bout du fil, Thomas était déstabilisé. Cette fille qu'il avait crue fragile et manipulable, qui l'avait repoussé avec véhémence, revenait vers lui avec une demande obscène et un contrôle terrifiant.
« Pourquoi maintenant ? Pourquoi... comme ça ? » demanda-t-il, essayant de reprendre la main, de comprendre l'angle.
« Tu poses trop de questions, » rétorqua Yasmine, impatiente. Le ton n'était pas celui de la séduction, mais de l'ultimatum. « C'est oui ou c'est non ? J'ai du travail. »
Le défi, le renversement complet des rôles, fit son effet. L'ego de Thomas, piqué au vif et intrigué par le mystère, prit le dessus sur la méfiance.
« J'arrive, » dit-il, sa voix retrouvant une once de sa superbe machiste, mais qui sonnait presque comme une bravade. « Préparé-toi. »
La ligne claqua. Yasmine raccrocha et posa le téléphone sur son bureau, à côté de ses équations. Ses mains tremblaient légèrement, mais son esprit était étrangement calme, vide. Elle avait actionné le levier. L'expérience était en cours.
Chapitre 18.
Thomas garra sa voiture devant l'immeuble de Luminy, le moteur tournant encore un instant alors qu'il tentait de calmer les battements désordonnés de son cœur. Tout le long du trajet, une seule pensée avait martelé son crâne : Elle est enceinte. Elle est enceinte et elle va me le dire. Et après ? Il avait échafaudé des plans, des mensonges, des menaces, préparé son visage à afficher la surprise outrée puis le déni catégorique.
Il sonna, les doigts moites. La porte s'ouvrit presque immédiatement, comme si elle l'attendait derrière. Yasmine était là, vêtue simplement d'un jean et d'un t-shirt, les cheveux attachés, sans maquillage. Elle ne lui sourit pas. Elle l'attira à l'intérieur d'un geste sec et, avant qu'il n'ait pu prononcer un mot, se dressa sur la pointe des pieds et l'embrassa.
Ce ne fut pas un baiser tendre ou langoureux. C'était une collision, une revendication, une prise de possession. Thomas, sidéré, resta figé une seconde, puis son instinct prit le dessus et il répondit au baiser, ses mains se posant naturellement sur ses hanches.
Quand elle se sépara de lui, il ouvrit la bouche pour poser la question qui le brûlait depuis une heure. « Écoute, Yasmine, si c'est pour... »
Elle l'interrompit d'un geste de la main, son regard noir le transperçant. « T'inquiète pas, Thomas. Je ne suis pas enceinte. Je ne compte pas l'être de sitôt, et surtout, surtout, pas de toi. »
Le soulagement fut si violent qu'il en eut le vertige. Puis la confusion le submergea à nouveau. « Alors... pourquoi ? »
Un sourire étrange, presque cruel, flotta sur les lèvres de Yasmine. « J'ai juste envie que tu me baises. » Elle dit les mots avec une crudité déconcertante, en le dévisageant fixement, comme si elle étudiait ses réactions. « Encore une fois. Avec la même... intensité que la première fois. »
Thomas en resta bouche bée. Il la dévisagea, cherchant la ruse, le piège. Il ne vit qu'une détermination froide et absolue. Cette fille qui l'avait giflé avec ses propres billets, qui avait fui en pleurant, lui demandait cela. Explicitement. Sans fard.
Un rire incrédule lui échappa. « Tu es sérieuse ? »
« Je n'ai jamais été aussi sérieuse de ma vie, » répondit-elle en tournant les talons et en se dirigeant vers sa chambre, lui lançant un regard par-dessus son épaule qui ne laissait place à aucun doute. « Alors, tu viens ? »
Thomas, abasourdi, éberlué, mais irrésistiblement excité par ce renversement de situation et par le défi, la suivit. Il n'en revenait pas. Le piège qu'il avait redouté n'existait pas. À la place, se présentait à lui la chose même qu'il avait cru devoir arracher par la force ou l'argent : son consentement total, exigeant, et terriblement troublant.
Yasmine fit tourner son string autour de son doigt avant de le laisser tomber sur le sol. Elle se tenait devant Thomas, offerte et impérieuse, la lumière de la lampe dessinant des ombres dorées sur les courbes de son ventre et de ses hanches. Son regard ne suppliait pas ; il exigeait.
Elle se mit à genou face à lui, défit sa ceinture, dégrafa son jean d'un geste expert. Lorsqu'elle libéra son sexe déjà durci, un souffle rauque lui échappa. Elle l'enveloppa d'abord de sa main, mesurant son poids, sa chaleur, comme un artisan jauge son outil. Puis elle se pencha.
Sa langue, habile et précise, se contenta d'abord de dessiner des cercles sur le gland, de goûter le sel de sa peau, le faisant frémir. Elle prit son temps, contrôlant chaque frisson qui parcourait le corps de Thomas. Puis, elle l'engloutit.
Ce ne fut pas une simple fellation. Ce fut une prise de possession. Sa bouche était à la fois douce et vorace, alternant succions profondes et mouvements lents de va-et-vient qui le firent geindre. Elle plaça ses mains sur ses fesses, l'attirant plus loin encore au fond de sa gorge, et il sentit un vertige absolu l'envahir. Elle lui aspirait bien plus que son plaisir ; elle absorbait sa volonté, sa résistance, le réduisant à l'état de simple instrument de sa propre jouissance.
Quand l'explosion arriva, elle ne se déroba pas. Elle maintint son étreinte, avalant chaque pulsation, chaque goutte, jusqu'à ce qu'un dernier frisson le secoue. Alors seulement, elle se libéra, un mince filet blanc coulant de sa lèvre qu'elle essuya du revers de sa main sans rompre son regard intense.
Elle se leva, dominant son partenaire, essoufflé et vaincu.
« À ton tour, maintenant, » dit-elle en se laissant tomber sur le lit, les jambes entrouvertes.
« Fais-moi jouir. Je veux que tu m'envoies au septième ciel. N'y va pas avec douceur. Prends-moi comme je te veux. »
Thomas, encore étourdi par l'intensité de ce qui venait de se passer, la regarda s'allonger. Il y avait dans ses yeux à elle une lueur qui n'était pas seulement du désir, mais une soif de domination, de sensation pure. Elle ne voulait pas être aimée ; elle voulait être consommée.
Il se jeta sur elle, non pas comme un amant, mais comme un élève appliqué et un peu brutal suivant les ordres de son professeur. Sa bouque trouva son clitoris avec une urgence nouvelle. Il ne la lécha pas avec tendresse ; il la dévora, cherchant à lui arracher les mêmes gémissements de perte de contrôle qu'elle lui avait extorqués.
Yasmine arqua le dos, ses doigts s'enfonçant dans ses cheveux pour guider – ou pour contraindre – le rythme. « Plus vite, » haleta-t-elle. « Plus fort. » Elle se mit à bouger, frottant son sexe contre son visage avec une sauvagerie qui le surprit et l'excita davantage.
Quand les premiers spasmes la secouèrent, son cri ne fut pas étouffé. Il retentit dans la pièce, un son rauque et victorieux. Elle trembla de la tête aux pieds, son corps entier vibrant de la décharge.
Mais au lieu de se détendre, elle le repoussa, se retourna à quatre pattes, lui présentant ses fesses avec un défi muet. « Maintenant, prends-moi. Par-derrière. Et ne te retiens pas. »
Thomas n'eut pas besoin qu'on le lui dise deux fois. Il la pénétra d'un coup, et elle cria à nouveau, mais cette fois de plaisir et de plénitude. Il la saisit par les hanches, l'écartant, l'enfonçant sur lui à chaque poussée. La fessée qu'il lui administra résonna comme un coup de feu. Elle rugit son approbation.
Le lit cognait contre le mur au rythme de leurs corps qui se heurtaient. Il n'y avait plus de pensées, plus de calculs, seulement un tourbillon de sensations brutes. Yasmine, dans un dernier effort, atteignit entre ses jambes pour se stimuler à nouveau, et son deuxième orgasme, plus violent que le premier, la fit s'effondrer sur le lit, entraînant Thomas avec elle dans une dernière poussée frénétique.
Ils restèrent là, pantelants, couverts de sueur, le souffle rauque. Le silence retomba, lourd de l'intensité de ce qui venait de se passer.
Après un long moment, Yasmine se leva sans un mot. Elle passa à la douche, puis revint s'asseoir à son bureau, nue, la peau encore rouge et frémissante. Elle ouvrit son ordinateur portable et fixa l'écran où s'affichait la Conjecture de Collatz.
Et, alors que Thomas s'endormait, épuisé et confus, elle se mit à écrire. Les idées affluaient, claires, précises, débloquées par la violence et la catharsis de l'acte. Le plaisir charnel avait fait place à un plaisir intellectuel tout aussi intense. Elle avait utilisé Thomas, son corps, pour atteindre un état de grâce mentale.
L'expérience était un succès.
Chapitre 19.
Le téléphone de Yasmine vibra toute la nuit, illuminant sporadiquement la pièce sombre. Majda s'affichait obstinément sur l'écran. Yasmine l'avait ignoré, d'abord parce qu'elle était en pleins ébats charnels avec Thomas, puis absorbée par la finalisation frénétique de son papier, et bien sûr, ensuite, épuisée, elle s'était effondrée dans un sommeil profond et immédiat.
Au petit matin, elle se leva avec une lucidité chirurgicale, se glissant hors du lit sans réveiller Thomas. Les souvenirs de la nuit – la peau contre la sienne, la sueur, les cris étouffés – étaient traités comme des données, archivés dans une partie de son esprit qu'elle avait fermée. Sous la douche, l'eau fraîche lessiva les derniers résidus physiques de l'expérience. Elle s'habilla avec une rapidité mécanique : jean, baskets, pull-over.
Avant de partir, elle jeta un regard au lit où Thomas dormait, vulnerable et inconscient de son rôle d'instrument. Elle se pencha et déposa un baiser léger, presque clinique, sur son front.
« Bonjour Thomas. Merci pour hier. Je pars au labo. Tu peux claquer la porte derrière toi quand tu sors. »
Thomas ouvrit des yeux embués de sommeil, la regardant avec une incompréhension totale. Elle souriait, calme et distante, comme si la nuit intense qu'ils venaient de partager n'avait été qu'une formalité. Avant qu'il ne puisse articuler un mot, elle avait déjà tourné les talons.
Dans l'ascenseur, elle sortit enfin son téléphone. Vingt-trois appels manqués de Majda. Elle composa le numéro.
« Allô ? Yasmine ! Enfin ! Putain, j'ai cru que... » La voix de Majda était rauque d'inquiétude.
« Tout va bien, Majda. Tout va très bien, » l'interrompit Yasmine, sa voix étonnamment douce et apaisée. « Je te raconterai. Mais là, je suis pressée. »
« Il est... il est encore là ? » demanda Majda, hésitante.
« Oui. Mais plus pour très longtemps. » Le ton était si neutre, si définitif, que Majda comprit qu'il n'y avait ni drame ni passion. Quelque chose d'autre, d'indéchiffrable, s'était passé.
Quand Yasmine pénétra dans le bureau du Professeur Glowinski, elle était rayonnante. Non pas d'un bonheur conventionnel, mais de cette lumière intérieure que dégage une intelligence parfaitement alignée avec son objet.
« Professeur. » Elle lui tendit une clé USB. « Le papier pour le colloque. »
Glowinski brancha la clé et fit défiler le document sur son écran. Il lisait vite, son regard expert sautant des équations aux arguments, des lemmes aux conclusions. Son visage, d'abord neutre, se tendit, puis se détendit progressivement en une expression de profonde satisfaction.
Le silence dura plusieurs minutes. Yasmine attendait, debout, parfaitement calme.
Quand il releva enfin les yeux, son regard était plein d'une admiration non dissimulée. « Rien à dire. Rien à ajouter. C'est précis, concis, d'une clarté remarquable. La démonstration de la borne asymptotique pour les suites à croissance minimale est... élégante. Très élégante. » Il retira ses lunettes. « Vous êtes prête, Yasmine. Plus que prête. »
Un sourire, rare et véritable, effleura les lèvres de Yasmine. Ce n'était pas un sourire de triomphe, mais de pure congruence. Elle avait canalisé tout le chaos, toute l'énergie trouble de la nuit, dans la froide perfection de la logique.
« Je sais, » répondit-elle simplement.
Elle quitta son bureau et marcha d'un pas décidé vers son labo. Les couloirs du campus étaient encore presque vides. Dans sa tête, les nombres dansaient, non plus comme des images parasites, mais comme des partenaires dociles, prêts à former la séquence parfaite.
Personne ne comprenait l'état de Yasmine ces jours-ci. Et elle n'avait besoin que de ça.
Chapitre 20.
Un autre samedi matin, la lumière crue inondant son studio trop propre, Yasmine composa le numéro de Majda. Au bout de plusieurs sonneries, une voix rauque, éraillée, presque inaudible, répondit.
« Allô... ? »
« Majda ? C'est moi. Tu as une voix bizarre. Tu es malade ? »
Un silence, puis un chuchotement, comme si Majda parlait la tête enfouie sous un oreiller pour ne réveiller personne. « Non... juste... fatiguée. »
Yasmine, intriguée, insista. « 'Fatiguée' ? On dirait que tu as avalé un paquet de clopes et crié toute la nuit. Qu'est-ce qui se passe ? »
Un nouveau silence, plus long. Puis Majda, dans un souffle, avoua. « Je suis à l'Hôtel-Dieu. L'InterContinental. J'ai... passé la nuit ici. »
« Toute seule ? » taquina Yasmine, devinant déjà la réponse.
« Non... » Le chuchotement de Majda se fit encore plus confidentiel, teinté d'une fatigue et d'une excitation rétrospectives. « Avec un Émirati. Hamed Bin Quelque Chose. Très, très riche. Et... infatigable. » Elle marqua une pause, comme pour reprendre son souffle. « Il m'a baisée toute la nuit, Yas. Dans tous les sens, dans toutes les positions. Je me sens comme si un tracteur m'était passé dessus. Je peux à peine bouger. »
Yasmine éclata de rire, un rire franc et libérateur qui résonna dans son studio silencieux. L'image de Majda, complètement « démontée » comme elle disait, dans un palace, était trop irrésistible.
« Eh bien ! Voilà qui tombe à pic ! » s'exclama Yasmine, essuyant une larme. « J'allais justement t'appeler pour te proposer un week-end de dévergondage pour décompresser après mon colloque ! On dirait que tu as pris les devants ! »
« Un week-end... ? » murmura Majda, avec un mélange d'effroi et d'intérêt. « Yasmine, je ne tiendrai jamais. Je suis en miettes. »
C'est à ce moment qu'une troisième voix, masculine, grave et posée, prit le relai sur le téléphone. Hamed avait dû s'emparer de l'appareil.
« Bonjour, Yasmine. Majda m'a beaucoup parlé de vous. » Sa voix était calme, empreinte d'une autorité naturelle. « Votre amie est effectuellement... quelque peu indisposée. Mais votre idée de week-end me séduit. »
Yasmine, surprise mais amusée, écouta.
« Je propose que vous nous rejoigniez, » continua Hamed. « À mes frais, bien entendu. Cette suite est assez vaste pour nous tous. Cela me ferait grand plaisir d'accueillir dans mon lit, en même temps, une étudiante marocaine aussi enjouée... et une chercheuse algérienne aussi brillante. Ce serait une expérience des plus... culturellement enrichissantes. »
Le sous-entendu était on ne peut plus clair. Yasmine sentit une pointe d'excitation mêlée à sa curiosité scientifique habituelle. C'était une nouvelle variable, inattendue. Une nouvelle expérience.
Un sourire joua sur ses lèvres. « Monsieur Bin Kasban, votre proposition est... audacieuse. Laissez-moi réfléchir à cela. Prenez soin de Majda en attendant. »
Elle raccrocha, le cœur léger. Son monde, autrefois limité aux équations et à la culpabilité, s'ouvrait à des possibilités infinies, et étrangement, cela nourrissait son esprit plus que toute nuit blanche de travail. Elle regarda par la fenêtre, vers la mer. Le week-end s'annonçait décidément bien moins solitaire que prévu.
Yasmine pénétra dans le hall majestueux de l'InterContinental, feeling both a flicker of apprehension and a thrill of anticipation. Le dîner qui l'attendait était un monde away from the sterile canteen at Luminy. Dans la salle privée aux lustres étincelants, la table était couverte de mets rares et de cristaux précieux. Cheikh Hamed, imposant et souriant, les accueillit avec une courtoisie teintée de possession déjà palpable.
Pendant le repas, ses mains, ornées de lourdes bagues, ne restèrent jamais immobiles. Sous la nappe brodée, elles trouvèrent le chemin des cuisses de Majda puis de Yasmine, caressant leurs entrejambes avec une audace que dissimulait à peine son sourire de connaisseur. Les filles échangèrent un regard amusé ; au lieu de se braquer, elles jouèrent le jeu, répondant par de légers pressions de cuisses et des sourires énigmatiques. Yasmine, surtout, observait la scène avec la curiosité détachée d'une anthropologue étudiant un rituel étrange, même si une chaleur coupable montait en elle.
Après le dessert, ils se rendirent à la piscine privée, baignée d'une lumière dorée. Majda et Yasmine, en deux-pièces qui soulignaient sans complexe leurs formes généreuses, attirèrent les regards appréciateurs et sans fard de Hamed. « Deux perles rares, » commenta-t-il, la voix grave, tandis que sa main se posait un instant sur la hanche nue de Yasmine, puis sur la taille de Majda, les possessant visuellement et physiquement. Les filles ricanaient, excitées malgré elles par son impudeur assumée.
Puis, il les guida vers l'ascenseur privé. « La suite vous attend. Je pense que nous y serons... plus à l'aise. »
Les portes de la suite royale se refermèrent dans un silence feutré. L'espace était immense, dominé par un lit monumental face à des baies vitrées ouvrant sur un balcon et la mer Méditerranée nocturne.
« Enfin seules, » dit Hamed avec un sourire qui n'était pas sans rappeler celui d'un chat devant un bol de crème.
Il posa sa coupe et, sans préambule, attira Majda contre lui, lui plantant un baiser profond et possessif. Sa main, large et ferme, se posa sur la courbe de la hanche de Yasmine, l'attirant à son tour dans une étreinte groupée. Yasmine se laissa faire, observant la scène avec une curiosité clinique teintée d'une excitation grandissante. Le contraste entre le luxe froid de la suite et la chaleur des corps était enivrant.
Hamed, sans attendre, débarrassa Majda de son paréo et l'attira contre lui pour un baiser profond, tout en tendant la main vers Yasmine pour l'inviter à les rejoindre. Le trio bascula sur le lit dans un enchevêtrement de rires et de souffles courts.
Après avoir exploré leurs corps avec une bouche et des mains expertes, laissant Majda haletante et archée sur les draps de soie, Hamed se tourna vers Yasmine, ses yeux sombres brillant d'un désir non dissimulé.
« Et toi, la célèbre chercheuse... On dit que ton esprit est aussi affûté que ton corps est magnifique. » Sa main glissa le long de son dos, s'attardant sur la naissance de ses fesses, pressant légèrement pour l'encourager à se cambrer contre lui. « J'ai hâte de voir lequel des deux est le plus... performant. »
Il l'embrassa à son tour, avec une autorité qui ne laissait pas de place au doute. Son autre main retrouva Majda, se glissant sous son chemisier pour lui pétrir un sein à travers le satin de son soutien-gorge.
Yasmine, un peu étourdie par le champagne et l'audace du geste, répondit au baiser, mordillant la lèvre inférieure de Hamed avec une hardiesse qui le surprit agréablement. Il grogna, low and appreciative.
« Je vois que l'intellectuelle a du feu sous la cendre, » murmura-t-il contre sa bouche.
Il les entraîna vers le canapé, les faisant tomber avec lui dans un enchevêtrement de jambes et de rires étouffés. Il se concentra un instant sur Majda, déboutonnant son chemisier avec une dextérité qui trahissait l'habitude, libérant ses seins qu'il prit dans sa bouche avec voracité, faisant gémir la jeune femme. Puis, sans se départir de sa proie, il regarda Yasmine.
« Et toi... montre-moi comment une algérienne intelligente prend son plaisir. »
Le défi était lancé. Yasmine, le sang battant à ses tempes, n'eut pas besoin qu'on le lui répète. Elle se mit à genoux sur le canapé, devant lui, et entreprit de défaire sa ceinture, puis sa braguette. Elle libéra son sexe déjà dur, impressionnant, et le prit dans sa main, le caressant avec une assurance qui le fit frémir.
Hamed, les yeux rivés sur Yasmine qui le suçait avec une application méthodique et intense, grogna de plus belle. Il attrapa Majda par les hanches et la positionna pour la pénétrer, tout en maintenant son regard sur Yasmine.
Pendant ce temps, ses doigts retrouvèrent l'entrejambe de Majda, trempé, et commencèrent un va-et-vient expert, synchronisé avec les mouvements de sa bouche sur Hamed. Majda, prise entre les deux, se mit à haleter, ses mains agrippant les coussins, perdue dans un tourbillon de sensations.
Yasmine, le sang battant à ses tempes, l'enjamba, s'installant à califourchon sur lui. Elle guidait son sexe dur et impatient vers son entrée, déjà trempée d'anticipation. Elle s'enfonça sur lui d'un mouvement lent et délibéré, les yeux dans les yeux, un petit sourire de défi aux lèvres.
Puis elle commença à bouger. D'abord avec lenteur, cherchant le bon angle, le rythme parfait, comme elle cherchait la solution à une équation. Mais rapidement, la logique céda la place à une passion purement charnelle. Ses hanches trouvèrent leur propre tempo, s'élevant et retombant avec une vigueur croissante, ses muscles cuisant à l'effort. Ses seins rebondissaient à chaque impulsion, et elle laissa échapper des gémissements rauques, abandonnant tout contrôle.
Hamed, subjugué, la regardait faire, ses mains agrippant ses hanches pour l'aider à amplifier les mouvements, l'encourageant de paroles graveleuses et excitantes. « Oui... comme ça... Prends ton plaisir, ma lionne... »
Le spectacle de Yasmine, si froide et intellectuelle en apparence, devenue une cavalière sauvage et sensuelle, le consumait. Majda, à côté d'eux, se caressait en les regardant, perdue dans son propre vertige.
Yasmine sentit la tension monter en elle, irrésistible, foudroyante. Elle se cambra, crispa les doigts sur le torse de Hamed, et s'abandonna à un orgasme violent qui la fit crier, son corps secoué de spasmes.
Sentant sa propre fin approcher, Hamed la retourna soudainement, la maintenant fermement sous lui. « Non, » grogna-t-il, haletant. « Je veux te voir quand je jouis. »
Il reprit le contrôle, la pénétrant avec une force nouvelle, chaque poussée plus profonde, plus urgente. Yasmine, les yeux dans les siens, l'encourageait de ses gémissements, ses jambes enserrant ses reins.
Quand il explosa en elle, ce fut avec un grognement animal. Il la regarda intensément, comme pour graver ce moment dans sa mémoire, tandis que des flots de sperme chaud la remplissaient. Il s'effondra sur elle, essoufflé, couvert de sueur.
Dans le silence qui suivit, seulement brisé par leur respiration haletante, Yasmine ferma les yeux. Loin des laboratoires et des conjectures, elle venait de trouver, une fois de plus, une réponse très physique à une question qu'elle ne s'était peut-être même pas posée.
La suite ne fut plus qu'un mélange de souffles courts, de gémissements, de claquements de chairs et du rythme sourd des corps qui se cherchaient, se trouvaient, et s'oubliaient dans le luxe anonyme de la chambre d'hôtel. Sous les lustres étincelants, loin des équations et des conjectures, Yasmine explorait une autre forme de chaos, bien plus primal, et trouvait, pour un temps, une autre manière de se sentir vivante.
Chapitre 21.
Le laboratoire de Luminy bourdonnait de son activité habituelle, un mélange de clics de souris, de murmures concentrés et du grésillement des serveurs. Yasmine, penchée sur un écran où défilaient des lignes de code, était dans sa bulle, un territoire mental où seules les variables et les conjectures avaient droit de cité.
Fabrice, un collègue, passa la tête par la porte entrouverte. « Yasmine ? Y a un type qui te demande à l'accueil. »
Elle ne leva même pas les yeux. « Prends son nom et dis-lui de m'envoyer un mail. »
« Il dit qu'il s'appelle Kamal. Et il insiste lourdement. Il dit... qu'il est ton fiancé. »
Le stylo de Yasmine s'immobilisa au-dessus de son cahier. Elle leva un visage déconcerté. « Mon quoi ? Je n'ai pas de fiancé. » Les mots étaient sortis, nets et définitifs, avant même que son esprit n'ait fait le lien.
Puis, la syllabe fit son chemin dans son cerveau, tel un algorithme buggé qui trouve soudain la source de l'erreur.
Kamal.
Son sang ne fit qu'un tour. Elle se leva si brusquement que sa chaise faillit basculer en arrière. « Où est-il ? »
« Devant l'ascenseur, je... »
Elle était déjà sortie de son bureau, traversant le couloir d'un pas précipité. Et elle le vit.
Debout près des ascenseurs, semblant perdu et complètement déplacé dans son jean et sa chemise repassée de frais, Kamal. Il arborait une expression mêlant détermination, colère rentrée et une pointe d'appréhension. Leurs regards se croisèrent.
Le temps parut se suspendre. Le bruit du labo s'éteignit. Yasmine sentit un vertige la saisir, un mélange de panique pure et d'incrédulité. Qu'est-ce qu'il fait là ? Comment a-t-il...
« Yasmine, » lança-t-il, sa voix plus grave que dans ses souvenirs, chargée d'une émotion qu'elle ne lui connaissait pas.
La panique l'emporta. Son passé, celui qu'elle avait si soigneusement verrouillé et enfoui sous des mois de travail acharné, faisait irruption dans son sanctuaire, menaçant de tout faire imploser.
« Qu'est-ce que tu fais ici ? » demanda-t-elle, la voix étranglée, bien plus aiguë que voulu. Elle jeta un regard nerveux autour d'elle, priant pour qu'aucun de ses collègues, et surtout pas le Professeur Glowinski, ne soit témoin de la scène.
« On ne rompt pas comme ça, Yasmine ! » rétorqua Kamal, ignorant complètement son environnement, les yeux rivés sur elle. « Par téléphone ? Sans explication ? Tu crois que c'est fini comme ça ? J'ai des droits ! J'ai notre honneur à... »
« Tais-toi ! » lui coupa-t-elle sèchement, baissant la voix au maximum. La mention de l'honneur lui fit l'effet d'une gifle. Elle l'attrapa par le bras, ses doigts se refermant comme un étau sur sa manche. « Pas ici. Suis-moi. »
Elle le traîna, plus qu'elle ne le guida, loin des bureaux, vers une petite salle de repos vide, jonchée de tasses sales et sentant le café brûlé. Elle claqua la porte derrière eux.
« Maintenant, parle. Mais parle bas. Et explique-moi quel délire t'a pris de débarquer ici comme ça, sans prévenir ! » croisa-t-elle les bras, tentant de masquer son tremblement intérieur par une posture froide et furieuse.
Kamal la dévisagea, son regard parcourant son jean, son t-shirt, ses cheveux tirés en arrière. « Tu as changé, » murmura-t-il, comme une constatation douloureuse.
« Bien sûr que j'ai changé ! » siffla-t-elle. « C'était le but ! Je vis, Kamal ! Je ne suis plus la petite fille d'Alger qui attendait son prince ! »
« Ton prince ? » répéta-t-il, amère. « C'est comme ça que tu me vois ? Le prince ennuyeux qui te retenait ? Pendant que tu fais quoi, ici ? Tu te perds ? » Son regard était accusateur, cherchant des coupables invisibles sur elle.
Yasmine sentit une colère noire monter en elle, balayant la panique. « Je ne me perds pas, Kamal. Je me trouve. Je fais des choses importantes. Des choses que tu ne peux même pas imaginer. »
« Important ? Important de trahir tes promesses ? D'oublier ta famille ? Ton... »
« MAIS IL N'Y A PLUS RIEN À HONORER ! » cria-t-elle, avant de se reprendre, baissant à nouveau le ton, frémissante. « L'honneur, c'est un poids que vous m'avez mis sur le dos. Je m'en suis libérée. Je suis désolée si ça te blesse, mais c'est comme ça. »
Kamal la regarda, son masque de colère se fissurant pour laisser place à une immense tristesse. « Je ne te reconnais plus, Yasmine. »
Un silence lourd tomba entre eux. Yasmine sentit son cœur se serrer. Ce n'était plus le garçon qu'elle avait aimé. C'était un étranger portant son visage, venu lui rappeler un fantôme qu'elle avait fui.
« Il faut que tu partes, Kamal, » dit-elle finalement, d'une voix épuisée. « Retourne à Alger. Il n'y a plus rien pour toi ici. »
Il secoua la tête, lentement. « Non. Pas avant d'avoir compris. Pas avant que tu me regardes vraiment et que tu m'expliques. »
Il posait un ultimatum. Non pas avec colère, mais avec une détermination désespérée. Yasmine comprit que la situation était bien pire qu'elle ne l'avait imaginé. Son passé n'était pas venu faire une simple apparition. Il était venu pour se battre.
Chapitre 22.
La veille, Yasmine avait préparé son plan avec la précision froide d'une démonstration mathématique. Chaque variable était contrôlée, chaque paramètre ajusté pour obtenir le résultat souhaité : la destruction définitive de l'image que Kamal se faisait d'elle.
Elle composa son numéro, sachant qu'il était tôt à Alger. Sa voix était étrangement calme, presque douce, un piège parfait.
« Kamal. »
Un silence, puis une voix qu'elle avait presque oubliée, chargée d'émotion. « Yasmine ? Ya rouhi... Enfin ! »
« Écoute, Kamal. Tu as raison. On ne peut pas en rester là. On doit se parler. Vraiment. » Elle jouait parfaitement la comédie de la regretante, de celle qui ouvre une dernière porte. « Viens demain. Chez moi. 19 heures. » Elle lui donna l'adresse de son studio près de Luminy.
« Vraiment ? Tu... tu es sûre ? » L'espoir dans sa voix était presque douloureux à entendre.
« Oui. Mais sois à l'heure. J'ai... beaucoup de travail après. » Une pointe de froideur calculée, pour ne pas en faire trop.
Raccrocher. Prendre une profonde inspiration. Puis, composer le deuxième numéro, celui de Thomas.
« Thomas. J'ai besoin de toi demain. 18h30. Sois précis. » Pas de salutation, pas de préambule.
« Directe comme toujours, » répondit-il, amusé et intrigué. « Qu'est-ce que tu mijotes, la chercheuse ? »
« Tu verras. Présente-toi à l'heure. Et fais exactement ce que je te dirai. »
Le lendemain, à 18h30 pile, Thomas sonna. Elle ouvrit, vêtue seulement d'un peignoir de soie noire qui lui caressait les cuisses. Sans un mot, elle l'attira à l'intérieur et referma la porte... sans la verrouiller.
« Maintenant, » dit-elle en défaisant la ceinture de son peignoir, laissant le tissu glisser au sol, « tu vas me baiser. Et pas comme une amante. Comme une pute. Comme celles qui aiment se faire défoncer. Compris ? »
Thomas, surpris puis excité par le ton et le défi, eut un sourire carnassier. « Ça, c'est une demande qui sort de l'ordinaire. »
Il la poussa contre le mur du couloir, sa bouche cherchant la sienne avec une brutalité qu'elle accueillit sans reculer. Ses mains agrippèrent ses fesses, les soulevant, et il entra en elle d'un coup sec, sans préparation, la faisant crier – un mélange de douleur et de victoire. Il la prit debout, avec une violence méthodique, ses mains lui meurtrissant les hanches, ses grognements sourds résonnant dans l'entrée. Yasmine, le visage pressé contre le mur froid, gémissait, non pas de plaisir, mais d'une exaltation sombre. Son corps était un outil, une arme.
Quand il l'eut fait jouir une première fois, brutalement, presque malgré elle, elle se retourna, haletante. « Non. Pas fini. Dans le salon. Par terre. »
Elle s'allongea sur le tapis, les jambes écartées. « Reprends-moi. »
Thomas, excité par son audace et son apparente insatiabilité, s'exécuta. Il la couvrit, la pénétrant à nouveau, son poids l'écrasant contre le sol. Yasmine fermait les yeux, se concentrant non sur la sensation, mais sur l'objectif. Elle guettait le bruit de la sonnette.
Quand elle retentit, précisément à 19h00, elle ouvrit les yeux. Ils brillaient d'une lueur triomphale et dangereuse.
« Stop, » murmura-t-elle. Thomas s'immobilisa, surpris. « Non. Continue. Mais différemment. »
Elle le repoussa, se mit à quatre pattes, lui présentant son postérieur. « Là. Et fort. »
Thomas, de plus en plus surpris mais trop excité pour questionner, la pénétra par-derrière avec un grognement. Au moment où la sonnette retentit à nouveau, plus insistante, Yasmine cria, assez fort pour être entendue de l'autre côté de la porte : « Entre ! C'est ouvert ! »
La porte s'ouvrit.
Kamal se figea sur le seuil, son visage passant en une seconde de l'expectative à l'incrédulité, puis à l'horreur absolue.
Le spectacle qui s'offrait à lui était calculé pour être une torture. Yasmine, à quatre pattes sur le tapis, totalement nue, la peau luisante de sueur. Derrière elle, un homme – Thomas –, également nu, les muscles tendus, lui administrait des coups de boutoir violents et réguliers. Le bruit de leur accouplement, gras et primal, emplissait la pièce.
Mais le pire, ce qui transperça Kamal comme une lame, fut le visage de Yasmine. Elle avait tourné la tête vers lui. Ses yeux n'exprimaient ni honte ni surprise, mais un défi glacial. Ses seins se balançaient au rythme des thrusts de Thomas, dans un ballet obscène et parfaitement synchronisé. Elle le regardait, droit dans les yeux, tandis qu'un autre homme la prenait avec une sauvagerie qui lui soulevait le cœur.
« Yasmine... » réussit-il à bredouiller, le visage décomposé, le son à peine audible.
Thomas, lui, avait sursauté et s'était arrêté net, paniqué à l'idée d'être surpris. « Putain, Yasmine... » commença-t-il, tentant de se retirer.
Mais Yasmine serra les muscles intimes autour de lui, l'emprisonnant. « Non, » ordonna-t-elle, la voix étranglée mais ferme, sans quitter Kamal des yeux. « Continue. Plus vite. Plus profond. »
Stupéfait, excité malgré lui par l'audace folle de la situation, Thomas obéit. Il reprit son mouvement, s'enfonçant en elle avec une vigueur renouvelée, les yeux rivés sur l'intrus pétrifié.
Kamal était devenu d'une pâleur cadavérique. Il tremblait de tous ses membres. Il voyait le corps qu'il avait idéalisé, sanctifié, offert à un autre dans la plus crue des soumissions. L'« honneur » dont il était venu parler n'était plus qu'une notion absurde, souillée à jamais sur le tapis de ce studio marseillais.
« Voilà, Kamal, » dit Yasmine, sa voix stable malgré les secousses que Thomas lui imprimait. « Voilà pourquoi je ne veux plus de toi. Voilà ce que je suis devenue. Je ne porterai plus jamais le fardeau de ton honneur. Maintenant, tu peux retourner chez toi. »
Chaque mot était un coup de poignard. Kamal vacilla. Il porta une main à sa bouche, comme pour étouffer un cri ou un vomissement. Son monde s'écroulait non pas en silence, mais dans le bruit obscène de la chair contre chair et des gémissments de Thomas.
Sans ajouter un mot, incapable de formuler la moindre pensée cohérente, il recula, trébuchant presque dans le couloir. La porte se referma lentement derrière lui, ne laissant plus filtrer que le son étouffé de leur étreute.
À l'intérieur, Thomas, complètement perdu entre l'excitation, la confusion et l'adrénaline, atteignit son orgasme dans un grognement rauque. Yasmine s'effondra sur le tapis, le corps tremblant de partout, non pas de plaisir, mais de l'intense décharge nerveuse.
Le silence retomba. L'expérience était terminée. La variable « Kamal » venait d'être définitivement éliminée de son équation. Elle se releva, regarda Thomas qui la fixait, encore essoufflé.
Thomas resta un moment silencieux, le souffle encore court, le corps couvert d'une fine pellicule de sueur qui commençait à refroidir. Il regarda Yasmine qui s'habillait avec une froide efficacité, comme si la scène obscène qui venait de se jouer n'était qu'une formalité administrative.
« Attends... attends une seconde, » commença-t-il, se redressant et attrapant son jean. « J'ai rien compris, là. C'était quoi ce... ce spectacle ? C'était qui ce type ? »
Yasmine se retourna, son visage était un masque de tranquillité déconcertante. « Kamal. »
« Ok, Kamal. Et pourquoi tu lui as fait subir... ça ? » demanda Thomas, un mélange de confusion et de fascination dans la voix. « C'était un putain de coup tordu, même pour toi. »
Un sourire amer et sans chaleur étira les lèvres de Yasmine. « Tu ne sais vraiment pas pourquoi ? Vraiment ? » Sa voix se durcit soudain, perdant son calme feint. « C'est à cause de toi, connard ! »
Thomas recula d'un pas, surpris par la virulence soudaine.
« Kamal était mon fiancé, » cracha-t-elle, les mots fusant comme des projectiles. « On s'aimait. C'était simple, c'était propre. C'était mon avenir. Et toi... toi, tu as tout gâché. Tu t'es pointé avec ton arrogance et ton fric, et tu m'as déflorée comme on jette un os à un chien. »
Elle se rapprocha de lui, le doigt pointé. « Je ne pouvais plus lui offrir ce qu'il attendait. Je ne pouvais pas le regarder en face le jour de nos noces en sachant que tu m'avais eue avant lui, comme une putain que tu payes. Alors j'ai rompu. Pour lui épargner la honte. »
« Mais il n'a pas voulu lâcher l'affaire, » continua-t-elle, le regard brillant d'une colère froide. « Il est venu ici pour des explications, pour me ramener à la raison. Alors je les lui ai données. Les explications les plus claires possible. De visu. »
Elle fit un geste circulaire, indiquant la pièce encore imprégnée de leur étreute. « Oui, c'est cruel. C'est immonde. Mais au moins, comme ça, il n'aura plus aucun doute. Plus aucun espoir. Il pourra m'effacer de sa mémoire et refaire sa vie avec une femme qui correspond à ses critères d'honneur. »
Thomas la dévisagea, abasourdi. Pour la première fois, il voyait la machinerie complexe et froide qui se cachait derrière le génie mathématique et la beauté de Yasmine. Elle avait utilisé son corps, et le sien, comme des variables dans une équation visant à briser définitivement un homme.
« Putain, Yasmine, » murmura-t-il, sans colère, mais avec une forme de respect mêlé d'effroi. « T'es... t'es complètement malade. »
« Non, » rectifia-t-elle en se retournant pour prendre son sac. « Je suis pragmatique. Maintenant, la porte est là. Tu peux partir maintenant, » dit-elle simplement, en ramassant son peignoir. Elle était déjà ailleurs, son esprit tourné vers la seule chose qui importait vraiment : ses recherches. La page était tournée.
Thomas resta un instant immobile, regardant cette femme qui venait de le utiliser une fois de plus, avant de hocher lentement la tête et de sortir sans ajouter un mot. La porte se referma sur le silence lourd de l'appartement, laissant Yasmine seule avec sa victoire amère et sa liberté définitive, mais aussi avec le vide glacial de la méthode qu'elle avait choisie.
Epilogue
Pendant trois ans, Yasmine mena une double vie d'une précision diabolique. Son appartement près de Luminy devint le laboratoire secret où se jouaient deux types d'expériences : celles, lumineuses et pures, des mathématiques supérieures, et celles, sombres et charnelles, qui lui servaient de carburant.
Face à un blocage, un théorème récalcitrant qui refusait de se dévoiler, elle n'hésitait plus. Elle passait un coup de fil. Parfois à Thomas, devenu son instrument de prédilection, qu'elle sonnait comme un room service pour assouvir une faim très spécifique. Parfois à Majda, qui lui envoyait l'un de ses amants fortunés, un banquier qatari ou un industriel allemand, flatté de partager la couche d'une future étoile des mathématiques. L'argent ne l'intéressait pas ; elle refusait même les cadeaux trop ostentatoires. Ce qu'elle voulait, c'était la violence contrôlée du désir, la montée d'adrénaline de la soumission ou de la domination, le reset neuronal provoqué par un orgasme intense et souvent brutal.
Et ça fonctionnait. Toujours. Elle revenait à son tableau blanc, le corps vidé, l'esprit étrangement clarifié, et les barrières sautaient. La Conjecture de Collatz, ce monstre qui avait résisté aux plus grands, plia progressivement sous la force de son intellect, aiguisé par ce régime de choc sensuel.
Le jour de sa soutenance, elle fut d'une clarté et d'une maîtrise époustouflantes. Le jury, subjugué, ne put que s'incliner. « Très Honorable avec les Félicitations du Jury » fut prononcé dans une standing ovation. Le Professeur Glowinski avait les larmes aux yeux, aussi fier que s'il s'agissait de sa propre fille. Il l'étreignit, murmurant : « Je n'ai jamais vu une intuition aussi fulgurante. C'est comme si vous aviez accès à une source secrète. » Il ne saurait jamais à quel point il avait raison.
Un an plus tard, la consécration suprême : la Médaille Fields. La démonstration complète de la conjecture de Collatz avait été vérifiée, disséquée et validée par la communauté mathématique mondiale. Yasmine Bensaïd entrait dans l'histoire.
De l'autre côté de la Méditerranée, ses parents jubilaient, fiers de leur fille, sans jamais comprendre les raisons du silence définitif de Kamal. Ce dernier, lui, avait reconstruit sa vie, épousant une cousine éloignée. Il ne parla jamais de Marseille. La scène traumatisante était enfouie au plus profond de lui, un cauchemar dont il ne se réveillait plus.
Majda décrocha son propre diplôme en biologie. Elle partagea sa vie entre un poste sérieux dans un laboratoire d'analyses médicales et ses activités lucratives plus clandestines, qu'elle menait avec une discrétion de mieux en mieux rodée. Parfois, pour un client très spécial, très riche et très discret, elle proposait à Yasmine de « partager la couche ». Devenue professeure et lauréate de la Fields, Yasmine refusait souvent. Mais parfois, quand le stress de la notoriété ou l'ennui des cocktails universitaires devenait trop pesant, elle acceptait. Pour le frisson. Pour le reset. Toujours avec une discrétion absolue.
Thomas, lui, avait tenté de la recontacter après sa soutenance, peut-être par attachement, peut-être par ego. La réponse de Yasmine avait été cinglante et définitive, délivrée au téléphone avec cette froideur qui le glaçait : « Je ne veux plus te voir. Tu as abusé de moi une nuit, j'ai abusé de toi many others. Nous sommes quittes. » Elle avait raccroché. Elle l'avait rayé de sa carte mentale comme on barre une variable devenue inutile.
Yasmine avait gagné. Elle avait dompté les nombres, dompté son désir, dompté son destin. Elle marchait dans la lumière, auréolée de gloire, son secret bien gardé comme la clé ultime d'une équation dont elle était la seule à posséder toutes les variables.
FIN
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