Histoire des libertines (102) : Veronica Franco, courtisane et poétesse

- Par l'auteur HDS Olga T -
Récit érotique écrit par Olga T [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur femme.
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Récit libertin : Histoire des libertines (102) : Veronica Franco, courtisane et poétesse Histoire érotique Publiée sur HDS le 19-03-2023 dans la catégorie A dormir debout
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Histoire des libertines (102) : Veronica Franco, courtisane et poétesse
Veronica Franco (1546-1591) est une courtisane et poétesse renommée du XVIe siècle à Venise.

Deux types de courtisanes coexistaient alors à Venise :

• La curtigiana onesta : femme de culture et de style, qui n'en faisait pas moins commerce de ses charmes
• La curtigiana de lume : de moindre classe, qui pratiquait son commerce près du pont du Rialto.

Veronica Franco est la plus célèbre « curtigiana onesta » de Venise.

Dans cette rubrique consacrée aux libertines, Veronica Franco fait partie de la catégorie des poétesses qui furent en même temps des courtisanes. Dans cette série, j’ai relevé quatre situations comparables. Il s’agit dans l’ordre de publication :

• Ninon de Lenclos, qui était cependant femme de lettres et non poétesse (voir « (27) Ninon de Lenclos, la courtisane intellectuelle », texte publié le 9 avril 2019)
• La poétesse chinoise Yu Xianji, qui vécut au IXème siècle, sous la dynastie des Tang (voir « (90) Yu Xianji, courtisane et poétesse », publié le 21 septembre 2021)
• Philénis de Samos, qui vécut en Grèce au IVème siècle avant notre ère et qui fut tout à la fois pornographe, hétaïre et tribade (voir (94) « D’autres femmes libres dans l’Antiquité », paru le 28 mars 2022)
• Tullia d'Aragon (1510-1566), écrivaine, poétesse, philosophe néoplatonicienne mais aussi et courtisane italienne du XVIe siècle (voir (99) : « Tullia d’Aragon, la courtisane philosophe », texte publié le 3 décembre 2022)

On pourrait également faire référence aux hétaïres de la Grèce ancienne, ces courtisanes auxquelles j’ai consacré deux chroniques de cette série.
• (2) « Le temps des hétaïres », publié le 19 août 2017
• (88) « Nééra, le parcours d’une prostituée de la Grèce antique », publié le 29 juillet 2021


***


UNE VIE SENTIMENTALE AGITEE

Veronica était elle-même fille d'une « curtigiana onesta », qui avait veillé à l’éducation de sa fille qui connaissait la poésie, la littérature, les arts et les sciences.

Veronica Franco était la fille de Francesco Franco et Paola Fracassa. Née en 1546, elle était la seule fille, aux côtés de trois garçons. Son père était un marchand vénitien et n'était pas marié à sa mère. Cependant, il l’a officiellement reconnue comme sa fille, alors elle était considérée comme une «cittadini originari» ou citoyenne de Venise et avait ses propres armoiries. Elle a été éduquée avec ses frères par des tuteurs privés.

Elle fut mariée en 1563 à Paolo Panizza, médecin, qu’elle délaisse rapidement. Veronica travaille alors comme courtisane qui vend ses charmes aux hommes qui sont les plus riches de la cité pour satisfaire ses besoins. Dans son appartement situé au coin de la Calle del Paradisio, près de Santa Maria Formosa, dont les murs étaient recouverts de dessins érotiques, la noblesse Vénitienne y faisait l'amour, mais parlait aussi de philosophie, d'art, de poésie. Veronica, dont le peintre Tintoret, qui fut peut-être son amant, fit le portrait, eut une vie tumultueuse. Elle entretient plusieurs relations avec les hommes d’affaires ou notables ou les hauts magistrats les plus importants de la ville. Elle a eu six enfants d'hommes différents dont seulement trois ont survécu à la petite enfance.

Elle entretient des relations avec plusieurs notables importants de Venise et notamment un riche marchand, Jacomo de Baballi qui lui donna un fils, Achille, avant de faire la rencontre de Francesco Tron, membre d’une des plus grandes familles patriciennes de Venise, dont elle eut également un fils, Énée.

Puis elle entretint une longue relation avec Marco Venier, son grand amour. Grâce à la puissante famille Venier, protectrice des lettres, Veronica devient poétesse. La famille Venier compte deux doges au XVIème siècle, Francesco en 1554 et Sebastien en 1577.

Lors du passage à Venise en 1574 d’Henri III de France, qui s’était enfui de Pologne pour succéder à Charles IX, Veronica a été la maitresse du roi. C’est à l’occasion de cette visite que le prince rencontre Veronica Franco. Il avait alors 23 ans, et malgré les rumeurs sur ses penchants homosexuels, les autorités vénitiennes lui avaient offert la compagnie de cette « cortigiana onesta » d’une certaine réputation. On ne connaît pas les raisons pour lesquelles le choix s’était porté précisément sur elle. Il est certain que Veronica Franco savait bien veiller à ses intérêts, en assurant ses « relations publiques » et en sollicitant la curiosité des étrangers de passage. Il est certain que le roi passa chez elle une nuit et qu’il repartit en emportant avec lui un portrait d’elle, probablement une œuvre du Tintoret. De son côté, Veronica lui dédia une lettre et deux sonnets, qui n’étaient pas ses premiers essais poétiques.

En 1577, elle est accusée de sorcellerie devant un tribunal d'Inquisition, accusation assez commune à l'époque contre les courtisanes. Elle bénéficie d'un non-lieu, sans doute du fait de ses liens avec les notables de la cité.

Elle meurt à 45 ans dans la paroisse de San Moisè à Venise, laissant par testament une somme devant permettre à deux courtisanes de se marier ou d'entrer dans les ordres ou bien servir de dot à deux jeunes filles.

FEMINISTE AVANT L’HEURE

Esprit lucide sur l’état de la société défavorable aux individus mal nés et aux femmes dont la religion blâmait le goût du plaisir, aussi belle qu’intelligente, elle sut user de son pouvoir et trier sur le volet ses amants, choisir des hommes pouvant lui assurer un niveau de vie luxueux.

Célébrée à la fois pour sa beauté et son esprit, Veronica était une femme indépendante qui a pris la vie d'une courtisane pour subvenir à ses besoins. Elle est rapidement devenue l'une des courtisanes vénitiennes les plus en vue. S'associer aux riches et aux puissants de l'Europe lui a donné accès aux cercles intellectuels et politiques et elle a utilisé le pouvoir que cela lui a donné pour faire entendre sa voix. Veronica Franco était féministe et militante bien avant que ces mots ne soient inventés. Dans ses écrits, elle défend avec fureur les femmes victimes de violences physiques et verbales de la part des hommes. Elle s'est mobilisée pour la cause des femmes afin qu'elles puissent obtenir une éducation et gagner leur vie. Elle a fait un don dans des refuges pour femmes sans défense et a donné des dots aux jeunes filles qui se mariaient. Dans son indépendance et son audace, elle était une anomalie à son époque où la vie des femmes devait être dirigée par les règles fixées par les hommes.

La vie de Veronica Franco est vraiment fascinante. Sans argent et sans famille importante, elle a su profiter de son intelligence et de son talent, ainsi que de sa personnalité brillante, de sa beauté physique et de ses talents érotiques. L’ayant emporté sur de puissants adversaires dans le domaine juridique et littéraire, elle gagna la célébrité comme poétesse et comme écrivain, et elle fut admise à participer à d’importants événements politiques et littéraires de son temps. Ce personnage historique mérite toujours notre attention et notre admiration, plus de quatre cents ans après sa mort.

LA POETESSE

Sa vie de courtisane lui a donné accès aux cercles littéraires convoités de Venise. C'était une femme accomplie qui jouait du luth et de l'épinette et connaissait bien la littérature, en particulier le grec ancien et Rome. Dans les années 1570, elle s’associe au salon littéraire de Domenico Venier. Venier était un conseiller littéraire de nombreux poètes. Franco était un visiteur fréquent de son palais et a reçu des œuvres commandées pour assembler des anthologies honorant l'élite vénitienne.

Veronica Franco écrivit deux recueils de poésie : « Terze rime » en 1575 et « Lettere familiari a diversi » en 1580. Elle publia des recueils de lettres et rassembla en diverses anthologies des œuvres d'autres écrivains. Grâce à son succès, elle eut les moyens de fonder une œuvre en faveur des prostituées et de leurs enfants.

Ses poèmes sont audacieux et francs, touchant des sujets inédits dans la poésie des femmes. Ils sont érotiques et sexuellement explicites, ce qui était un écart marqué par rapport aux poèmes chastes habituels d'amour et de nostalgie que les gens de l’époque attendaient des femmes poètes.

Franco s’affirme, en tant que femme et poétesse, dans des territoires traditionnellement réservés aux hommes : ceux de la casuistique érotique et du débat public. Les écrits de Franco dénoncent la société vénitienne de l’époque qui à la fois dégrade et idéalise la femme. Dans ses poèmes Franco réclame les droits de son sexe en rejetant fermement les conventions.

C’est un véritable message féministe que délivre la poétesse : « Quand nous sommes armées et expertes, non sommes capables de rendre bon compte à chaque homme, car nous avons les mains, les pieds et le cœur comme vous, et si nous sommes tendres et délicates, il y des hommes qui sont délicats et forts, et d’autres qui sont rêches et rudes et néanmoins manquent de courage. De tout cela les femmes ne se sont pas encore rendu compte, car si elles s’y étaient décidées, elles pourraient combattre avec vous jusqu’à la mort. »

J’aime beaucoup, pour ma part, ces vers de Veronica Franco :
« La beauté féminine est donnée par le ciel
Pour que sur terre, soit heureux
Tout homme qui en goûte la douceur »

J’aime aussi les vers suivants, si sensuels, sous la plume d’une femme :

« Si douce et agréable, je deviens
Quand je me trouve au lit avec une personne
Dont je me sens aimée et appréciée
Que mon plaisir envahit chacun de mes bien-aimés.
Alors le nœud d’amour qui paraît me lier
Si fort à l’autre devient plus fort encore »


REFERENCES :

Marc Lemonier consacre un chapitre à Veronica Franco dans « La petite histoire des courtisanes » (Editions Jourdan, 2018)

Je renvoie également à l’article de Wikipedia sur Veronica Franco et les liens suivants sur Internet :

• https://www.vagabondssanstreves.com/veronica-franco-prostituee-et-poetesse/
• http://promenadesvenitiennes.alaingeslin.fr/crbst_527.html
• Veronica Franco et la dignité d’une courtisane : https://journals.openedition.org/italique/362
• https://fr.celeb-true.com/veronica-franco-century-italian-courtesan-poetess-check-this-biography
• http://favoritesroyales.canalblog.com/archives/2011/05/21/21191872.html
• Veronica Franco, courtisane et poète : biographie : http://fr.nextews.com/1f051436/

Les avis des lecteurs

@ Julie, exact! Je recommande à ce sujet la lecture de:
- Marc Lemonier "la petite histoire des courtisanes" "Editions Jourdan)
- Joelle Chevet "Les Grandes courtisanes" (First)
- Catherine Authier : histoire des courtisanes au XIXème siècle
- Susan Griffin : « le livre des courtisanes » (Albin Michel)

Histoire Libertine
Je vois que tu disposes d'ouvrages de référence sur les courtisanes!
Julie

Pas de soucis, Didier :-)

Histoire Erotique
Olga,
Tu me vois désolé pour cette publication à répétition de mon commentaire (due à un bug) qui pollue ainsi donc ta chronique.
Méa culpa...
Didier

Oups, j'étais déconnectée :-)
Merci Micky pour ce commentaire. Oui, la vie de cette femme est une belle leçon d'histoire!

Histoire Erotique
Merci Micky! Je pense en effet que c'est une belle leçon d'histoire

Je découvre avec retard ce joli texte qui permet un focus intéressant sur l'âge d'or de Venise. Il fallait la débusquer, cette Veronica Franco et j'ai cru un moment que c'était une parente du dictateur espagnol... La leçon de l'histoire, c'est qu'on pouvait être féministe au XVIè siècle, mais qu'il fallait du courage pour l'assumer. Beaucoup plus que maintenant.

Merci Didier. Je suis contente que ces découvertes te plaisent et suscitent l'intérêt chez certains lecteurs. C'est un vrai encouragement pour moi

Histoire Erotique
Olga,
A la lecture du titre de ta nouvelle chronique, je pensais découvrir une séduisante espagnole, mais c’est d’une belle vénitienne qu’il s’agit en réalité.
Tu nous donne là encore une belle histoire à lire
Issue d’un milieu modeste et telle une hétaïre de la Grèce antique, Veronica s’épanouie donc à Venise comme « curtigiana onesta » auprès de riches notables, et aura moult amants dont un futur roi de France.
Bien éduquée aux arts par sa mère, elle semble être fortement éprise, imprégnée de culture grecque. J’en prends pour preuve les prénoms donnés à ses deux fils, Achille et Enée, qui de mémoire sont deux des héros de la guerre de Troie.
Grâce aussi à ses appuis, Veronica pût donc à loisir développer ses merveilleux talents de poétesse.
Oui merveilleux, car je trouve que les deux poèmes cités sont magnifiques de par leurs simplicités tout en étant explicites et d’une grande sensualité.
Je te remercie une fois encore de nous avoir fait partager tes si intéressantes et si plaisantes connaissances historiques.
Didier

Histoire Erotique
Olga,
A la lecture du titre de ta nouvelle chronique, je pensais découvrir une séduisante espagnole, mais c’est d’une belle vénitienne qu’il s’agit en réalité.
Tu nous donne là encore une belle histoire à lire
Issue d’un milieu modeste et telle une hétaïre de la Grèce antique, Veronica s’épanouie donc à Venise comme « curtigiana onesta » auprès de riches notables, et aura moult amants dont un futur roi de France.
Bien éduquée aux arts par sa mère, elle semble être fortement éprise, imprégnée de culture grecque. J’en prends pour preuve les prénoms donnés à ses deux fils, Achille et Enée, qui de mémoire sont deux des héros de la guerre de Troie.
Grâce aussi à ses appuis, Veronica pût donc à loisir développer ses merveilleux talents de poétesse.
Oui merveilleux, car je trouve que les deux poèmes cités sont magnifiques de par leurs simplicités tout en étant explicites et d’une grande sensualité.
Je te remercie une fois encore de nous avoir fait partager tes si intéressantes et si plaisantes connaissances historiques.
Didier

@ Briard, merci beaucoup!

Histoire Erotique
Merci pour cette histoire, la qualité de ton récit et, surtout, ton style, tout à la fois narratif et argumentatif. Quel plaisir d'avoir, enfin, une littérature agréable, sans sophisme ni extravagance, sans outrances machistes. Quel bon bol d'air encourageant dans la médiocrité ambiante. Bravo Olga T, j'ai hâte de lire ta prochaine nouvelle. Briard

Merci Chris et Laetitia! @ Laeti, nous avons beaucoup de goûts communs!

La Renaissance (surtout Italienne) est une période plus qu’intéressante. A tous les niveaux culturellement, politiquement, idéologiquement…
Pour les arts donc, mais aussi pour l’évolution du mode de pensée, avec notamment les balbutiements de ce que l’on appellera plusieurs siècles plus tard le féminisme.
J’ai trouvé un très beau livre chez un bouquiniste il y a peu, sur la peinture italienne de l’époque. Ah ! Arcimboldo, mon préféré, qu’elle fraîcheur ! Quelle modernité !

Encore une histoire bien ficelé

Histoire Erotique
Olga,
A la lecture du titre de ta nouvelle chronique, je pensais découvrir une séduisante espagnole, mais c’est d’une belle vénitienne qu’il s’agit en réalité.
Tu nous donne là encore une belle histoire à lire
Issue d’un milieu modeste et telle une hétaïre de la Grèce antique, Veronica s’épanouie donc à Venise comme « curtigiana onesta » auprès de riches notables, et aura moult amants dont un futur roi de France.
Bien éduquée aux arts par sa mère, elle semble être fortement éprise, imprégnée de culture grecque. J’en prends pour preuve les prénoms donnés à ses deux fils, Achille et Enée, qui de mémoire sont deux des héros de la guerre de Troie.
Grâce aussi à ses appuis, Veronica pût donc à loisir développer ses merveilleux talents de poétesse.
Oui merveilleux, car je trouve que les deux poèmes cités sont magnifiques de par leurs simplicités tout en étant explicites et d’une grande sensualité.
Je te remercie une fois encore de nous avoir fait partager tes si intéressantes et si plaisantes connaissances historiques.
Didier



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