Histoire des libertines (106) : Sophie Arnould et Françoise Raucourt, les grandes libertines

- Par l'auteur HDS Olga T -
Récit érotique écrit par Olga T [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur femme.
  • • 365 récits publiés.
  • • Cote moyenne attribuée par les lecteurs : 9.4 • Cote moyenne attribuée par HDS : 10.0
  • • L'ensemble des récits érotiques de Olga T ont reçu un total de 1 040 803 visites.
Récit libertin : Histoire des libertines (106) : Sophie Arnould et Françoise Raucourt, les grandes libertines Histoire érotique Publiée sur HDS le 06-08-2023 dans la catégorie A dormir debout
Cette histoire de sexe a été affichée 1 292 fois depuis sa publication.

Couleur du fond :
Histoire des libertines (106) : Sophie Arnould et Françoise Raucourt, les grandes libertines
Avertissement : comme le fit en 2009 le romancier Michel Peyramaure (1922-2023), un grand maitre du roman historique, j’ai décidé d’évoquer, dans un même texte, deux actrices et courtisanes, Sophie Arnould (1740-1802) et Françoise Raucourt (1756-1815), que le romancier a qualifiées à juste titre de « grandes libertines ». Elles ne furent pas que contemporaines : bisexuelles toutes les deux, elles furent aussi amantes.

C’est aussi pour moi l’occasion d’évoquer, dans la série « Histoire des libertines », de précédentes publications dont je recommande la lecture.

***

SOPHIE ARNOULD, LA SOPRANO AUX DIVINES SONORITES

Sophie Arnould nait dans une famille de négociants aisés et cultivés, installés à Paris. Sa mère s’est fait des relations parmi les gens de lettres, dont Voltaire et des personnalités influentes. Parmi elles, Louise-Elisabeth de Bourbon (1693-1775), princesse de Conti, petite fille de Louis XIV, une libertine, proche de la Marquise de Pompadour. Elisabeth prend sous sa protection la petite Sophie, qui a révélé très tôt ses talents pour la musique et le chant. Sous l’influence de la Pompadour, la jeune fille prodige est admise à l’Académie royale de musique.

Sophie échappera cependant au « Parc à cerfs », le lieu, près de Versailles, où la Marquise, en vraie mère maquerelle, fournissait d’innocentes jeunes filles pour satisfaire les exigences royales qu’elle ne pouvait plus combler (voir « Histoire des libertines (34) : la Pompadour », publié 24 juillet 2019). Est-ce parce qu’elle n’était pas belle ou plutôt pas du goût du libidineux monarque, car jugée trop maigre ou trop brune ? La célèbre peintre Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842), la portraitiste de la reine Marie-Antoinette, décrit ainsi Sophie : « Mademoiselle Arnould n’était pas très jolie ; sa bouche déparait son visage, ses yeux seulement lui donnaient une physionomie où se peignait l’esprit remarquable qui l’a rendue célèbre. On a répété et imprimé un nombre infini de ses bons mots. »

Dès ses débuts à l’opéra, en 1757, Sophie a pourtant un succès fulgurant. Elle est très vite assaillie de soupirants. Le Chevalier de Malézieux, riche sexagénaire, demande Sophie en mariage et, pour excuser la différence d’âge, fait référence au poète Scarron et à Françoise d’Aubigné (voir « Histoire des libertines 30 : Mme de Maintenon, pas seulement dévote », publié le 28 mai 2019). Les rentes du Chevalier plaisent en effet assez à la mère, mais Sophie, qui a déjà de l’esprit, réplique : « Je fais ce mariage à condition que mon mari commence par être cul-de-jatte et finisse par être Roi ».

Entre-temps, les Arnould, ruinés, sont devenus hôteliers. Un jour, à l’hôtel de Lisieux, vient loger un beau jeune homme qui se présente sous le nom de Dorval. Il enlève Sophie et écrit au père une lettre, signée Louis Comte de Brancas, duc de Lauraguais (1733-1824), dans laquelle il promet d’épouser sa fille, mais seulement quand il sera veuf ! Lauraguais installe sa maîtresse dans son château normand de Lassay, près de Trouville. Ils affichent leur liaison, nous dit Joëlle Chevé, « dans des fêtes somptueuses, des parties de chasses fougueuses, des nuits ardentes et tumultueuses. »

Sophie et Lauraguais vivent une vraie passion, même si, en même temps, le Duc entretient sa maîtresse et va finir par la rémunérer, comme une courtisane. De cette relation tumultueuse, marquée par des ruptures et des réconciliations, naquirent quatre enfants, dont Antoine-Constant de Brancas (1764-1809), colonel du Premier Empire, mort à la bataille d’Essling. Un matin de 1761, à la suite d’une brouille, Lauraguais quitte Paris. Sophie met aussitôt les bijoux et leurs enfants dans un carrosse, et envoie le tout à l’Hôtel de Lauraguais. En réponse, le Comte lui fait parvenir une rente viagère de deux mille écus.

Malgré cela, Sophie est assaillie par ses créanciers. Elle quitte un moment Lauraguais pour Auguste Bertin de Blagny (1725-1788), riche « trésorier Général des revenus casuels et intendant des deniers des Ordres du Roi » depuis 1758. Bertin paie ses dettes et l’entretient. Lauraguais rembourse à Bertin tous les frais qu’il a pu faire, afin de récupérer sa maîtresse. Leur liaison se poursuit quelques temps, mais est émaillée de disputes, de fâcheries, de raccommodements. Lauraguais ne peut exiger l’exclusivité de la part de la courtisane. Et pourtant il se montre jaloux. De la même manière, elle vit mal les multiples liaisons de son amant.

Sophie tient salon, où se bousculent les célébrités, comme Voltaire, Chaptal, Diderot, Rousseau, D’Alembert, Lucien Bonaparte, Beaumarchais, Benjamin Franklin, Gluck, Barras, l’architecte François-Joseph Bélanger et d’autres, philosophes, scientifiques ou lettrés. Ce brillant salon fit que Sophie fut souvent comparée à la belle Aspasie de Milet, hétaïre et compagne de Périclès (voir « Histoire des libertines 2 : le temps des hétaïres », publié le 19 août 2017).

François-Joseph Bélanger (1744-1844), célèbre architecte qui réalisa notamment le château de Bagatelle pour le comte d’Artois, fut son amant, ainsi que les futurs Directeurs Paul Barras (1755-1829) et François de Neufchâteau (1750-1828), alors jeune poète, lequel la considère comme « la plus grande actrice de l'Europe ». Sophie est très courtisée, en particulier par le prince Charles-Alexandre d'Hénin (1744-1794), un parent de Pierre d'Alsace, le protecteur de François, et elle s'amuse probablement des soupirs du jeune poète. La relation d’Hénin avec Sophie Arnould, alors que sa femme avait une liaison avec le chevalier de Coigny fit scandale dans la haute société. Hénin va entretenir sa maitresse sur un grand pied.

Les amants se succèdent tout au long de la carrière de comédienne et de courtisane de Sophie : François Racine de Monville (1734-1797), grand maitre des Eaux et Forêts. Il y eut aussi son « friseur », Lacroix, ou encore d’André-Claude, marquis de Chamborant, colonel du deuxième régiment de hussards. Sophie eut d’autres amants, ou plutôt des clients, plus célèbres :

• L’explorateur Louis-Antoine de Bougainville (1729-1811) ;
• Le prince Louis-François de Conti (1727-1776), dont la mère avait été la protectrice de Sophie, lors de son adolescence ;
• Henri de Rohan (1745-1809), prince de Guéméné.

***

Sophie se moque des insultes qu’elle reçoit et n’a cure des scandales. Les mots de Sophie voltigent partout. On se la dispute. Elle vit dans le tapage et la gloire. On prête à Sophie Arnould autant de liaisons avec des femmes qu'avec des hommes, notamment Françoise Raucourt, dont nous reparlerons, Mme de Villeroy (1707-1787), la princesse de Hénin, Adélaïde, dont le mari était aussi l’amant de Sophie !

Anne Bonnier, ancienne duchesse de Chaulnes, qui avait perdu ses titres en épousant son amant (un bourgeois du nom de Giac), demanda un jour à Sophie comment allait le « métier », laissant ainsi entendre que Sophie était une prostituée de luxe. Sophie Arnould répondit : « Assez mal, depuis que les duchesses s'en mêlent. »

Sophie se retire de la scène publique en 1788. Elle fuit les orages de la Révolution, et se réfugie au Prieuré de Luzarches. Sans le sou, malade, elle peut encore compter sur le soutien de ses anciens amants, Brancas et Bélanger. Elle conserve sa vivacité d’esprit : « Je suis trop vieille pour l’amour et trop jeune pour la mort ! ». Au prêtre qui lui donnera les derniers sacrements, elle déclare : « Il me sera beaucoup pardonné car beaucoup aimé. »

Belle, Sophie aimait rire de tout, de la vie, de la société, mais aussi d'elle-même. Elle est aussi célèbre pour ses bons mots, son esprit qu’en tant que soprano et courtisane. Sophie a vécu au siècle des Lumières et de tous les possibles. Isabelle Joz-Roland, qui lui a consacré un roman historique, dit de Sophie : « Elle se croyait libre, elle n'était que libertine, elle se croyait aimée, elle n'était que courtisée ». Elle fut libre Sophie, libre de choisir ses amants, de vivre sa vie de femme et de chanteuse d'opéra.

***

FRANCOISE RAUCOURT LA SCANDALEUSE

Marie-Antoinette-Joseph Saucerotte, dite « « Françoise Raucourt » ou encore « Mademoiselle Raucourt », a une quinzaine d’années de moins que Sophie Arnould. Comme Sophie, dont elle sera la maîtresse, Françoise sera comédienne, courtisane et libertine. Son homosexualité affichée fera scandale.

Son père est un comédien ambulant et la famille vit misérablement à Paris. Elle accompagne ses parents au gré des randonnées théâtrales de son père, qui l'aurait fait monter sur scène dès l'âge de douze ou treize ans. Elle rencontre immédiatement un succès éclatant, qu'elle doit autant à sa beauté qu'à son talent.

En 1770, elle connaît son premier triomphe, sur la scène du théâtre de Rouen. Les échos de sa prestation remontent jusqu'à Paris et en 1771 les gentilshommes de la Chambre du roi la font venir à la Comédie-Française. Le 23 décembre 1772, à 16 ans, elle débute à la Comédie-Française dans le rôle de Didon et connaît un triomphe lors de la première soirée. De représentation en représentation, l'enthousiasme à son sujet ne fait que croître. Elle est présentée à Marie-Antoinette, encore dauphine de France, dès janvier 1773 à l’issue d’une représentation, à laquelle Louis XV en personne a assisté.

Dans ce milieu dissolu, où règnent la débauche et la luxure, la jeune fille perd rapidement son innocence. Dès le départ, de riches et puissants protecteurs lui proposent des sommes considérables en échange de ses faveurs :

• Le roi Louis XV en personne avec la complicité de Madame du Barry, qui reprend ainsi le rôle qu’assumait la Pompadour à la grande époque du « Parc aux cerfs ». Le roi et sa favorite auraient fait de la Raucourt leur maitresse, dès le soir de la représentation de janvier 1773 !
• Godefroy Charles Henri de La Tour d'Auvergne (1728-1792), prince de Bouillon et grand chambellan de France ;
• Louis-Joseph de Bourbon (1736-1818), le dernier prince de Condé ;
• Emmanuel-Armand duc d'Aiguillon (1720-1788), qui fut ministre des Affaires étrangères de 1770 à 1774, à la fin du règne de Louis XV, constituant avec Maupeou et Terray le triumvirat qui tenta de vaincre la résistance des Parlements à l’autorité royale.

Françoise choisit en définitive François-Georges Mareschal, marquis de Bièvres (1747-1789) qui lui donne 40.000 livres pour payer ses dettes, lui assure en janvier 1774 une rente viagère de 6.000 livres plus 1.500 livres par mois pour le courant de sa maison !
Françoise Raucourt a la réputation, comme beaucoup d’autres comédiennes, de se prostituer et d’être une « femme galante ». On lui connaît de très nombreux amants et protecteurs. Mais elle s’affiche aussi très librement avec des femmes réputées « à femmes » et se fait envoyer des actrices chez elle par Mme Gourdan, une célèbre entremetteuse qui tient une « petite maison » à Paris. Elle admet des voyeurs lors de ses ébats saphiques et s’affiche sans aucune honte aux bras de ses maîtresses.

Dès 1774, des bruits commencent à circuler sur ses aventures féminines. Elle quitte le marquis Bièvres au bout de quelques mois pour nouer une liaison avec Sophie Arnould ! Celle-ci pousse Françoise dans les bras de sa maîtresse de l’heure, « mademoiselle Virginie », jeune chanteuse de l’opéra.

Grâce à de nombreux protecteurs, Françoise mène alors un train de vie très luxueux, avec une maison de campagne, un hôtel particulier à Paris, des tableaux, des livres, des bijoux, des robes à profusion.

En novembre 1775, la « Correspondance littéraire, philosophique et critique » la désigne sous le nom de « Galathée », comme la grande-maîtresse d'une « Loge de Lesbos » dont les assemblées mystérieuses sont consacrées aux « amours saphiques ». En 1777, le polémiste Mathieu-François Pidansat de Mairobert (1727-1779), dans son ouvrage « L'Espion anglais », fait de Françoise la présidente d'une prétendue « secte des Anandrynes », société secrète lesbienne qui aurait été réservée à l'aristocratie et à laquelle aurait appartenu Marie-Antoinette elle-même. Mairobert n’est pas avare de détails, s’étendant avec complaisance sur les scènes d’amours saphiques et « les savants enlacements ».

***

En juin 1776, criblée de dettes, Françoise quitte brusquement la scène pour se réfugier dans l'enclos du Temple, asile alors ouvert aux débiteurs insolvables, où ils peuvent échapper aux procédures de leurs créanciers. Elle est aussitôt exclue de la Comédie-Française pour sa conduite. Dans l'enclos du Temple, elle fait la connaissance de Jeanne-Françoise Marie Sourques, dite Madame Souck, jolie blonde d’origine allemande, connue par les rapports de police pour exercer dans la « galanterie » depuis 1762 et décrite par les chroniqueurs de l'époque comme « aux mœurs absolument dépravées ». Un mois plus tard, elle s'évade de nuit de l'enclos du Temple et quitte la France en compagnie de son amante, Madame Souck.

En octobre 1776, elle revient à Paris toujours en compagnie de Madame Souck, chez qui elle s'installe, et qui, comme elle, est poursuivie par les créanciers. Le 26 mars 1777, Françoise est arrêtée et conduite à la prison du For-l'Évêque, où elle ne reste que quelques heures, libérée sur une intervention attribuée à la reine Marie-Antoinette qui, en novembre 1777, fera preuve de faveurs particulières à l'égard de Françoise Raucourt, en étant disposée à payer ses dettes qui s'élèvent à plus de 200.000 livres.

Cette faveur royale fit jaser. La reine, déjà soupçonnée de relations saphiques avec ses favorites, la Lamballe et la Polignac, fut aussi accusée de « tribadisme » avec la Raucourt (voir « Histoire des libertines 38 : Marie-Antoinette, la reine calomniée ? », texte publié le 30 août 2019).

Pour échapper à leurs créanciers, Françoise Raucourt et Madame Souck s'exilent aux Pays-Bas autrichiens et vivent pendant près d'un an chez le prince Charles-Joseph de Ligne (1735-1814), qui les entretient. Après avoir fabriqué de fausses lettres de change au nom du prince, elles s'enfuient à Hambourg, où elles sont arrêtées et condamnées à être rasées, fouettées et marquées pour escroquerie ! Le prince de Ligne, pas rancunier, les sauve, en payant les fausses lettres de change. La comédienne se fait ensuite oublier quelques temps, en Russie.

Lorsque Françoise Raucourt revient en France en 1779 et retrouve les rangs des comédiens du Français, contre l’avis des sociétaires mais grâce au soutien de la reine, sa réputation s’aggrave encore : elle est une des « favorites » de la Reine et ne devrait les bontés de celle-ci qu’à l’emploi scandaleux et obscène de ses charmes sur Marie-Antoinette, dont l’image est justement en train de changer. Qui plus est, Françoise Raucourt loge chez Sophie Arnould et s’affiche ouvertement avec elle, sans faire mystère que les deux femmes vivent en couple et forment ménage ! Les deux amantes vont rompre quand Françoise Raucourt enlève à Sophie Arnould son généreux amant, le prince de Hénin.

Le 1er mars 1782, elle fait représenter un drame de sa création, en trois actes et en prose, sur la scène de la Comédie-Française, intitulé « Henriette ou La Fille déserteur ». Elle y interprète le rôle principal, celui d'une femme travestie en officier !

Elle éprouve en 1784 une vive passion pour l'actrice Louise Contat (1760-1813), qui jouera le rôle de Suzanne dans « le mariage de Figaro » et dont elle paie les dettes, sans pour autant en obtenir les faveurs.

Très royaliste, Françoise fait partie, sous la Révolution française, des acteurs du Théâtre-Français emprisonnés en septembre 1793 à la prison Sainte-Pélagie. Elle échappera de peu à la guillotine. En prison, elle rencontre Marie-Henriette Simonnot-Ponty, dite Madame de Ponty, avec laquelle elle commence une liaison et qui sera sa compagne jusqu'à la fin de sa vie.

En 1799, Françoise Raucourt réintègre la Comédie-Française. En 1801, chargée de recruter une élève pour la Comédie-Française, elle prend en charge la formation de Marguerite-Joséphine Weimer (1787-1867), qui deviendra « Mademoiselle George ». Intime de Joséphine de Beauharnais, qu'elle a connue lors de son incarcération sous la Terreur, Françoise présente au couple Bonaparte sa jeune élève, qui devient quelque temps après la maitresse de Lucien Bonaparte (qui aurait négocié avec mademoiselle Raucourt les faveurs de la belle débutante), puis, en 1803, celle de Napoléon.

À l'avènement du Premier Empire, la Raucourt règne à la Comédie-Française dans la gloire de son passé. Grace au soutien de Joséphine, l'empereur lui confie en 1806, l'organisation des spectacles français en Italie. La tournée en Italie n'est pas un grand succès.

En 1801, elle devient la châtelaine du château de La Chapelle-Saint-Mesmin près d'Orléans, officiellement acheté par sa compagne Henriette. Depuis son retour d'Italie et avec l'arrivée de la vieillesse, Françoise Raucourt était devenue très pratiquante. Elle annonce sa retraite formelle de la Comédie-Française pour le 1er avril 1815 et décède le 15 janvier 1815.

***

Bien que considérées par l’Église et la « bonne société » comme des pratiques déviantes, les relations amoureuses entre femmes n’étaient pourtant pas rares à la veille de la Révolution. Les idylles saphiques et les débauches de Françoise alimentèrent la chronique scandaleuse, suivie avidement par le bon peuple de Paris. Cette femme émancipée et provocatrice, cet électron libre qui prenait ses distances avec la gent masculine, exerçait sur ses contemporains une incontestable fascination, mêlée de répulsion.

La Raucourt a toujours conservé son mode d’aimer et sa liberté toute sa vie, y compris dans un contexte nettement moins favorable aux femmes aimant les femmes : celui de la Révolution française. Il ne faisait alors pas bon, sous le règne de la Terreur et de la Vertu, d’être « tribade ». On peut par exemple rappeler les outrages abominables que le peuple de Paris fit subir lors des Massacres de Septembre au corps et au sexe de la Princesse de Lamballe, l’une des favorites de la Reine, qu’elle appelait son « cher cœur ».

Les recherches des historiens ont permis de confirmer le saphisme de Françoise Raucourt. Françoise Raucourt a d’ailleurs cherché à mettre ses amantes à l’abri du besoin en leur constituant une rente viagère. Elle le fit, par exemple, en 1787 pour son amante de l’époque, Mme de Mailly, Pierrette Charpentier de son nom de jeune fille, épouse d’un miniaturiste de Catherine II.


REFERENCES :

Olivier Blanc, « Les libertines : Plaisir et liberté au temps des Lumières » (Perrin 1997)
Isabelle Joz-Roland : « Une femme libre : Sophie Arnould, chanteuse et courtisane » (France-Empire, 2007)

Joelle Chevé, « Les Grandes courtisanes » (First Editions, 2012) (pages 105- 121)
Michel Peyramaure, « Les Grandes Libertines - Le Roman de Sophie Arnould et Françoise Raucourt, Robert Laffont, 2009)

Sur le Web, outre l’article de Wikipédia, je renvoie aux liens suivants :

• http://sophie-arnould.fr/la-compagnie/qui-est-sophie-arnould/
• https://unefemmeinvertieenvautdeux.wordpress.com/projet-dhistoire/lhomosexualite-feminine-au-xviiie-siecle/une-premiere-visibilite-lesbienne-a-la-fin-du-xviiie-siecle-en-france-autour-de-francoise-raucourt/
• https://www.comedie-francaise.fr/fr/artiste/mlle-raucourt#
• https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article216
• https://savoirsdhistoire.wordpress.com/2020/03/20/la-secte-des-anandrynes-ou-les-liaisons-scandaleuses-de-mlle-raucourt/

Les avis des lecteurs

@ La chipie, vous avez raison, il y avait beaucoup de misogynie derrière ses attaques, notamment contre la reine, même si ce n'était pas le seul motif

Histoire Libertine
Les hommes n’étaient pas aussi « intelligent ou futé «  à l’époque.
Ils se sont attaqué à des femmes par hypocrisie car si ça les arrangeaient tribade ou pas ils n’auraient rien fait.
La c’est juste pour montrer que c’étaient les plus forts , ils considéraient les femmes comme de la merde et non comme des etres humains.
Du moins c’est mon humble avis.

La chipie

@ Clara, je comprends ton message. La reine fut conduite devant le Tribunal Révolutionnaire pour des raisons politiques. Certains l'ont aussi attaqué sur sa vie privée et ses moeurs.

Histoire Libertine
@ Olga, bien entendu qu'il n'est pas question de parler à cette époque de "communauté LGTB". Mais étant donné que la Lamballe et Marie-Antoinette furent traitées ainsi parce que soupçonnées d'être des "tribades" comme on disait à l'époque, oui, à mes yeux, elles sont devenues des icônes saphiques
Clara

@ Clara, il est incontestable que la Terreur, puis l'Empire marquent un retour à "l'ordre moral" par rapport à l'esprit de tolérance des lumières. Il y eut, entre les deux, la période du Directoire, très "permissive", celle du règne des "Incroyables et des Merveilleuses" dont les plus connues furent Joséphine de Beauharnais et surtout Madame Tallien.
Oui, ses adversaires stigmatisaient la conduite de Marie-Antoinette, accusée d'être "infidèle et tribade" Mais pas d'anachronisme en évoquant à son sujet ou celle de la princesse de Lamballe une "cause LGBT"
Une chose est certaine, Sophie Arnould et surtout Françoise Raucourt, pour en revenir à nos personnages, l'ont échappé belle sous la Terreur

Histoire Libertine
Il ne faut pas oublier que cette phase de la Révolution, en particulier la Terreur, est aussi le "règne de la vertu". Certes, aux yeux des enragés, la Lamballe symbolisait l'aristocratie et la Cour et ils abominaient "l'Autrichienne". Mais il y avait aussi une réaction morale au libertinage du XVIIIème siècle. A travers la Lamballe et Marie-Antoinette étaient aussi visées le saphisme et la bisexualité. Et de ce point de vue, à mes yeux, en tant que lesbienne, ces deux femmes sont des martyres de la cause LGBT
Clara

@ Lecteur anonyme, il y a le contexte. Les massacres de septembre suivent l'annonce de la chute de Longwy et de Verdun. Paris semble menacée par les coalisés. Il en est de même en 1793.
Quant aux fautes politiques de Marie-Antoinette, elles furent nombreuses et ne peuvent être oubliées. Sa trahison en période de guerre au profit des puissances étrangères est avérée (à l'époque on ne disposait pas de ces preuves, à savoir sa correspondance avec l'ambassadeur d'Autriche, Mercy-Argenteau)
Quant à la princesse de Lamballe, elle est morte pour sa fidélité à son amie et sans doute ancienne amante.
En tout cas, rien ne justifie la peine de mort et encore moins l'ignominie

Histoire Erotique
@ Olga @ Julie, vous avez raison de dénoncer le sort abominable de la Lamballe ou encore celui de Marie-Antoinette. Mais n'oubliez pas le contexte ,ni leurs fautes politiques, surtout de la part de la Reine.

Très juste, Julie!

Histoire Libertine
Exact Olga! Ce triste sire accusa la reine d'inceste envers le jeune Dauphin et après avoir extorqué un "témoignage" de l'enfant du temple contre la Reine et Madame Elisabeth. Marie-Antoinette fut applaudie par les femmes présentes au procès, en déclarant "j'en appelle à toutes les mères"
Julie

Merci Didier pour cette précision. Je confirme. Mais, de la part du sinistre Hébert, je pense que cela valait condamnation. Il suffit de se rappeler son comportement abject lors du procès de la reine

Histoire Erotique
@Olga, Julie, merci pour ces sinistres précisions, je voudrai seulement ajouter ceci.
Le paradoxe dans l’atroce mort de madame de Lamballe, c’est que ce massacre ignominieux eu lieu après qu'Hébert eut prononcé la phrase « qu'on élargisse madame », un terme ambigu en effet signifiant soit sa libération, soit sa mise à mort.
Avait-elle été réellement libérée, ou condamnée à mort, nul ne le saura vraiment…
Didier

@ Paul, c'est én préparation. Ce sera la prochaine publication.

Histoire Erotique
@ Olga, tes publications sont toujours intéressantes. Mais moi je suis impatient de lire la suite de ton séjour à Rome!
Paul

@ Julie, merci d'avoir eu le courage de rappeler ce que fut l'horrible massacre de la princesse de Lamballe, sans détailler les aspects les plus morbides et atroces. Une véritable abomination!

Histoire Libertine
@ Luc, La mort de la princesse de Lamballe est en effet un effroyable témoignage des horreurs commises lors des massacres de septembre 1792.
Arrêtée après la prise des Tuileries, tirée de son cachot le 3 vers 10 heures, elle est conduite devant un prétendu juge : « Dites que vous haïssez le roi et la reine. » – « Je ne le puis ! » On la prend par les aisselles, on la porte dehors, on la force de s’agenouiller devant un monceau de cadavres dégoulinant de sang et on la décapite. Puis on lui transperce le sein pour en arracher le cœur. On force un coiffeur à friser et à poudrer ses longs cheveux blonds, on plante la tête sur une pique et on la transporte dans les rues de la ville. Le cortège, précédés par des fifres et des tambours, passe au Palais-Royal devant le Duc d’Orléans qui est à son balcon, puis jusqu’au mur du Temple, sous les fenêtres de la reine que la foule déchaînée appelle à grands cris. Marie-Antoinette avait conseillé à son amie de fuir au plus vite. Madame de Lamballe avait refusé par fidélité. On reproche en fait aux deux femmes leur relation très proche et l’organisation d’un « complot féminin et lesbien ».
Sa tête fut promenée au bout d’une pique jusqu’à la tour du Temple où elle est agitée devant les fenêtres de l'appartement de Marie-Antoinette qui s'évanouit.
Julie

@ Luc, oui. Sophie Arnould s'était mise à l’abri en province. Par contre Françoise Raucourt n'échappa à la guillotine que du fait du 9 Thermidor. Ceci lui permit cependant de faire la connaissance de Joséphine de Beauharnais, qui sera sa nouvelle protectrice.
Quant à la malheureuse Lamballe, je n'ose évoquer son sort abominable lors des Massacres de Septembre.

Je suis entièrement d'accord avec toi, ma chère D!

Histoire Libertine
Comme toujours dans les textes de Olga, connaissances et plaisirs vont de pair.
Libertines, Sophie Arnould et Françoise Raucourt ? Oui, sans doute, au regard des hypocrisies morales de leur temps, et qui n'ont pas cessé. Mais, comme la longue suite de celles qui les précédèrent et qui leur succédèrent, elles ne firent qu'inscrire dans leur vie et leurs choix le mot de Liberté.
Curieux que le concept soit encensé ou dénigré selon qui le met en pratique, n'est-ce pas ?
D.

Histoire Erotique
En tout cas, sous la Terreur, Sophie et Françoise échappèrent au terrible sort de la Princesse de Lamballe, le "cher coeur" de la Reine
Luc

@ Henri, merci. Oui cela fait partie de l'entreprise de démolition qu'à longtemps subi Marie-Antoinette, objet de haine bien avant son procès devant le tribunal révolutionnaire. Cela ne veut pas dire qu'elle fut exempte de toute critique quant à son comportement politique, mais ceci est une autre histoire. En ce qui concerne sa vie privée, nul n'a à en juger. Ses détracteurs ont à l'évidence forcé le trait. Pour faire simple, semblent avérés son adultère avec Fersen et peut-être bien aussi ses relations saphiques avec la Lamballe et la Polignac.
@ Chris, un grand merci. L'occasion de te redire combien j'aime tes textes et combien je suis impressionnée par le volume de tes productions.

Beavo Olga, pour toi textes fortement étoffés par de la recherche, pour moi, textes d'instinct sous un coup de tête avec quelques recherches pour petre cohérant...

Histoire Erotique
La faveur accordée à la Raucourt par Marie-Antoinette, accordée à l'artiste, a pesé dans la légende noire de Marie-Antoinette, alimentant les attaques infâmes contre la reine, au sujet de la prétendue « secte des Anandrynes ». Pour ses détracteurs, la reine était une "tribade", rumeur alimentée par sa proximité avec ses favorites, la Lamballe et la Polignac.
Henri

Merci Daniel, j'ai pensé que ça pouvait être utile

Histoire Erotique
Bonne idée que celle d'avoir introduit des références à certaines de tes anciennes publications, que j'avais beaucoup aimés lors de leur découverte
Daniel

Un grand merci à Julie, à mon lecteur anonyme et à Didier.
Oui, Michel Peyremaure avait raison de parler en même temps de ces deux femmes, qui étaient contemporaines, qui vivaient dans le monde du spectacle (cantatrice pour l'une, le théâtre pour l'autre) qui furent brièvement amantes et, comme le souligne Didier, deux femmes libres.
J'ai plaisir à faire connaitre des personnages et à partager mes recherches.

Histoire Erotique
Olga,
Avec cette nouvelle chronique sur les libertines, tu nous fais une très belle présentation de ces deux artistes, courtisanes évidemment, et bisexuelle de surcroit.
Ayant eu le privilège de côtoyer les grands du royaume, elles font parties de ce que j’appelle « la petite histoire », celle dont est fait l’Histoire.
Quelles incroyables destinées pour ces deux femmes, commençant au siècle des lumières pour finir sous l’empire, qui ont toute deux réussies à survivre à l’hécatombe de la révolution française.
La vie de courtisane de Sophie Arnoult me semble cependant plus « conventionnelle », à la Ninon de Lenclos, pour l’époque par rapport à celle de Françoise Raucourt qui est plus aventureuse, plus rocambolesque…
Tu as raison de souligner que ce furent deux femmes libres, avis que je partage intégralement.
Didier

Histoire Erotique
Deux histoires de la petite Histoire toujours aussi bien documentées par le travail de recherche d’Olga.
Merci Olga de nous relater la vie cachée de ces personnages qui vivaient dans l’ombre des Seigneurs.

Histoire Libertine
Je suis très heureuse de voir revenir cette rubrique, toujours pleine de découvertes. C'est le cas ici. Tu as bien fait de suivre la voie proposée par Michel Peyremaure et d'évoquer ensemble ces deux grandes libertines.
Julie



Texte coquin : Histoire des libertines (106) : Sophie Arnould et Françoise Raucourt, les grandes libertines
Histoire sexe : Une rose rouge
Vous êtes :
Indiquez votre adresse mail si vous souhaitez la communiquer à l'auteur de l'histoire.