Histoire des libertines (16) : « Décapitées » Le destin tragique de trois femmes adultères dans l'It
Récit érotique écrit par Olga T [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur femme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 19-07-2018 dans la catégorie A dormir debout
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Histoire des libertines (16) : « Décapitées » Le destin tragique de trois femmes adultères dans l'It
POURQUOI CE TEXTE ?
Je ne sais pas combien de fois ce texte sera lu, car il n'est pas dans la lignée de ceux qu'on publie ici, y compris de ceux que je publie. Je suis cependant convaincue que ce n'est pas parce qu'on aime les histoires érotiques et les textes hard que l'on est par définition incapable de s'intéresser à autre chose, à prendre le temps de réfléchir et de s'indigner, ne serait-ce que parce que la tragédie authentique que je vais vous raconter est liée à l'un des moteurs des récits publiés sur HdS : l'adultère féminin. Moi qui suis hypersexuelle, mais aussi passionnée d'histoire et de philosophie, c'est en tout cas ma conception et c'est pour cela que je propose ce texte à la publication sur HdS. L'esprit et l'intelligence ne sont pas incompatibles avec le plaisir !
Il s'agit d'un récit historique, qui est en même temps une fiche de lecture, inspirée par la lecture récente sur ma liseuse de l'ouvrage des historiens Elisabeth Crouzet-Payan et Jean-Claude Maire Vigueur : « Décapitées: Trois femmes dans l'Italie de la Renaissance. » (Editions Albin Michel 2018). J'ai aussi tenu compte de l'analyse qui en a été faite par JB Delzant : « Trois «affaires classées» éclairent le pouvoir des femmes au Moyen Age », dont je publie le lien :https://www.nonfiction.fr/article-9445-trois-affaires-classees-eclairent-le-pouvoir-des-femmes-au-moyen-age.htm
UN CHATIMENT TERRIBLE ET INEDIT
J'ai choisi de présenter ce texte sous la rubrique « histoire des libertines» car il s'agit d'un destin tragique de trois femmes, à la fin du XIVème siècle et au début du XVème siècle, dans le Nord de l'Italie : Agnese Visconti (1363-1391), Beatrice de Tende (1372-1418) et Parisina Malatesta (1404-1425). Trois femmes mises à mort, en fait trois meurtres sous couvert d?exécutions qui avaient fait l?objet d?une certaine publicité, trois affaires qui rompaient avec les règles du jeu matrimonial, social et politique.
Cela est d'autant plus choquant, même dans cette période du Moyen-Age où l'adultère n'était pas en Occident sanctionné de la peine de mort, au moins en règle générale. Dans ces trois cas, pour la première fois, trois femmes, nées et vivant au plus haut de la société, sont exécutées pour avoir été adultères.
Cela ne veut pas dire que l'adultère féminin n'était pas sanctionné avec la plus extrême sévérité. La législation de Parme prévoit par exemple, à cette époque, que la coupable, qu'elle ait vécu sa faute d'une manière publique ou secrète, sera condamnée à perdre sa dot et à être publiquement fouettée, avant d?être conduite dans un monastère. Les sanctions furent terribles pour les princesses adultères de la Tour de Nesle, mais seuls leurs amants payèrent de leur vie leur « crime », par un châtiment barbare, parce qu?ils avaient osé avoir « attenté à l?honneur » des héritiers des fils de Philippe le Bel, moins d?un siècle auparavant. On se rappellera aussi le sort deux des épouses d?Henri VIII d?Angleterre, décapitées suite à une accusation d?adultère, plus d?un siècle après l?exécution d?Agnese, de Beatrice et de Parasina.
La peine de mort, la décapitation est pourtant une sentence inédite pour ce « crime », qui aboutit généralement à l?annulation du mariage par le pape pour divers prétextes et/ou à l'enfermement. Il s'agissait de ne pas attirer l'attention sur l'adultère, et de ne pas se froisser mortellement avec les familles alliées. On n?aimait pas rendre publiques les affaires d?adultère, encore moins quand la femme était la « coupable ».
LES AUTEURS
Élisabeth Crouzet-Pavan, née en 1953, est une historienne médiéviste, spécialiste de l'histoire des derniers siècles du Moyen Âge, de l'histoire de l'Italie (âge communal, première Renaissance), des villes et des sociétés urbaines, tout particulièrement de Venise.
Jean-Claude Maire Vigueur, né en 1943, est un des principaux spécialistes de la civilisation des villes italiennes entre le XIIe et le XIVe siècle. Il a en particulier étudié les institutions communales des cités-États d'Italie pendant cette période, et le rôle qu'y jouaient la noblesse et les pratiques guerrières. Il est aussi spécialiste de l'histoire de la ville de Rome à la fin du Moyen Âge.
RESUME DU LIVRE
Entre 1391 et 1425, trois femmes sont décapitées sur ordre de leurs maris. Epouses de trois des plus grands seigneurs de l'Italie de la Renaissance - Mantoue, Milan, Ferrare -, Agnese Visconti, Beatrice de Tende et Parisina Malatesta sont exécutées pour cause d'adultère. Pourtant, aucune femme infidèle ne subissait alors un tel châtiment et, autre étrangeté, loin de dissimuler ces mises à mort, les trois seigneurs les rendent au contraire publiques.
Il y a là une énigme historique qu'Elisabeth Crouzet-Pavan et Jean-Claude Maire Vigueur entendent bien élucider. Ces trois femmes ont certes trahi les liens du mariage, mais elles sont surtout coupables d'avoir tenté de prendre une part active aux grandes innovations politiques et culturelles de leur temps. Elles sont châtiées pour avoir voulu transgresser le statut traditionnellement effacé de "l'épouse du seigneur". En les faisant périr, leurs maris réaffirment symboliquement leur pouvoir de princes. Cette enquête passionnante sur les moeurs, les pratiques culturelles et l'autorité des seigneuries florissantes de la Renaissance italienne est aussi une contribution importante à l'histoire des femmes. C'est l'Italie de la première Renaissance, l'Italie des violences des hommes, mais aussi de l'humanisme naissant et de la passion pour les arts, qui est au coeur de ces trois tragédies féminines. Il s'agit donc bien non d'une répression au nom de la morale, mais de crimes politiques.
L'enquête passionnante des auteurs croise l'histoire des femmes et celle du politique. Le livre met en lumière le sens caché de ces trois meurtres. Avec l'irruption des nouvelles cours princières, les femmes acquièrent une visibilité nouvelle. Coupables d'avoir tenté de prendre une part active aux grandes innovations culturelles et politiques de leur temps, ces trois femmes vont payer leur audace de leur vie. Plutôt que de dissimuler leur infortune, les maris font le choix de rendre l?adultère public afin de réaffirmer, par l'éclat du châtiment, leur pouvoir et leur honneur et de rétablir leur implacable souveraineté.
C'est parce qu'elles étaient entrées dans la sphère du pouvoir politique que ces trois femmes accusées d'adultère eurent la tête tranchée : leur infidélité était devenue une atteinte à la souveraineté détenue par le couple seigneurial.
LES FAITS : TROIS ADULTERES ? TROIS FEMINICIDES !
Ces trois affaires sont des cas de féminicide, pratiquées par des princes qui voulaient se débarrasser de leurs épouses. Même si, dans le cas de Parisina on peut penser que la colère du Marquis cocu a été le premier motif de sa décision.
Ces femmes au coeur du pouvoir, parfois délaissées par leur mari, choisissent des amants parmi leurs familiers, transgressant ainsi l'ordre masculin qu'on leur impose. Mais la punition, quant à elle, réaffirme avec force ce pouvoir de l'homme sur la femme et vise à rétablir le contrôle du seigneur sur son image et son autorité.
Pour les trois femmes, les exécutions ne furent pas secrètes, mais discrètes : au petit matin pour Agnese, à la tombée du jour pour les deux autres.
AGNESE ET LE CHAMBRIER
Agnese Visconti, femme de Francesco Gonzague, alors âgée de 28 ans, est exécutée en février 1391, en compagnie de son amant Scandiano, qui sera pendu, après un «procès» devant un tribunal d?exception, voulu par Francesco et doté de tous les pouvoirs. Il s?est donc agi d?un simulacre de justice. Des servantes, appelées comme « témoins » livrent (sans pressions semble-t-il) sur les rencontres des amants, une foule de détails scabreux qui ne laissent aucun doute sur la nature de leur liaison : « Agnese et Scandino se comportaient comme deux amoureux qui ne peuvent se passer l?un de l?autre. Ils se livraient à tous les jeux, ils avaient l?un pour l?autre des gestes d?une extrême familiarité, ils aimaient s?embrasser, de toucher, se caresser, y compris là où c?est le plus excitant. ». L?une des servantes décrit un rapport sexuel complet entre la dame de Mantoue et son amant.
Ces lignes permettent ainsi d'imaginer les jeux érotiques d'Agnese et de Scandino en train de « bafouer l'honneur » du seigneur de Mantoue. Ce qui provoqua la vengeance du mari cocu.
BEATRICE ET LE JOUEUR DE LUTH
Beatrice, deux fois plus âgée que son mari Filippo Maria Visconti, épousée pour son argent et pour la force militaire qu'elle avait héritée de son premier mari, est décapitée en 1418, sans qu'on sache à coup sûr si l'accusation d'adultère était avérée.
Beatrice a-t-elle vraiment été l'amante d'un joueur de luth, qui fut exécuté sous ses yeux, quelques minutes avant d'être décapitée, le 13 septembre 1418 ? Je l'espère pour elle, espérant ainsi qu'elle se soit accordé le plaisir infini de copuler avec un mâle bien plus jeune que l'amante.
Beatrice s'était mariée le 2 septembre 1403 avec Facino Cane de Montferrat, fameux et habile condottiere, qui se montra aimant et respectueux envers son épouse qui le lui rendit bien, l'accompagnant dans ses combats sans craindre le danger ou la fatigue. Malheureusement, Facino Cane mourut le 19 mai 1412 à Pavie tué le jour du massacre de Jean Marie Visconti par les nobles de Milan.
Filippo Maria Visconti, frère du duc assassiné, prend le duché de Milan. Il désira épouser Béatrice, veuve depuis peu, mais dont la dot pouvait faire oublier ses 25 années de plus, même si elle avait la réputation d'être restée une belle femme. En effet, elle apportait, en plus de sa fortune personnelle, celle de son défunt mari et toutes ses possessions territoriales (les villes de Novare, d'Alexandrie, de Verceil, de Tortona, le comté de Biandrate et le lac Majeur).
Poussée par l'archevêque de Milan, Béatrice accepta ce mariage avec Filippo Maria, mais aussitôt que celui-ci fut assis sur le trône ducal de Milan, son attitude envers son épouse changea radicalement. La vie de débauche et les liaisons avec ses jeunes maîtresses, mais aussi ses amants, car le duc était bisexuel, le poussèrent à envisager de se débarrasser de l'épouse gênante.
Filippo Maria imagina un stratagème ignoble (mais courant parmi la noblesse de l'époque), celui de l'amant. Il l'accusa d'avoir des pensées amoureuses envers un de ses familiers ; Michele Orombello, jeune et beau troubadour qui essayait de distraire la châtelaine par ses chants. Michele était un beau jeune homme, bon chanteur, excellent musicien, qui excellait dit-on dans l'art de plaire et dont, de toute évidence, Béatrice aimait la compagnie.
Le duc fit enfermer le jeune troubadour et deux demoiselles de compagnie de la duchesse au château de Binasco, et sous la torture les obligèrent à accuser leur maîtresse d'adultère.
Clamant leur innocence, Béatrice et le troubadour furent accusés et la sentence de mort fut prononcée. Béatrice fut transférée de sa prison de Milan à celle de Binasco le 23 août 1418 et, après des jours de souffrance et de torture, elle fut décapitée dans la cour du château le 13 septembre 1418, en compagnie de ses deux demoiselles d'honneur et du jeune Michele. Pensant peut-être sauver sa vie, Michele, sous la torture, avait fini par avouer, la duchesse lui reprochant sa lâcheté et proclamant avec force son innocence.
Dans l'affaire de Beatrice, l'époux meurtrier ne s'encombre pas d'un simulacre de procès, il y aura seulement une sentence prononcée par un juge aux ordres. Sa « justice » est encore plus expéditive que dans le précédent de Mantoue, à partir d'aveux obtenus par la torture, y compris pratiquée sur la malheureuse Beatrice.
Beatrice était innocente, l'histoire était montée de toute pièce par un mari désireux de se débarrasser de sa femme.
D'après de nombreux témoignages, Béatrice apparaît comme une femme intelligente et au courant des affaires de l'État. Son honnêteté et sa modestie en fit une martyre qui inspira beaucoup d'écrivains dont Vincenzo Bellini qui écrivit pour la reine Christine de Suède "Béatrice di Tenda", opéra en deux actes, qui fut joué la première fois le 16 mars 1833 à la Fenice de Venise.
PARISINA ET LE BEL UGO
Laura Malatesta était la fille d'Andrea Malatesta, le seigneur de Cesena. Elle a épousé Niccolò III d'Este, le Marquis de Ferrare, à Ravenne en 1418.
Laura était appelée Parisina, « la Parisienne », parce que, dès son plus jeune âge, elle aurait possédé la grâce et l'élégance d'une Parisienne.
Le marquis de Ferrare n'avait pas beaucoup d'attirance pour la pourtant très jolie Parisina, lui préférant ses maîtresses.
Pendant un voyage en 1424 pour visiter sa famille, Parisina a été accompagnée, selon les voeux de son mari, par Ugo d'Este, alors âgé de 19 ans, le fils adultérin de Nicholò, lequel collectionnait maîtresses et enfants illégitimes. Les deux jeunes gens eurent l'occasion de mieux se connaître à Ravenne et deviennent amants. Leur relation se poursuit secrètement une fois qu'ils sont de retour à Ferrare, les deux amants se retrouvant dans l'une des maisons de campagne qu'avait faites construire le marquis. Parisina et Ugo avaient presque le même âge.
Soupsçonneux, le Marquis les fait surveiller et finit par découvrir leur liaison, suite à la dénonciation d'une servante. Niccolò voulut s'assurer des faits par lui-même. Il ordonna qu'on perce un trou dans le plafond de la chambre de sa femme, située juste en dessous d'une bibliothèque. Et le soir même, il fut témoin en direct de son « infortune ».
On ne sait pas jusqu'à quel moment le mari cocu assista à son « infortune ». Malheureusement pour les amants, le Marquis n'était pas candauliste. Il fit immédiatement arrêter les amants. Ils furent décapités tous les deux dès le lendemain, sans la moindre forme de procès.
Selon les témoins, Ugo se serait montré repentant, alors que Parisina fut acharnée à aimer Ugo jusqu'à son dernier souffle. Elle assumait ses actes et revendiquait son amour.
Comme pour Beatrice, son histoire tragique a inspiré des auteurs et des musiciens. L'auteur italien de la Renaissance Matteo Bandello a écrit le roman « Ugo et Parisina ». L?historien anglais du XVIIIème siècle Edward Gibbon a raconté cette histoire dans ses « ?uvres Diverses » et George Byron a écrit un poème Parisina en 1816. Le musicien Gaetano Donizetti a composé en 1833 un libretto. Pietro Mascagni a composé un opéra tragique Parisina, basé sur la tragédie lyrique écrite par Gabriele D'Annunzio en 1912. Il y a aussi un opéra de Tomás Giribaldi (1878) et une tragédie d?Antonio Somma.
DE VERITABLES COLD CASES
Cold cases : c' est ainsi qu'Élisabeth Crouzet-Pavan et Jean-Claude Maire Vigueur désignent les exécutions de trois femmes, épouses de trois des plus puissants seigneurs d'Italie au tournant des XIVe et XVe siècles. Les malheureuses furent accusées d'adultère et eurent la tête tranchée. Certes, le nom des commanditaires de ces assassinats est tout aussi connu que le mode opératoire :
- Francesco Gonzague, seigneur de Mantoue, convoqua un tribunal d'exception afin que la peine de mort fût prononcée contre Agnese ;
- Filippo Maria Visconti, duc de Milan, fit soumettre à la question et condamner Béatrice par un juge en 1418 ;
- Niccolò d'Este, marquis de Ferrare, ordonna lui-même la décollation de Parisina et de son amant, le propre fils du seigneur, en 1425.
Il s'agit bien de « Cold cases » pourtant, car ces exécutions avaient été oubliées jusqu'à ce que Élisabeth Crouzet-Pavan et Jean-Claude Maire Vigueur exhument le dossier et associent les trois cas.
Outre son resserrement chronologique (moins de quarante ans) et spatial (l'Italie du Nord), cette séquence se distingue par plusieurs étrangetés qui, jusqu'à présent, avaient échappé à l'attention. Décelées par É. Crouzet-Pavan et J.-C. Maire Vigueur, elles les ont poussés à mener l'enquête dans les archives de Ferrare et de Mantoue, de Modène et de Venise.
POURQUOI ?
Pourquoi les seigneurs choisirent-ils tous trois de rendre public ce qui les exposait à l'infamie ? Pourquoi sanctionnèrent-ils ainsi un adultère quand aucune législation du temps ne prévoyait une telle extrémité, et quand bien d'autres moyens permettaient de régler ce délicat problème d'honneur ?
L'enquête n'est pas celle que proposerait un roman historique, elle ne se construit pas sur le destin tragique, personnel et collectif, de femmes de haute noblesse vivant dans l'ombre d'un mari puissant et violent, et cherchant auprès de leur amant un amour dont leur mariage arrangé les aurait privées. Le livre ne gomme pas les aspects propres à chacune des protagonistes, il n'oublie pas les spécificités des trois cours où chacune évolua. Il prend le pari de comprendre la « logique » de chacune des exécutions, à l'aide de ce que les sources permettent de connaître de la personnalité de ces femmes et de leur mari, et ainsi de comprendre le moment politique, social, économique et culturel où les trois mises à mort eurent lieu et furent rendues publiques.
LE CONTEXTE POLITIQUE : DU POUVOIR COMMUNAL A CELUI DES GRANDES FAMILLES ARISTOCRATIQUES
À Mantoue, à Milan et à Ferrare, comme dans bien des villes du centre et du nord de l'Italie, de grandes familles accaparèrent le pouvoir dès la fin du XIIIe siècle. Elles prirent progressivement le contrôle des communes, vidant de leur substance les assemblées et les conseils des citoyens qui tenaient jusque-là le destin de leur cité. Elles développèrent peu à peu leurs propres organes de gouvernement.
Au moment où Agnese, Beatrice et Parisina perdirent la vie, certains régimes seigneuriaux tentaient d'opérer une nouvelle mue : alors que le pouvoir avait été partagé entre plusieurs membres d'une même famille, il se trouvait désormais dans les mains d'un seul homme qui l'exerçait de façon personnelle et autoritaire. Le pouvoir devenait dynastique et héréditaire.
POUVOIR FEMININ
Chargées du bon fonctionnement de la maison, les épouses des seigneurs exerçaient une influence qui dépassait de très loin la sphère domestique privée à laquelle l'historiographie a longtemps réduit les femmes de la fin du Moyen Âge. Leur rôle ne se limitait pas non plus à permettre qu'à travers leur mariage, des richesses soient transférées et des alliances conclues, entre des familles qui devaient s'épauler mutuellement. Au moment où se développait une nouvelle administration liée à la personne du seigneur et où le pouvoir politique se concentrait dans sa maison, celle qui était la régisseuse de cette maison jouissait de prérogatives étendues.
Il s'agit en réalité d'une question de pouvoir et d?une question de couple. Ces épouses de seigneurs du début de la Renaissance sont des femmes éduquées qui jouissent d'une grande autonomie, d'une position spécifique à la cour ; elles ont des pratiques de consommation, notamment artistiques, qui anticipent sur les grandes princesses mécènes de la fin du XVe et du XVIe siècle. Le fait d'être épouse du seigneur devient un statut à part entière, qui a un rôle à jouer dans la cour et dans la politique.
LE REFUS DE LA LIBERTE DE LA FEMME
Les formes institutionnelles et les structures sociales développées par des régimes de plus en plus personnels laissèrent d'importants espaces d'autonomie aux épouses des seigneurs. Cependant, les nouvelles libertés n'incluaient ni celle d'aimer hors du couple avec passion, ni celle de disposer de son corps.
Béatrice fut selon toute vraisemblance accusée à tort. Parisina et Agnese tentèrent, elles, d'exercer un peu trop loin les capacités de choisir et d'agir qu'elles avaient acquises dans la sphère du gouvernement ordinaire de la maison et de l'État. Pour elles, les « faits » sont avérés, et alors ?
Toutes trois furent « punies » par des maris qui refusaient une réelle indépendance. Rompant aussi brutalement qu'ostensiblement avec la loi commune, les seigneurs trompés ou prétendant l'être entendirent restaurer avec éclat leur autorité.
« Décapitées » multiplie les angles d'approche : histoire du pouvoir et de la consommation, histoire de la culture intellectuelle et des affects, histoire des femmes et des violences masculines faites aux femmes, l'importance décisive des femmes dans la mise en place des nouvelles pratiques de consommation par lesquelles fut proclamée la supériorité incommensurable des familles princières sur le reste de la population. Mais après ce livre, il ne sera plus possible de passer sous silence le rôle actif des femmes dans les seigneuries de l'Italie de la Renaissance.
LES LECONS
A cette époque, comme aujourd'hui encore, on observe une répartition inégale des devoirs sexuels : l'impératif de fidélité ne pèse que sur la femme, tandis que l'homme peut faire ce qu'il veut (et se faire qui il veut). Ce modèle sexiste et tout à l'avantage du patriarcat reste encore largement en vigueur aujourd?hui. Un homme adultère est un séducteur, un Don Juan, une femme adultère une salope.
Au XIVème siècle, cet adultère féminin est considéré comme un crime. Et même un double crime, non seulement moral, mais également politique. En prenant un amant, la femme noble menace cette répartition des identités sexuelles, sur laquelle repose, au moins en partie, l'équilibre social et politique. Si les princes font décapiter leurs épouses, c'est pour mieux se réaffirmer comme hommes et comme seigneurs.
Est-ce un hasard si, un siècle plus tard, Machiavel écrira que « la Fortune est femme » et que le Prince modèle est celui qui sait « la prendre » et « la battre » ? La violence à l'égard des femmes est explicitement présentée comme une clé de succès en matière politique. Chez le philosophe florentin, c'est sous couvert de la métaphore. Les trois princesses du XIVe siècle ont payé de leur vie ce lien entre la femme, la violence et la domination.
Je retiens de cette lecture, qui, j'en conviens, n'a rien d'érotique et tout du tragique, beaucoup de leçons, à la fois générales mais qui m'interpellent, y compris au sujet de mon propre mode de vie.
J'aime ce que symbolisent ces trois femmes, et ce qu'ont voulu sanctionner leurs bourreaux: ce sont des femmes fortes et libres, à une époque où ce n'était guère accepté. Elles revendiquaient leur liberté, y compris sexuelle et l'ont payé de leur vie.
DES RELATIONS QUI BOUSCULENT DES REGLES SOCIALES
Les trois liaisons, qui ont été reprochées à ces aristocrates, bousculent les règles sociales. Agnese et Beatrice furent respectivement accusées d'avoir pris pour amant la première un chambrier, la seconde un joueur de luth, donc des hommes qui n'avaient pas la même condition sociale qu'elles.
Autre tabou, celui de l'amour entre Parisina et Ugo, son beau-fils : même s'il n'y a pas de lien du sang, la morale de l'époque assimilait cela à un inceste.
LE DROIT A AVOIR DE JEUNES AMANTS
Cette histoire me donne l'occasion d'évoquer un autre aspect de ma personnalité : le droit pour une femme mûre de coucher avec un homme plus jeune.
La grande différence d'âge entre Beatrice et Michele m'y a fait penser. Nous avons vu qu'il y a des doutes sur la réalité de leur liaison. Mais en ce qui me concerne, j'espère pour Beatrice qu'elle a baisé avec le beau poète. Personne n'est choqué d?une différence d'âge importante lorsque c'est l?homme qui est plus âgé. Lorsque c'est le contraire, la femme est regardée avec sévérité, on parle de façon péjorative de « cougar ».
Quand j'ai commencé mon parcours d'hypersexuelle, je préférais nettement les hommes d'expérience, plus âgés que moi. D'une façon différente, Gianni, mon initiateur, Hassan, Philippe, ou encore mon amant N. ont incarné pour moi ce besoin d'être instruite mais aussi rassurée. Avec Philippe, cela perdure car il m'a véritablement fait assumer ce que je suis.
Depuis que j'ai dépassé le cap de la trentaine, j'ai commencé à voir les choses autrement et à aimer avoir des amants plus jeunes que moi. Ma première expérience fût en 2007 à Rio, avec ces jeunes Brésiliens, Joao et Pedro, ces inconnus à qui je me suis offerte.
Le tournant fut incontestablement la même année ma rencontre avec Rachid, qui avait presque 12 ans de moins que moi et qui m'a fait découvrir tout mon potentiel sensuel.
Rachid m'avait encouragé dans ce sens, en m'offrant chaque semaine à des jeunes de sa cité. Cela reste gravé dans ma mémoire comme étant des moments de plaisir inouïs que je n'oublierai jamais. Et je pense que c'est aussi le cas pour tous ces jeunes mâles à qui j'ai fait découvrir le plaisir. Je suis nostalgique de ces merveilleuses après-midi, elles sont le bon souvenir de la période où j'étais sous la coupe de Rachid.
Dans le cadre de notre « Pacte candauliste » et dans la recherche d'amants pour mon plaisir (et le sien), Philippe tient compte de cela et veille à trouver pour moi des amants bien plus jeunes. Ayant dépassé la quarantaine désormais, j'ai de plus en plus l'occasion de me faire baiser par de jeunes mâles qui pourraient être mes fils. Je le revendique et j'en suis fière, tout particulièrement quand je suis l'initiatrice.
MA CONCLUSION : LIBERTE SEXUELLE ET CANDAULISME
Ces trois tragédies rappellent l'oppression subie par les femmes au sujet de l'adultère féminin depuis la nuit des temps, avec une différence manifeste de traitement entre les sexes dans le respect de l'obligation de fidélité, au nom de préceptes moraux et religieux, ou encore de la préservation de la filiation. Je rappelle au sujet des pays qui me concernent que l'adultère n'est dépénalisé en France que depuis 1975 et en Grèce que depuis 1982.
On se rend compte, à travers les histoires tragiques de femmes qui ont payé de leur vie leur volonté de liberté, ce qu'apporte la liberté sexuelle au sein du couple, sans parler du privilège immense d'avoir un mari candauliste, qui accorde cette liberté et qui y trouve aussi satisfaction.
Je me rends compte de ma chance après avoir pris connaissance du destin tragique de ces trois femmes. Certes les temps ont changé, mais je sais qu'à une autre époque, j'aurais pu avoir le sort funeste d'Agnese, de Beatrice ou de Parasina.
Je salue la mémoire de ces femmes et de toutes les libertines dont je raconte le parcours dans cette rubrique, parce que je revendique ma liberté sexuelle et les besoins qu'impose mon hypersexualité. Au nom des droits des femmes, parmi lesquels doit figurer la liberté sexuelle, y compris quand elles sont en couple.
Je ne sais pas combien de fois ce texte sera lu, car il n'est pas dans la lignée de ceux qu'on publie ici, y compris de ceux que je publie. Je suis cependant convaincue que ce n'est pas parce qu'on aime les histoires érotiques et les textes hard que l'on est par définition incapable de s'intéresser à autre chose, à prendre le temps de réfléchir et de s'indigner, ne serait-ce que parce que la tragédie authentique que je vais vous raconter est liée à l'un des moteurs des récits publiés sur HdS : l'adultère féminin. Moi qui suis hypersexuelle, mais aussi passionnée d'histoire et de philosophie, c'est en tout cas ma conception et c'est pour cela que je propose ce texte à la publication sur HdS. L'esprit et l'intelligence ne sont pas incompatibles avec le plaisir !
Il s'agit d'un récit historique, qui est en même temps une fiche de lecture, inspirée par la lecture récente sur ma liseuse de l'ouvrage des historiens Elisabeth Crouzet-Payan et Jean-Claude Maire Vigueur : « Décapitées: Trois femmes dans l'Italie de la Renaissance. » (Editions Albin Michel 2018). J'ai aussi tenu compte de l'analyse qui en a été faite par JB Delzant : « Trois «affaires classées» éclairent le pouvoir des femmes au Moyen Age », dont je publie le lien :https://www.nonfiction.fr/article-9445-trois-affaires-classees-eclairent-le-pouvoir-des-femmes-au-moyen-age.htm
UN CHATIMENT TERRIBLE ET INEDIT
J'ai choisi de présenter ce texte sous la rubrique « histoire des libertines» car il s'agit d'un destin tragique de trois femmes, à la fin du XIVème siècle et au début du XVème siècle, dans le Nord de l'Italie : Agnese Visconti (1363-1391), Beatrice de Tende (1372-1418) et Parisina Malatesta (1404-1425). Trois femmes mises à mort, en fait trois meurtres sous couvert d?exécutions qui avaient fait l?objet d?une certaine publicité, trois affaires qui rompaient avec les règles du jeu matrimonial, social et politique.
Cela est d'autant plus choquant, même dans cette période du Moyen-Age où l'adultère n'était pas en Occident sanctionné de la peine de mort, au moins en règle générale. Dans ces trois cas, pour la première fois, trois femmes, nées et vivant au plus haut de la société, sont exécutées pour avoir été adultères.
Cela ne veut pas dire que l'adultère féminin n'était pas sanctionné avec la plus extrême sévérité. La législation de Parme prévoit par exemple, à cette époque, que la coupable, qu'elle ait vécu sa faute d'une manière publique ou secrète, sera condamnée à perdre sa dot et à être publiquement fouettée, avant d?être conduite dans un monastère. Les sanctions furent terribles pour les princesses adultères de la Tour de Nesle, mais seuls leurs amants payèrent de leur vie leur « crime », par un châtiment barbare, parce qu?ils avaient osé avoir « attenté à l?honneur » des héritiers des fils de Philippe le Bel, moins d?un siècle auparavant. On se rappellera aussi le sort deux des épouses d?Henri VIII d?Angleterre, décapitées suite à une accusation d?adultère, plus d?un siècle après l?exécution d?Agnese, de Beatrice et de Parasina.
La peine de mort, la décapitation est pourtant une sentence inédite pour ce « crime », qui aboutit généralement à l?annulation du mariage par le pape pour divers prétextes et/ou à l'enfermement. Il s'agissait de ne pas attirer l'attention sur l'adultère, et de ne pas se froisser mortellement avec les familles alliées. On n?aimait pas rendre publiques les affaires d?adultère, encore moins quand la femme était la « coupable ».
LES AUTEURS
Élisabeth Crouzet-Pavan, née en 1953, est une historienne médiéviste, spécialiste de l'histoire des derniers siècles du Moyen Âge, de l'histoire de l'Italie (âge communal, première Renaissance), des villes et des sociétés urbaines, tout particulièrement de Venise.
Jean-Claude Maire Vigueur, né en 1943, est un des principaux spécialistes de la civilisation des villes italiennes entre le XIIe et le XIVe siècle. Il a en particulier étudié les institutions communales des cités-États d'Italie pendant cette période, et le rôle qu'y jouaient la noblesse et les pratiques guerrières. Il est aussi spécialiste de l'histoire de la ville de Rome à la fin du Moyen Âge.
RESUME DU LIVRE
Entre 1391 et 1425, trois femmes sont décapitées sur ordre de leurs maris. Epouses de trois des plus grands seigneurs de l'Italie de la Renaissance - Mantoue, Milan, Ferrare -, Agnese Visconti, Beatrice de Tende et Parisina Malatesta sont exécutées pour cause d'adultère. Pourtant, aucune femme infidèle ne subissait alors un tel châtiment et, autre étrangeté, loin de dissimuler ces mises à mort, les trois seigneurs les rendent au contraire publiques.
Il y a là une énigme historique qu'Elisabeth Crouzet-Pavan et Jean-Claude Maire Vigueur entendent bien élucider. Ces trois femmes ont certes trahi les liens du mariage, mais elles sont surtout coupables d'avoir tenté de prendre une part active aux grandes innovations politiques et culturelles de leur temps. Elles sont châtiées pour avoir voulu transgresser le statut traditionnellement effacé de "l'épouse du seigneur". En les faisant périr, leurs maris réaffirment symboliquement leur pouvoir de princes. Cette enquête passionnante sur les moeurs, les pratiques culturelles et l'autorité des seigneuries florissantes de la Renaissance italienne est aussi une contribution importante à l'histoire des femmes. C'est l'Italie de la première Renaissance, l'Italie des violences des hommes, mais aussi de l'humanisme naissant et de la passion pour les arts, qui est au coeur de ces trois tragédies féminines. Il s'agit donc bien non d'une répression au nom de la morale, mais de crimes politiques.
L'enquête passionnante des auteurs croise l'histoire des femmes et celle du politique. Le livre met en lumière le sens caché de ces trois meurtres. Avec l'irruption des nouvelles cours princières, les femmes acquièrent une visibilité nouvelle. Coupables d'avoir tenté de prendre une part active aux grandes innovations culturelles et politiques de leur temps, ces trois femmes vont payer leur audace de leur vie. Plutôt que de dissimuler leur infortune, les maris font le choix de rendre l?adultère public afin de réaffirmer, par l'éclat du châtiment, leur pouvoir et leur honneur et de rétablir leur implacable souveraineté.
C'est parce qu'elles étaient entrées dans la sphère du pouvoir politique que ces trois femmes accusées d'adultère eurent la tête tranchée : leur infidélité était devenue une atteinte à la souveraineté détenue par le couple seigneurial.
LES FAITS : TROIS ADULTERES ? TROIS FEMINICIDES !
Ces trois affaires sont des cas de féminicide, pratiquées par des princes qui voulaient se débarrasser de leurs épouses. Même si, dans le cas de Parisina on peut penser que la colère du Marquis cocu a été le premier motif de sa décision.
Ces femmes au coeur du pouvoir, parfois délaissées par leur mari, choisissent des amants parmi leurs familiers, transgressant ainsi l'ordre masculin qu'on leur impose. Mais la punition, quant à elle, réaffirme avec force ce pouvoir de l'homme sur la femme et vise à rétablir le contrôle du seigneur sur son image et son autorité.
Pour les trois femmes, les exécutions ne furent pas secrètes, mais discrètes : au petit matin pour Agnese, à la tombée du jour pour les deux autres.
AGNESE ET LE CHAMBRIER
Agnese Visconti, femme de Francesco Gonzague, alors âgée de 28 ans, est exécutée en février 1391, en compagnie de son amant Scandiano, qui sera pendu, après un «procès» devant un tribunal d?exception, voulu par Francesco et doté de tous les pouvoirs. Il s?est donc agi d?un simulacre de justice. Des servantes, appelées comme « témoins » livrent (sans pressions semble-t-il) sur les rencontres des amants, une foule de détails scabreux qui ne laissent aucun doute sur la nature de leur liaison : « Agnese et Scandino se comportaient comme deux amoureux qui ne peuvent se passer l?un de l?autre. Ils se livraient à tous les jeux, ils avaient l?un pour l?autre des gestes d?une extrême familiarité, ils aimaient s?embrasser, de toucher, se caresser, y compris là où c?est le plus excitant. ». L?une des servantes décrit un rapport sexuel complet entre la dame de Mantoue et son amant.
Ces lignes permettent ainsi d'imaginer les jeux érotiques d'Agnese et de Scandino en train de « bafouer l'honneur » du seigneur de Mantoue. Ce qui provoqua la vengeance du mari cocu.
BEATRICE ET LE JOUEUR DE LUTH
Beatrice, deux fois plus âgée que son mari Filippo Maria Visconti, épousée pour son argent et pour la force militaire qu'elle avait héritée de son premier mari, est décapitée en 1418, sans qu'on sache à coup sûr si l'accusation d'adultère était avérée.
Beatrice a-t-elle vraiment été l'amante d'un joueur de luth, qui fut exécuté sous ses yeux, quelques minutes avant d'être décapitée, le 13 septembre 1418 ? Je l'espère pour elle, espérant ainsi qu'elle se soit accordé le plaisir infini de copuler avec un mâle bien plus jeune que l'amante.
Beatrice s'était mariée le 2 septembre 1403 avec Facino Cane de Montferrat, fameux et habile condottiere, qui se montra aimant et respectueux envers son épouse qui le lui rendit bien, l'accompagnant dans ses combats sans craindre le danger ou la fatigue. Malheureusement, Facino Cane mourut le 19 mai 1412 à Pavie tué le jour du massacre de Jean Marie Visconti par les nobles de Milan.
Filippo Maria Visconti, frère du duc assassiné, prend le duché de Milan. Il désira épouser Béatrice, veuve depuis peu, mais dont la dot pouvait faire oublier ses 25 années de plus, même si elle avait la réputation d'être restée une belle femme. En effet, elle apportait, en plus de sa fortune personnelle, celle de son défunt mari et toutes ses possessions territoriales (les villes de Novare, d'Alexandrie, de Verceil, de Tortona, le comté de Biandrate et le lac Majeur).
Poussée par l'archevêque de Milan, Béatrice accepta ce mariage avec Filippo Maria, mais aussitôt que celui-ci fut assis sur le trône ducal de Milan, son attitude envers son épouse changea radicalement. La vie de débauche et les liaisons avec ses jeunes maîtresses, mais aussi ses amants, car le duc était bisexuel, le poussèrent à envisager de se débarrasser de l'épouse gênante.
Filippo Maria imagina un stratagème ignoble (mais courant parmi la noblesse de l'époque), celui de l'amant. Il l'accusa d'avoir des pensées amoureuses envers un de ses familiers ; Michele Orombello, jeune et beau troubadour qui essayait de distraire la châtelaine par ses chants. Michele était un beau jeune homme, bon chanteur, excellent musicien, qui excellait dit-on dans l'art de plaire et dont, de toute évidence, Béatrice aimait la compagnie.
Le duc fit enfermer le jeune troubadour et deux demoiselles de compagnie de la duchesse au château de Binasco, et sous la torture les obligèrent à accuser leur maîtresse d'adultère.
Clamant leur innocence, Béatrice et le troubadour furent accusés et la sentence de mort fut prononcée. Béatrice fut transférée de sa prison de Milan à celle de Binasco le 23 août 1418 et, après des jours de souffrance et de torture, elle fut décapitée dans la cour du château le 13 septembre 1418, en compagnie de ses deux demoiselles d'honneur et du jeune Michele. Pensant peut-être sauver sa vie, Michele, sous la torture, avait fini par avouer, la duchesse lui reprochant sa lâcheté et proclamant avec force son innocence.
Dans l'affaire de Beatrice, l'époux meurtrier ne s'encombre pas d'un simulacre de procès, il y aura seulement une sentence prononcée par un juge aux ordres. Sa « justice » est encore plus expéditive que dans le précédent de Mantoue, à partir d'aveux obtenus par la torture, y compris pratiquée sur la malheureuse Beatrice.
Beatrice était innocente, l'histoire était montée de toute pièce par un mari désireux de se débarrasser de sa femme.
D'après de nombreux témoignages, Béatrice apparaît comme une femme intelligente et au courant des affaires de l'État. Son honnêteté et sa modestie en fit une martyre qui inspira beaucoup d'écrivains dont Vincenzo Bellini qui écrivit pour la reine Christine de Suède "Béatrice di Tenda", opéra en deux actes, qui fut joué la première fois le 16 mars 1833 à la Fenice de Venise.
PARISINA ET LE BEL UGO
Laura Malatesta était la fille d'Andrea Malatesta, le seigneur de Cesena. Elle a épousé Niccolò III d'Este, le Marquis de Ferrare, à Ravenne en 1418.
Laura était appelée Parisina, « la Parisienne », parce que, dès son plus jeune âge, elle aurait possédé la grâce et l'élégance d'une Parisienne.
Le marquis de Ferrare n'avait pas beaucoup d'attirance pour la pourtant très jolie Parisina, lui préférant ses maîtresses.
Pendant un voyage en 1424 pour visiter sa famille, Parisina a été accompagnée, selon les voeux de son mari, par Ugo d'Este, alors âgé de 19 ans, le fils adultérin de Nicholò, lequel collectionnait maîtresses et enfants illégitimes. Les deux jeunes gens eurent l'occasion de mieux se connaître à Ravenne et deviennent amants. Leur relation se poursuit secrètement une fois qu'ils sont de retour à Ferrare, les deux amants se retrouvant dans l'une des maisons de campagne qu'avait faites construire le marquis. Parisina et Ugo avaient presque le même âge.
Soupsçonneux, le Marquis les fait surveiller et finit par découvrir leur liaison, suite à la dénonciation d'une servante. Niccolò voulut s'assurer des faits par lui-même. Il ordonna qu'on perce un trou dans le plafond de la chambre de sa femme, située juste en dessous d'une bibliothèque. Et le soir même, il fut témoin en direct de son « infortune ».
On ne sait pas jusqu'à quel moment le mari cocu assista à son « infortune ». Malheureusement pour les amants, le Marquis n'était pas candauliste. Il fit immédiatement arrêter les amants. Ils furent décapités tous les deux dès le lendemain, sans la moindre forme de procès.
Selon les témoins, Ugo se serait montré repentant, alors que Parisina fut acharnée à aimer Ugo jusqu'à son dernier souffle. Elle assumait ses actes et revendiquait son amour.
Comme pour Beatrice, son histoire tragique a inspiré des auteurs et des musiciens. L'auteur italien de la Renaissance Matteo Bandello a écrit le roman « Ugo et Parisina ». L?historien anglais du XVIIIème siècle Edward Gibbon a raconté cette histoire dans ses « ?uvres Diverses » et George Byron a écrit un poème Parisina en 1816. Le musicien Gaetano Donizetti a composé en 1833 un libretto. Pietro Mascagni a composé un opéra tragique Parisina, basé sur la tragédie lyrique écrite par Gabriele D'Annunzio en 1912. Il y a aussi un opéra de Tomás Giribaldi (1878) et une tragédie d?Antonio Somma.
DE VERITABLES COLD CASES
Cold cases : c' est ainsi qu'Élisabeth Crouzet-Pavan et Jean-Claude Maire Vigueur désignent les exécutions de trois femmes, épouses de trois des plus puissants seigneurs d'Italie au tournant des XIVe et XVe siècles. Les malheureuses furent accusées d'adultère et eurent la tête tranchée. Certes, le nom des commanditaires de ces assassinats est tout aussi connu que le mode opératoire :
- Francesco Gonzague, seigneur de Mantoue, convoqua un tribunal d'exception afin que la peine de mort fût prononcée contre Agnese ;
- Filippo Maria Visconti, duc de Milan, fit soumettre à la question et condamner Béatrice par un juge en 1418 ;
- Niccolò d'Este, marquis de Ferrare, ordonna lui-même la décollation de Parisina et de son amant, le propre fils du seigneur, en 1425.
Il s'agit bien de « Cold cases » pourtant, car ces exécutions avaient été oubliées jusqu'à ce que Élisabeth Crouzet-Pavan et Jean-Claude Maire Vigueur exhument le dossier et associent les trois cas.
Outre son resserrement chronologique (moins de quarante ans) et spatial (l'Italie du Nord), cette séquence se distingue par plusieurs étrangetés qui, jusqu'à présent, avaient échappé à l'attention. Décelées par É. Crouzet-Pavan et J.-C. Maire Vigueur, elles les ont poussés à mener l'enquête dans les archives de Ferrare et de Mantoue, de Modène et de Venise.
POURQUOI ?
Pourquoi les seigneurs choisirent-ils tous trois de rendre public ce qui les exposait à l'infamie ? Pourquoi sanctionnèrent-ils ainsi un adultère quand aucune législation du temps ne prévoyait une telle extrémité, et quand bien d'autres moyens permettaient de régler ce délicat problème d'honneur ?
L'enquête n'est pas celle que proposerait un roman historique, elle ne se construit pas sur le destin tragique, personnel et collectif, de femmes de haute noblesse vivant dans l'ombre d'un mari puissant et violent, et cherchant auprès de leur amant un amour dont leur mariage arrangé les aurait privées. Le livre ne gomme pas les aspects propres à chacune des protagonistes, il n'oublie pas les spécificités des trois cours où chacune évolua. Il prend le pari de comprendre la « logique » de chacune des exécutions, à l'aide de ce que les sources permettent de connaître de la personnalité de ces femmes et de leur mari, et ainsi de comprendre le moment politique, social, économique et culturel où les trois mises à mort eurent lieu et furent rendues publiques.
LE CONTEXTE POLITIQUE : DU POUVOIR COMMUNAL A CELUI DES GRANDES FAMILLES ARISTOCRATIQUES
À Mantoue, à Milan et à Ferrare, comme dans bien des villes du centre et du nord de l'Italie, de grandes familles accaparèrent le pouvoir dès la fin du XIIIe siècle. Elles prirent progressivement le contrôle des communes, vidant de leur substance les assemblées et les conseils des citoyens qui tenaient jusque-là le destin de leur cité. Elles développèrent peu à peu leurs propres organes de gouvernement.
Au moment où Agnese, Beatrice et Parisina perdirent la vie, certains régimes seigneuriaux tentaient d'opérer une nouvelle mue : alors que le pouvoir avait été partagé entre plusieurs membres d'une même famille, il se trouvait désormais dans les mains d'un seul homme qui l'exerçait de façon personnelle et autoritaire. Le pouvoir devenait dynastique et héréditaire.
POUVOIR FEMININ
Chargées du bon fonctionnement de la maison, les épouses des seigneurs exerçaient une influence qui dépassait de très loin la sphère domestique privée à laquelle l'historiographie a longtemps réduit les femmes de la fin du Moyen Âge. Leur rôle ne se limitait pas non plus à permettre qu'à travers leur mariage, des richesses soient transférées et des alliances conclues, entre des familles qui devaient s'épauler mutuellement. Au moment où se développait une nouvelle administration liée à la personne du seigneur et où le pouvoir politique se concentrait dans sa maison, celle qui était la régisseuse de cette maison jouissait de prérogatives étendues.
Il s'agit en réalité d'une question de pouvoir et d?une question de couple. Ces épouses de seigneurs du début de la Renaissance sont des femmes éduquées qui jouissent d'une grande autonomie, d'une position spécifique à la cour ; elles ont des pratiques de consommation, notamment artistiques, qui anticipent sur les grandes princesses mécènes de la fin du XVe et du XVIe siècle. Le fait d'être épouse du seigneur devient un statut à part entière, qui a un rôle à jouer dans la cour et dans la politique.
LE REFUS DE LA LIBERTE DE LA FEMME
Les formes institutionnelles et les structures sociales développées par des régimes de plus en plus personnels laissèrent d'importants espaces d'autonomie aux épouses des seigneurs. Cependant, les nouvelles libertés n'incluaient ni celle d'aimer hors du couple avec passion, ni celle de disposer de son corps.
Béatrice fut selon toute vraisemblance accusée à tort. Parisina et Agnese tentèrent, elles, d'exercer un peu trop loin les capacités de choisir et d'agir qu'elles avaient acquises dans la sphère du gouvernement ordinaire de la maison et de l'État. Pour elles, les « faits » sont avérés, et alors ?
Toutes trois furent « punies » par des maris qui refusaient une réelle indépendance. Rompant aussi brutalement qu'ostensiblement avec la loi commune, les seigneurs trompés ou prétendant l'être entendirent restaurer avec éclat leur autorité.
« Décapitées » multiplie les angles d'approche : histoire du pouvoir et de la consommation, histoire de la culture intellectuelle et des affects, histoire des femmes et des violences masculines faites aux femmes, l'importance décisive des femmes dans la mise en place des nouvelles pratiques de consommation par lesquelles fut proclamée la supériorité incommensurable des familles princières sur le reste de la population. Mais après ce livre, il ne sera plus possible de passer sous silence le rôle actif des femmes dans les seigneuries de l'Italie de la Renaissance.
LES LECONS
A cette époque, comme aujourd'hui encore, on observe une répartition inégale des devoirs sexuels : l'impératif de fidélité ne pèse que sur la femme, tandis que l'homme peut faire ce qu'il veut (et se faire qui il veut). Ce modèle sexiste et tout à l'avantage du patriarcat reste encore largement en vigueur aujourd?hui. Un homme adultère est un séducteur, un Don Juan, une femme adultère une salope.
Au XIVème siècle, cet adultère féminin est considéré comme un crime. Et même un double crime, non seulement moral, mais également politique. En prenant un amant, la femme noble menace cette répartition des identités sexuelles, sur laquelle repose, au moins en partie, l'équilibre social et politique. Si les princes font décapiter leurs épouses, c'est pour mieux se réaffirmer comme hommes et comme seigneurs.
Est-ce un hasard si, un siècle plus tard, Machiavel écrira que « la Fortune est femme » et que le Prince modèle est celui qui sait « la prendre » et « la battre » ? La violence à l'égard des femmes est explicitement présentée comme une clé de succès en matière politique. Chez le philosophe florentin, c'est sous couvert de la métaphore. Les trois princesses du XIVe siècle ont payé de leur vie ce lien entre la femme, la violence et la domination.
Je retiens de cette lecture, qui, j'en conviens, n'a rien d'érotique et tout du tragique, beaucoup de leçons, à la fois générales mais qui m'interpellent, y compris au sujet de mon propre mode de vie.
J'aime ce que symbolisent ces trois femmes, et ce qu'ont voulu sanctionner leurs bourreaux: ce sont des femmes fortes et libres, à une époque où ce n'était guère accepté. Elles revendiquaient leur liberté, y compris sexuelle et l'ont payé de leur vie.
DES RELATIONS QUI BOUSCULENT DES REGLES SOCIALES
Les trois liaisons, qui ont été reprochées à ces aristocrates, bousculent les règles sociales. Agnese et Beatrice furent respectivement accusées d'avoir pris pour amant la première un chambrier, la seconde un joueur de luth, donc des hommes qui n'avaient pas la même condition sociale qu'elles.
Autre tabou, celui de l'amour entre Parisina et Ugo, son beau-fils : même s'il n'y a pas de lien du sang, la morale de l'époque assimilait cela à un inceste.
LE DROIT A AVOIR DE JEUNES AMANTS
Cette histoire me donne l'occasion d'évoquer un autre aspect de ma personnalité : le droit pour une femme mûre de coucher avec un homme plus jeune.
La grande différence d'âge entre Beatrice et Michele m'y a fait penser. Nous avons vu qu'il y a des doutes sur la réalité de leur liaison. Mais en ce qui me concerne, j'espère pour Beatrice qu'elle a baisé avec le beau poète. Personne n'est choqué d?une différence d'âge importante lorsque c'est l?homme qui est plus âgé. Lorsque c'est le contraire, la femme est regardée avec sévérité, on parle de façon péjorative de « cougar ».
Quand j'ai commencé mon parcours d'hypersexuelle, je préférais nettement les hommes d'expérience, plus âgés que moi. D'une façon différente, Gianni, mon initiateur, Hassan, Philippe, ou encore mon amant N. ont incarné pour moi ce besoin d'être instruite mais aussi rassurée. Avec Philippe, cela perdure car il m'a véritablement fait assumer ce que je suis.
Depuis que j'ai dépassé le cap de la trentaine, j'ai commencé à voir les choses autrement et à aimer avoir des amants plus jeunes que moi. Ma première expérience fût en 2007 à Rio, avec ces jeunes Brésiliens, Joao et Pedro, ces inconnus à qui je me suis offerte.
Le tournant fut incontestablement la même année ma rencontre avec Rachid, qui avait presque 12 ans de moins que moi et qui m'a fait découvrir tout mon potentiel sensuel.
Rachid m'avait encouragé dans ce sens, en m'offrant chaque semaine à des jeunes de sa cité. Cela reste gravé dans ma mémoire comme étant des moments de plaisir inouïs que je n'oublierai jamais. Et je pense que c'est aussi le cas pour tous ces jeunes mâles à qui j'ai fait découvrir le plaisir. Je suis nostalgique de ces merveilleuses après-midi, elles sont le bon souvenir de la période où j'étais sous la coupe de Rachid.
Dans le cadre de notre « Pacte candauliste » et dans la recherche d'amants pour mon plaisir (et le sien), Philippe tient compte de cela et veille à trouver pour moi des amants bien plus jeunes. Ayant dépassé la quarantaine désormais, j'ai de plus en plus l'occasion de me faire baiser par de jeunes mâles qui pourraient être mes fils. Je le revendique et j'en suis fière, tout particulièrement quand je suis l'initiatrice.
MA CONCLUSION : LIBERTE SEXUELLE ET CANDAULISME
Ces trois tragédies rappellent l'oppression subie par les femmes au sujet de l'adultère féminin depuis la nuit des temps, avec une différence manifeste de traitement entre les sexes dans le respect de l'obligation de fidélité, au nom de préceptes moraux et religieux, ou encore de la préservation de la filiation. Je rappelle au sujet des pays qui me concernent que l'adultère n'est dépénalisé en France que depuis 1975 et en Grèce que depuis 1982.
On se rend compte, à travers les histoires tragiques de femmes qui ont payé de leur vie leur volonté de liberté, ce qu'apporte la liberté sexuelle au sein du couple, sans parler du privilège immense d'avoir un mari candauliste, qui accorde cette liberté et qui y trouve aussi satisfaction.
Je me rends compte de ma chance après avoir pris connaissance du destin tragique de ces trois femmes. Certes les temps ont changé, mais je sais qu'à une autre époque, j'aurais pu avoir le sort funeste d'Agnese, de Beatrice ou de Parasina.
Je salue la mémoire de ces femmes et de toutes les libertines dont je raconte le parcours dans cette rubrique, parce que je revendique ma liberté sexuelle et les besoins qu'impose mon hypersexualité. Au nom des droits des femmes, parmi lesquels doit figurer la liberté sexuelle, y compris quand elles sont en couple.
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