Histoire des libertines (90) : Yu Xianji, courtisane et poétesse

- Par l'auteur HDS Olga T -
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Récit libertin : Histoire des libertines (90) : Yu Xianji, courtisane et poétesse Histoire érotique Publiée sur HDS le 21-09-2021 dans la catégorie A dormir debout
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Histoire des libertines (90) : Yu Xianji, courtisane et poétesse
Yu Xianji ou Yu Xuanji (844-871) est une courtisane et poétesse chinoise qui vécut sous la dynastie chinoise des Tang. Elle fut une jeune poétesse brillante mais dont le destin fut tragique.

Ce texte permettra à mes lecteurs et lectrices de découvrir une femme libre, une intellectuelle brillante et qui paya de sa vie cet esprit de liberté.

LA CHINE DES TANG : UNE SOCIETE RAFFINEE ET CRUELLE
Sous la dynastie des Tang, une période d’apogée de l’empire chinois entre le VIIème et le Xème siècle, les courtisanes sont « les plus beaux ornements », selon les termes de Marc Lemonier, d’une société raffinée, hiérarchisée et cruelle.

ELEVATION SOCIALE
Yu Xuanji est née à Chang'an, la capitale des Tang, dans une famille pauvre. Versée dans le chant et la danse, elle fréquente le milieu des étudiants, où elle acquiert des connaissances en poésie, mais aussi dans les arts et la musique.

Rien ne la prédestinait à devenir l’une des plus célèbres poétesses de cette période, surtout après avoir été prostituée, puis courtisane.

Elle jouit d’une réputation littéraire précoce. Ses talents, combinée à sa beauté, lui permirent de se faire admettre dans une des maisons closes du quartier réservé. Il n’y avait, dans la Chine de cette époque, rien d’infamant à cela, notamment pour une jeune fille de basse extraction pour qui c’est une indéniable promotion sociale.

DES LIEUX DE PLAISIR ET DE CULTURE : DES HETAIRES CHINOISES !

Dans la Chine impériale, les bordels sont des lieux de plaisir, y compris sur le plan intellectuel et artistique. Un proverbe chinois de l’époque disait : « femme vertueuse est ignorante ». C’est évidemment exagéré, mais on retrouve en quelque sorte en Chine ce qui existait dans la Grèce ancienne avec les hétaïres. Il est d’ailleurs significatif que le caractère chinois désignant la prostituée veut aussi dire « femme artiste ».

Cette prostitution élégante reposait sur le système des « jiaofang », littéralement une école, où les filles apprennent, entre autres, la danse, la musique, la littérature, la calligraphie et les échecs ! Ce système, qui forme des prostituées « officielles », chargées de divertir mandarins et lettrés, durera jusqu’à la chute de l’empire, en 1911 !

Devenue la concubine de Li Yi, un lettré, lauréat du concours impérial en 858, elle mène une vie de couple harmonieuse mais éphémère, car l’épouse légitime de Li Yi refuse d’admettre sa présence.

MONASTERE ET MAISON CLOSE !

Après leur rupture, elle se fait nonne taoïste dans un monastère de la capitale. Si les monastères de l'époque servaient souvent de refuge aux jeunes filles, aux veuves ou aux femmes divorcées, certains accueillaient aussi des courtisanes et servaient de lieu de rendez-vous. Au grand scandale des vrais croyants, ces femmes y menaient une vie libre et joyeuse, vouée aux rencontres avec les hommes. On n’imagine pas, dans notre civilisation, les couvents abriter des bordels !

UNE FEMME LIBRE ET UNE MUSE
Censée être cloîtrée, Yu continuera pourtant à voyager librement et fréquemment. Elle acquiert au passage de nouvelles connaissances et fait de nouvelles expériences. Les historiens chinois affirment même que Yu fut l’une des premières en Chine à afficher sa bisexualité !

Tout comme la poétesse Xue Tao (770-832), qui fut aussi courtisane, Yu Xuanji était en relation avec des lettrés de son temps.

Ont été ainsi conservés deux poèmes adressés au poète Wen Tingyun (812-870), le maître de la poésie Ci, la poésie chantée. La légende leur attribue une relation amoureuse. Wen est un de ces hauts-fonctionnaires débauchés qui délaissent leur carrière pour fréquenter les maisons closes. C’est au contact des prostituées de haut rang, comme Yu, que Wen découvrira les arts et les lettres. Fréquenter ces femmes, obtenir leurs faveurs, exigeait de la persévérance pour les courtiser et de se ruiner en cadeaux pour les séduire.

Quand elles avaient le choix, ces femmes préféraient devenir l’une des concubines d’un homme célèbre et riche, comme ce fut le cas pour Yu avec Li Yi.

UNE MARTYRE
Yu se retrouva au milieu des luttes de pouvoir de la dynastie Tang. C'est en effet la période où Wu Zetian s'est accaparée le trône et souhaite mettre en avant les hommes de son clan (dont son neveu Wu Chengsi) au détriment de ses fils, les Li, héritiers des Tang. Il est alors difficile pour les lettrés ayant pris position pour l'une ou l'autre des factions de vivre une vie sans tracas. Certains sont exilés, d'autres « promus » dans une contrée lointaine et ainsi éloignés du centre où les décisions sont prises. Il faut également savoir agir adroitement et éviter avec habileté les pièges tendus.

Sans qu’on sache véritablement si sa rupture avec Li Yi fut à l’origine de sa chute, Yu fut accusée d'avoir battu à mort ou étranglé une servante. Yu Xuanji fut exécutée. Elle n’avait pas 30 ans.

Nul ne sait aujourd'hui si la jeune femme était réellement coupable du crime dont elle fut accusée. L’accusation était sans doute mensongère. La « poétesse sacrée » paie sans doute sa liberté trop voyante. Cela ne lui serait sans doute pas arrivé si elle était restée sagement derrière les murs protecteurs d’un bordel de luxe.

Je partage entièrement la conclusion de Marc Lemonier : Yu a payé de sa vie le fait d’avoir « franchi la frontière qui sépare la courtisane et la concubine d’un monde alors interdit aux femmes, celui de la liberté ». Et pourtant la Chine des Tang était quelque part plus ouverte d’esprit que le monde chrétien de la même époque, particulièrement dur avec la femme, « incarnation de la tentation et du péché ». On n’imagine pas, en Occident ou à Byzance, des bordels où les courtisanes sont éduquées pour devenir des artistes, des musiciennes, des intellectuelles. Et on imagine encore moins des couvents abriter des courtisanes, même si les ordres religieux durent souvent rappeler les règles face à des comportements jugés licencieux.

Il ne faut pas pour autant idéaliser la société chinoise. D’une part, seule une toute petite minorité de femmes pouvait bénéficier de cette sorte de « promotion » sociale dont Yu est le symbole. Et d’autre part, même pour Yu et ses semblables, il y avait des limites, celui du pouvoir absolu des hommes et surtout des élites, les grands propriétaires, les mandarins, les fonctionnaires, tous ceux qui entouraient l’empereur. Yu est sans doute morte parce qu’elle avait osé franchir ces limites
UN LONG COMBAT POUR LA LIBERTE DES FEMMES
J’ai envie de faire un parallèle entre Yu et la vertueuse philosophe Hypatie, massacrée à Alexandrie par des Chrétiens fanatiques, dont j’ai parlé dans le précédent texte de cette série. L’une et l’autre ont été victimes de l’intolérance. L’une et l’autre étaient des intellectuelles brillantes ; des femmes d’une beauté incomparable. Bien sûr, l’une, Hypatie, était vierge, alors que l’autre était une courtisane.

Outre le fait que Yu fait partie d’une longue lignée de femmes qui, dans l’histoire, brillèrent par leur esprit que par la liberté de leurs mœurs, son exécution fait d’elle une martyre dans le long combat des femmes pour l’égalité et la liberté. Je me sens proche d’elle comme je me sens proche des hétaïres de la Grèce ancienne.

REFERENCES :
Marc Lemonier a consacré à Yu Xianji un chapitre (pages 26-30) dans son ouvrage « La petite histoire des courtisanes » (Editions Jourdan, 2018).

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