Histoire des libertines (99) : Tullia d’Aragon, la courtisane philosophe

- Par l'auteur HDS Olga T -
Récit érotique écrit par Olga T [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur femme.
  • • 380 récits publiés.
  • • Cote moyenne attribuée par les lecteurs : 9.4 • Cote moyenne attribuée par HDS : 10.0
  • • L'ensemble des récits érotiques de Olga T ont reçu un total de 1 108 519 visites.
Récit libertin : Histoire des libertines (99) : Tullia d’Aragon, la courtisane philosophe Histoire érotique Publiée sur HDS le 03-12-2022 dans la catégorie A dormir debout
Cette histoire de sexe a été affichée 695 fois depuis sa publication.

Couleur du fond :
Histoire des libertines (99) : Tullia d’Aragon, la courtisane philosophe
Tullia d'Aragon (1510-1566), est une écrivaine, poétesse, philosophe néoplatonicienne mais aussi une courtisane italienne du XVIe siècle.

Dans cette rubrique consacrée aux libertines, Tullia d’Aragon fait partie de la catégorie des poétesses qui furent en même temps des courtisanes. Dans cette série, je n’ai relevé pour le moment que quatre situations comparables, dont trois ont déjà fait l’objet de publications. Il s’agit de :

• Ninon de Lenclos, qui était cependant femme de lettres et non poétesse (voir « (27) Ninon de Lenclos, la courtisane intellectuelle », texte publié le 9 avril 2019)
• La poétesse chinoise Yu Xianji, qui vécut au IXème siècle, sous la dynastie des Tang (« (90) Yu Xianji, courtisane et poétesse », publié le 21 septembre 2021)
• Philénis de Samos, qui vécut en Grèce au IVème siècle avant notre ère et qui fut tout à la fois pornographe, hétaïre et tribade (voir (94) « D’autres femmes libres dans l’Antiquité », paru le 28 mars 2022)

J’évoquerai ultérieurement le parcours de Véronica Franco (1546-1591), elle aussi courtisane et poétesse, dans cette belle période de la Renaissance italienne au XVIème siècle.

UNE AUTRE TULLIA !

De façon plus anecdotique, j’ai aussi été intéressée par le personnage de Tullia d’Aragon parce qu’elle porte le même prénom que l’héroïne de ma série fictive consacrée à une matrone hypersexuelle au 1er siècle de l’empire romain (« Matrione et Domina. Tullia, une patricienne hypersexuelle dans la Rome impériale, dont le 1er épisode a été publié le 6 août 2021.)

Ayant découvert Tullia d’Aragon bien après que j’ai commencé ma fiction romaine, je confirme qu’il s’agit là d’un pur hasard, même si j’y vois un clin d’œil à 15 siècles de distance. Ma patricienne a, elle aussi, une immense culture, étant aussi férue de poésie et de philosophie. Grande séductrice, elle a elle aussi connu des expériences de courtisane, à Suburre, puis, bien plus tard, dans les temples d’Isis, lors d’un exil en Egypte. J’en reparlerai dans les ultimes épisodes de la série.

Revenons à l’Italie de la Renaissance et à Tullia d’Aragon ! Sa vie sentimentale et érotique bien remplie aurait suffi à la rendre célèbre, mais elle est devenue illustre en tant que poète et philosophe.

UNE SEDUCTRICE

La renommée et le succès de Tullia, qui était la plus célèbre courtisane de la Renaissance, n'ont pas été entravés par le fait qu'elle n'était pas physiquement attrayante, à savoir, petite, râblée et blonde, à une époque où l'Italie de la Renaissance appréciait d'autres canons de la beauté.

Petite, avec de grandes lèvres minces et un nez crochu, elle compensait son physique très facilement par son intelligence et sa ruse, de telle sorte que les hommes puissants et poètes renommés sont tombés amoureux d'elle et que le peuple la considérait comme une célébrité.

FILLE DE CARDINAL

Tullia est née à Rome vers 1510 et est elle-même la fille d'une courtisane, Ferrarese Giulia, qui était considérée comme « la plus célèbre beauté de son époque ». L'identité de son père est inconnue même si les soupçons se portent sur le cardinal Luigi d'Aragona, qui était lui-même le petit-fils illégitime de Ferdinand Ier de Naples. Tullia a été instruite par le Cardinal et s'est révélée être un enfant prodige.

COURTISANE, MUSE ET POLITIQUE

Après la mort du cardinal en 1519, Tullia passa sept ans à Sienne avant de retourner à Rome en 1526.
Entrée dans le monde où sévissait la prostitution à l'âge de 18 ans, elle se positionna sur le marché comme une « courtisane intellectuelle » et a atteint le sommet de la hiérarchie en à peine 3 ou 4 ans. Cela n'était pas dû seulement à ses capacités à « divertir » mais surtout à une solide connaissance de la mode et son choix de renoncer aux excès de l'époque qui étaient la marque de sa simplicité.

LES HERITIERES DES HETAIRES

J’ai consacré deux textes aux hétaïres de l’ancienne Grèce : « (2) Le temps des hétaïres », paru le 14 août 2017 et « (88) Nééra, le parcours d’une prostituée de la Grèce antique », publié le 29 juillet 2021.

Une nouvelle catégorie de courtisanes se développe dans cette Italie de la Renaissance. Ce n’étaient plus des filles de joie, mais de grandes dames, fort raffinées de mœurs et de langage, instruites, lettrées même, et qui vivaient, en apparence, le plus décemment du monde. On remplaça alors le nom de pécheresses (peccatrici) dont on les qualifiait naguère, par celui de courtisanes (cortigiane) ou par cet autre, très symbolique, de femmes « del buen tempo », de joyeuse vie, on pourrait presque dire du gai savoir.

Les courtisanes de la Renaissance sont les dignes héritières des hétaïres grecques. Comme l’écrit Marc Lemonier « elles font l’amour avec leurs clients, mais sont surtout recherchées pour la grâce de leur esprit et de leur conversation ».

Le métier de courtisane a dû apparaître à Tullia d’Aragon comme la seule solution pour valoriser une formation pointue. Dès l’âge de 18 ans, Tullia collectionne les protecteurs et amants fortunés. Elle va parcourir la péninsule, de lit en lit, et de salon en salon.
Elle a été souvent vue en compagnie de poètes, comme l’humaniste Sperone Speroni (1500-1588). Les documents disponibles indiquent que Tullia a été très mobile et se trouvait à Bologne en 1529, où le pape Clément VII et Charles Quint étaient engagés dans des négociations après le sac de Rome en 1527.

En 1531, elle séduit le banquier Filippo Strozzi (1489-1538), un magnat de la banque florentine, qui a été célèbre en Italie pour avoir « croqué » la plus belle courtisane de l'époque, Camilla Pisana. Tullia avait approché Strozzi à un tel degré qu'elle avait connaissance de secrets d'état, ce qui la fit rappeler à Florence.
Parmi ses autres amants, Emilio Orsini avait créé pour elle une compagnie de six cavaliers.
En 1535, nait sa fille, Penelope d'Aragona.

LA REINE DE VENISE

À l'âge de trente ans, Tullia déménage à Venise, la ville où la compétition était la plus acharnée d'Europe, avec à l'époque près de 100 000 courtisanes, ce qui ne l'empêcha pas de séduire le meilleur poète de la ville, Bernardo Tasso (1493-1569).

En 1537, Tullia vit à Ferrare qui était à l'époque la capitale des arts et de la culture et c'est là que ses compétences pour les relations publiques atteignirent leur apogée et c’est ainsi qu’elle conquit la ville avec son extravagance, le chant et les divertissements.
Deux géants de la littérature italienne, Girolamo Muzio (1496-1576) et Ercole Bentivoglio (1507-1573), tombent simultanément amoureux d'elle. Muzio écrivit pour elle cinq ardentes églogues en la désignant par le nom de Thalia, tandis que Bentivoglio alla jusqu'à graver le nom de Tullia sur chaque arbre de la rivière Pô. Quand quatre ans plus tard elle quitta Ferrare, plus d'un homme tenta de se suicider pour elle !

En 1543, elle épouse Silvestro Guicciardi, de Ferrare. Ce mariage lui permit d'obtenir des somptueuses résidences, des toilettes et de surmonter les restrictions supportées jusque-là. De ce mariage naitra un fils, Celio. Ce mariage lui donne une honorabilité qui lui permet de se consacrer à ses véritables penchants, la littérature, la poésie et la philosophie.

AMOUR ROMANTIQUE, POESIE ET LIBERTE DES FEMMES

En 1546, Tullia fuit les troubles de Sienne et arrive à Florence, où elle devient préposée à la cour de Cosme Ier (1519-1574), grand-duc de Toscane. Là elle rédige les « Dialogues sur l'infini de l'amour » (1547), qui est une étude néoplatonicienne avec l'affirmation des femmes, l'autonomie sexuelle et affective dans les échanges de l'amour romantique.

Le livre de Tullia d’Aragon est une belle promenade dans le jardin d’Amour néoplatonicien et de ses multiples perspectives qui élèvent l’âme et l’illuminent. Dans ce court opuscule, nous suivons donc une conversation à la fois galante et philosophique présentée sous la forme d’un entretien autour de trois personnages : Tullia elle-même, l’humaniste et poète Benedetto Varchi et messire Lattanzio Benucci, gentilhomme siennois. Il s’agit d’amis réels qui conversent avec élégance sur des sujets variés, autour de l’amour. Cette œuvre démontre la grande agilité intellectuelle de Tullia. Elle est une des grandes œuvres de la Renaissance.

Dans le même temps, elle écrivit une série de sonnets qui encensent les éminentes qualités de la noblesse florentine de l'époque et célèbrent ses contemporains littérateurs. Cette anthologie démontre les talents de la poétesse.

Sa dernière œuvre, « Il Meschino », est un poème épique, qui concerne les expériences d'un jeune captif, Giarrino, qui a été réduit en esclavage et a voyagé à travers l'Europe, l'Afrique, l'Asie, ainsi que le Purgatoire et l'Enfer, en essayant de retrouver ses parents.
Assumant ses quarante ans, Tullia entreprend avec succès une campagne pour assurer son mode de vie d'alors. Son objectif était la fine fleur intellectuelle florentine, Benedetto Varchi (1503-1565), qu'elle « bombarda » de sonnets flatteurs et qui finit par succomber à ses avances, suivi rapidement par le reste de l'élite culturelle. Tullia transforme sa maison en une école philosophique et continua à prospérer comme « écrivain sérieux ». Après cela, Tullia retourne à Rome où elle meurt en 1556.

FEMINISTE AVANT L’HEURE

À une époque où la pensée intellectuelle était confinée à l'homme, Tullia a été décriée comme une femme qui a profané les idéaux esthétiques, les limites de son sexe. Avant-gardiste, elle considère que les hommes et les femmes sont fondamentalement égaux.
Tullia détonne par sa liberté. Ce qu’on lui reproche surtout est de ne pas rester à sa place, de ne pas porter les attributs des prostituées et de s’afficher comme une femme honorable.

Elle a été dénoncée aux autorités trois fois et a réussi à s'en sortir grâce à ses relations avec les puissants et ses amis bien placés. En 1547, elle est à nouveau inquiétée pour non-respect des lois somptuaires qui obligent les courtisanes et prostituées à porter un voile jaune, discriminant. Cette fois, elle fait appel à Eléonore de Tolède et à son époux Cosme de Médicis, qui exemptent Tullia du port de ce voile, en raison de ses « connaissances rares en philosophie et en poésie ».

Bien des riches patriciennes des cités italiennes devaient envier la liberté de Tullia. Une ancienne prostituée est devenue l’une des actrices majeures de la Renaissance des arts et des lettres. Elle règne sur une société sans en accepter les codes et en courant le risque d’être rejetée.

Tullia vivait de ses charmes, s’en servant pour mener une vie confortable, s’offrant le plaisir de disserter savamment des choses de l’amour.

Dans ses « dialogues », elle écrit : « Qui ne veut encourir aucun blâme ne devrait rien entreprendre ». Tout un programme, auquel je ne peux que souscrire !

REFERENCES :

Marc Lemonier a consacré un chapitre à Tullia d’Aragon dans « La petite histoire des courtisanes » (Editions Jourdan, 2018).

Outre l’article de Wikipédia, je renvoie aux liens suivants :

• http://laplumedeloiseaulyre.com/?p=13198
• http://autourdemesromans.com/une-courtisane-poetesse-de-la-renaissance-tullia-daragon/

Les avis des lecteurs

Merci Julie, oui il faut s'armer de patience!

Histoire Libertine
Merci à Luc de m'avoir signalé qu'HDS est en ligne, après le crash de juillet. Je vais don aller à la découverte des nouveaux récits d'Olga (c'est elle que je suivais sur HDS, surtout ses récits historiques et la série "Matrone et Domina.
J'ai vu aussi que tous les anciens récits sont en ligne (avec parfois un problème sur les titres "longs"), mais que, sous de nombreux textes, les anciens commentaires ont disparu. Pour ma part, je n'aurai pas le courage de faire comme Didier, qui a pris le temps de remettre ses commentaires toujours utiles et pertinents.
je comprends aussi qu'il faut s'armer de patience pour les publications.
Julie

Merci Micky. Oui en effet, pour le moment, il n'est pas possible de noter

J'ai aimé, entre autres, l'angle féministe de ce récit avec ces pionnières de la liberté de la femme. Heureuse de retrouver les textes historiques d'Olga sur ce site, en espérant pouvoir les noter dès que possible.

Merci Laeti. C'est grâce à toi que nous as informés qu'HDS était de retour

Relire d’Olga dur HDS, quel bonheur.

Toujours au top cette série. Plaisir de lire et culture

@ Chris, merci beaucoup, c'est un plaisir que de te revoir également
@ Didier, la comparaison que tu fais entre Tullia d'Aragon et Ninon de Lenclos est très pertinente, toutes les deux ayant été courtisanes et femmes de lettres. J'ajouterai que Tullia a eu bien moins d'amants que le nombre que l'on prête à Ninon.

Tient Olga, toi aussi de retour...

Histoire Erotique
Olga,
C’est encore une très belle chronique instructive que tu nous livre là.
Tu nous sors une fois encore une belle dame de ton escarcelle qui semble inépuisable et dont toi seule à le secret.
Belle en effet elle l’était, pas forcement physiquement mais surtout intellectuellement aux vues de ton écrit.
Il est vrai que son parcours pourrait ressembler à si méprendre à celui de Ninon de Lenclos si il n’y avait ces quelques différences entre elles deux.
En effet, l’une Tullia fut mariée l’autre pas, l’une fut poétesse l’autre Ninon espitolière, et que surtout Ninon fut emprisonnée un temps dans un couvent alors que Tullia put rester libre comme l’air…
Sache de plus que j’ai bien apprécié le parallèle que tu as fait entre cette belle poétesse et ta belle héroïne de fiction dont je suis un fan inconditionnel.
Quelle coïncidence en effet…
Pour tout cela merci, et continue à nous éblouir par tes écrits.
Didier



Texte coquin : Histoire des libertines (99) : Tullia d’Aragon, la courtisane philosophe
Histoire sexe : Une rose rouge
Vous êtes :
Indiquez votre adresse mail si vous souhaitez la communiquer à l'auteur de l'histoire.

Dernières histoires érotiques publiées par Olga T

Histoire des libertines (116) : Marie Duplessis, la dame aux camélias. - Récit érotique publié le 10-12-2024
Collection Textes en commun : « Aude se lâche » (5 : une nuit de noces très spéciale) - Récit érotique publié le 25-11-2024
Récits érotiques de la mythologie (32) : Lady Godiva - Récit érotique publié le 06-11-2024
Collection Textes en commun : « Aude se lâche » (4 : le mariage) - Récit érotique publié le 27-10-2024
Histoire des libertines (115) : Alice Ozy, comédienne et courtisane. - Récit érotique publié le 09-10-2024
Collection Textes en commun : « Aude se lâche » (3 : la mainmise) - Récit érotique publié le 02-10-2024
Érotisme et poésie (15) : « Eros », par Pierre de Ronsard - Récit érotique publié le 09-09-2024
Collection Textes en commun : « Aude se lâche » (2 : la soumise) - Récit érotique publié le 29-08-2024
Histoire des libertines (114) : La Paiva - Récit érotique publié le 17-08-2024
Collection Textes en commun : « Aude se lâche » (1 : la rencontre) - Récit érotique publié le 04-08-2024