Le Contrat - Chapitre 5: Le week-end des tissus

Récit érotique écrit par Pelec [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Le Contrat - Chapitre 5: Le week-end des tissus
Je pensais aller chez elle. La ville coulissait derrière la vitre dans une pluie fine, et l’odeur tiède du cuir emplissait l’habitacle. J’avais pris l’habitude du silence de Madame Stella en voiture : il m’enserrait plus sûrement qu’une conversation. Les feux défilaient, les virages s’enchaînaient, et pourtant quelque chose dévia. À un carrefour je reconnus un pont, puis un tunnel qui ne menait pas à son quartier. La route n’était pas la bonne.
Je pris mon courage à deux mains.
— Nous n’allons pas chez vous… Où allons-nous ?
Aucune réponse. Elle ne tourna pas la tête, ses mains fines restèrent immobiles au volant. Sa frange rousse traçait une diagonale nette sur son front, ses yeux verts fixés loin devant, hors de moi. Le moteur ronronnait comme un animal rassasié. Alors je me tus, et la cage pulsa entre mes cuisses, sec, comme pour me rappeler que poser une question était déjà trop.
La berline s’arrêta finalement devant une façade sans enseigne. Juste une vitrine nue derrière laquelle on devinait des halos laiteux, et une porte sombre avec un discret interphone. Madame Stella coupa le contact, sortit sans un mot. J’imitai sa précision, me retrouvant sous la pluie fine. Elle appuya sur le bouton. Un déclic, puis la porte s’ouvrit.
Le magasin se révéla d’un seul coup : large, clair, presque silencieux. L’odeur légère de poudre de riz et de carton neuf, un parquet qui ne grinçait pas, des portants espacés où la soie et la dentelle pendaient comme des promesses figées. Une femme nous attendait près d’un comptoir bas, tailleur crème, chignon impeccable, sourire dressé comme un service. Son regard glissa sur moi sans surprise, vint se fixer sur Madame Stella.
— Bonsoir, Madame. Tout est prêt.
— Bien, répondit Madame Stella. D’une voix plate. Sans me jeter un œil.
La vendeuse fit un geste fluide. On me guida vers trois cabines profondes, mais vides de miroirs tapageurs. Dans l’une d’elles, une chaise étroite, une patère, une petite table recouverte de housses blanches. Je restai debout, les mains ballantes. Madame Stella ne s’était pas assise. Elle occupait l’espace par sa seule verticalité, fine, stricte, des taches de rousseur jetées sur ses pommettes comme une constellation glaciale.
— Déshabille-toi, dit-elle. Garde la chemise pour sortir de la cabine. Rien d’autre.
La vendeuse hocha la tête, professionnelle. Elle sortit un mètre ruban, approcha.
— Si vous permettez… Juste pour les mesures.
Je me laissai faire. Le ruban refroidit ma peau au contact. Tour de taille, hanches, cuisses. Le métal de la cage effleurait parfois le tissu, cliquetis minuscules qui me vrillaient l’oreille. J’avais la sensation absurde d’entendre ma honte mesurer en centimètres.
— Ce sera parfait, conclut la vendeuse. Elle s’éclipsa, puis revint avec un premier ensemble, noir comme un secret : guêpière à baleines fines, tulle et dentelle, bas à couture, culotte haute bordée d’un liseré de satin. Elle me tendit le tout avec la neutralité des gestes soignés.
J’enfilai lentement dans la cabine. Le tulle s’accrocha à mes doigts, la dentelle chatouilla mes cuisses. La guêpière serrait ma taille avec une obstination nouvelle ; elle modifiait ma respiration, me forçait à me grandir, à tirer les épaules en arrière. La culotte épousa les fesses, enserra la cage d’une douceur cruelle. Les bas montèrent avec un frisson jusqu’à la jarretière. Je me sentais ridicule et d’une beauté étrangère à moi, comme si mon corps, transposé dans un autre alphabet, se mettait à écrire des mots que je ne comprenais pas encore.
— Sors, dit Madame Stella.
Je tirai la chemise par-dessus, la laissai ouverte, et franchis le rideau. Je ne savais plus quoi faire de mes bras. La vendeuse se rangea légèrement, laissant la place au regard souverain. Madame Stella inclina imperceptiblement la tête. Son œil passa de mes épaules ramenées à la taille comprimée, glissa sur les jarretelles tendues, remonta à mon visage.
— Tourne-toi.
Je pivotai.
— Plus lentement.
Je recommençai, plus lent, en m’appliquant à respirer avec le peu d’air qu’autorisait la guêpière.
— …Non.
Un mot. Rien d’autre. Pas d’argument, pas de justification. Le « non » tomba au sol comme un objet froid. La vendeuse, déjà, s’était effacée vers l’arrière-boutique.
Le deuxième ensemble était ivoire, presque nu, avec un serre-taille peau et une culotte de soie coupée en biais. Le troisième, bordeaux sombre, guipure lourde et jarretelles de satin. Vint un body vert bouteille, tulle point d’esprit, profond décolleté que mon torse plat transformait en entaille graphique. Puis un ensemble peau-de-pêche, à volants minuscules, d’une frivolité si tendre que j’en rougis moi-même. À chaque sortie, Madame Stella me regardait comme on évalue une ligne : « Oui. » « Non. » « Tourne. » « Tiens-toi. » « Redresse. » Son ton ne variait jamais. Je devenais mannequin et métronomie. Parfois, la vendeuse ajustait une bretelle, tirait le bas de la culotte pour qu’elle épouse mieux. Ses doigts étaient techniques, sans curiosité. Elle me parlait à demi-voix, du linge comme on parle de menuiserie : « Leavers, baleine souple, gousset soie, couture main, lavage à froid. »
— Celui-ci, dit enfin Madame Stella, à propos d’un ensemble noir et bleu nuit, presque imperceptible, porte-jarretelles fin, culotte haute, bas à couture noire qui dessinait une verticale implacable derrière ma jambe.
— Celui-là, aussi.
Elle fit naître une courte liste. Noir sévère, ivoire sage, bordeaux profond, vert bouteille, pêche insolent, bleu nuit. Six. Elle en prit un septième, gris perle presque anonyme.
— Pour le lundi, dit-elle, comme on dirait « pour le deuil ».
Elle régla sans regarder la somme. La vendeuse empaqueta chaque ensemble dans un papier de soie, glissa les boîtes dans deux sacs rigides. Je pris les poignées, docile. Nous sortîmes. Dehors, la pluie avait cessé, ne restait que la lumière de la ville qui brillait encore au sol. Dans la voiture, le bruit mat des sacs contre mes tibias rythma le trajet de retour. Madame Stella ne dit rien. Je me taisais.
Chez elle, le salon renvoya la même froideur ordonnée. Elle posa son sac à main, me laissa debout avec mes boîtes.
— Pose-les là.
Je les alignai sur le canapé. Elle s’approcha, ouvrit chaque paquet, caressa du plat des doigts la dentelle, vérifia une couture, le tombé d’un ruban. Elle rangea les ensemble ré-emboîtés dans un tiroir bas d’une commode laquée, qu’elle referma d’une pression nette.
— Tu porteras ces ensembles tous les jours, dit-elle. Un set complet. Chaque jour un autre. Je peux contrôler quand je veux.
Elle se tourna vers moi, yeux verts fixés au-dessus de mon épaule, comme si mon visage n’était pas la partie intéressante de moi.
— Tu les lavera à la main, tous, chaque fin de week-end. Tu ne mélangeras pas les couleurs. Tu liras les étiquettes. Tu rinces jusqu’à ce que l’eau soit claire. Tu sèches à plat. Si j’en vois un seul abîmé, tu le paieras d’une manière qui te marquera.
Elle n’éleva pas la voix. Je sentis ma nuque devenir chaude. Le tiroir, dans mon dos, semblait contenir désormais ma semaine toute entière.
— Pour ce week-end, reprit-elle, tu ne porteras que ça. Rien d’autre.
Elle s’éloigna, ouvrit une autre porte. La salle de bains brillait comme un bloc de glace. Carrelage clair, miroir plein, odeur légère de citron. Sur le plan de travail, une rangée d’objets disposés : crème dépilatoire, spatules, gants, minuteur, une serviette foncée pliée net, une autre blanche avec un monogramme discret.
— Déshabille-toi, dit-elle. Choisis l’ensemble du samedi. Tu l’enfileras après.
Je choisis, au hasard qui n’en était pas un, le vert bouteille. Il me semblait lourd, presque rituel. Quand je revins nu dans la salle de bains, Madame Stella avait enfilé des gants fins. Elle posa le tube de crème entre nous deux.
— Tu vas le faire. Partout. Pas d’angle mort. Tu ne touches pas la cage. Tu protèges la base avec du film, là. Elle tira un morceau de plastique qu’elle fixa d’un geste sûr autour des anneaux, créant une frontière. — Teste d’abord. Ici. Elle désigna du menton un carré de peau sur ma cuisse. — Trois minutes. Ensuite, tu rinces. Si ça brûle, tu t’arrêtes. Je ne veux pas d’idioties.
Le minuteur fut réglé. Le petit bruit sec du bouton me parut implacable. Je posai une première noisette de crème. L’odeur un peu soufrée me prit à la gorge. Je l’étirai au plat de la spatule, obéissant. Le froid envahit vite la peau. Trois minutes. Rinçage. Rien de dramatique. Alors j’attaquai les jambes, les cuisses, le ventre, les aisselles. J’avançais prudemment autour de la cage, filmée, territoire interdit. Madame Stella restait là, bras croisés, contrôlant le temps, la méthode, l’air, mes tremblements. Parfois elle m’indiquait une zone oubliée, un geste trop rude, une maladresse.
— Là. Tu as laissé des poils. Tu recommences.
Sa voix coupait court à toute velléité de jugement. Je n’avais pas d’avis. Je n’étais que mains et produit. Quand je passai aux fesses, l’humiliation changea de goût. Il fallut me pencher en avant, écarter, présenter. La crème froide envahit mon sillon ; la chair frissonna. Je sentis mes oreilles brûler. Madame Stella ne fit aucun commentaire, sinon :
— Tu appliques, tu attends, tu rinces. Tu essuies sans frotter. Tu as compris ?
— Oui, Madame.
— Parfait. Continue.
Le minuteur sonna, régulière petite alarme. Je rinçai, l’eau tiède coulant en filets qui me semblaient sonner différemment sur cette peau qui perdait sa rumeur. La spatule recueillait presque proprement ce que j’avais été. À la fin, ma peau brillait d’une douceur neuve, presque vulnérable. Je me sentais plus nu que nu. Madame Stella s’approcha une fois, passa le dos des doigts sur mon torse, clinique.
— Ça ira.
Elle quitta la pièce. Je restai seul à me sécher, à m’observer : le miroir renvoyait un corps plus lisse, tracé net, la cage comme un morceau d’armure ridicule au milieu de cette douceur. J’enfilai l’ensemble vert. Le contraste me fit vaciller intérieurement : la jarretière tendue, les bas au trait noir parfait, la culotte qui enveloppait mon cul ras et la guêpière qui cisaillait ma taille. Quand je sortis, Madame Stella était assise, jambes croisées, un dossier sur les genoux. Elle leva à peine les yeux.
— Bien. Va me chercher un verre d’eau. Sans glaçons. Pose-le à droite. Tu ne fais pas de bruit.
Le week-end prit cette cadence. J’appris à me déplacer sans froisser la soie, à m’asseoir au bord des chaises pour ne pas tirer sur les jarretelles, à tenir les genoux rapprochés comme si mes cuisses n’étaient pas les miennes. Madame Stella n’eut pour moi que des ordres simples, jamais une caresse, jamais un mot inutile. Quand je passais à côté d’elle, j’apercevais parfois la clé, petite lumière contre sa peau pâle, glissant au creux de sa clavicule sous un col noir. Je dormis sur le canapé, sous une couverture fine ; au matin, je me levai avec l’obsession du programme : douche, inspection, ensemble du dimanche. Elle exigea le bordeaux.
— Lave tes cheveux. Pas de parfum. Pas de déodorant fort. Je veux te sentir propre, pas parfumé.
Je découvris les soins : rincer les bas à l’eau froide dans un saladier propre, deux gouttes de savon de Marseille râpé, pressions lentes, jamais tordre, jamais serrer. Étendre sur une serviette, tapoter, retourner, patienter. Recommencer pour chaque pièce. Lire les étiquettes, apprendre les pictogrammes, repérer le moindre fil qui dépasse. Vers midi, Madame Stella vint inspecter la corde improvisée dans la salle de bains. Elle pinça un ourlet de l’ongle, hocha à peine la tête.
— Correct.
Je me sentis traversé par une fierté absurde. Cette fierté-là, je compris, serait ma nourriture désormais.
L’après-midi, elle m’imposa quelques postures. À genoux, mains croisées dans le dos, dos droit, point fixe devant moi. Dix minutes. Quinze. Vingt. Quand mes cuisses tremblaient, elle posait un verre d’eau devant moi. Si je renversais, je recommençais. Je renversai. Je recommençai. Elle n’insulta pas. Sa cruauté tenait dans les durées, la précision, la répétition. Parfois, un mot cinglait :
— Tu respires trop haut. Abaisse. Tiens ton ventre.
Ou bien :
— Tes épaules. Tu tombes. Redresse.
Le soir, elle m’ordonna de plier chaque ensemble porté, de le déposer dans une corbeille à part. Puis elle me fit sortir la bassine, l’eau froide, le savon. Mes mains, engourdies de fatigue, apprirent une patience nouvelle. La soie devint lourde d’eau. Je la soulevai comme un oiseau mouillé.
— Tu n’iras pas chez toi ce soir, dit-elle, en passant devant la salle de bains, comme si elle parlait à la pièce. Tu rentreras demain, avec ce que tu dois porter. Lundi, tu viendras au travail comme tout le monde. En dessous, tu te souviendras de moi.
Ce « tu te souviendras » vibra longtemps dans mes côtes. Je terminai les lavages, essuyai l’évier, rangeai les flacons. Ma peau, dépourvue de sa rumeur, frottait un peu sous la guêpière ; je percevais chaque couture comme une phrase.
La nuit vint. Je dormis mal, mais je dormis, la tête emplie d’étoffes et de gestes précis, comme si la dentelle s’était tissée dans mes rêves. Au matin, je remis le gris perle — pour le dimanche, dis-je à moi-même, sans savoir pourquoi ce choix me semblait juste. Madame Stella passa une dernière inspection, vérifia du bout de l’index une jarretelle, replaça sans douceur une bretelle sur mon épaule.
— Tu feras une rotation. Lundi, gris. Mardi, noir. Mercredi, ivoire. Jeudi, bleu. Vendredi, vert. Samedi, bordeaux. Dimanche, pêche. Et tu recommences. Si tu changes sans que je te l’ordonne, tu me devras une raison. Médiocre ou mauvaise, la raison te coûtera.
Je hochai la tête.
— Tu répondras « oui, Madame » quand je te parle.
— Oui, Madame.
— Bien.
Elle fit glisser un sac rigide vers moi. Les boîtes y dormaient, alignées. La clé brillait une seconde au bord de son sternum avant de replonger sous la ligne noire du col.
— Va t’habiller. Par-dessus.
Je remis ma chemise, mon pantalon. Le tissu habituel, contre la soie secrète, fabriqua une superposition qui me troubla. J’avais l’impression d’emmener une inconnue sous mes vêtements. Madame Stella me tendit mon manteau. Elle ne me dit pas adieu. Elle ne me regarda pas vraiment. Elle laissa la porte s’ouvrir.
Sur le palier, je sentis la cage se rappeler à moi dans un petit sursaut de métal. Je serrai les anses du sac. Au fond, la dentelle ne pesait presque rien. Lundi, j’irais au bureau habillé comme tout le monde ; en dessous, c’est elle qui me porterait. Je descendis l’escalier avec précaution, conscient d’apprendre un pas nouveau, et de n’appartenir déjà plus tout à fait à celui que j’avais été.
Je pris mon courage à deux mains.
— Nous n’allons pas chez vous… Où allons-nous ?
Aucune réponse. Elle ne tourna pas la tête, ses mains fines restèrent immobiles au volant. Sa frange rousse traçait une diagonale nette sur son front, ses yeux verts fixés loin devant, hors de moi. Le moteur ronronnait comme un animal rassasié. Alors je me tus, et la cage pulsa entre mes cuisses, sec, comme pour me rappeler que poser une question était déjà trop.
La berline s’arrêta finalement devant une façade sans enseigne. Juste une vitrine nue derrière laquelle on devinait des halos laiteux, et une porte sombre avec un discret interphone. Madame Stella coupa le contact, sortit sans un mot. J’imitai sa précision, me retrouvant sous la pluie fine. Elle appuya sur le bouton. Un déclic, puis la porte s’ouvrit.
Le magasin se révéla d’un seul coup : large, clair, presque silencieux. L’odeur légère de poudre de riz et de carton neuf, un parquet qui ne grinçait pas, des portants espacés où la soie et la dentelle pendaient comme des promesses figées. Une femme nous attendait près d’un comptoir bas, tailleur crème, chignon impeccable, sourire dressé comme un service. Son regard glissa sur moi sans surprise, vint se fixer sur Madame Stella.
— Bonsoir, Madame. Tout est prêt.
— Bien, répondit Madame Stella. D’une voix plate. Sans me jeter un œil.
La vendeuse fit un geste fluide. On me guida vers trois cabines profondes, mais vides de miroirs tapageurs. Dans l’une d’elles, une chaise étroite, une patère, une petite table recouverte de housses blanches. Je restai debout, les mains ballantes. Madame Stella ne s’était pas assise. Elle occupait l’espace par sa seule verticalité, fine, stricte, des taches de rousseur jetées sur ses pommettes comme une constellation glaciale.
— Déshabille-toi, dit-elle. Garde la chemise pour sortir de la cabine. Rien d’autre.
La vendeuse hocha la tête, professionnelle. Elle sortit un mètre ruban, approcha.
— Si vous permettez… Juste pour les mesures.
Je me laissai faire. Le ruban refroidit ma peau au contact. Tour de taille, hanches, cuisses. Le métal de la cage effleurait parfois le tissu, cliquetis minuscules qui me vrillaient l’oreille. J’avais la sensation absurde d’entendre ma honte mesurer en centimètres.
— Ce sera parfait, conclut la vendeuse. Elle s’éclipsa, puis revint avec un premier ensemble, noir comme un secret : guêpière à baleines fines, tulle et dentelle, bas à couture, culotte haute bordée d’un liseré de satin. Elle me tendit le tout avec la neutralité des gestes soignés.
J’enfilai lentement dans la cabine. Le tulle s’accrocha à mes doigts, la dentelle chatouilla mes cuisses. La guêpière serrait ma taille avec une obstination nouvelle ; elle modifiait ma respiration, me forçait à me grandir, à tirer les épaules en arrière. La culotte épousa les fesses, enserra la cage d’une douceur cruelle. Les bas montèrent avec un frisson jusqu’à la jarretière. Je me sentais ridicule et d’une beauté étrangère à moi, comme si mon corps, transposé dans un autre alphabet, se mettait à écrire des mots que je ne comprenais pas encore.
— Sors, dit Madame Stella.
Je tirai la chemise par-dessus, la laissai ouverte, et franchis le rideau. Je ne savais plus quoi faire de mes bras. La vendeuse se rangea légèrement, laissant la place au regard souverain. Madame Stella inclina imperceptiblement la tête. Son œil passa de mes épaules ramenées à la taille comprimée, glissa sur les jarretelles tendues, remonta à mon visage.
— Tourne-toi.
Je pivotai.
— Plus lentement.
Je recommençai, plus lent, en m’appliquant à respirer avec le peu d’air qu’autorisait la guêpière.
— …Non.
Un mot. Rien d’autre. Pas d’argument, pas de justification. Le « non » tomba au sol comme un objet froid. La vendeuse, déjà, s’était effacée vers l’arrière-boutique.
Le deuxième ensemble était ivoire, presque nu, avec un serre-taille peau et une culotte de soie coupée en biais. Le troisième, bordeaux sombre, guipure lourde et jarretelles de satin. Vint un body vert bouteille, tulle point d’esprit, profond décolleté que mon torse plat transformait en entaille graphique. Puis un ensemble peau-de-pêche, à volants minuscules, d’une frivolité si tendre que j’en rougis moi-même. À chaque sortie, Madame Stella me regardait comme on évalue une ligne : « Oui. » « Non. » « Tourne. » « Tiens-toi. » « Redresse. » Son ton ne variait jamais. Je devenais mannequin et métronomie. Parfois, la vendeuse ajustait une bretelle, tirait le bas de la culotte pour qu’elle épouse mieux. Ses doigts étaient techniques, sans curiosité. Elle me parlait à demi-voix, du linge comme on parle de menuiserie : « Leavers, baleine souple, gousset soie, couture main, lavage à froid. »
— Celui-ci, dit enfin Madame Stella, à propos d’un ensemble noir et bleu nuit, presque imperceptible, porte-jarretelles fin, culotte haute, bas à couture noire qui dessinait une verticale implacable derrière ma jambe.
— Celui-là, aussi.
Elle fit naître une courte liste. Noir sévère, ivoire sage, bordeaux profond, vert bouteille, pêche insolent, bleu nuit. Six. Elle en prit un septième, gris perle presque anonyme.
— Pour le lundi, dit-elle, comme on dirait « pour le deuil ».
Elle régla sans regarder la somme. La vendeuse empaqueta chaque ensemble dans un papier de soie, glissa les boîtes dans deux sacs rigides. Je pris les poignées, docile. Nous sortîmes. Dehors, la pluie avait cessé, ne restait que la lumière de la ville qui brillait encore au sol. Dans la voiture, le bruit mat des sacs contre mes tibias rythma le trajet de retour. Madame Stella ne dit rien. Je me taisais.
Chez elle, le salon renvoya la même froideur ordonnée. Elle posa son sac à main, me laissa debout avec mes boîtes.
— Pose-les là.
Je les alignai sur le canapé. Elle s’approcha, ouvrit chaque paquet, caressa du plat des doigts la dentelle, vérifia une couture, le tombé d’un ruban. Elle rangea les ensemble ré-emboîtés dans un tiroir bas d’une commode laquée, qu’elle referma d’une pression nette.
— Tu porteras ces ensembles tous les jours, dit-elle. Un set complet. Chaque jour un autre. Je peux contrôler quand je veux.
Elle se tourna vers moi, yeux verts fixés au-dessus de mon épaule, comme si mon visage n’était pas la partie intéressante de moi.
— Tu les lavera à la main, tous, chaque fin de week-end. Tu ne mélangeras pas les couleurs. Tu liras les étiquettes. Tu rinces jusqu’à ce que l’eau soit claire. Tu sèches à plat. Si j’en vois un seul abîmé, tu le paieras d’une manière qui te marquera.
Elle n’éleva pas la voix. Je sentis ma nuque devenir chaude. Le tiroir, dans mon dos, semblait contenir désormais ma semaine toute entière.
— Pour ce week-end, reprit-elle, tu ne porteras que ça. Rien d’autre.
Elle s’éloigna, ouvrit une autre porte. La salle de bains brillait comme un bloc de glace. Carrelage clair, miroir plein, odeur légère de citron. Sur le plan de travail, une rangée d’objets disposés : crème dépilatoire, spatules, gants, minuteur, une serviette foncée pliée net, une autre blanche avec un monogramme discret.
— Déshabille-toi, dit-elle. Choisis l’ensemble du samedi. Tu l’enfileras après.
Je choisis, au hasard qui n’en était pas un, le vert bouteille. Il me semblait lourd, presque rituel. Quand je revins nu dans la salle de bains, Madame Stella avait enfilé des gants fins. Elle posa le tube de crème entre nous deux.
— Tu vas le faire. Partout. Pas d’angle mort. Tu ne touches pas la cage. Tu protèges la base avec du film, là. Elle tira un morceau de plastique qu’elle fixa d’un geste sûr autour des anneaux, créant une frontière. — Teste d’abord. Ici. Elle désigna du menton un carré de peau sur ma cuisse. — Trois minutes. Ensuite, tu rinces. Si ça brûle, tu t’arrêtes. Je ne veux pas d’idioties.
Le minuteur fut réglé. Le petit bruit sec du bouton me parut implacable. Je posai une première noisette de crème. L’odeur un peu soufrée me prit à la gorge. Je l’étirai au plat de la spatule, obéissant. Le froid envahit vite la peau. Trois minutes. Rinçage. Rien de dramatique. Alors j’attaquai les jambes, les cuisses, le ventre, les aisselles. J’avançais prudemment autour de la cage, filmée, territoire interdit. Madame Stella restait là, bras croisés, contrôlant le temps, la méthode, l’air, mes tremblements. Parfois elle m’indiquait une zone oubliée, un geste trop rude, une maladresse.
— Là. Tu as laissé des poils. Tu recommences.
Sa voix coupait court à toute velléité de jugement. Je n’avais pas d’avis. Je n’étais que mains et produit. Quand je passai aux fesses, l’humiliation changea de goût. Il fallut me pencher en avant, écarter, présenter. La crème froide envahit mon sillon ; la chair frissonna. Je sentis mes oreilles brûler. Madame Stella ne fit aucun commentaire, sinon :
— Tu appliques, tu attends, tu rinces. Tu essuies sans frotter. Tu as compris ?
— Oui, Madame.
— Parfait. Continue.
Le minuteur sonna, régulière petite alarme. Je rinçai, l’eau tiède coulant en filets qui me semblaient sonner différemment sur cette peau qui perdait sa rumeur. La spatule recueillait presque proprement ce que j’avais été. À la fin, ma peau brillait d’une douceur neuve, presque vulnérable. Je me sentais plus nu que nu. Madame Stella s’approcha une fois, passa le dos des doigts sur mon torse, clinique.
— Ça ira.
Elle quitta la pièce. Je restai seul à me sécher, à m’observer : le miroir renvoyait un corps plus lisse, tracé net, la cage comme un morceau d’armure ridicule au milieu de cette douceur. J’enfilai l’ensemble vert. Le contraste me fit vaciller intérieurement : la jarretière tendue, les bas au trait noir parfait, la culotte qui enveloppait mon cul ras et la guêpière qui cisaillait ma taille. Quand je sortis, Madame Stella était assise, jambes croisées, un dossier sur les genoux. Elle leva à peine les yeux.
— Bien. Va me chercher un verre d’eau. Sans glaçons. Pose-le à droite. Tu ne fais pas de bruit.
Le week-end prit cette cadence. J’appris à me déplacer sans froisser la soie, à m’asseoir au bord des chaises pour ne pas tirer sur les jarretelles, à tenir les genoux rapprochés comme si mes cuisses n’étaient pas les miennes. Madame Stella n’eut pour moi que des ordres simples, jamais une caresse, jamais un mot inutile. Quand je passais à côté d’elle, j’apercevais parfois la clé, petite lumière contre sa peau pâle, glissant au creux de sa clavicule sous un col noir. Je dormis sur le canapé, sous une couverture fine ; au matin, je me levai avec l’obsession du programme : douche, inspection, ensemble du dimanche. Elle exigea le bordeaux.
— Lave tes cheveux. Pas de parfum. Pas de déodorant fort. Je veux te sentir propre, pas parfumé.
Je découvris les soins : rincer les bas à l’eau froide dans un saladier propre, deux gouttes de savon de Marseille râpé, pressions lentes, jamais tordre, jamais serrer. Étendre sur une serviette, tapoter, retourner, patienter. Recommencer pour chaque pièce. Lire les étiquettes, apprendre les pictogrammes, repérer le moindre fil qui dépasse. Vers midi, Madame Stella vint inspecter la corde improvisée dans la salle de bains. Elle pinça un ourlet de l’ongle, hocha à peine la tête.
— Correct.
Je me sentis traversé par une fierté absurde. Cette fierté-là, je compris, serait ma nourriture désormais.
L’après-midi, elle m’imposa quelques postures. À genoux, mains croisées dans le dos, dos droit, point fixe devant moi. Dix minutes. Quinze. Vingt. Quand mes cuisses tremblaient, elle posait un verre d’eau devant moi. Si je renversais, je recommençais. Je renversai. Je recommençai. Elle n’insulta pas. Sa cruauté tenait dans les durées, la précision, la répétition. Parfois, un mot cinglait :
— Tu respires trop haut. Abaisse. Tiens ton ventre.
Ou bien :
— Tes épaules. Tu tombes. Redresse.
Le soir, elle m’ordonna de plier chaque ensemble porté, de le déposer dans une corbeille à part. Puis elle me fit sortir la bassine, l’eau froide, le savon. Mes mains, engourdies de fatigue, apprirent une patience nouvelle. La soie devint lourde d’eau. Je la soulevai comme un oiseau mouillé.
— Tu n’iras pas chez toi ce soir, dit-elle, en passant devant la salle de bains, comme si elle parlait à la pièce. Tu rentreras demain, avec ce que tu dois porter. Lundi, tu viendras au travail comme tout le monde. En dessous, tu te souviendras de moi.
Ce « tu te souviendras » vibra longtemps dans mes côtes. Je terminai les lavages, essuyai l’évier, rangeai les flacons. Ma peau, dépourvue de sa rumeur, frottait un peu sous la guêpière ; je percevais chaque couture comme une phrase.
La nuit vint. Je dormis mal, mais je dormis, la tête emplie d’étoffes et de gestes précis, comme si la dentelle s’était tissée dans mes rêves. Au matin, je remis le gris perle — pour le dimanche, dis-je à moi-même, sans savoir pourquoi ce choix me semblait juste. Madame Stella passa une dernière inspection, vérifia du bout de l’index une jarretelle, replaça sans douceur une bretelle sur mon épaule.
— Tu feras une rotation. Lundi, gris. Mardi, noir. Mercredi, ivoire. Jeudi, bleu. Vendredi, vert. Samedi, bordeaux. Dimanche, pêche. Et tu recommences. Si tu changes sans que je te l’ordonne, tu me devras une raison. Médiocre ou mauvaise, la raison te coûtera.
Je hochai la tête.
— Tu répondras « oui, Madame » quand je te parle.
— Oui, Madame.
— Bien.
Elle fit glisser un sac rigide vers moi. Les boîtes y dormaient, alignées. La clé brillait une seconde au bord de son sternum avant de replonger sous la ligne noire du col.
— Va t’habiller. Par-dessus.
Je remis ma chemise, mon pantalon. Le tissu habituel, contre la soie secrète, fabriqua une superposition qui me troubla. J’avais l’impression d’emmener une inconnue sous mes vêtements. Madame Stella me tendit mon manteau. Elle ne me dit pas adieu. Elle ne me regarda pas vraiment. Elle laissa la porte s’ouvrir.
Sur le palier, je sentis la cage se rappeler à moi dans un petit sursaut de métal. Je serrai les anses du sac. Au fond, la dentelle ne pesait presque rien. Lundi, j’irais au bureau habillé comme tout le monde ; en dessous, c’est elle qui me porterait. Je descendis l’escalier avec précaution, conscient d’apprendre un pas nouveau, et de n’appartenir déjà plus tout à fait à celui que j’avais été.
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