Philosophie du plaisir (2) : Sade, le Marquis et ses œuvres.

- Par l'auteur HDS Olga T -
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Auteur femme.
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Récit libertin : Philosophie du plaisir (2) : Sade, le Marquis et ses œuvres. Histoire érotique Publiée sur HDS le 02-11-2019 dans la catégorie Dans la zone rouge
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Philosophie du plaisir (2) : Sade, le Marquis et ses œuvres.
AVERTISSEMENT
Donatien Alphonse François de Sade (1740-1814) fut longtemps voué à l'anathème, en raison de la part accordée dans son œuvre à l'érotisme et à la pornographie, associés à des actes de violence et de cruauté.

Détenu sous tous les régimes politiques, il est emprisonné pour divers motifs, notamment pour dettes, empoisonnement et sodomie, puis enlèvement et abus sur des jeunes filles. Sur les soixante-quatorze années de sa vie, il passe un total de vingt-sept ans en prison ou asile de fous.

Occultée et clandestine pendant tout le XIXe siècle, son œuvre littéraire fut réhabilitée au XXe siècle par Jean-Jacques Pauvert, qui le sort de la clandestinité en publiant ouvertement ses œuvres sous son nom d'éditeur, malgré la censure officielle dont il triomphe par un procès en appel en 1957. La dernière étape vers la reconnaissance est sans doute représentée par l’entrée de Sade dans la bibliothèque de la Pléiade en 1990.

Son nom est passé à la postérité sous forme de substantif. Dès 1834, le néologisme « sadisme », qui fait référence aux actes de cruauté décrits dans ses œuvres, figure dans un dictionnaire ; le mot finit par être transposé dans diverses langues.

J’ai veillé, dans ce texte, à ne pas reproduire certains passages des sources que j’ai consultées et qui me semblaient ne pas correspondre à la charte de HdS.

LES DEBUTS DU DIVIN MARQUIS
Sade appartient à l’une des plus anciennes maisons de Provence.

Donatien passe les trois premières années de sa vie à l’hôtel de Condé éloigné de ses parents. Élevé avec la conviction d’appartenir à une espèce supérieure, sa nature despotique et violente se révèle très tôt. De quatre à dix ans, son éducation est confiée à son oncle, l’abbé Jacques-François de Sade, qui l’héberge au château de Saumane, près de L'Isle-sur-la-Sorgue, où il s’est retiré après une existence mondaine. Cet abbé aime vivre et bien vivre, s’entourant de livres et de femmes.

À dix ans, Donatien entre au collège Louis-le-Grand, que dirigent les pères jésuites, établissement alors le mieux fréquenté et le plus cher de la capitale. Il a à peine quatorze ans lorsqu’il est reçu à l’École des chevau-légers de la garde du roi, en garnison à Versailles, qui n’accepte que des jeunes gens de la plus ancienne noblesse. À dix-sept ans, il obtient une commission de cornette (officier porte-drapeau), au régiment des carabiniers du comte de Provence, frère du futur Louis XVI, et prend part à la guerre de Sept Ans contre la Prusse. À dix-neuf ans, il est reçu comme capitaine au régiment de Bourgogne.

Il a déjà la pire réputation. Il est joueur, prodigue et débauché. Il fréquente les coulisses des théâtres et les maisons des proxénètes.

Le 17 mai 1763, le mariage du marquis et de Renée-Pélagie, fille aînée de Cordier de Montreuil, président honoraire à la cour des Aides de Paris, de petite noblesse de robe, mais dont la fortune dépasse largement celle des Sade.

Le 29 octobre 1763, il est arrêté dans sa garçonnière rue Mouffetard pour « débauche outrée » et est enfermé au donjon de Vincennes sur ordre du roi à la suite d'une plainte déposée par une prostituée occasionnelle, Jeanne Testard, qui n'a pas apprécié les petits jeux sadiques et blasphématoires du marquis. Il sera assigné à résidence jusqu’en septembre 1764.

Il succède à son père dans la charge de lieutenant-général aux provinces de Bresse, Bugey, Valromey et Gex. Il se rend à Dijon pour prononcer le discours de réception devant le parlement de Bourgogne. De retour à Paris, il a des liaisons avec des actrices connues pour leurs amours vénales avec de grands seigneurs : Mlle Colet, dont il tombe amoureux, Mlle Dorville, Mlle Le Clair, Mlle Beauvoisin, qu’il amène à La Coste, où il la laisse passer pour sa femme, au grand scandale de sa famille !

ARCUEIL, LE PREMIER SCANDALE
On apprend, au printemps 1768, qu’un marquis a abusé de la pauvreté d'une veuve de trente-six ans, Rose Keller, demandant l'aumône place des Victoires : il a abordé la mendiante, lui a proposé, selon la version de Rose Keller lors du procès, une place de gouvernante.

Sade fait semblant de comprendre qu'elle se prostitue de temps à autre (ce sera sa défense lors du procès), car les veuves et femmes abandonnées de cette époque peuvent être réduites à la fois à mendier et à se prostituer. Il affirmera toujours qu’il lui a proposé de l'argent dans ce cadre. Sur son acceptation, il l'a entraînée à L’Aumônerie, une petite maison de campagne d'Arcueil, qu'il loue sous le nom de sieur Lestargette et où il emmène régulièrement mendiantes et prostituées qu'il fait recruter par son valet dans les maisons de débauche de la capitale. Là, il lui a fait visiter la maison, jusqu'à l'entraîner dans la chambre de gouvernante à l'étage où il l'a attachée sur un lit, flagellée cruellement avec un fouet à nœuds, incisée avec un canif, enduit ses blessures de cire brûlante et recommencé jusqu'à atteindre l'orgasme en la menaçant de la tuer si elle ne cessait de crier. Pour conclure, il l'a contrainte, puisque c'était le dimanche de Pâques, à des pratiques blasphématoires. Puis Sade l’enferme et retourne au rez-de-chaussée auprès des prostituées. Rose réussit à s'enfuir par la fenêtre et à ameuter tout le village.

La famille, Sade et Montreuil réunis, se mobilise pour soustraire Donatien à la justice. La famille obtient le retrait de la plainte devant la juridiction parlementaire contre 2 400 livres pour la plaignante. Le jugement royal le condamne finalement à six mois de détention. Il est libéré en novembre, mais il lui est enjoint de se retirer dans ses terres de Lacoste, en Provence.

L’AFFAIRE DE MARSEILLE
Il ne s’agit plus cette fois d’une fille mais de cinq.

Le 25 juin 1772 à l’hôtel des Treize Cantons, le marquis a proposé à ses partenaires sexuelles des pastilles à la cantharide au cours d'une « soirée de Cythère ». Deux filles se croient empoisonnées, les autres sont malades. Comme en 1768, la rumeur enfle. L’aphrodisiaque est présenté dans l’opinion comme un poison. La participation active du valet justifie l’accusation de sodomie, punie alors du bûcher. La condamnation par contumace du Parlement de Provence est cette fois la peine de mort, pour empoisonnement et sodomie à l'encontre du marquis et de son valet.

Sade s’est enfui en Italie avec sa jeune belle-sœur Anne-Prospère de Launay, une religieuse, qui lui signe de son sang une lettre passionnée : « Je jure à M. le marquis de Sade, mon amant, de n'être jamais qu'à lui ».

Les amants sont à Venise fin juillet, visitent quelques autres villes d’Italie, puis la chanoinesse rentre brusquement en France à la suite d’une infidélité du marquis. Ce dernier a fixé sa résidence en Savoie, mais le roi de Sardaigne le fait arrêter le 8 décembre 1772 à Chambéry à la demande de sa famille et incarcérer au fort de Miolans. Mme de Sade achète des gardiens qui le font évader le 30 avril 1773. Réfugié clandestinement dans son château, le marquis échappe aux recherches, prenant le large quand il y a des alertes. Le 16 décembre 1773, un ordre du Roi enjoint au lieutenant général de police de s’assurer de sa personne. Dans la nuit du 6 janvier 1774, un exempt suivi de quatre archers et d’une troupe de cavaliers de la maréchaussée envahit le château. Sans résultat. En mars, Sade prend la route de l’Italie, déguisé en curé !

L’AFFAIRE DE LA COSTE
La marquise et sa mère travaillent à obtenir la cassation de l’arrêt d’Aix, mais l’affaire de Marseille l’a cette fois coupé de son milieu. L'affaire suivante va cette fois le couper de sa famille.

Sade a recruté à Lyon et à Vienne comme domestiques cinq « très jeunes » filles et un jeune secrétaire, ainsi que « trois autres filles d’âge et d’état à ne point être redemandées par leurs parents » auxquelles s’ajoute l’ancienne domesticité.

Mais bientôt les parents déposent une plainte « pour enlèvement fait à leur insu et par séduction ». Une procédure criminelle est ouverte à Lyon. Le scandale est encore une fois étouffé par la famille. On verra par la suite avec quel soin madame de Montreuil s’est préoccupée de faire disparaître les traces de ces orgies.

L’affaire est grave. L’une des jeunes filles est conduite en secret à Saumane chez l’abbé de Sade, qui se montre très embarrassé de sa garde et, sur les propos de la victime, accuse nettement son neveu. Les jeunes filles n’accusent point la marquise et parlent au contraire d’elle « comme étant la première victime d’une fureur qu’on ne peut regarder que comme folie ». Leurs propos sont d’autant plus dangereux qu’elles portent, sur leurs corps et sur leurs bras, les preuves de leurs dires. Les « priapées » de la Coste ont sans doute inspiré les « Cent vingt jours de Sodome ».

Pour changer d'air, le marquis reprend la route de l'Italie le 17 juillet 1775 sous le nom de comte de Mazan. Son retour en août à La Coste fait surgir de nouvelles menaces. Le 17 janvier, le père d’une jeune servante, (que M. et Mme de Sade ont rebaptisée Justine !) vient réclamer sa fille et tire sur Sade.

ECRIVAIN EN PRISON
Sade est arrêté dans la capitale le 13 février 1777 et incarcéré au donjon de Vincennes, par lettre de cachet, à l’instigation de sa belle-mère, Madame de Montreuil.

Cette mesure lui évite l’exécution, mais l’enferme dans une prison en attendant le bon vouloir du gouvernement et de la famille. Or la famille a maintenant peur de ses excès. Elle a soin de faire casser la condamnation à mort par le Parlement de Provence mais sans faire remettre le coupable en liberté.

Il passera les 13 années suivantes à Vincennes, à la Bastille et à Charenton. Il a droit à un traitement de faveur, payant une forte pension. Mme de Montreuil et sa famille attendent de lui une conduite assagie pour faire abréger sa détention. Ce sera tout le contraire : altercation avec d’autres prisonniers dont Mirabeau, violences verbales et physiques, menaces, lettres ordurières à sa belle-mère et même à sa femme, qui lui est pourtant entièrement dévouée.

L’incarcération l’amène à chercher dans l’imaginaire des compensations à ce que sa situation a de frustrant. Son interminable captivité excite jusqu’à la folie son imagination. « En prison entre un homme, il en sort un écrivain. », note Simone de Beauvoir.

Le 22 octobre 1785, il entreprend la mise au net des brouillons des « Cent Vingt Journées de Sodome », sa première grande œuvre, un « gigantesque catalogue de perversions », selon Jean Paulhan.

Le 2 juillet 1789, il est transféré à Charenton, alors hospice de malades mentaux tenus par les frères de la Charité. On ne lui laisse rien emporter. Ses précieux manuscrits seront détruits lors du pillage de la Bastille, le 14 juillet 1789. En réalité, le manuscrit n’a pas été perdu et finira par revenir à la France en 2017, après de nombreuses péripéties.

SADE LE SECTIONNAIRE
Rendu à la liberté le 2 avril 1790 par l’abolition des lettres de cachet, Sade s’installe à Paris. Il a cinquante ans. Il est méconnaissable, physiquement marqué par ces treize années d’enfermement.

La marquise, réfugiée dans un couvent, demande la séparation de corps et l’obtient. Il fait la connaissance de Marie-Constance Quesnet, une comédienne de 33 ans qui ne le quittera plus jusqu’à sa mort. Les dévergondages de son imagination, il les réserve désormais à son œuvre.

Ses fils émigrent, il ne les suit pas. Il essaie de faire jouer ses pièces sans grand succès. Sa qualité de ci-devant le rend a priori suspect. Il se lance dans le mouvement révolutionnaire et met ses talents d'homme de lettres au service de sa section de la place Vendôme, la section des Piques, à laquelle appartient Robespierre. Entraîné par le succès de ses harangues et de ses pétitions, emporté par sa ferveur athée, il prend des positions extrêmes en matière de déchristianisation et participe à la terreur au moment où le mouvement va être désavoué par Robespierre et les sans-culottes les plus radicaux éliminés de la scène.

Le 8 décembre 1793, Sade est arrêté. La chute de Robespierre lui évitera de justesse la guillotine.

AUTEUR PORNOGRAPHIQUE
En 1795, il publie Aline et Valcour « par le citoyen S*** » et la Philosophie dans le boudoir suivie de la mention « Ouvrage posthume de l’auteur de Justine ».

La production d’ouvrages clandestins pornographiques devient pour Sade une bénéfique ressource financière : en 1799, La Nouvelle Justine suivi de l’Histoire de Juliette, sa sœur, qu’il désavoue farouchement, lui permet de payer ses dettes les plus criardes. Les saisies de l’ouvrage n’interviendront qu’un an après sa sortie, mais déjà, l’étau se resserre. La presse se déchaîne contre lui et persiste à lui attribuer Justine en dépit de ses dénégations.

Une première version de « Justine », son ouvrage le plus célèbre, Les Infortunes de la vertu, est rédigée à la Bastille en 1787. Par étapes successives, l’auteur ajoute de nouveaux épisodes scabreux qu’il fait se succéder les uns aux autres, comme un feuilleton. Deux volumes en 1791, pas moins de dix volumes illustrés de cent gravures pornographiques en 1799 sous le Directoire, « la plus importante entreprise de librairie pornographique clandestine jamais vue dans le monde » selon Jean-Jacques Pauvert, sous le titre de La Nouvelle Justine ou les malheurs de la vertu, suivie de l’Histoire de Juliette, sa sœur.

Le livre scandalise, mais surtout il fait peur. L’œuvre marque la naissance de la mythologie sadienne.

CHEZ LES FOUS
Sur ordre du Premier consul Bonaparte, chatouilleux sur les questions de morale, Sade est arrêté. Il va être interné, sans jugement, de façon totalement arbitraire et se retrouvera très vite à Charenton.

À Charenton, il jouit de conditions privilégiées. Il occupe une chambre agréable que prolonge une petite bibliothèque, le tout donnant sur la verdure du côté de la Marne. Constance Quesnet, se faisant passer pour sa fille naturelle, vient le rejoindre en août 1804 et occupe une chambre voisine.

Il fait l’objet d’une étroite surveillance. Sa chambre est régulièrement visitée par les services de police, chargés de saisir tout manuscrit licencieux qui pourrait s’y trouver. Le 5 juin 1807, la police saisit un manuscrit, Les Journées de Florbelle, « dix volumes d’atrocités, de blasphèmes, de scélératesse, allant au-delà des horreurs de Justine et de Juliette » écrit le préfet Dubois à son ministre Fouché.

Sade mourra, sans avoir retrouvé la liberté, en 1814.

UN ECRIVAIN MAUDIT
Sade sera longtemps un écrivain maudit. Maurice Heine (1884-1940) fut le re-découvreur et l'éditeur du marquis de Sade. Poursuivant en cela l'initiative de Guillaume Apollinaire et devançant l'énorme travail de Gilbert Lely, il est le premier à revendiquer pour Sade sa véritable place parmi les écrivains français. Avec un souci de la perfection, une rigueur et une probité historiques saluées par Lely, il entreprend pendant de nombreuses années un immense travail de mise au jour des archives, notamment juridiques, et les manuscrits, transcrivant ceux-ci, comme le fameux rouleau à l'écriture microscopique des Cent Vingt Journées de Sodome. Son entreprise d'édition critique de ces textes part du principe qu'« un texte du marquis de Sade devait être traité avec le même respect qu'un texte de Pascal. »
Outre ses articles et préfaces sur le « divin marquis », ce travail aboutit à la publication, inachevée, d'une Vie de Sade, de Morceaux choisis et à l'exhumation des Historiettes, Contes et Fabliaux (1926), du Dialogue entre un prêtre et un moribond (1926), des Infortunes de la vertu (1930) et des Cent Vingt Journées de Sodome (1931-1935).

Je terminerai cette partie biographique par une brève présentation des principales œuvres du Marquis, que je n’ai jamais réussies à lire jusqu’au bout, bien qu’elles figuraient dans « l’enfer » de la bibliothèque familiale.

Je reviendrai plus en détails, dans un prochain texte, sur la philosophie de Sade, ma perception de cet auteur, de ses œuvres et du sadisme, en disant tout de suite que je n’adhère pas, tout en reconnaissant qu’il fût un des grands « écrivains et philosophes du plaisir », dont je souhaite évoquer le parcours dans cette rubrique « Philosophie du plaisir »
LES 120 JOURNEES DE SODOME
Les « Cent Vingt Journées de Sodome, ou l'École du libertinage » est la première grande œuvre du marquis de Sade, écrite à la prison de la Bastille à partir de 1785. Telle qu’elle est, l’œuvre ne présente qu’une version inachevée, que l’auteur eût probablement poursuivie s’il ne l’avait perdue en 1789.

Vers la fin du règne de Louis XIV, quatre aristocrates âgés de 45 à 60 ans, « dont la fortune immense est le produit du meurtre et de la concussion », le duc de Blangis, l’évêque son frère, le président de Curval et le financier Durcet, s’enferment, en plein hiver, dans un château perdu de la Forêt-Noire, le château de Silling, avec quarante-deux victimes soumises à leur pouvoir absolu : leurs épouses (chacun a épousé la fille de l'autre) et de jeunes garçons et jeunes filles ravis à leurs parents.

Quatre proxénètes « historiennes », se succédant de mois en mois, font le récit de six cents perversions, à raison de cent cinquante chacune, que les maîtres du château mettent souvent en pratique à l’instant même.

L’ouvrage se compose, sous forme de journal, de quatre parties (la première est achevée, les suivantes semblent de simples plans) qui correspondent à chacun des quatre mois et aux passions dites « simples », « doubles », « criminelles » et « meurtrières », dont la narration s’entremêle aux « événements du château ». La plupart des victimes périssent dans d’épouvantables tourments.

Dans son essai La Littérature et le Mal (publié en 1957), Georges Bataille considère que ce livre paroxystique nous place devant l'insupportable : « l'imagination de Sade a porté au pire ce désordre et cet excès. Personne à moins de rester sourd n'achève les Cent Vingt Journées que malade : le plus malade est bien celui que cette lecture énerve sensuellement. Comment a-t-il osé ? Celui qui écrivait ces pages aberrantes le savait, il allait le plus loin qu'il est imaginable d'aller »
JUSTINE ET LES MALHEURS DE LA VERTU
« Justine ou les Malheurs de la vertu » est le premier ouvrage du marquis de Sade publié de son vivant, en 1791, un an après avoir été rendu à la liberté par la Révolution et l’abolition des lettres de cachet. C’est aussi la deuxième version de cette œuvre emblématique, sans cesse récrite, qui a accompagné Sade tout au long de sa vie.

Une première version, intitulée « Les Infortunes de la vertu » a été écrite en 1787: la version primitive écrite à la Bastille était un conte philosophique, destiné à faire partie du recueil des Contes et Fabliaux du XVIIIe siècle que Sade était en train de rédiger.

Un résumé de la version de 1791 a été donné par Maurice Heine dans sa biographie du marquis de Sade:
« Vers 1775, Justine, renvoyée à douze ans du couvent parce qu’elle est soudain devenue orpheline et pauvre, mène, à Paris, une vie de misère et de combats pour sa vertu.

Faussement accusée de vol par son maître, l’usurier Du Harpin, elle s’évade à seize ans de la Conciergerie, mais c’est pour courir au-devant d’un viol dans la forêt de Bondy. Elle trouve une bonne place dans un château voisin et la quitte au bout de quatre années, sous la dent des molosses déchaînés contre elle par le jeune comte de Bressac dont elle a refusé d’empoisonner la tante.

Recueillie et soignée par Rodin, aussi habile chirurgien que libertin instituteur, elle en est marquée au fer rouge et chassée (…).

À vingt-deux ans, elle reprend courageusement la route, atteint Sens, puis Auxerre, d’où elle repart le 7 août 1783. Un pèlerinage auprès de la Vierge miraculeuse de Sainte-Marie-des-Bois la fait devenir victime et rester, six mois, captive des quatre moines lubriques et meurtriers de cette abbaye.

Évadée au printemps de 1784, elle tombe, dès le surlendemain, au pouvoir du comte de Gernande qui la saigne pendant près d’un an, beaucoup moins pourtant que son épouse qui en meurt.

Il ne lui arrive rien de bon à Lyon où elle retrouve son violeur, ni sur la route du Dauphiné où, près de Vienne, elle a la malchance de croire aux promesses d’un nommé Roland, qu’elle vient de secourir, sans se douter qu’elle va suivre dans son repaire des Alpes le chef d’une bande de faux-monnayeurs.

Plus maltraitée qu’une bête de somme pendant des mois, ensuite arrêtée et conduite à Grenoble avec le reste de la bande, elle n’est sauvée de l’échafaud que par l’éloquence de l’illustre et généreux Servan.

Mais bientôt compromise dans une nouvelle affaire et se disposant à quitter Grenoble, elle manque y être la victime d’un évêque, puis se voit par vengeance accusée d’incendie, de vol et de meurtre. Incarcérée de ce chef à Lyon, elle y est tourmentée et condamnée par un juge prévaricateur et débauché.

Conduite à Paris pour la confirmation d’une sentence capitale, elle est reconnue à une étape par sa sœur Juliette qui a fait fortune et dont l’amant intervient.

Sauvée enfin et réhabilitée, Justine semble devoir vivre heureuse dans le château de ses hôtes. Mais le dernier mot reste au Ciel qui ne saurait laisser la vertu en paix, et celle qui l’incarne meurt, à l’âge de vingt-sept ans, foudroyée au cours de l’affreux orage du 13 juillet 1788. »
De longues dissertations morales et philosophiques qui débouchent sur des professions radicales d’athéisme et d’immoralisme, précèdent, interrompent ou terminent presque toutes les scènes d'orgies du roman.

En 1799, Sade publie une nouvelle version du roman, qui sera suivi début 1800 par « l'Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice ».

La première édition du roman se compose de dix volumes illustrés de cent gravures obscènes, ce qui en faisait à l'époque « la plus importante entreprise de librairie pornographique clandestine jamais vue dans le monde » selon Jean-Jacques Pauvert. Cela entraîna une importante spéculation de librairie, vu le succès de la version de 1791, et vaudra à son auteur, sous le Consulat, une arrestation sans inculpation et sans jugement, puis un enfermement à vie à l'asile de fous de Charenton.

Les trois versions se différencient par :
• l'amplification: De la première à la dernière version, Sade ne cesse de multiplier les malheurs de Justine – et d’expliciter les scènes érotiques - comme il ne cesse de prolonger et de durcir les dissertations idéologiques : la première version occupe 118 pages dans l’édition de la Pléiade, la deuxième 259 pages et la troisième 705 pages (sans compter l’histoire de Juliette qui occupe 1080 pages). L'amplification passe aussi par les illustrations : un frontispice allégorique dans Justine ou les Malheurs de la vertu, quarante gravures obscènes dans la Nouvelle Justine.

• le vocabulaire: retenu dans les deux premières versions (emploi de périphrases, d’allusions), il est ouvertement obscène dans la Nouvelle Justine.

• la narration: Justine est narratrice de ses malheurs dans les deux premières versions. Le vocabulaire de la jeune fille et ses réticences morales limitent son évocation des passions dont elle est victime. Elle perd la parole dans la Nouvelle Justine, le récit devient objectif, aucune nécessité narrative ne bride plus les descriptions de violence et d'orgie.

Le passage de la version de 1791 à celle de 1799 est partiellement constitué par cent onze notes, qui indiquent le projet d'une amplification des aventures, des personnages, et des « dissertations philosophiques » (souvent empruntées aux philosophes des Lumières) : le couvent de Sainte-Marie-des-Bois, par exemple, nous offre non plus quatre, mais six moines à la tête d'un sérail qui ne comprend pas moins de dix-huit garçons et trente filles. De nouveaux personnages sont créés : la Delmonse et son complice Dubourg, M. et Mme d'Esterval, tenanciers d'une auberge rouge, M. de Bandole, Roger et ses mendiants. L'allongement du récit est aussi accentué par deux histoires enchâssées, celles d'un moine, Jérôme, et d'une femme Séraphine.

Il revenait à Jean-Jacques Pauvert, premier éditeur à publier l'œuvre intégrale de Sade, d'attirer l'attention, dans sa biographie « Sade vivant » (T. III, p. 299), sur l'opération de librairie qui consistait à publier en 1799 et 1800 les dix volumes (3600 pages) de « La Nouvelle Justine », suivie de « l'Histoire de Juliette, sa sœur », illustrés de 101 gravures licencieuses, « la plus importante entreprise de librairie pornographique clandestine jamais vue dans le monde ».

Il s'agissait de mettre en vente plusieurs milliers d'exemplaires d'une collection proposée au public 100 francs en 1801, soit un chiffre d'affaires total de plusieurs centaines de milliers de francs, suivant le tirage, à une époque où " un ouvrier considéré comme bien payé gagnait 600 francs par an, et vivait correctement". Les saisies policières feront encore monter les prix !

HISTOIRE DE JULIETTE, OU LES PROSPERITES DU VICE
Ce roman est présenté comme une suite de « La Nouvelle Justine ou les Malheurs de la vertu », Justine étant la sœur de Juliette. L’édition d’origine comptait 60 gravures licencieuses.

Alors que, dans les Malheurs de la vertu, Justine n'obtient que des injustices et des sévices répétés, Juliette est au contraire une nymphomane et criminelle amorale dont les entreprises lui valent le succès et le bonheur.

Juliette est élevée dans un couvent, mais à l’âge de treize ans, elle est séduite par une femme qui entreprend de lui expliquer que la moralité, la religion et les idées de cette sorte sont dépourvues de sens. Toutes les considérations philosophiques évoquées au cours du récit sont de cet ordre : toutes les idées touchant à Dieu, la morale, les remords, l’amour, sont attaquées. La conclusion générale est que le seul but dans la vie est « de s’amuser sans se soucier, aux dépens de quiconque ».

Pendant le roman, qui suit Juliette de l’âge de treize à environ trente ans, l’anti-héroïne dévergondée s’engage dans pratiquement chaque forme de dépravation et rencontre toute une série de libertins comme elle.

Une des scènes les plus étendues de Juliette relate une longue entrevue de Juliette avec le pape Pie VI. L’héroïne montre son érudition au pape, auquel elle s’adresse le plus souvent par son nom séculaire de « Braschi », en dressant le catalogue des immoralités commises par ses prédécesseurs. Comme presque toutes les scènes du récit, l’audience se termine sur une orgie, à laquelle le pape participe. Pour obtenir les faveurs de Juliette, le pape célèbre des messes noires à Saint-Pierre-de-Rome.

Peu après, le personnage Brisatesta relate deux rencontres scandaleuses, la première avec « la princesse Sophia, nièce du roi de Prusse », qui vient juste d’épouser « le stadhouder » à La Haye. Ceci désigne vraisemblablement Friederike Sophie Wilhelmine de Prusse (1751-1820), qui a épousé Guillaume V d'Orange-Nassau, le dernier stadhouder hollandais, en 1767, encore vivant lors de la publication de Juliette. Une autre rencontre a lieu avec la tsarine Catherine II de Russie, dépeinte comme une dépravée, violentant de jeunes hommes.

REFERENCES
Pour ce texte, je me suis appuyé sur les articles Wikipédia sur Sade, ses principales œuvres et le sadisme.

Je renvoie également à ces liens :
• https://www.histoire-pour-tous.fr/biographies/4748-le-marquis-de-sade-1740-1814-biographie.html
• https://www.retronews.fr/arts/long-format/2018/05/19/la-legende-maudite-du-marquis-de-sade#section-2925
Je citerai aussi la biographie de Maurice Lever : Donatien Alphonse François, marquis de Sade (Fayard, 1991)
Les textes de Sade peuvent être retrouvés via le lien suivant :http://www.sade-ecrivain.com/(A suivre)

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